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31/05/2023 | LUXEMBOURG | N°48980

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mai 2023, 48980


Tribunal administratif Numéro 48980 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48980 3e chambre Inscrit le 25 mai 2023 Audience publique du 31 mai 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 22, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48980 du rôle et déposée le 25 mai 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzade

h, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mo...

Tribunal administratif Numéro 48980 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48980 3e chambre Inscrit le 25 mai 2023 Audience publique du 31 mai 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 22, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48980 du rôle et déposée le 25 mai 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Gambie) et être de nationalité gambienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant, suivant le dispositif de la requête, à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 mai 2023 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe Lorenzo en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

En date du 14 mars 2023, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section …, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données Eurodac révéla qu’outre la susdite demande de protection internationale introduite au Luxembourg en date du 14 mars 2023, l’intéressé avait auparavant déposé des demandes de protection internationale en Italie, en date du 19 septembre 2014, ainsi qu’en Allemagne, en date du 16 septembre 2016.

1Il s’avéra encore, suite à une recherche effectuée dans la base de données du Système d’Information Schengen (SIS), qu’en date du 20 février 2023, Monsieur … a fait l’objet d’un signalement SIS pour interdiction d’entrée sur le territoire par les autorités danoises.

Le 15 mars 2023, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du 15 mars 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), pour une durée de trois mois.

En date du 17 mars 2023, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes aux fins de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, ce que ces dernières acceptèrent par courrier du 21 mars 2023 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Par arrêté du 23 mai 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

« […] Vu l'article 22 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 15 mars 2023, notifié le même jour, assignant l'intéressé à résidence sur base de l'article 22, paragraphe (3), point b) ;

Considérant que l'intéressé a disparu de la structure d'hébergement en date des 18 mars 2023, 29 mars 2023, 2 avril 2023, 18 avril 2023 et 28 avril 2023 ;

Considérant le non-respect des conditions de l'assignation à résidence du 15 mars 2023 ;

Vu l'accord de reprise en charge des autorités allemandes du 21 mars 2023 sur base de l'article 18, paragraphe (1), point d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de l'intéressé comme défini à l'article 22, paragraphe (2), point d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 précitée ;

Considérant que la mesure moins coercitive dont bénéficiait l'intéressé ne peut ainsi plus lui être efficacement appliquée ;

Considérant qu'il y a lieu de révoquer la mesure moins coercitive sur base de l'article 22, paragraphe (3), alinéa 3 et que le placement en rétention est ordonné ; […] ».

En date du 25 mai 2023, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités françaises aux fins de la prise en charge de Monsieur … sur base des articles 12, paragraphe (1), 19, paragraphe (1) et 28 du règlement Dublin III.

2Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête, à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 23 mai 2023 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision en question.

Etant donné que l’article 22, paragraphe (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, Monsieur … reprend, en substance, les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, tels que repris ci-dessus, tout en précisant qu’il disposerait d’un titre de séjour de type « Vie privée et familiale » français, valable jusqu’au 9 août 2023. Il affirme, par ailleurs, demeurer ensemble avec sa famille en France et être venu au Luxembourg peu avant la naissance de son deuxième enfant en date du …, afin de trouver un emploi. Il précise avoir, à tort, indiqué de fausses données personnelles aux autorités allemandes lors de l’introduction de sa demande de protection internationale en 2016 sous l’alias « …, né le … à … (Soudan) ». Pris de remords suite au dépôt de sa demande de protection internationale au Luxembourg en date du 14 mars 2023, il aurait voulu renoncer à cette demande et se serait présenté à cette fin aux autorités ministérielles le 23 mai 2023. A cette occasion, il leur aurait présenté l’original de son titre de séjour français.

En droit, Monsieur … fait valoir que, dans la mesure où il serait titulaire d’un titre de séjour de type « Vie privée et familiale » français, sa reprise en charge par les autorités allemandes ne se justifierait pas et qu’il souhaiterait retourner chez sa famille en France. A cet égard, il souligne encore que la privation de liberté d’un citoyen, respectivement d’un administré, devrait toujours demeurer l’exception, sous peine de violer le principe de proportionnalité entre le but légitimement poursuivi par l’autorité administrative et les moyens utilisés pour atteindre ce but. Ainsi, au vu de son titre de séjour français qui serait valable jusqu’au 9 août 2023, il y aurait lieu de retenir que la mesure de rétention prise à son égard ne se justifierait plus.

A titre subsidiaire, le demandeur soutient qu’il y aurait lieu de le renvoyer sans délai en Allemagne, les autorités allemandes ayant d’ores et déjà accepté sa reprise en charge en date du 21 mars 2023.

Enfin, il insiste encore sur le fait qu’il souhaiterait retourner volontairement sur le territoire français, alors qu’il disposerait de l’original de son titre de séjour, en faisant valoir, à ce titre, qu’un étranger pourrait être éloigné vers tout pays où il serait légalement admissible.

Eu égard à toutes ces considérations, son placement en rétention ne serait pas justifié.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

3Aux termes de l’article 22, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, envisageant les conditions dans lesquelles un demandeur de protection internationale peut être placé au Centre de rétention : « […] (2) Un demandeur ne peut être placé en rétention que : […] d) conformément à l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride et lorsqu’il existe un risque de fuite basé sur un faisceau de circonstances établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement ; […] ».

Le paragraphe (3) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « (3) La décision de placement en rétention est ordonnée par écrit par le ministre sur la base d’une appréciation au cas par cas, lorsque cela s’avère nécessaire et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.

On entend par mesures moins coercitives:

a) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence dans les lieux fixés par le ministre, si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite;

l’assignation à résidence peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour le demandeur l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence du demandeur dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer au demandeur, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour le demandeur de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder si les motifs énoncés au paragraphe (2) ne sont plus applicables ou en cas de retour volontaire.

Les mesures moins coercitives sont ordonnées par écrit et peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

4En vertu de la disposition précitée, le placement en rétention ne peut dès lors être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues à ses points a), b) et c) - à savoir, (i) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à des intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, (ii) l’assignation à résidence, assortie, le cas échéant, d’une mesure de surveillance électronique, et, (iii) le dépôt d’une garantie financière d’un montant de cinq mille euros - ne peut être efficacement appliquée.

Le paragraphe (4) de l’article 22 de la même loi ajoute que : « (4) La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. ».

Cette disposition précise ainsi, par renvoi au règlement Dublin III, que la mesure de placement en rétention est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois et que les procédures liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue, sans que les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter le transfert dans les meilleurs délais et que le placement ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises. Cette mesure de placement en rétention peut être reconduite, chaque fois pour une durée de trois mois, tant que les motifs énoncés à l’article 22, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

A titre liminaire, il y a lieu de relever que si, de l’entendement du tribunal, le demandeur entend contester le recours même par le ministre à la mesure de placement prévue l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 au motif qu’il aurait renoncé à sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg, il échet de constater que cette affirmation, non autrement sous-tendue, reste à l’état de pure allégation, alors qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier administratif que Monsieur … aurait renoncé à sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg. Le tribunal ne saurait, par conséquent, pas non plus lui donner acte, tel que sollicité à l’audience publique des plaidoiries, d’une telle renonciation. Les contestations afférentes sont dès lors à rejeter.

Ensuite, il y a lieu de relever qu’en l’espèce, la décision déférée est basée sur l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, précité, qui renvoie à l’article 28 du règlement Dublin III, et qui permet de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative pour une durée maximale de trois mois en vue de garantir les procédures de transfert prévues par ledit règlement, sous condition (i) qu’il existe un risque de fuite « non négligeable » dans le chef de l’intéressé basé sur un faisceau de circonstances 5établissant qu’il a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement, (ii) que le placement en rétention soit proportionnel et, (iii) que d’autres mesures moins coercitives ne puissent être effectivement appliquées.

La décision déférée est encore basée sur l’alinéa 3 du paragraphe (3) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Les mesures moins coercitives sont ordonnées par écrit et peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. », et qui prévoit ainsi les cas de révocation de la mesure moins coercitive ordonnée par le ministre, à savoir (i) en cas de défaut du respect des obligations imposées par le ministre dans le cadre de la mesure moins coercitive ou (ii) en cas de risque de fuite.

Etant donné que cet alinéa prévoit les cas de révocation de la mesure moins coercitive de manière alternative, il suffit que l’une des conditions y énoncées soit remplie pour que la mesure moins coercitive ordonnée en lieu et place d’une mesure de placement en rétention soit révoquée.

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier administratif que le demandeur a fait l’objet d’une assignation à résidence à la SHUK par décision ministérielle du 15 mars 2023, le ministre ayant considéré que Monsieur … présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite, de sorte que la mesure moins coercitive prévue à l’article 22, paragraphe (3), point b) de la loi du 18 décembre 2015 pourrait lui être efficacement appliquée. Cette mesure a été révoquée par l’arrêté ministériel de placement en rétention du 23 mai 2023, dans lequel le ministre a visé le non-respect des obligations imposées au demandeur par l’assignation à résidence prise à son encontre. Il appartient dès lors au tribunal de vérifier en premier lieu si le ministre pouvait valablement révoquer la mesure d’assignation à résidence prise à l’encontre du demandeur.

A cet égard, force est de constater que l’arrêté ministériel du 15 mars 2023 prévoyait que Monsieur … était assigné à résidence à la SHUK pour une durée de trois mois sous « […] l’obligation de se présenter durant cette période quotidiennement au plus tard à 23h00 du soir ainsi qu’à 08h00 du matin au personnel de la structure prémentionnée […] », tout en l’avisant en son deuxième article « […] qu’en cas de défaut de respect de l’obligation imposée ou en cas de risque de fuite, la mesure pourra être révoquée et le placement en rétention pourra être ordonné comme prévu à l’article 22, paragraphe (2) d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 précitée. ».

Il est constant en cause pour ressortir des éléments du dossier administratif et pour ne pas être contesté par le demandeur, que celui-ci a été absent de la SHUK du 18 au 20 mars, du 29 au 31 mars, du 2 au 4 avril et du 18 au 26 avril 2023.

Dans la mesure où la seule et unique obligation imposée par le ministre au demandeur durant son assignation à résidence était celle de se présenter deux fois par jour à des heures déterminées à la réception de la SHUK, l’inobservation de cette obligation a valablement pu amener le ministre à révoquer l’assignation à résidence dans le chef du demandeur.

Ensuite, tel que relevé ci-avant, conformément à l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, un placement en rétention ne peut être décidé que si un risque de fuite « non négligeable » se trouve vérifié dans le chef de la personne concernée, et ce sur 6base d’un faisceau de circonstances à apprécier au cas par cas, établissant que l’intéressé a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à son éloignement.

S’agissant de l’existence d’un risque de fuite « non négligeable » dans le chef de l’intéressé, et tel que relevé ci-dessus, il se dégage des éléments à la disposition du tribunal qu’après avoir été assigné à résidence à la SHUK par arrêté ministériel du 15 mars 2023, le demandeur avait disparu à plusieurs reprises de ladite structure, bien qu’il ait été informé suivant l’article 2 de l’arrêté d’assignation à résidence qu’en cas de non-respect de l’obligation de se présenter deux fois par jour au personnel de la SHUK, la mesure pourrait être révoquée et un placement en rétention être ordonné.

Il n’est pas non plus contesté que le demandeur ne dispose pas d’une adresse légale au Luxembourg et qu’il a fait usage d’un alias dans le cadre de sa demande de protection internationale déposée en Allemagne en 2016.

Au regard de l’ensemble de ces considérations, le tribunal estime qu’il existe un faisceau suffisant de circonstances établissant que l’intéressé a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement, de sorte que le ministre a valablement pu conclure à l’existence, dans le chef du demandeur, d’un risque de fuite « non négligeable », tel qu’exigé par les articles 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 et 28 du règlement Dublin III.

Cette conclusion est encore corroborée par l’argumentation du demandeur selon laquelle il souhaiterait volontairement retourner en France chez sa famille, sinon en Allemagne.

En effet, tel qu’il a été soulevé à juste titre par le délégué du gouvernement, la volonté du demandeur de se rendre dans l’un de ces pays par ses propres moyens est de nature à conforter l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, la notion de risque de fuite visant, en effet, un risque de soustraction à la mesure d’éloignement projetée.

En ce qui concerne ensuite l’application de mesures moins coercitives, le tribunal rappelle que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues aux points a), b) et c) de l’article 22, paragraphe (3), précités, de la loi du 18 décembre 2015 ne peut être efficacement appliquée.

Or, tel qu’il a été relevé ci-dessus, le demandeur a d’ores et déjà bénéficié de la mesure moins coercitive prévue au point b) de l’article 22, paragraphe (3), précité, mais n’a pas respecté les obligations y attachées. Il s’ensuit que les expériences du passé ont valablement permis au ministre d’écarter l’application de cette disposition.

Pour les mêmes considérations, le ministre a pu écarter l’application du point a) de l’article 22, paragraphe (3), précité, cette mesure ne pouvant être efficacement appliquée au vu du comportement que le demandeur a adopté dans le cadre de son assignation à résidence à la SHUK.

S’agissant ensuite de la mesure moins coercitive prévue par l'article 22, paragraphe (3), point c), de la loi du 18 décembre 2015, force est au tribunal de constater que le demandeur n’a fourni aucune proposition d’une telle garantie financière.

Le moyen du demandeur tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure de placement litigieuse est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

7 En ce qui concerne, finalement, les contestations du demandeur par rapport aux diligences accomplies pour écourter au maximum sa privation de liberté, il y a lieu de rappeler, qu’en vertu de l’article 22, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, la mesure de placement en rétention est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois et que les procédures liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue, sans que les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne puissent justifier une prolongation de la durée de rétention, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter le transfert dans les meilleurs délais et que le placement ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises.

En l’espèce, il ressort du dossier administratif que, dès le 17 mars 2023, soit deux jours après l’assignation à résidence du demandeur à la SHUK, les autorités luxembourgeoises ont contacté les autorités allemandes aux fins de la reprise en charge de Monsieur …, sur base de la considération que, suivant le résultat des recherches effectuées dans la base de données Eurodac, celui-ci y avait introduit une demande de protection internationale en date du 16 septembre 2016. Il ressort encore des éléments du dossier administratif que les autorités luxembourgeoises ont informé les autorités allemandes de la prolongation du délai de transfert conformément à l’article 29, paragraphes (1) et (2) du règlement Dublin III en raison de la disparition de l’intéressé de la SHUK, étant rappelé que celui-ci avait disparu de ladite structure du 18 au 20 mars, du 29 au 31 mars, du 2 au 4 avril et du 18 au 26 avril 2023.

Il est ensuite constant en cause pour ne pas être contesté par le demandeur qu’en date du 23 mai 2023, celui-ci s’est présenté auprès du ministère et qu’il a remis à cette occasion aux autorités luxembourgeoises sa carte de séjour temporaire française, valable du 10 août 2022 au 9 août 2023, suite à quoi celles-ci ont contacté dès le 25 mai 2023 les autorités françaises aux fins de sa prise en charge sur le fondement des articles 12, paragraphe (1), 19, paragraphe (1) et 28 du règlement Dublin III.

Au vu de ces éléments, force est au tribunal de constater que les démarches entreprises par les autorités luxembourgeoises en vue d’organiser le transfert du demandeur ont été exécutées avec toute la diligence voulue, conformément à l’article 22, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, étant souligné que, dans la mesure où ce dernier n’a remis sa carte de séjour française aux autorités luxembourgeoises qu’en date du 23 mai 2023 et que celles-ci ont contacté les autorités françaises aux fins de sa prise en charge dès le 25 mai 2023, soit deux jours plus tard, les démarches effectuées en vue d’organiser son transfert vers la France se situent dans un délai raisonnable.

Dans ce contexte, il échet encore de souligner que le demandeur est malvenu de reprocher au ministre d’avoir, dans un premier temps, sollicité sa reprise en charge par les autorités allemandes, alors qu’il ne lui a remis sa carte de séjour française qu’en date du 23 mai 2023, étant encore relevé que l’organisation du transfert vers l’Allemagne a nécessairement été retardée en raison des itératives disparitions du demandeur de la SHUK. Il est encore particulièrement malvenu de reprocher, de l’entendement du tribunal, à titre subsidiaire, au ministre de ne pas continuer à organiser son transfert vers l’Allemagne, alors qu’il affirme lui-même vouloir retourner en France.

8Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens, même à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Carine Reinesch, juge, Sibylle Schmitz, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 31 mai 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 mai 2023 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 48980
Date de la décision : 31/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 10/06/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-05-31;48980 ?

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