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31/05/2023 | LUXEMBOURG | N°48960

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mai 2023, 48960


Tribunal administratif Numéro 48960 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48960 3e chambre Inscrit le 23 mai 2023 Audience publique du 31 mai 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48960 du rôle et déposée le 23 mai 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae Igri, avo

cat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi...

Tribunal administratif Numéro 48960 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48960 3e chambre Inscrit le 23 mai 2023 Audience publique du 31 mai 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48960 du rôle et déposée le 23 mai 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae Igri, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … au Maroc et être de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 11 mai 2023 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 14 mai 2023 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Clémence Remier, en remplacement de Maître Sanae Igri, et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe Lorenzo en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

Suivant un rapport de la police grand-ducale, Région …, Commissariat …, du 6 novembre 2019, référencé sous le numéro …, Monsieur … fut contrôlé par la police dans une maison abandonnée à …, contrôle lors duquel il déclara séjourner au Luxembourg depuis novembre 2018 et bénéficier du statut de réfugié en Grèce conformément à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ».

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres également le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », déclara le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois irrégulier et lui ordonna de quitter le territoire sans délai.

Le 25 novembre 2019, le ministre demanda à la police grand-ducale de procéder au signalement national de Monsieur … aux fins de découvrir sa résidence et en vue d’un placement en rétention.

1Le 25 novembre 2019, le ministre demanda de nouveau à la police grand-ducale de procéder au signalement national de Monsieur … aux fins de découvrir sa résidence et, en cas d’interception, d’en aviser le service de police judiciaire, section …, de la police grand-ducale en vue d’un placement en rétention.

Par jugement du tribunal administratif du 13 janvier 2021, inscrit sous le numéro 44095 du rôle, Monsieur … fut définitivement débouté de son recours introduit contre la décision du ministre du 6 novembre 2019, prémentionnée.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, Région …, Commissariat …, du 14 avril 2023, référencé sous le numéro …, qu’à cette même date, Monsieur …, après avoir appelé la police, fut appréhendé par les forces de l’ordre au motif qu’il faisait l’objet d’un signalement national en vue d’un placement en rétention.

Par arrêté du 14 avril 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question sur base des dispositions de l’article 120 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ». Ledit arrêté est fondé sur la motivation suivante :

« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le procès-verbal N° … du 14 avril 2023 établi par la Police grand-ducale, Région …, Commissariat … ;

Vu ma décision de retour du 6 novembre 2019, lui notifiée le même jour;

Attendu qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Attendu que l'intéressé déclare ne pas avoir l'intention de quitter le territoire de manière volontaire ;

Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par courrier électronique du 18 avril 2023, le ministre demanda aux autorités grecques si leur accord à la demande de réadmission du demandeur sur base de l’article 6, paragraphe (2) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115/CE », donné en date du 3 octobre 2020 suite à une demande afférente de la part du ministre, était toujours valable, demande à laquelle celles-ci répondirent par l’affirmative en date du 19 avril 2023.

Par courrier électronique du 20 avril 2023, l’agent en charge du dossier de Monsieur … demanda au service de police judiciaire, section …, de la police grand-ducale d’organiser l’éloignement de celui-ci vers la Grèce.

2 En date du 4 mai 2023, le service de police judiciaire, section …, de la police grand-

ducale fit parvenir au ministre un plan de vol prévoyant l’éloignement de Monsieur … vers la Grèce pour le 1er juin 2023.

Par arrêté du 11 mai 2023, notifié à l’intéressé en date du 12 mai 2023, le ministre prorogea la mesure de placement de Monsieur … pour une durée d’un mois avec effet au 14 mai 2023, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 14 avril 2023, notifié le même jour, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 14 avril 2023 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'éloignement de l'intéressé ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que l'éloignement de l'intéressé est prévu le 1er juin 2023 ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l'éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 mai 2023, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation de la décision de placement en rétention du 14 avril 2023, recours dont il s’est désisté, tel qu’acté suivant un jugement du tribunal administratif du 22 mai 2023, inscrit sous le numéro 48932 du rôle.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 mai 2023, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision précitée du 11 mai 2023 prorogeant son placement en rétention.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur rappelle, tout d’abord, les faits et rétroactes à la base de la décision déférée, en faisant valoir qu’il serait ressortissant marocain, bénéficiant de la protection internationale en Grèce et que les autorités grecques lui auraient remis un passeport ainsi qu’une carte d’identité. Il serait dès lors régulièrement entré sur le territoire européen. Il précise résider au Luxembourg avec sa compagne, Madame …, depuis trois ans et demi et sollicite un « placement à résidence » au domicile de celle-ci.

En droit, le demandeur, en s’appuyant sur l'article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, conteste l’existence d’un risque de fuite dans son chef, qui devrait, selon lui, être apprécié à la lumière de la situation individuelle de l'étranger concerné.

3Au titre de garanties de représentation effectives, il fait valoir qu’il disposerait de pièces d’identité grecques et qu’il conviendrait de faire application des principes fondamentaux de l’Union européenne, et plus particulièrement de la liberté de circulation et de séjour des personnes prévue par l’article 3, paragraphe (2), du traité sur l’Union européenne. Par ailleurs, il disposerait de ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour l’Etat durant son séjour.

Par ailleurs, le demandeur estime que la mesure serait disproportionnée dans la mesure où le ministre aurait dû recourir à des mesures moins coercitives qu’un placement en rétention, et plus particulièrement à une assignation à résidence, tout en rappelant qu’un placement au Centre de rétention devrait rester une mesure exceptionnelle, comme étant une entrave à sa liberté d’aller et de venir, qui serait une liberté fondamentale garantie par la Constitution. A cet égard, il se prévaut de l’article 125 de la loi du 29 août 2008 et cite encore l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115/CE.

Le demandeur fait encore plaider qu’il présenterait toutes les garanties légales de représentation, alors que les autorités luxembourgeoises disposeraient de ses documents d’identité, de façon à exclure tout risque de se soustraire à elles. En outre, il avance que sa compagne serait prête à se porter garant et à l’accueillir dans son foyer, de sorte qu’aucun risque de fuite ne serait établi dans son chef, le demandeur se prévalant encore, dans ce contexte, de sa bonne coopération avec les autorités luxembourgeoises.

Il insiste ensuite sur le fait que le placement en rétention devrait rester une mesure exceptionnelle et qu’elle ne serait admise que si elle est absolument nécessaire au but poursuivi et si elle est proportionnée.

Enfin, il invoque encore une jurisprudence de la Cour de cassation française, selon laquelle « la loi n’exige pas que l’étranger qui sollicite le bénéfice d’une assignation à résidence invoque des circonstances à caractère exceptionnel de nature à justifier cette mesure », ainsi qu’une jurisprudence de la même juridiction selon laquelle l’absence de domicile ne constituerait pas une raison suffisante pour refuser une assignation à résidence.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, le tribunal rappelle qu’il n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur, mais qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, ou en vertu d’une demande de transit par voie aérienne en vertu de l’article 127, ou lorsque le maintien en zone d’attente dépasse la durée de quarante-huit heures prévue à l’article 119, l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

4Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères, notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, le tribunal constate qu’il est constant que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour a été prise à son encontre le 6 novembre 2019, et ce sur base de la considération qu’il s’est maintenu sur le territoire luxembourgeois au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur ledit territoire et qu’il n’était pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail, de sorte qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), point 2. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger se maintient sur le territoire au-delà de la durée de trois mois 5à compter de son entrée sur le territoire, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention et l’y maintenir afin d’organiser son éloignement.

S’agissant du moyen tiré de la violation de l'article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, il échet de rappeler que cette disposition légale dispose que : « Dans les cas prévus à l'article 120, le ministre peut également prendre la décision d'appliquer une autre mesure moins coercitive à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n'est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l'article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l'obligation pour l'étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d'une autre autorité désignée par lui, après remise de l'original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d'un récépissé valant justification de l'identité ;

b) l'assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l'assignation peut être assortie, si nécessaire, d'une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l'étranger l'interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l'exécution de la mesure est assuré au moyen d'un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l'absence de l'étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l'étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l'intégrité et de la vie privée de la personne. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l'étranger de déposer une garantie financière d'un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de 1’Etat. Cette somme est acquise à 1’Etat en cas de fuite ou d'éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d'y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L'article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l'article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger 6présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, le tribunal retient que le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite qui existe dans son chef, tel que retenu ci-avant. A cet égard, il convient de relever que le demandeur ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg. Il n’a, par ailleurs, présenté aucun élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.

En effet, si, à défaut de domicile fixe déclaré au Luxembourg, le demandeur estime qu’il aurait dû être assigné à résidence au domicile de sa prétendue compagne, Madame …, tel que souligné à juste titre par le délégué du gouvernement, le domicile de celle-ci ne saurait être considéré comme domicile stable, ni comme fournissant à lui seul une garantie de représentation suffisante au profit du demandeur, de sorte qu’il pourrait y être assigné à résidence, alors que, indépendamment de la nature des liens entre le demandeur et Madame …, le tribunal ne s’est pas vu soumettre un quelconque élément de preuve tangible dont il se dégagerait qu’à l’heure actuelle, l’adresse indiquée est une adresse stable à laquelle le demandeur peut être considéré comme étant à la disposition des autorités luxembourgeoises pour les besoins de son éloignement, ce d’autant plus qu’il ressort du dossier administratif qu’entre le mois de décembre 2019 et le mois d’avril 2023, Madame … a fait appel à la police grand-ducale à de nombreuses reprises afin de faire expulser le demandeur de son domicile.

Dans ce même ordre d’idées, la circonstance que le demandeur a coopéré avec les autorités luxembourgeoises, à supposer que tel ait été le cas, tout comme la circonstance que ces dernières sont en possession de ses documents d’identité, ne sont pas non plus de nature à conclure à l'existence, dans le chef de l’intéressé, de garanties de représentation suffisantes au sens de l'article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par cette dernière disposition légale, en ce compris l’assignation à résidence, dont l’application est plus particulièrement sollicitée, ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce. Les contestations afférentes du demandeur encourent, dès lors, le rejet.

S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle il conviendrait de faire application de la liberté de circulation et de séjour des personnes prévue par l’article 3, paragraphe (2), du traité sur l’Union européenne, aux termes duquel « L'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d'asile, d'immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène. », il échet de constater que cette disposition prévoit expressément que la liberté de circulation et de séjour des personnes au sein de l’Union se conçoit « en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d'asile, d'immigration », telles que la détention régulière d’une personne contre 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.

7laquelle une procédure d’expulsion est en cours. A défaut pour le demandeur d’expliquer dans quelle mesure son placement en rétention ne serait pas approprié, considéré ensemble le constat fait ci-dessus qu’aucune mesure moins coercitive ne saurait être efficacement appliquée en l’espèce, le moyen afférent encourt le rejet.

Quant à la référence faite par le demandeur à l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115/CE, le tribunal précise que cette directive a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. Or, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par les seuls justiciables que si leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et que l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte2.

Dans la mesure où, en l’espèce, le demandeur ne démontre pas que l’Etat luxembourgeois aurait été en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, il y a lieu de retenir qu’il n’est pas fondé à se prévaloir directement des dispositions communautaires invoquées, mais qu’il lui aurait appartenu d’invoquer à la base de ses prétentions les dispositions de la loi du 29 août 2008. Par ailleurs, il y a lieu de souligner qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, une telle obligation incombant au seul litismandataire du demandeur, professionnel de la postulation, de sorte que le moyen afférent est également à rejeter.

Enfin, quant aux démarches concrètement entreprises par les autorités luxembourgeoises afin d’organiser l’éloignement du demandeur, d’ailleurs non remises en cause par celui-ci, il ressort plus particulièrement des pièces du dossier administratif qu’après le placement au Centre de rétention de Monsieur … le 14 avril 2023, les autorités luxembourgeoises ont contacté les autorités grecques en date du 18 avril 2023 afin d’obtenir une confirmation de leur accord de réadmission du demandeur, donné en date du 3 octobre 2020. Il ressort encore du dossier administratif qu’à la suite de l’acceptation par les autorités grecques de la réadmission du demandeur en date du 19 avril 2023, l’agent en charge du dossier de Monsieur … a demandé le 20 avril 2023 au service de police judiciaire, section …, de la police grand-ducale d’organiser l’éloignement de celui-ci vers la Grèce et qu’en date du 4 mai 2023, ledit service a fait parvenir au ministre un plan de vol prévoyant l’éloignement de Monsieur … pour le 1er juin 2023.

Le tribunal est dès lors amené à constater que les démarches entreprises par le ministre en vue de l’organisation de la mesure d’éloignement du demandeur ont abouti puisque le vol de retour doit avoir lieu le lendemain du prononcé du présent jugement.

Au vu de ce qui précède et plus particulièrement compte tenu du fait que la date pour le vol du retour du demandeur est déjà connue à ce jour, le tribunal est amené à constater qu’au moment où il statue, le ministre a à suffisance documenté les démarches entreprises et que les diligences précitées sont à considérer comme suffisantes au regard des exigences posées par la loi.

2 Trib. adm., 9 octobre 2003, n° 15375 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlements, n° 89 et les autres références y citées.

8 Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, même à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Au vu de l’issue du litige, le demandeur est à débouter de sa demande tendant à l’obtention d’une indemnité de procédure de 1.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure à hauteur de 1.000 euros formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Carine Reinesch, juge, Sibylle Schmitz, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 31 mai 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 mai 2023 Le greffier du tribunal administratif 9



Références :

Origine de la décision
Formation : Troisième chambre
Date de la décision : 31/05/2023
Date de l'import : 10/06/2023

Numérotation
Numéro d'arrêt : 48960
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-05-31;48960 ?

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