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31/05/2023 | LUXEMBOURG | N°48961

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mai 2023, 48961


Tribunal administratif Numéro 48961 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48961 3e chambre Inscrit le 23 mai 2023 Audience publique du 31 mai 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48961 du rôle et déposée le 23 mai 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel Marigo, a

vocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mons...

Tribunal administratif Numéro 48961 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48961 3e chambre Inscrit le 23 mai 2023 Audience publique du 31 mai 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48961 du rôle et déposée le 23 mai 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel Marigo, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Togo), de nationalité togolaise, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 mai 2023 ayant ordonné la prolongation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Felipe Lorenzo en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour.

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Il se dégage d’un rapport de police dit « Fremdennotiz », portant le numéro … daté du 8 mars 2023, émanant du commissariat de … (Région …), que Monsieur …, alors qu’il essayait de s’inscrire à la commune de la Ville de Luxembourg au moyen de faux documents, fit l’objet d’un contrôle par les agents de la police grand-ducale lors duquel il ne fut pas en mesure de présenter des documents d’identité.

Par arrêté du 8 mars 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur … au Luxembourg, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, à savoir le Togo, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner et lui interdit l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans.

Par arrêté séparé du même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté, notifié à l’intéressé le jour-même, est basé sur les considérations suivantes :

1« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le procès-verbal no … du 8 mars 2023 établi par la Police grand-ducale, Région … ;

Vu ma décision de retour du 8 mars 2023 comportant une interdiction de territoire de trois ans ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant que l’intéressé s’est maintenu sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par arrêté du 6 avril 2023, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre prorogea le placement au Centre de rétention de l’intéressé une première fois pour une durée d’un mois avec effet au 8 avril 2023. Le recours contentieux dirigé contre ledit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 26 avril 2023, inscrit sous le numéro 48857 du rôle.

Par arrêté du 5 mai 2023, notifié à l’intéressé le 8 mai 2023, le placement en rétention de Monsieur … fut prorogé une seconde fois pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question. Ledit arrêté est basé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 8 mars 2023 et 6 avril 2023, notifiés en dates des 8 mars 2023 et 7 avril 2023, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 8 mars 2023 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que les démarches en vue de l'éloignement ont été engagées ;

Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l'éloignement; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 mai 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 5 mai 2023.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 22008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur conteste tout risque de fuite dans son chef, alors qu’il n’existerait à l’heure actuelle aucun élément concret qui serait de nature à prouver objectivement qu’il empêcherait la réalisation de la mesure d’éloignement prise à son encontre.

Il précise, à cet égard, qu’il aurait toujours coopéré tant avec les autorités luxembourgeoises qu’avec les autorités togolaises en vue de son identification.

En se basant sur l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur reproche ensuite un manque de diligences au ministre, en soutenant que s’il ressortait certes du dossier administratif que les autorités luxembourgeoises auraient contacté les autorités consulaires togolaises et qu’un entretien aurait eu lieu avec « les autorités consulaires guinéennes », il n’en resterait pas moins qu’il n’y aurait aucune perspective raisonnable de voir réaliser la mesure d’éloignement prise à son encontre. Or, il estime que le défaut d’aboutissement desdites démarches risquerait de constituer une violation de sa liberté de mouvement consacrée à l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».

En se prévalant des dispositions des articles 120 et 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 et de l’article 7, point 3. de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115/CE », Monsieur … affirme que les mesures moins coercitives devraient bénéficier d’une priorité par rapport au placement en rétention, qui serait, en ce qui le concerne, une mesure disproportionnée et injustifiée. Il insiste, à cet égard, sur le fait qu’il n’existerait aucune perspective raisonnable d’éloignement à destination de son pays d’origine, en mettant plus particulièrement en avant que le dossier administratif ne contiendrait pas le moindre écrit adressé « aux autorités guinéennes » dans le cadre de l’organisation de son retour vers le Togo, et ce, alors même qu’il aurait signé le formulaire destiné aux autorités de son pays d’origine pour permettre son éloignement vers le Togo. Il en déduit que sa rétention serait à qualifier d’arbitraire.

Il en conclut qu’une assignation à résidence serait une mesure plus appropriée que le placement en rétention pour permettre au ministre d’atteindre son but, et demande dès lors à se voir assigner à l’adresse « de son ami, Monsieur … », tout en soulignant qu’il serait prêt à se soumettre à toute mesure restrictive y relative, notamment celle relative à la surveillance électronique et qui emporterait pour lui l’interdiction de quitter un périmètre fixé par l'autorité administrative.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

3Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée.

C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au premier paragraphe de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

Il convient tout d’abord de souligner que le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégagent.

4 S’agissant en premier lieu des contestations du demandeur quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, tel que cela a déjà été retenu par le tribunal dans son jugement du 26 avril 2023, prémentionné, il est constant en cause que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour comportant une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de trois ans a été prise à son encontre le 8 mars 2023, décision qui ne fait pas l’objet de la présente instance contentieuse, et qu’il ne dispose ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant encore précisé, à cet égard, que, parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévu au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il aurait, par conséquent, appartenu à Monsieur … de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite présumé dans son chef, ce qu’il reste en défaut de faire.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer l’intéressé en rétention et l’y maintenir afin d’organiser son éloignement.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation du demandeur ayant trait au fait qu’il aurait coopéré tant avec les autorités luxembourgeoises qu’avec les autorités togolaises.

Au vu de toutes les considérations, le moyen ayant trait à une absence de risque de fuite dans le chef du demandeur encourt le rejet pour ne pas être fondé.

S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû lui appliquer des mesures moins coercitives, telles que visées à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, et notamment une assignation à résidence, le tribunal relève que cette disposition légale dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

5b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, tel que relevé ci-avant, le tribunal est amené à constater que le demandeur ne lui a pas fourni le moindre élément de nature à renverser la présomption de risque de fuite pesant sur lui. Plus particulièrement, le demandeur, dont il est constant en cause qu’il ne dispose d’aucun domicile déclaré au Luxembourg, reste en défaut de fournir des éléments concluants quant à une quelconque attache, voire une possibilité concrète de résidence ou d’hébergement au Luxembourg, de sorte à ne présenter aucun élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose. La seule invocation de sa volonté à se voir assigner à résidence dans un immeuble appartenant à un dénommé … n’est, en tout état de cause, pas suffisante pour ébranler ce constat, ce d’autant plus que le demandeur 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.

6reste en défaut de prouver tant la réalité des liens d’amitié existant prétendument entre lui-

même et Monsieur … que l’accord de ce dernier pour l’héberger.

Ainsi, les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 et plus particulièrement celle visée au point b) dudit article ne sauraient être efficacement appliquées et l’arrêté de prorogation du placement déféré ne saurait être considéré comme étant disproportionné ou injustifié de ce fait.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à écarter.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par la référence faite par le demandeur à l’article 7 de la directive 2008/115/CE intitulé « Départ volontaire » et selon lequel « Certaines obligations visant à éviter le risque de fuite, comme les obligations de se présenter régulièrement aux autorités, de déposer une garantie financière adéquate, de remettre des documents ou de demeurer en un lieu déterminé, peuvent être imposées pendant le délai de départ volontaire ». En effet, outre le fait que le demandeur ne précise pas d’une quelconque manière en quoi ledit article serait violé, étant rappelé qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, il échet, par ailleurs, de constater que ledit article est relatif aux décisions de retour et admet la possibilité d’assortir le délai de départ volontaire prévu dans la décision de retour de mesures permettant d’éviter le risque de fuite.

Il s’ensuit que ledit article n’est, en tout état de cause, pas pertinent dans le cadre d’un recours dirigé contre une décision relative à une mesure de rétention administrative, étant encore précisé que selon la décision de retour du 8 mars 2023 aucun délai de départ volontaire n’a été accordé à Monsieur …, de sorte que l’argumentation y relative encourt de toute manière le rejet.

En ce qui concerne ensuite les diligences entreprises par le ministre pour procéder à l’éloignement du demandeur et ainsi écourter la durée de son placement en rétention, le tribunal a constaté dans son jugement, précité, du 26 avril 2023 qu’il ressortait d’une note au dossier (i) qu’en date du 4 avril 2023 un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », avait eu un entretien téléphonique avec les services consulaires togolais à Bruxelles afin de convenir d’un rendez-

vous avec Monsieur …, (ii) que ce rendez-vous a eu lieu, tel qu’il ressort d’une autre note au dossier figurant au dossier administratif, en date du 13 avril 2023 et (iii) que lors de cette entrevue, Monsieur … a rempli un formulaire qui devait être envoyé par l’ambassadeur au Togo pour authentification et qu’il a été convenu qu’après cette authentification un accord pour un laissez-passer serait émis.

Dans le jugement en question, le tribunal a conclu que les démarches ainsi entreprises à l’époque par les autorités luxembourgeoises devaient être considérées comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008.

Quant aux démarches accomplies depuis lors, le tribunal constate qu’il se dégage du dossier administratif et des explications du délégué du gouvernement qu’en date des 4 et 22 mai 2023 l’autorité ministérielle a contacté les autorités togolaises afin de connaître l’état 7d’avancement du dossier.

Au regard de ces démarches concrètes et au vu du fait que, tel que relevé ci-avant, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables ainsi que des démarches auprès des autorités compétentes notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé, le tribunal est amené à conclure que le dispositif d’éloignement est actuellement toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire, étant relevé que le ministre est tributaire de la collaboration et de l’efficacité des autorités togolaises, auxquelles il s’est adressé, et qu’il ne saurait nuire aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes. Il s’ensuit que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

Enfin, quant au reproche selon lequel il n’existerait aucune perspective raisonnable d’éloignement du demandeur, il échet de constater que le simple fait que les autorités togolaises n’aient à ce stade pas encore pu établir de laissez-passer, n’est, à défaut d’autres éléments, pas concluant pour considérer que son éloignement ne puisse pas être mené à bien.

Au vu des considérations qui précèdent, l’argumentation du demandeur tendant à dire que la prorogation de la mesure de placement serait disproportionnée par rapport au but poursuivi est à écarter, étant rappelé que la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière, tel que le demandeur, dans une structure fermée afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement et de proroger cette mesure est expressément prévue par la loi. Dans ce même ordre d’idées, l’argumentation non autrement étayée du demandeur selon laquelle l’arrêté ministériel déféré porterait atteinte à son droit à la liberté de mouvement, est à rejeter, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions. En tout état de cause, en plus d’être expressément prévu en droit interne luxembourgeois, le placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière en vue d’organiser son éloignement constitue une privation de liberté expressément autorisée par l’article 5 de la CEDH et, par conséquent, par l’article 6 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, le paragraphe (1), point f) dudit article 5 de la CEDH prévoit justement la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours, le terme d’expulsion devant être entendu dans son acceptation la plus large de sorte à viser toutes les mesures respectivement d’éloignement et de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays2.

Il s’ensuit que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, de même qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, 2 Trib. adm., 20 janvier 2017, n° 38970 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 805 et les autres références y citées.

8le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Carine Reinesch, juge, Sibylle Schmitz, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 31 mai 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 mai 2023 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 48961
Date de la décision : 31/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 10/06/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-05-31;48961 ?

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