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24/05/2023 | LUXEMBOURG | N°46008

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 mai 2023, 46008


Tribunal administratif Numéro 46008 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46008 3e chambre Inscrit le 12 mai 2021 Audience publique du 24 mai 2023 Recours formé par Madame X et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35(1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46008 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2021 par Maître Ardavan

FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembou...

Tribunal administratif Numéro 46008 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46008 3e chambre Inscrit le 12 mai 2021 Audience publique du 24 mai 2023 Recours formé par Madame X et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35(1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46008 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2021 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame X, née le … à … (Tadjikistan), de nationalité tadjike, agissant en son nom personnel et au nom de ses enfants mineurs Y, née le … à … (Tadjikistan), de nationalité tadjike, Z, né le … à …, de nationalité tadjike, et V, né le … à … (Equateur), de nationalité équatorienne, demeurant ensemble à …, …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 avril 2021 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley FREYERMUTH, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Madame le délégué du gouvernement Corinne WALCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 janvier 2023.

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Le 10 avril 2019, Madame X, agissant en son nom propre et au nom de ses trois enfants mineurs Y, Z et V, ci-après désignés « les consorts X », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame X sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section criminalité organisée-police des étrangers, du même jour.

En date des 8, 15 et 23 juillet 2019, ainsi qu’en date des 5 et 25 février 2020 et des 17, 18 et 24 novembre 2020, Madame X fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par une décision du 14 avril 2021, notifiée à l’intéressée, ainsi qu’à son mandataire par lettre recommandée expédiée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à la demande en obtention d’une protection internationale, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, décision libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 10 avril 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Vous êtes accompagnée de vos enfants mineurs Y, née le … à …/Tadjikistan, Z, né le … à …/Tadjikistan, tous les deux de nationalité tadjike et V, né le … à …/Equateur, de nationalité équatorienne.

A cet égard, il convient de mentionner que suivant l’article 13 de la constitution de la République Tadjike :

« 1.

A child, both of whose parents or one of them at the time of the child’s birth were nationals of the Republic of Tajikistan, is a national of the Republic of Tajikistan irrespective of the place of his or her birth». Madame, vous pouvez dès lors demander la nationalité tadjike pour votre fils cadet.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le dossier que vous avez remis en date du 18 mars 2019 lors de l’introduction de votre demande votre visa pour le Luxembourg, le rapport du Service de Police Judiciaire du 10 avril 2019, votre fiche manuscrite remplie le jour de l’introduction de votre demande, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 8, 15 et 23 juillet 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, le rapport d’entretien complémentaire de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 5 et 25 février 2020 et 17, 18 et 24 novembre 2020 ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.

Madame, vous déclarez être nationalité tadjike, être de confession musulmane chiite et être née le … à … au Tadjikistan. Vous indiquez que vous auriez fait des études universitaires à la « Faculté des transports et de la communication » à l’Université technique nationale du Tadjikistan. Vous prétendez n’avoir jamais travaillé, car après vos études, vous vous seriez mariée sous la contrainte de votre mari. Depuis votre mariage en 2005 jusqu’en 2012, vous auriez vécu à … avec votre mari, W, vos enfants et quelques membres de votre belle-famille. Peu de temps après votre mariage vous auriez découvert que votre mari aurait été polygame. En 2012, vous auriez rejoint votre mari en Equateur où ce dernier se serait installé en 2011 après avoir passé un an en prison à cause de « magouilles » (p.5/44 du rapport d’entretien complémentaire) et serait devenu propriétaire de plantations de roses.

Vous indiquez notamment que vous et vos enfants auriez obtenu des titres de séjour équatoriens valables jusqu’en 2023 car votre fils cadet serait né sur le sol équatorien. Vous 2 précisez que votre mari serait décédé le … alors que vous vous trouviez au Tadjikistan avec vos enfants durant les vacances d’été, il aurait selon vous été empoisonné au gaz carbonique.

Madame, vous auriez introduit une demande de protection internationale pour plusieurs raisons.

Premièrement, vous indiquez que vous auriez été mariée sous la contrainte alors que votre défunt mari aurait menacé de s’en prendre à votre famille si vous refusiez de l’épouser.

Vous prétendez que vous auriez eu une « vie d’esclave », vous auriez été victime de violences conjugales et vous n’auriez même pas eu le droit de sortir ni d’être en contact avec d’autres personnes. Vous expliquez que votre défunt mari aurait été « assez puissant », « très riche », qu’il aurait eu « beaucoup de contacts » (p.6/14 du rapport d’entretien) et qu’il aurait eu des « affaires noires, c’est-à-dire il s’occupait de drogues » en Equateur (p.7/14 du rapport d’entretien).

Deuxièmement, vous exprimez des craintes à l’égard de votre belle-famille qui se trouverait au Tadjikistan et en Equateur, car vous auriez été malmenée par cette dernière.

Vous prétendez que : « ma belle-famille est tellement puissante. Elle a des contacts partout, même à la police » (p.8/14 du rapport d’entretien).

Vous indiquez notamment que vous auriez eu des problèmes avec votre belle-famille car vos beaux-frères se seraient appropriés le commerce de votre défunt mari en Equateur. Il convient cependant de noter que votre implication, respectivement votre participation dans la gestion du commerce de votre mari n’est pas claire.

Vous racontez qu’en 2017, vous auriez tenté d’échapper à votre belle-famille en étant en Equateur mais cette tentative aurait échoué alors que vous auriez été retrouvée et battue par un de vos beaux-frères. Vous seriez restée dans cette famille à cause de vos enfants, votre belle-famille n’aurait pas accepté que vous partiez avec vos enfants.

Vous indiquez que vous craignez pour l’avenir de vos enfants. Vous déclarez que vos enfants auraient été battus par les membres de votre belle-famille. Vous expliquez que votre belle-famille aurait voulu marier votre fille à l’âge de … ans. Vous auriez également peur que vos fils deviennent des « mafieux » ou des « criminels » à cause de leurs oncles.

Vous indiquez que le 29 septembre 2018, vous vous seriez rendue au Tadjikistan avec vos enfants et votre belle-famille afin de renouveler votre passeport. Il aurait été prévu que vous reveniez en Equateur le 9 décembre 2018, mais vous auriez pris la décision de ne pas y retourner et de chercher « des possibilités comment fuir de ma belle-famille » (p.5/14 du rapport d’entretien).

Le 2 décembre 2018, vous vous seriez rendue à … chez vos parents avec vos enfants après avoir obtenu la permission de belle-famille. Vous déclarez que vous pensiez rester à … avec vos parents, puis vous auriez changé d’avis après avoir reçu des appels téléphoniques de votre beau-frère vous demandant de revenir en Equateur, respectivement au sein de votre belle-famille au Tadjikistan. Ce dernier aurait également commencé à contacter toute votre famille, et ce quotidiennement. Un membre de votre belle-famille serait d’ailleurs venu à … chez vos parents pour savoir pourquoi vous y seriez encore. Au début du mois de janvier 2019, votre père aurait décidé de déménager dans « la banlieue … » afin que votre belle-

famille ne puisse pas vous retrouver.

3 Le 28 février 2019, vous seriez retournée au Tadjikistan d’une part, parce que vous ne pouviez pas rester en Russie pendant plus de trois mois et d’autre part, parce vous vouliez introduire une demande de visa pour le Luxembourg. Vous indiquez que durant cette période vous n’auriez pas eu de problèmes avec votre belle-famille, car elle n’aurait pas été au courant de votre retour, vous auriez logé chez des membres de votre famille « éloignée ».

Vous auriez régulièrement changé d’adresse de peur d’être retrouvée par votre belle-famille.

Le 18 mars 2019, vous auriez introduit une demande de visa pour le Luxembourg et le 20 mars 2019 vous auriez obtenu votre visa. Le 4 avril 2019, vous seriez retournée avec vos enfants à … et vous auriez pris un vol pour le Luxembourg en date du 7 avril 2019.

Vous supposez que votre belle-famille serait toujours à votre recherche et qu’elle pourrait vous retrouver « partout, même à … ». Vous déclarez que votre beau-frère aîné vous aurait menacée. Vous craignez d’être enlevée, respectivement que vos enfants soient enlevés par votre belle-famille. Toutefois, vous indiquez que vous n’auriez plus reçu d’appels de vos beaux-frères, car vous auriez bloqué tous les comptes « Whatsapp et Viber ».

Madame, vous déclarez que vous n’auriez pas porté plainte contre votre défunt mari, ni contre votre belle-famille, car « il est interdit de rentrer auprès d’une instance étatique comme la police avec l’hijab » et le respect de la religion serait important pour vous (p.40/44 du rapport d’entretien complémentaire).

Troisièmement, vous évoquez de manière furtive que vous seriez « peut-être » menacée par « l’Etat Tadjikistan en tant que Shiite (sic) » (p.33/44 du rapport d’entretien complémentaire) tout en reconnaissant que vous n’auriez jamais été menacée dans ce contexte et vous n’exprimez pas de craintes futures en lien avec votre religion.

Madame, vous déclarez que vous seriez spécialement venue au Luxembourg, car selon vous ce pays pourrait vous protéger. Vous déclarez en outre que : « je veux commencer à travailler. Je veux investir mes connaissances dans un métier. Je veux donner la possibilité à mes enfants de se retrouver eux-mêmes. (…). Je suis sure (sic) de ne pas être une charge pour le pays car je suis capable d’apprendre une autre langue et de travailler » (p.12/14 du rapport d’entretien).

Afin d’étayer vos dires, vous présentez les documents suivants :

- votre passeport tadjik émis le 3 octobre 2018 et valable jusqu’en 2028 ;

- votre permis de conduire délivré par les autorités équatoriennes en date du 15 janvier 2014 et valable jusqu’en 2019 ;

- les passeports tadjiks de vos deux enfants mineurs émis le 6 mars 2019 et valables jusqu’en 2024 ;

- le passeport équatorien de votre fils cadet mineur émis le 8 juillet 2014 et valable jusqu’en 2020 ;

- trois permis de séjour délivrés par les autorités équatoriennes valables émis en 2013 et valables et jusqu’en 2023 ;

- un permis de séjour équatorien émis en 2014 et valable jusqu’en 2024 ;

- quatre actes de naissance ;

- une copie d’un extrait de votre casier judiciaire en espagnol délivré par les autorités équatoriennes ;

- une copie de votre acte de mariage ;

4 - une copie de registre de commerce de … en espagnol ;

- une copie de l’acte de décès de votre mari en langue espagnole avec la traduction russe ;

- une copie d’un document intitulé « Registra Unico de Contribuyentes Sociedades » en espagnol contenant votre signature, selon vous votre signature aurait été falsifiée par votre défunt mari ;

- une copie d’une document intitulé « Resgistro de la Propiedad y Mercantil del Cantlo Pedro Monoayo » en espagnol contenant votre signature, selon vous votre signature aurait été falsifiée par votre défunt mari ;

- une copie d’une déclaration d’une déclaration « CG Foricolas Sodot Gcflor S.SA » en espagnol contenant votre signature qui selon vous aurait été falsifiée par votre mari ;

- une copie du certificat établi par la psychologue Madame … du 16 décembre 2020 concernant l’état de santé de l’enfant Z ;

- une copie du récit de l’enfant Y.

Madame, notons que vous avez déclaré que vous remettriez une copie de vos conversations téléphoniques que vous auriez eues avec une dénommée L, ancienne comptable de votre défunt mari, et une dénommée Q, amie de votre défunt mari, concernant les sociétés de votre défunt époux. Or, il convient de constater que vous n’avez à ce jour pas remis la copie de ces conversations.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Avant de prendre plus amplement position sur les deux volets de la protection internationale, il convient de rappeler que suivant l’article 2 p) de la Loi de 2015, une demande de protection internationale est à analyser par rapport au pays d’origine du demandeur, c’est-à-dire le pays dont il possède la nationalité, ce qui est dans votre cas, le Tadjikistan. Partant, les faits qui se seraient déroulés en dehors du Tadjikistan, plus particulièrement en Equateur ne peuvent, par conséquent, pas être pris en compte dans le cadre de l’examen de votre demande de protection internationale. Ainsi, l’analyse de votre demande de protection internationale portera uniquement sur les faits qui se seraient déroulés au Tadjikistan, respectivement vos craintes liées à un retour dans votre pays d’origine.

De plus, il convient de rappeler qu’en application de l’article 10 (5) de la loi du 18 décembre 2015, à l’exception des documents d’identité, tout document remis au ministre rédigé dans une autre langue que l’allemand, le français ou l’anglais doit être accompagné d’une traduction dans une de ces langues, afin d’être pris en considération dans l’examen de la demande de protection internationale. Par conséquent, les documents présentés qui ne sont pas munis d’une traduction ne seront pris en considération dans le cadre de l’examen de votre demande de protection internationale, à savoir tous les documents remis en langue espagnole.

Rappelons en outre que la détermination de l’éligibilité à la protection internationale est menée en appliquant une approche en deux étapes. La première étape consiste à collecter 5 les informations pertinentes, identifier les faits pertinents de la demande, et déterminer, le cas échéant, quelles déclarations du demandeur et quels autres éléments peuvent être acceptés. L’évaluation de la crédibilité fait donc partie intégrante de cette première étape.

Les faits pertinents acceptés viennent appuyer l’examen qui sera effectué à la deuxième étape, qui consiste à déterminer le caractère fondé de la crainte de persécution de la part du demandeur, ou du risque de subir des atteintes graves.

Ainsi, il convient tout d’abord de relever que votre récit concernant les motifs à base de votre demande de protection internationale est vague, décousu et composé de différentes affirmations contradictoires et incohérentes, de sorte à laisser planer un doute évident sur votre sincérité quant à la réalité de vos problèmes.

Premièrement, les autorités luxembourgeoises ont découvert que vous avez menti et fourni un faux certificat de travail lors de l’introduction de votre demande de visa. Madame, vous êtes venue au Luxembourg munie d’un visa luxembourgeois, vous auriez introduit votre demande en date du 18 mars 2019 et auriez obtenu votre visa deux jours plus tard. Vous déclarez que : « peut-être que j’ai eu de la chance. Normalement, c’est très difficile d’obtenir un visa luxembourgeois. Je l’ai obtenu en deux jours. Normalement, il fallait attendre jusqu’à deux semaines pour avoir un visa » (p.9/14 du rapport d’entretien). Vous avez dans un premier temps déclaré que votre père se serait porté garant pour que vous puissiez introduire votre demande de visa et qu’il n’y aurait pas eu de conditions particulières à remplir, « il fallait compter une réserve d’un euro par jour » (p.9/14 du rapport d’entretien).

Tout d’abord, il convient de préciser que contrairement à vos déclarations : « le ressortissant de pays tiers qui souhaite se rendre au Luxembourg est tenu de fournir la preuve qu’il dispose de moyens de subsistances suffisants pour subvenir à ses besoins. Le montant de référence requis pour voyager au Luxembourg correspond au montant du salaire social minimum non qualifié calculé en proportion du nombre de jours de séjour envisagé.

Au 1er janvier 2018 le montant du salaire social minimum par jour est d’un montant approximatif de … EUR.

Pour justifier de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un autre pays, le ressortissant de pays tiers doit disposer d’environ … EUR par jour de séjour envisagé. La justification des ressources exigées peut se faire sous forme d’argent liquide, de chèques de voyage ou de cortes de crédit ainsi que d’un document attestant la possibilité d’acquérir légalement les moyens nécessaires ».

L’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes vous demande de préciser quels documents vous auriez remis afin d’obtenir votre visa, vous répondez : « des photos d’identités, des passeports, les certificats que les enfants faisaient des cours online, un compte bancaire de mon père, des extraits d’un compte bancaire de mon père. Etant donné que je n’avais pas de sous, il fallait qu’il soit notre garant pour qu’il puisse nous payer notre voyage » (p.24/44 du rapport d’entretien complémentaire).

Or, il ne ressort aucunement de votre dossier que votre père aurait été votre garant.

En effet, vous avez même indiqué que vous auriez des ressources propres pour financer votre voyage. Vous avez notamment versé un extrait d’un compte vous appartenant et comprenant un solde de … $ et qui aurait été ouvert en 2017 à … en Equateur. Vous tentez de faire croire 6 à l’agent ministériel que ce compte aurait été ouvert en 2013 voire en 2014 par votre défunt mari et que ce dernier l’aurait utilisé pour sa société. Vous prétendez en outre qu’une dénommée R, une employée de votre défunt mari, vous aurait envoyé cet extrait de compte car vous auriez à plusieurs reprises essayé d’accéder à votre compte, mais vous n’y seriez pas arrivée alors que les mots de passe auraient été changés. Vous ignorez d’ailleurs comment la dénommée R aurait eu accès à votre compte. Madame, il paraît invraisemblable qu’une tierce personne ait pu avoir accès à votre compte bancaire.

De plus, selon le formulaire que vous avez rempli, vous avez indiqué que vous auriez … $ « selbst verdient » pour financer votre voyage. Vous avez également indiqué que vous auriez un revenu de … $. A cet égard, il échet de mentionner que vous avez remis un « job certificate » qui aurait été émis en date du 18 février 2019 et signé par « Ms. … ». II ressort de ce certificat que : « Through hereby certify that Ms. X nationality Tajikistan, with …, working in the company A, from September 1, 2015 to this date in the sales area, receiving a monthly income of $ … (…) per month more benefits law ». Or, vous prétendez n’avoir en réalité jamais travaillé pour cette société.

Madame, il est sans équivoque que ces informations ne correspondent aucunement à vos premières déclarations. Soulignons que ce n’est que lorsque l’agent ministériel vous a confronté avec vos mensonges que vous avez finalement reconnu que vous auriez demandé à une employée de votre défunt mari de vous établir ce certificat dans le seul but de servir pour votre demande de visa. Notons tout de même qu’il s’agit là d’une demande pour le moins suspecte alors que vous aviez déclaré que la société de voter défunt mari serait liée à du blanchiment d’argent. On peut dès lors légitimement se demander pourquoi vous auriez pris le risque de demander un document indiquant que vous auriez travaillé pour une société qui selon vous serait impliquée dans des affaires frauduleuses et partant avez versé un document qui aurait été susceptible de vous lier à des affaires criminelles.

Il appert que vous aviez, en arrivant au Luxembourg, l’intention de vous faire passer pour une veuve sans ressources accompagnée de ses trois enfants en essayant de dissimuler que vous auriez des ressources propres. Vous pensiez probablement que cela pourrait augmenter vos chances de vous voir accorder une protection internationale, sans vous douter que les autorités luxembourgeoises allaient découvrir les documents remis à la base de votre demande de visa. Il est manifeste que vous n’avez pas joué pas franc-jeu avec les autorités desquelles vous souhaitez vous faire remettre une protection internationale. Le fait vous ayez remis aux autorités des documents confectionnés uniquement pour servir votre cause et qui constituent partant des faux en écriture, entache manifestement votre crédibilité.

Vous tentez de justifier votre comportement en expliquant que : « pour obtenir un visa il fallait préparer les documents. Je n’ai même pas pensé aux conséquences, mon objectif était d’avoir un visa et de quitter le Tadjikistan. Je n’avais pas d’autres possibilités. Je n’ai jamais pensé aux conséquences car je n’ai jamais participé au blanchiment d’argent ou à d’autres affaires. Mon objectif était d’obtenir un visa et rien d’autre. Je n’avais même pas idée sur ce qui m’attendait ici» (p.36/44 du rapport d’entretien complémentaire). Ces explications ne sont manifestement pas convaincantes, alors que vous auriez pu profiter lors de votre premier entretien du moment où l’agent a évoqué votre demande de visa pour lui dire la vérité. Or, vous avez continué à mentir, et ce jusqu’à l’entretien complémentaire. En effet, on peut légitimement s’attendre à ce qu’une personne ayant été persécutée ou qui craint d’être persécutée dans son pays d’origine, respectivement qui risque de subir des atteintes 7 graves coopère ouvertement avec les autorités desquelles elle souhaite se faire remettre une protection internationale et qu’elle ne tente pas ostentatoirement de mentir.

Deuxièmement, vous indiquez que vous auriez été malmenée par votre défunt mari tout au long de votre mariage. Vous avez déclaré que vous vous seriez mariée avec cet homme car il aurait menacé de s’en prendre à votre père et à votre frère et pour protéger votre famille vous auriez accepté de vous marier. Vous expliquez que votre défunt mari s’en serait finalement pris à votre famille en 2009 en licenciant votre père et en faisant en sorte que votre frère soit exclu de l’université pendant quelques années.

A cet égard, vous avez dans un premier déclaré que votre défunt mari s’en serait pris à votre famille car « il y avait de la jalousie entre les épouses. Sa première épouse était très jalouse de moi. Mon mari l’a battue très fortement. Après j’ai voulu quitter mon mari. J’avais déjà quitté la maison mais ma belle-famille m’a ramenée et mon père a été puni de cette façon » (p. 6/14 du rapport d’entretien). Puis, vous expliquez que votre défunt mari « voulait encore une fois se marier avec une autre femme, une quatrième femme. Il a rencontré une quatrième femme et il voulait se marier, ce qui a provoqué un conflit entre moi et lui. Et j’étais sur le point de divorcer. Mon père aussi travaillait avec mon mari. Et suite à ce conflit, mon père a été licencié. (…)J’ai voulu divorcer de mon mari et suite à cela mon père et mon frère ont été punis et c’est pour cette raisons (sic) que je suis restée avec lui » (p.4/44 du rapport d’entretien).

Outre, le fait que vous changez manifestement la version de votre récit quant à la raison pour laquelle votre défunt mari s’en serait pris à votre père et à votre frère, il convient également de se demander pourquoi vous êtes tout de même restée avec cet homme pendant toutes ces années alors qu’il s’en serait quand même pris aux membres de votre famille et que c’est justement ce que vous vouliez éviter en l’épousant.

De plus, vous avez déclaré « qu’à chaque fois, dès que mon mari s’approchait de moi, je l’ai vécu comme un viol. Mon âme été violée » (p.6/14 du rapport d’entretien). Puis, vous affirmez que « j’étais jalouse, je crois » (p.5/44 du rapport d’entretien complémentaire), lorsque vous auriez appris que votre défunt mari allait avoir une quatrième épouse. Lorsque l’agent ministériel vous fait remarquer qu’il est pour le moins étrange que vous ayez éprouvé de la jalousie alors que selon vos dires cet homme vous aurait maltraitée, vous répondez que : « c’est normal, je suis son épouse, je ne peux pas dire que j’étais vraiment amoureuse de lui mais je ne voulais pas qu’une autre femme rentre dans notre vie. Et pour cette raison je voulais divorcer, je ne voulais plus vivre avec lui. (Après relecture : Je n’étais pas amoureuse de cet homme.) » (p.5/44 du rapport d’entretien).

Madame, la déclaration suivant laquelle vous auriez été jalouse parce que votre défunt mari aurait eu une quatrième épouse n’a pas de sens alors qu’il en aurait déjà eu deux autres femmes avant de vous épouser et que vous n’avez jamais tenté de le quitter pour cette raison.

De plus, vous avez déclaré tout au long de vos entretiens que vous n’auriez pas pu quitter votre mari, respectivement votre belle-famille car vous auriez risqué de perdre vos enfants, il convient de constater que d’après vos déclarations la deuxième épouse de votre défunt mari l’aurait quitté et serait partie en Russie avec son fils sans la moindre difficulté (p.18/44 du rapport d’entretien complémentaire). Ainsi, il est légitime de croire que vous auriez pu faire de même lorsque votre défunt mari était en prison, ce constat vaut d’autant 8 plus alors vous indiquez que vos parents vivraient en Russie et que vous auriez même envisagé en 2019 de rester vivre chez eux avant de recevoir de prétendues menaces de la part de votre belle-famille.

Troisièmement, vous déclarez qu’après le décès de votre mari, « la situation n’a pas changé », vous auriez été malmenée, constamment surveillée et enfermée dans la maison par votre belle-famille qui aurait été « très puissante ». Vous craignez que votre belle-famille puisse vous retrouver n’importe où et vous enlever avec vos enfants.

Or, il convient de relever que vous avez finalement reconnu que votre défunt mari aurait été puissant et non votre belle-famille (p.21/44 du rapport d’entretien complémentaire). Partant, il n’est manifestement pas crédible que votre belle-famille puisse vous retrouver facilement, respectivement veuille vous retrouver. Cela expliquerait aussi pourquoi vous auriez été en mesure de retourner au Tadjikistan pendant près de trois mois sans rencontrer le moindre problème, de renouveler les passeports de vos enfants début mars 2019 et d’introduire une demande de visa. Vos explications d’après lesquelles votre belle-

famille aurait ignoré que vous seriez revenue au Tadjikistan parce que vous seriez restée chez votre famille éloignée ne sauraient être convaincantes.

Ce constat vaut d’autant plus que vous indiquez vous-même qu’après avoir bloqué vos « comptes WhatsApp et Viber », vous n’auriez plus reçu d’appels téléphoniques de la part de votre belle-famille et vous ignorez si votre famille continuerait à recevoir des appels, ces éléments indiquent que votre belle-famille ne tente pas à tout prix de vous retrouver sinon elle aurait sûrement employé d’autres moyens pour vous retrouver, comme se rendre chez votre sœur respectivement chez vos frères habitant au Tadjikistan afin d’avoir de vos nouvelles ou encore retrouver vos parents.

Madame, notons en outre que certaines de vos déclarations concernant le comportement de votre belle-famille à votre égard se contredisent. En effet, vous déclarez dans un premier temps que vous auriez été obligée de rester dans cette famille et d’épouser votre beau-frère (p.7/44 du rapport d’entretien complémentaire). Plus tard, vous affirmez que votre belle-famille n’aurait pas voulu que vous vous mariez avec un homme (p.17 et 33/44 du rapport d’entretien complémentaire).

Pour couronner le tout, vous avez par la suite même déclaré que « ma belle-famille était tellement gentille, accueillante à mon égard après la mort de mon mari que je les ai cru » (p.32/44 du rapport d’entretien complémentaire) et que « comme mon mari est décédé, mes beaux-frères étaient très gentils et ils m’ont dit que je pouvais travailler et ils ont encore ajouté que mon mari n’a pas réagi de façon correcte étant donné qu’il m’a gardé à la maison. Mes beaux-frères m’ont dit que je pouvais travailler dès que j’ai appris la langue espagnole (…) » (p.25/44 du rapport d’entretien complémentaire).

A cela s’ajoute que vous avez dans un premier temps déclaré qu’à votre retour au Tadjikistan en septembre 2018, votre belle-famille aurait voulu marier votre fille à l’âge de … ans au fils du cousin de votre mari (p.6/14 du rapport d’entretien), puis vous êtes revenue sur cette déclaration en indiquant que votre fille aurait dû se marier avec son cousin, le fils de votre beau-frère S (p.13/44 du rapport d’entretien complémentaire). Or, vous ne sauriez vous méprendre sur un tel élément.

9 Madame, force est de constater que vous vous perdez dans vos contradictions et vos vaines tentatives de rétablir une apparence de cohérence et de logique dans votre récit ne sont manifestement pas fructueuses, de sorte qu’aucune crédibilité ne saurait être accordée à vos déclarations. Ainsi, il est peu crédible que vous soyez recherchée par votre belle-famille et il appert plutôt que tentez en vain de dramatiser votre vécu, probablement en pensant que cela pourrait augmenter vos chances de vous voir octroyer une protection internationale. De plus, vous n’apportez aucune preuve concrète pour appuyer vos déclarations, les seuls documents que vous fournissez concernent des faits qui se seraient déroulés en Équateur, faits toutefois écartés dans l’analyse de votre demande de protection internationale.

Au vu de tout ce qui précède, aucune crédibilité ne saurait être retenue concernant le fait que vous et vos enfants seriez recherchés par votre belle-famille. Quand bien même votre récit relatif à votre belle-famille serait crédible, et que vous et vos enfants seriez effectivement recherchés, ce qui reste contesté, il s’avère que vous ne rempliriez tout de même pas les conditions pour l’octroi du statut de réfugié, respectivement pour l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

Etant donné qu’il n’est pas remis en question que vous auriez effectivement victime de violences conjugales durant votre mariage et que vous seriez musulmane chiite, il conviendra d’analyser ces faits.

● Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de Io protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dons le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée. Notons que ces trois conditions prévues par la Loi de 2015 doivent être remplies cumulativement, ce qui n’est manifestement pas le cas en l’espèce.

Tout d’abord, il n’est pas à exclure que des motifs d’ordre économique sous-tendent votre demande de protection internationale. En effet, vous déclarez que : « je veux commencer à travailler. Je veux investir mes connaissances dans un métier. Je veux donner la possibilité à mes enfants de se retrouver eux-mêmes. (…). Je suis sure (sic) de ne pas être une charge pour le pays car je suis capable d’apprendre une autre langue et de travailler» (p.12/14 du rapport d’entretien).

10 Or, des motifs économiques, respectivement de pure convenance personnelle ne sauraient pas justifier l’octroi du statut de réfugié alors qu’ils ne sont nullement liés au champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 qui prévoient une protection à toute personne persécutée ou qui risque d’être persécutée dans son pays d’origine à cause de sa race, de sa nationalité, de sa religion, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social.

Madame, vous déclarez notamment que vous auriez été victime de violences conjugales durant votre mariage.

Force est cependant de constater que ces faits n’entrent manifestement pas dans le champ d’application de la Convention de Genève et la Loi de 2015, étant donné qu’il ne ressort aucunement de vos dires qu’ils seraient liés à votre race, votre religion, votre nationalité, votre appartenance à un certain groupe social ou vos opinions politiques.

De plus, bien que ces faits soient déplorables et condamnables, il convient de noter vous reconnaissez n’avoir jamais tenté de porter plainte contre votre défunt mari au motif que : « il est interdit de rentrer auprès d’une instance étatique comme la police avec l’hijab » et le respect de la religion serait important pour vous (p.40/44 du rapport d’entretien complémentaire). Or, cette explication ne saurait constituer un motif valable pour justifier votre inaction. Vos dires sous-tendent que vous auriez délibérément décidé de ne pas porter plainte, parce que votre religion vous semblerait plus importante que votre sécurité et celle de vos enfants, élément qui remet notablement en doute votre réel besoin de protection.

En outre, lorsque l’agent ministériel vous demande si vous connaîtriez des organismes qui luttent contre les violences conjugales, vous indiquez que vous n’en connaîtriez pas, puis vous déclarez tout de même que vous vous seriez renseignée au sujet de ces associations « mais leur aide n’est pas toujours efficace dans le cas de violences conjugales. D’un côté il y a la loi et d’un autre côté il y a les coutumes » (p.41/44 du rapport d’entretien complémentaire). Vous reconnaissez par là qu’il existe effectivement des associations qui auraient pu vous aider mais que vous avez délibérément choisi de ne pas tenter de les contacter.

Quoi qu’il en soit, il convient de souligner que votre défunt époux ne constitue depuis son décès en 2014 plus une menace pour vous et vos enfants, partant les craintes que vous exprimez à son égard ne sont plus actuelles et ne peuvent pas justifier dans votre chef l’octroi d’une protection internationale.

Madame, il convient de relever que vous avez pour la première fois déclaré lors de votre entretien complémentaire, soit plus d’un an après l’introduction de votre demande de protection internationale que : « moi et mes enfants nous ne nous sentions pas en sécurité au Tadjikistan sachant que je suis Chiite » (p.38/44 du rapport d’entretien complémentaire).

Si ce motif entre a priori dans le champ d’application de la Loi de 2015 et de la Convention de Genève alors qu’il concerne votre religion, il convient toutefois de souligner vous n’invoquez aucun évènement concret qui vous serait arrivé dans ce contexte et vous n’exprimez aucunes craintes futures à cet égard. Les craintes que vous exprimez s’analysent plutôt en l’expression d’un sentiment général d’insécurité et ne constituent pas une crainte fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

11 Madame, vous déclarez que vous auriez quitté votre pays d’origine, car vous craignez que vos enfants et vous-même soyez enlevés par les membres de votre belle-famille. Vous craignez en outre que votre fille soit mariée de force et que vos fils deviennent des « criminels » à cause de vos beaux-frères. Vous prétendez que vous auriez été menacée par votre beau-frère. Depuis que vous auriez bloqué vos « comptes Whatsapp et Viber », vous n’auriez néanmoins plus reçu d’appels.

Madame, force est de constater que ces faits n’entrent manifestement pas dans le champ d’application de la Convention de Genève et la Loi de 2015, étant donné qu’il ne ressort aucunement de vos dires qu’ils seraient liés à votre race, votre religion, votre nationalité, votre appartenance à un certain groupe social ou vos opinions politiques.

Quand bien même ces faits auraient auraient un lien avec un des motifs énoncés par la Convention de Genève, ce qui reste contesté, notons qu’ils ne revêtent, bien que condamnables, pas un degré de gravité tel à pouvoir être considérés comme des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015. En effet, de simples menaces, non suivies d’une quelconque agression respectivement d’un acte concret ne sont pas d’une gravité suffisante pour constituer un acte de persécution. En outre, vous reconnaissez qu’en bloquant vos « comptes Whatsapp et Viber », vous n’auriez plus reçu de menaces.

Quand bien même ces faits seraient liés à un des critères de fond prévus par la Convention de Genève ou par la Loi de 2015, ce qui n’est pas établi, et constitueraient une persécution au sens de la Convention de Genève ou de la Loi de 2015, ce qui reste contesté, il s’avère que ces actes auraient été commis par des personnes privées. Or, s’agissant d’actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, vous reconnaissez ne pas avoir porté plainte contre les membres de votre belle-famille au motif que « il est interdit de rentrer auprès d’une instance étatique comme la police avec l’hijab » et le respect de la religion serait important pour vous (p.40/44 du rapport d’entretien complémentaire). Madame, cette explication ne saurait constituer un motif valable pour justifier votre inaction. Ainsi, à défaut d’avoir mis les autorités en mesure d’accomplir leur mission on ne saurait leur reprocher une quelconque défaillance.

De plus, vous auriez également pu vous adresser à des avocats mis à disposition gratuitement par le gouvernement tadjike, en effet depuis « 2015 the Government of Tajikistan decided to make legal counseling a free public service. There are a total of 12 free legal aid centers functioning throughout the country, where any person can seek free legal counselling from state lawyers ».

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

● Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence 12 habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi, le fait que l’une des conditions ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier de la protection subsidiaire, ce qui est le cas en l’espèce.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Etant donné que vous ne faites pas état de menaces graves et individuelles contre votre en raison d’un violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international et que vous n’alléguez pas risquer la peine de mort ou l’exécution dans votre pays d’origine, il y a seulement lieu de vérifier si les craintes dont vous faites état peuvent être qualifiées de torture ou de traitements, respectivement de sanctions inhumains ou dégradants.

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié, et notamment que vous auriez été victime de violences conjugales, que vous seriez chiite, que vous et vos enfants seriez recherchés par votre belle-famille et que vous risqueriez d’être enlevés en cas de retour dans votre pays d’origine.

Vous expliquez que vous auriez notamment reçu de prétendues menaces téléphoniques de la part de votre beau-frère.

Dans la mesure où tel qu’explicité ci-dessus, les faits que vous invoquez ne sauraient justifier l’octroi du statut de réfugié dans votre chef, pareille conclusion doit être tirée en ce qui concerne le volet ayant trait au statut conféré par la protection subsidiaire. En effet, les craintes que vous exprimez à l’égard de votre défunt mari ne sont plus actuelles alors qu’il est décédé en 2014 et ne représente dès lors plus un danger à votre égard, les craintes que vous exprimez par rapport au fait que vous seriez chiite s’analysent en un sentiment général d’insécurité sans pour autant constituer des motifs sérieux et avérés prouvant un risque réel de subir les atteintes graves dans votre chef, tandis que les faits que vous invoquez concernant votre belle-famille sont exempts de toute gravité et vous êtes en défaut de démontrer que les autorités israéliennes seraient défaillantes. Partant, l’article 48 b) de la Loi de 2015 ne saurait dès lors être applicable.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2021, Madame X, agissant en son nom personnel ainsi qu’au nom de ses enfants mineurs Y, Z et V, a fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 14 avril 2021 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et celle portant ordre de quitter le territoire, prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 14 avril 2021, prise en son double volet, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, Madame X rappelle être une ressortissante tadjike et être de confession religieuse chiite musulmane.

Elle explique ensuite qu’en date du 8 juillet 2005, elle aurait épousé un dénommé W, mariage qu’elle aurait accepté sous la contrainte, la demanderesse expliquant à cet égard que pour arriver à ses fins, Monsieur W, lequel aurait été très influent, aurait menacé de faire condamner son frère et son père à des peines de prison. Face à ces menaces, elle aurait accepté d’épouser Monsieur W, et ce sans savoir que celui-ci avait déjà deux autres épouses, la demanderesse affirmant avoir découvert l’existence de ces dernières alors qu’elle attendait son premier enfant. En 2011, Monsieur W se serait installé en Equateur, où elle l’aurait rejoint à partir de 2012. Au cours de son mariage, elle aurait dû obéir aux ordres de son mari et de sa belle-famille, faute de quoi son mari lui aurait infligé des « punitions », la demanderesse précisant qu’elle aurait été victime de violences verbales et physiques de la part de son époux. Le 28 août 2014, alors qu’elle se serait trouvée, ensemble avec ses enfants, au Tadjikistan pour les vacances, Monsieur W serait décédé à la suite d’un accident. Après la mort de son mari, elle serait retournée, ensemble avec ses enfants, en Equateur et se serait installée auprès de sa belle-famille, laquelle l’aurait, tout comme son mari auparavant, maltraitée en l’enfermant à la maison et en la battant, la demanderesse citant à cet égard des extraits de ses entretiens auprès de la direction de l’Immigration.

Le 23 septembre 2018, elle serait rentrée au Tadjikistan, accompagnée de ses enfants, et ce afin de renouveler son passeport. Alors qu’un vol retour pour l’Equateur aurait été prévu pour le 9 décembre 2018, elle aurait refusé d’y retourner et ce notamment pour éviter un mariage forcé de sa fille âgée de … ans, la demanderesse expliquant que sa belle-famille aurait prévu de marier celle-ci avec le fils du cousin de son mari. Avec l’aide de ses parents, lesquels vivraient en Russie, elle aurait dès lors organisé sa fuite du Tadjikistan et elle aurait finalement rejoint le Luxembourg, le 7 avril 2019.

En droit, la demanderesse conclut en premier lieu à une violation des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 1er, section A2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « laConvention de Genève », sinon à une erreur manifeste d’appréciation des faits, en ce que ce serait à tort que le ministre aurait refusé de leur accorder leur statut de réfugié.

En effet, et en ce qui concerne le défaut de crédibilité lui reproché, la demanderesse explique d’abord que si elle a certes, à tort, obtenu un visa luxembourgeois sur base de documents mensongers, sa façon d’agir s’expliquerait par son désir de quitter le plus rapidement et de la manière la moins dangereuse possible son pays d’origine, la demanderesse soulignant avoir trois enfants mineurs à sa charge, lesquels seraient d’ores et déjà traumatisés par l’éducation reçue au sein de sa belle-famille.

Elle ajoute que contrairement aux conclusions du ministre dans la décision litigieuse, elle ne disposerait d’aucune ressource propre, et qu’elle serait logée et nourrie ensemble avec ses enfants, par le système d’aide sociale attribuée aux demandeurs de protection internationale.

En ce qui concerne la remarque du ministre selon laquelle il serait étonnant qu’elle n’aurait pas quitté son époux, malgré ce qu’il aurait fait à son frère et à son père et qu’en outre elle aurait été jalouse d’une quatrième épouse, la demanderesse explique que si les contradictions ainsi relevées pouvaient certes paraître surprenantes pour des personnes libres de tout mouvement et possédant tout leur discernement, il n’en demeurerait pas moins qu’elle-même et ses enfants auraient vécu plus de 14 années de captivité, et auraient subi de nombreux traumatismes, de sorte qu’il serait « hautement probable » qu’elle souffre de troubles de stress post traumatiques. A cet égard, elle met encore en exergue que deux de ses enfants souffriraient de problèmes psychologiques, tel que cela ressortirait d’un certificat établi par Madame B en date du 16 décembre 2020, ainsi que des déclarations de sa fille. Par ailleurs, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir quitté son époux quand il était en prison en 2011, alors qu’elle aurait dû rester au domicile familial pour préparer des repas à son époux et qu’elle n’aurait pas eu « la capacité à envisager cette fuite ».

Après encore avoir contesté la conclusion du ministre selon laquelle sa belle-famille ne serait plus aussi puissante qu’au temps où son époux vivait, qu’elle ne serait plus à sa recherche et n’entendrait plus vouloir marier sa fille au fils du cousin de son mari, la demanderesse soutient que si elle avait certes pu émettre quelques contradictions, elle aurait justifié chacune d’elles, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait conclu à un défaut de crédibilité dans son chef.

La demanderesse fait ensuite valoir, en s’appuyant sur l’article 42, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, que les faits invoqués par elle, à savoir sa confession religieuse chiite, son mariage forcé, sa captivité et sa vie d’esclave avec son époux et sa belle-famille, les violences physiques et mentales dont elle aurait fait l’objet et la volonté de sa belle-famille de marier sa fille de force et d’entraîner ses fils à devenir des criminels, constitueraient « une accumulation de diverses mesures, y compris de violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a) ».

En se basant sur l’article 42, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse soutient qu’elle-même et ses enfants auraient été victimes de violences physiques et mentales, violences qui n’auraient pas cessé alors que sa belle-famille serait toujours à leur recherche.

Elle conteste encore la conclusion ministérielle selon laquelle des motifs économiques sous-tendraient sa demande de protection internationale, alors que si elle avait certes déclaré vouloir trouver un travail cette déclaration s’expliquerait par son souhait de trouver un équilibre familial et économique pour ses enfants.

En ce qui concerne le reproche ministériel qu’elle n’aurait pas déposé de plainte contre sa belle-famille, voire son mari, la demanderesse explique, en se référant à un rapport de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (« OFPRA »), intitulé « Rapport de mission en Asie centrale (Tadjikistan – Kazakhstan – Kirghizstan) du 13 au 30 octobre 2019 », que le port du voile ne serait pas accepté au Tadjikistan.

En citant encore des extraits d’un article de l’organisation internationale Human Rights Watch du 19 septembre 2019 intitulé « Tadjikistan : les victimes de violences conjugales face à des obstacles pour obtenir de l’aide », la demanderesse fait valoir que les autorités tadjikes manqueraient de réactivité face aux violences conjugales, de sorte qu’elle n’aurait en tout état de cause pas pu prétendre à une protection de la part de celles-ci.

Finalement, la demanderesse fait valoir qu’elle craindrait des persécutions de la part des autorités de son pays d’origine en raison de sa confession religieuse musulmane chiite, la demanderesse se prévalant à cet égard de nouveau du prédit rapport de l’OFPRA, ainsi que du prédit article de l’organisation internationale Human Rights Watch.

Elle en conclut qu’elle prétendrait à juste titre à l’octroi du statut de réfugié, de sorte que la décision déférée devrait être réformée en ce sens.

A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, la demanderesse invoque une violation de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. En se prévalant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après dénommée « la CourEDH », relative à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », elle fait valoir que le caractère fondé de sa crainte de subir des atteintes graves, dont notamment des actes de harcèlement, de discrimination et des traitements inhumains et dégradants, se dégagerait de son dossier administratif, alors qu’elle aurait d’ores et déjà dû subir de telles atteintes, qui l’auraient poussée à fuir son pays d’origine ensemble avec ses enfants, sans qu’il existe de « bonne raison », au sens de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, de croire que les atteintes graves dont elle et ses enfants auraient été victimes ne se reproduiraient pas en cas de retour dans son pays d’origine. Par ailleurs, elle donne à considérer que le fait de vivre dans la crainte constante que ces atteintes se réalisent constituerait pour elle un véritable traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH. Elle insiste, dans ce contexte, sur le manque de sécurité qui caractériserait son pays d’origine, de même que l’absence de toute protection efficace.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, et en ce qui concerne, tout d’abord, la demande en communication du dossier administratif formulée exclusivement dans le dispositif de la requête introductive d’instance, le tribunal constate que la partie étatique a déposé ensemble avec son mémoire en réponse, une farde de pièces correspondant a priori au dossier administratif. A défaut pour la demanderesse de remettre en question le caractère complet du dossier mis à disposition àtravers le mémoire en réponse, la demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant devenue sans objet.

Quant au bien-fondé de la décision déférée, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 :

« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

En outre, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et l’article 40 de la même loi dispose que : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

17 (3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, et indépendamment de la crédibilité du récit de la demanderesse, force est de constater que cette dernière invoque différents motifs à la base de sa demande de protection internationale, à savoir (i) les violences conjugales dont elle aurait été victime de la part de son mari, (ii) le fait qu’elle-même et ses enfants seraient recherchés et menacés par sa belle-famille, et (iii) des craintes de persécutions en raison de sa confession musulmane chiite.

En ce qui concerne les violences conjugales dont la demanderesse affirme avoir été victime, ainsi que les menaces et maltraitances qu’elle aurait subies de la part de sa belle-famille, il convient de retenir qu’il ne ressort en aucune façon des déclarations de la concernée, ne serait-ce qu’au niveau de la phase précontentieuse ou encore à celui de la phase contentieuse que ces mêmes actes, certes fortement condamnables, aient un lien quelconque avec un des critères visés à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la nationalité, la religion, les opinions politiques ou encore l’appartenance à un certain groupe social de la demanderesse et de ses enfants, de sorte qu’ils sont à écarter dans le cadre de l’analyse du volet de la demande visant à obtenir un statut de réfugié.

Quant à la crainte de la demanderesse d’être persécutée en raison de ses croyances religieuses, si celle-ci entre certes dans le champ d’application de la Convention de Genève, force est toutefois de relever que Madame X n’invoque aucun élément concret permettant de retenir que les personnes de confession musulmane chiite feraient l’objet de persécutions de la part des autorités tadjikes, étant encore relevé que le seul fait que ces mêmes autorités lutteraient contre les signes d’appartenance religieuse, tel que mis en avant dans le rapport de l’OFPRA dont se prévaut la concernée, n’est pas de nature à laisser conclure à l’existence de persécutions concrètes contre ces mêmes personnes. Par ailleurs, il convient de noter à l’instar de la partie étatique que la demanderesse reste en défaut de faire état d’un seul évènement concret qui lui serait arrivée dans ce contexte, ni n’exprime-t-elle des craintes futures concrètes y relatives, les craintes de la demanderesse étant en effet purement hypothétiques et s’analysent en l’expression d’un sentiment général d’insécurité, non susceptible de justifier l’octroi du statut de réfugié.

Partant, au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à constater que le ministre a, à bon droit, retenu que les faits relatés par la demanderesse ne permettaient pas l’octroi du statut de réfugié dans son chef et de celui de ses enfants, de sorte que le recours encourt le rejet pour ne pas être fondé sur ce point.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par la demanderesse, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2, point g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que cette même personne ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas.

L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que la demanderesse avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’elle-même et ses enfants encourraient en cas de retour dans leur pays d’origine.

Force est de constater qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, la demanderesse invoque, en substance, les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Comme il n’y a pas de conflit armé en Tadjikistan et que la demanderesse n’allègue pas risquer la peine de mort ou l’exécution dans son pays d’origine, il y a seulement lieu de vérifier si les traitements dont elle fait état peuvent être qualifiés de torture ou de traitements, respectivement sanctions inhumains ou dégradants.

A cet égard et en ce qui concerne les violences conjugales dont la demanderesse fait état, il convient de relever qu’il ressort des explications circonstanciées de celle-ci que son époux, auteur desdites violences, est décédé en 2014 à la suite d’un accident. Il s’ensuit que Monsieur W ne présente plus de menace pour la demanderesse et ses enfants et que les craintes de cette dernière à cet égard ne sont plus actuelles et ne sauraient justifier l’octroi du statut de la protection subsidiaire.

En ce qui concerne ensuite les craintes de la demanderesse envers sa belle-famille, la demanderesse affirmant à cet égard qu’elle aurait été menacée par ses beaux-frères, que sa fille devait être mariée de force à un des membres de sa belle-famille et que ses fils allaient être poussés à devenir des criminels, il convient de relever que ces actes certes hautement condamnables, proviennent de personnes privées, sans lien avec l’Etat.

Or, lorsque les auteurs des agissements invoqués sont, comme en l’espèce, des personnes privées sans lien avec l’Etat, le statut de la protection subsidiaire ne peut de toute façon être accordé que dans l’hypothèse où les autorités du pays d’origine du demandeur de protection internationale ne veulent ou ne peuvent lui fournir une protection effective contre les agissements dont il fait état, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, ou s’il a de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine.

Ainsi, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut1.

1 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.L’essentiel est, en effet, d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.

A cet égard, il y a lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés des structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni n’impose-elle nécessairement, contrairement à ce que semble suggérer le demandeur, l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Il incombe au juge administratif de vérifier si, compte tenu des circonstances du cas d’espèce, une protection adéquate a été offerte au demandeur de protection internationale et lui est ouverte, étant rappelé que l’essentiel est d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit.

Or, en l’espèce, il ne ressort pas à suffisance des éléments soumis au tribunal que les autorités tadjikes compétentes seraient dans l’impossibilité ou refuseraient de fournir une protection à la demanderesse contre les agissements dont elle craint être victime de la part de sa belle-famille.

Force est, à cet égard, de relever qu’il ressort du récit de la demanderesse que celle-ci n’a jamais déposé plainte suite aux menaces et aux agressions physiques dont elle affirme avoir fait l’objet de la part de certains membres de sa belle-famille, dont notamment ses beaux-frères, ni recherché une quelconque protection auprès des autorités de son pays. Or, à défaut pour la demanderesse d’avoir au moins tenté de porter plainte contre ces mêmes personnes auprès des autorités tadjikes, elle ne saurait reprocher à ces dernières une quelconque inaction volontaire ou un refus de l’aider, ce d’autant plus qu’elle n’a, en particulier, pas fait état du fait que le dépôt d’une plainte lui aurait été refusé.

En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas tenté lui-même formellement d’obtenir une telle protection.

En l’espèce, la demanderesse explique cette inaction par le fait qu’elle porterait l’hijab et qu’il serait interdit de rentrer auprès d’une instance étatique, telle que la police,avec l’hijab2. Il ressort encore des déclarations de la demanderesse qu’elle aurait pu enlever son hijab pour se rendre à la police, mais que « la religion est aussi importante pour [elle] »3.

A cet égard, le tribunal est amené à rejoindre les conclusions de la partie étatique, que cette explication ne saurait constituer un motif valable pour justifier l’inaction de la demanderesse, et laisse douter de la gravité des violences et menaces dont elle affirme qu’elle-même et ses enfants auraient fait l’objet.

Par ailleurs, il ressort des explications circonstanciées de la partie étatique, pièces à l’appui, que la demanderesse aurait, en tout état de cause, pu s’adresser à des avocats mis à disposition gratuitement par le gouvernement tadjike et essayer de cette façon à obtenir une protection contre sa belle-famille.

Dans ces circonstances, le tribunal rejoint la conclusion du ministre qu’il n’est pas établi que les autorités tadjikes seraient dans l’impossibilité ou ne voudraient pas accorder une protection appropriée à la demanderesse et ses enfants.

Finalement, et en ce qui concerne la crainte de la demanderesse de faire l’objet de persécutions en raison de sa croyance religieuse, le tribunal vient de retenir ci-avant que celle-ci est purement hypothétique, de sorte qu’elle ne saurait fonder l’octroi du statut de la protection subsidiaire.

Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que Madame X n’a pas non plus fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle courrait le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2, point g), de ladite loi.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire présentée par la demanderesse comme étant non fondée.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres éléments que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire La demanderesse sollicite en premier lieu la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de rejet de sa demande de protection internationale, en soulignant qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à un risque réel de subir des atteintes graves, au sens des articles 48 et 49 de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

2 Page 40/43 du rapport d’entretien des 5 et 25 février, 17, 18 et 24 novembre 2020.

3 Ibidem.Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de Madame X dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

En outre, la demanderesse fait plaider que l’ordre de quitter le territoire violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », ainsi que l’article 3 de la CEDH. Afin d’appuyer ses déclarations, elle se réfère à la jurisprudence de la CourEDH, ainsi qu’à une décision de la Commission européenne des droits de l’Homme selon lesquelles l’existence d’un simple risque que l’étranger soit soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH en cas de retour dans son pays d’origine suffirait pour un non-éloignement.

Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ces moyens.

Il convient de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129 de la loi du 29 août 2008 – qui est applicable à la décision de retour découlant d’une décision de rejet d’une demande de protection internationale, conformément à l’article 34, paragraphe (2), alinéa 3 de la loi du 18 décembre 2015 –, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement – telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé à la demanderesse pour quitter le Luxembourg – relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Tadjikistan, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef de la demanderesse, de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH4, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi de la demanderesse dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que les moyens tirés d’une violation dudit article 3 de la CEDH et de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 encourent le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 14 avril 2021 portant rejet de la demande de protection internationale de Madame X ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 14 avril 2021 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 mai 2023 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Sibylle Schmitz, attaché de justice délégué, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Thessy Kuborn 4 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, point 59.

Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 mai 2023 Le greffier du tribunal administratif 25


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 46008
Date de la décision : 24/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 10/06/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-05-24;46008 ?

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