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21/04/2023 | LUXEMBOURG | N°45104

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 avril 2023, 45104


Tribunal administratif N° 45104 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:45104 4e chambre Inscrit le 16 octobre 2020 Audience publique du 21 avril 2023 Recours formé par Monsieur … et Madame …, …, contre des décisions de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts sur le revenu

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45104 du rôle et déposée le 16 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain Gross, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Monsieur â€

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Tribunal administratif N° 45104 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:45104 4e chambre Inscrit le 16 octobre 2020 Audience publique du 21 avril 2023 Recours formé par Monsieur … et Madame …, …, contre des décisions de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts sur le revenu

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45104 du rôle et déposée le 16 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain Gross, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2016 et 2017, tous émis à leur égard en date du 4 décembre 2019, ainsi que d’une décision de refus implicite, ainsi qualifiée, du directeur de l’administration des Contributions directes suite à leur réclamation du 27 décembre 2019 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 janvier 2021 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Alain Gross, préqualifié, déposé au greffe du tribunal administratif le 12 février 2021 au nom et pour le compte de Monsieur … et de Madame …, préqualifiés ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 5 mars 2021, inscrit sous le numéro 45711 du rôle, rejetant la demande de Monsieur … et de Madame …, préqualifiés, tendant à voir instaurer un sursis à exécution par rapport aux bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2016 et 2017, tous émis à leur égard en date du 4 décembre 2019, ainsi que par rapport à une décision de refus implicite, ainsi qualifiée, du directeur de l’administration des Contributions directes suite à leur réclamation du 27 décembre 2019 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les communications respectives de Maître Laurent Limpach, en remplacement de Maître Alain Gross, et de Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart du 13 décembre 2021 suivant lesquelles ceux-ci marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

___________________

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1Vu les pièces versées en cause et notamment les actes critiqués ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 14 décembre 2021, les parties étant excusées.

Par courrier du 8 novembre 2019, le bureau d’imposition … 2 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition » informa Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les époux … », en exécution du paragraphe 205, alinéa 3 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO » qu’il entendait s’écarter des déclarations d’impôt des exercices 2016 et 2017 sur différents points, ledit courrier étant motivé comme suit :

« (…) En vertu du paragraphe 205(3) de la loi générale des impôts, je vous informe préalablement aux impositions, qu’après instruction de votre dossier, il sera dérogé à vos déclarations fiscales sur les points suivants :

Bénéfice commercial Comme déjà suite à nos courriers en rapport avec les années d’impositions antérieures, le bureau estime que vos activités immobilières s’analysent en une activité commerciale. En conséquence, le bureau d’imposition a reclassé depuis l’année d’imposition 2013 vos opérations d’achat, de transformation, de vente et de location d’immeubles en activité commerciale imposable dans la catégorie du bénéfice commercial conformément à l’article 14 LIR.

Ainsi, les revenus en relation avec la transformation de l’immeuble … à … en résidence nommée « ADA » sont imposables en tant que bénéfice commercial.

2016 Modèle 190 : … et intérêts débiteurs lots non vendus : … Total: -… 2 0 1 7 Modèle 190 : … Bénéfice résultant de la vente d’un appartement : … Le bénéfice commercial ne prévoit pas une réévaluation du prix d’acquisition.

Prix de revient déclaré et admis: … x …/1.000 +… +… (intérêts) Total : … Veuillez noter que ce bénéfice sera également soumis à l’impôt commercial.

Salaire conjoint 2017 Salaire brut : New Standing : … et Chapeau moderne ent.de toiture : … .

Total salaire conjoint imposable : … RTS : … Revenus provenant de la location de biens 2 2 0 1 6 …, intérêts habitation privée (30%): … + … (val.loc ) =

-… … : modèle 190: … N’est déductible comme frais d’obtention que la quote-part des frais en rapport avec les chambres louées (20,22%) et votre habitation privée prévue (20,22%), à l’exclusion du R-CH, dont vous ne touchez pas de loyer.

Façade : … x 40,44% = … Amortissement : … x 20,22% = … Intérêts : … x 40,44% = … Total … 2 0 1 7 Annexe L: montants ligne 1018,1021 et 1022 acceptés … : modèle 190 : … N’est déductible comme frais d’obtention que la quote-part des frais en rapport avec les chambres louées (20,22%) et votre habitation privée (20,22%), à l’exclusion du R-CH, dont vous ne touchez pas de loyer.

Façade : … x 20,22% (chambres louées) = … Amortissement : … x 20,22% = … Intérêts : … x 20,22% = … Total : … Je vous invite à fournir vos observations y afférentes pour le 22 novembre 2019 au plus tard. Ce délai passé, je me permets d’admettre votre approbation. (…) ».

Les contribuables s’opposèrent à cette rectification par courrier du 20 novembre 2019, libellé comme suit :

« (…) Par la présente, nous accusons bonne réception de votre lettre du 8 novembre 2019 concernant vos objections par rapport aux déclarations d’impôt sur le revenu des années 2016 et 2017.

Comme les années antérieures, votre bureau estime que nos activités immobilières s’analysent en activité commerciale. Nous vous avions déjà fait un courrier en date du 5 février 2018 afin de vous expliquer notre situation mais vous n’en aviez pas tenu compte.

Désormais, nous voudrions vous présenter notre situation actuelle concernant le plan financier, les activités commerciales et notre situation privée.

Comme vous pouvez le vérifier dans notre dossier, nous avons déjà réglé tout le solde d’impôts jusqu’à présent, qui s’élèvent à plus de …€.

Depuis juillet 2018, nous sommes dans une situation très, très difficile parce que tout notre bien matériel privé et personnel est détruit à cause de l’incendie qui a complètement ravagé l’immeuble au … L-…. Nous avons perdu notre habitation principale, nos bureaux des entreprises, les revenus mensuels, les salaires et les loyers des locataires.

3Cela fait déjà plus de 16 mois que nous sommes bloqués, nous attendons la régularisation de l’affaire entre les assurances. Notre avocat est en train de préparer le dossier devant le tribunal, et cela peut durer longtemps.

Madame, j’espère que vous comprendrez notre situation improbable. À cause de tout ce qui précède, je vous demande, de ne pas considérer notre situation comme une activité commerciale concernant les années 2016 et 2017.

Nous avions juste vendu un appartement en 2017 afin, comme nous l’avions précisé lors de notre lettre du 5 février 2018, de transférer notre patrimoine immobilier de … à …. Je vous précise que le total du solde de la vente cet appartement du 2ème étage sis au … à … a servi pour solder le prêt bancaire.

Afin de régler la somme importante des impôts pour les années 2014 et 2015, ainsi que le redressement des cotisations sociales, nous avions vendu le bureau transformé en logement avec 2 caves et 3 emplacements à … en 2018. 70% du produit de la vente de cet appartement est parti pour le paiement des impôts.

Notre fiduciaire a finalisé la déclaration privée pour l’année 2018 et vous la recevrez très prochainement.

Nous comptons sur votre indulgence et nous attendons une réponse positive de votre part, nous vous prions d’agréer, Madame, l’expression de nos salutations les meilleures (…) ».

Le 4 décembre 2019, le bureau d’imposition émit les bulletins de l’impôt sur le revenu, ainsi que les bulletins de l’impôt commercial communal pour les années d’imposition 2016 et 2017.

Les époux … firent introduire, par le biais d’un courrier de leur litismandataire du 27 décembre 2019 une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après « le directeur », réclamation libellée comme suit :

« (…) Au nom et pour le compte de mes mandants, je conteste par la présente les bulletins de l’impôt sur le revenu de l’année 2017 datant du 4 décembre 2019 - ceci notamment au vu du fait que mes mandants se voient imposer un montant de … euros au titre de prétendu bénéfice commercial suite à la vente d’un appartement qui leur appartenait sis à …, ….

*** C’est en effet à tort que la vente de l’appartement des époux …-… est en l’espèce considérée et imposée comme bénéfice commercial ! L’article 14, alinéa 1er LIR dispose qu’est à considérer comme bénéfice commercial, le revenu net provenant d’une entreprise commerciale — définie comme « toute activité indépendante à but de lucre exercée de manière permanente et constituant une participation à la vie économique générale (…) ».

Les quatre critères énoncés par cette définition étant l’indépendance, le but de lucre, le caractère de permanence ainsi que la participation à la vie économique générale — critères 4qui doivent être cumulativement réunis pour qu’une activité soit constitutive d’une entreprise commerciale au sens du droit fiscal.

La vente de l’appartement litigieux au cours de l’année 2017 par les époux …… ne remplit nullement ces critères en ce que notamment :

- les époux …-… ont toujours poursuivi une activité salariée et n’ont jamais fait de la vente de l’appartement litigieux ou d’un autre immeuble leur activité principale ou même accessoire.

- la vente ne dépasse pas les limites de la gestion normale d’un patrimoine privé et n’est dès lors pas à qualifier de commerciale.

En effet « quelle que soit l’importance d’un patrimoine privé, les opérations de gestion y relatives ne constituent pas une activité commerciale, si les actes posés ne sortent pas du cadre de la gestion normale d’un patrimoine privé » (Emile Stoffel, Le bénéfice commercial, commentaire des articles 14 à 18 de la loi du 4 décembre 1967, in Etudes fiscales décembre 1997, n° 109-111, p. 15, n° 14.14).

Selon la doctrine et la jurisprudence constantes, il y a administration d’un patrimoine privé aussi longtemps que les activités de vente s’analysent en de simples accessoires d’une jouissance des fruits d’un patrimoine immobilier privé — au contraire, une telle vente dépasse le cadre de la gestion d’un patrimoine privé si le contribuable recherche une exploitation de la substance de son patrimoine par transfert (« Umschichtung ») d’éléments substantiels de sa fortune.

En l’espèce, il n’y a pas eu transfert du patrimoine dans le chef des époux … alors que 70% du prix de vente a été viré directement par le notaire à l’Administration des contributions directes pour régler les impôts des années 2014 et 2015 ! La vente de l’appartement n’était donc pas motivée par un but de transfert du patrimoine et ne constitue pas une activité commerciale.

- le critère de permanence reste aussi à être rempli.

En vertu des travaux préparatoires de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’article 14 LIR « le caractère de permanence n’implique pas nécessairement que l’activité se répète.

Pour qu’il y ait permanence, il suffit que l’activité ait lieu avec l’intention de la répéter si l’occasion s’en présente et de constituer de la sorte une source de revenu sur la base d’opérations répétées » et « le caractère de permanence sépare l’activité commerciale (…) d’actes similaires isolés qui ont lieu dans le cadre de l’administration du patrimoine privé du contribuable ».

En l’espèce il n’y a pas de permanence alors que les époux …-… ont fait la vente litigieuse à titre isolée et dans le seul but de payer leurs impôts auprès de l’Administration des contributions directes.

Il s’agissait dès lors d’une opération isolée.

5Aussi le fait que la vente a eu lieu après une période très longue de détention de l’immeuble cédé, soit ici plus de 10 ans (!), démontre que le but recherché n’était pas la réalisation d’un bénéfice commercial.

En effet un bénéfice commercial est réalisé par une valorisation rapide du patrimoine moyennant des opérations d’achat et vente très rapprochés ! La jurisprudence administrative constante retient en effet que « le fait que les ventes ont eu lieu après une période assez courte de détention […] fait ressortir que le but recherché […] semble être […] essentiellement une valorisation rapide du patrimoine moyennant ces mutations, caractéristique essentielle d’un esprit de lucre et d’une entreprise commerciale » (Tribunal adm., rôle 25.466).

En l’espèce l’appartement litigieux avait été acquis en vue d’une conservation et d’une jouissance à long terme - pour preuve les époux …-… ont eux-mêmes habités pendant de longues années dans l’immeuble.

La très longue période de détention de l’immeuble démontre ici l’absence d’entreprise commerciale.

Le soussigné tient à préciser que selon le Bundesfinanzhof, c’est essentiellement le fait que les immeubles soient rapidement achetés et revendus qui est déterminant pour distinguer la gestion d’un patrimoine privé d’une entreprise commerciale. La revente rapide des objets (« enger zeitlicher Zusammenhang zwischen Kauf und Verkauf von Wohnungen ») étant définie, par une jurisprudence constante du Bundesfinanzhof, comme une revente dans un délai maximal de cinq ans à partir de l’acquisition de l’objet en question ! En l’espèce les époux …-… ont très largement dépassé ce délai maximal de cinq ans et le fruit de la vente isolée de 2017 ne saurait être qualifié et imposé comme bénéfice commercial ! Au vu de ce qui précède le critère de permanence n’est pas rempli en l’espèce.

- finalement le critère du but de lucre est également contesté et non-rempli en l’espèce.

Les époux …-… n’ont pas cédé l’appartement litigieux pour en tirer une plus-value ou pour réinvestir le prix de vente dans d’autres immeubles ! Mes mandants ont utilisé 70% des fonds pour régler les impôts réclamés par l’Administration des contributions directes - le prix de vente de l’appartement litigieux réalisé en 2017 ne peut donc pas être imposé comme bénéfice commercial.

*** Je tiens aussi à vous rendre attentif à la situation personnelle de mes mandants qui, depuis qu’un feu ayant pris ses débuts sur l’immeuble voisin a complètement détruit leur maison sise à … en date du 2 juillet 2018, se trouvent sans revenu locatif et sans habitation principale.

En effet les époux …-… et leurs trois enfants vivent actuellement du salaire du sieur … d’un montant de … euros et de la dame … de … euros et doivent faire face à un prêt 6hypothécaire mensuel d’approximativement … euros (pour l’immeuble qui est devenu inhabitable) et d’un loyer pour se loger.

Les travaux de reconstruction de leur immeuble dureront probablement encore jusqu’en 2021, la situation financière des époux …-… est très précaire.

Au vu de ce qui précède, je vous prie de revoir le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2017 datant du 4 décembre 2019 - ceci notamment au vu du fait que c’est à tort que mes mandants se voient imposer un montant de … euros au titre de prétendu bénéfice commercial.

Tout en vous remerciant pour les bons soins réservés à la présente, je reste à votre disposition pour toute question supplémentaire et vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur des contributions directes, l’expression de mes sentiments très distingués. (…) ».

Par requête déposée le 16 octobre 2020 et inscrite sous le numéro 45104 du rôle Monsieur … et son épouse, Madame … ont fait introduire un recours tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation du « bulletin de l’impôt sur le revenu des années 2016 et 2017 datant du 4 décembre 2019, émis par l’administration des contributions directes et demandant notamment aux requérants de s’acquitter des montants de … euros et … euros, calculés sur base d’un prétendu bénéfice commercial de … euros suite à la vente d’un appartement qui leur appartenait sis à … » ainsi que de « la décision de refus implicite du Directeur de l’administration des Contributions directes suite au recours des requérants du 27 décembre 2019 ».

Par requête déposée le 26 février 2021, inscrite sous le numéro 45711 du rôle, les époux … ont encore introduit un recours tendant à voir ordonner par le président du tribunal administratif, statuant au provisoire, le sursis à exécution par rapport aux décisions en question, recours qui a été rejeté par une ordonnance du 5 mars 2021, inscrit sous le numéro 45711 du rôle.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève, d’une part, l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation, et, d’autre part, l’irrecevabilité du recours pour autant qu’il est dirigé contre une décision de refus implicite émanant prétendument du directeur.

Dans leur mémoire en réplique, les époux … se rapportent à prudence de justice quant à la recevabilité de leur recours.

En ce qui concerne, tout d’abord, la recevabilité du recours principal en réformation sous analyse pour autant qu’il vise la prétendue décision de refus implicite du directeur, qualifiée comme telle, force est de constater que s’il est exact que l’article 8 paragraphe (3) point 3. de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », dispose : « Lorsqu’une réclamation au sens du §228 de la loi générale des impôts […] a été introduite et qu’aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande, le réclamant […] peu[t] considérer la réclamation […] comme rejetée […] et interjeter recours devant le tribunal administratif contre la décision qui fait l’objet de la réclamation […] » et reprend ainsi textuellement l’article 4 paragraphe (1) de la même loi, à savoir « les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée », disposition dont découle une décision implicite de refus, il n’en demeure pas moins qu’il résulte des documents parlementaires que le législateur n’a pas prévu la création 7d’une décision implicite de refus en cas de silence du directeur suite à l’introduction d’une réclamation contre un bulletin d’impôt2.

Par voie de conséquence, le tribunal est amené à conclure que l’article 8, paragraphe (3) point 3. de la loi précitée du 7 novembre 1996 n’admet l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif, en cas de silence du directeur suite à une réclamation, que contre « la décision qui fait l’objet de la réclamation », et non pas contre une décision implicite de refus du directeur3. Ainsi, dans la mesure où aucune décision directoriale n’a été adoptée par l’effet du silence de plus de six mois après l’introduction de la réclamation, le recours sous analyse est irrecevable pour défaut d’objet pour autant qu’il est dirigé contre une prétendue décision implicite de refus du directeur.

En ce qui concerne ensuite la recevabilité du recours principal en réformation dirigé contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2016 et 2017, force est au tribunal de constater, dans ce contexte, que bien que les demandeurs ont mentionné au dispositif de leur recours le bulletin de l’année 2016, ils n’ont critiqué, dans le corps de leur recours, tout comme dans leur réclamation, que leur imposition de l’année 2017 pour avoir qualifié, au titre de ladite année, un montant de … euros en tant que bénéfice commercial, toute leur argumentation factuelle et juridique étant dirigée à l’encontre de ce point, de sorte que le tribunal doit retenir que le recours sous examen ne vise que le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2017 émis à l’encontre des demandeurs le 4 décembre 2019.

En vertu de l’article 8, paragraphe (3) point 3. de la loi précitée du 7 novembre 1996, le recours en cas de silence du directeur pendant plus de six mois suite à une réclamation est à adresser à l’encontre de la décision qui a fait l’objet du recours, c’est-à-dire en l’occurrence à l’encontre du bulletin d’impôt sur le revenu de l’année 2017.

Il s’ensuit que le recours en réformation, en ce qu’il est dirigé contre le bulletin d’impôt prévisé, est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de leur recours, les époux … exposent, tout d’abord, les faits et rétroactes à la base du litige sous examen, en précisant avoir vendu en 2017 un appartement à … dont ils auraient été propriétaires depuis plus de 10 ans, afin de s’acquitter de leurs impôts. Or, ce serait à tort que l’administration des Contributions directes aurait imposé un montant de … euros résultant de ladite vente en tant que bénéfice commercial.

En droit, les demandeurs contestent l’analyse du bureau d’imposition suivant laquelle la vente de leur appartement à … aurait dû être considérée et imposée comme bénéfice commercial.

___________________

2 Voir doc. parl. 3940A, amendements adoptés par la commission des institutions et de la révision constitutionnelle, p. 5, ad (3) 3.: « Par opposition au domaine administratif, le silence de l’administration n’est pas à considérer comme le rejet de la demande. (…) Il en résulte également que dans ce cas le recours est dirigé, non pas contre une décision implicite de rejet mais contre la déclaration initiale contre laquelle la réclamation avait été interjetée ».

3 Trib. adm. 25 novembre 1998, n° 10308 à 10311 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n°1254 et les autres références y citées.

8Sur base de l’article 14 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après « LIR », ils soutiennent que le revenu provenant de la vente de l’appartement litigieux sis dans une maison d’habitation située à …, ne remplirait aucun des quatre critères pour pouvoir être qualifié de bénéfice commercial.

Ainsi, ils relèvent, tout d’abord, avoir toujours poursuivi une activité salariée sans avoir fait de la vente de l’appartement litigieux ou d’un autre immeuble leur activité principale ou même accessoire.

Par ailleurs la vente de l’appartement litigieux ne dépasserait pas les limites de la gestion normale d’un patrimoine privé et ne serait dès lors pas à qualifier de commerciale, alors qu’elle devrait s’analyser en un simple accessoire d’une jouissance des fruits de leur patrimoine immobilier privé et non pas l’exploitation de la substance de leur patrimoine par transfert d’éléments substantiels de leur fortune. A cet égard ils précisent qu’il n’y aurait pas eu transfert du patrimoine dans leur chef, dans la mesure où 70% du prix de vente de l’appartement litigieux aurait été directement viré par le notaire instrumentant à l’administration des Contributions directes pour régler les impôts des années 2014 et 2015, de sorte que ladite vente n’aurait pas été motivée par un but de transfert du patrimoine et ne pourrait pas être qualifiée d’activité commerciale.

Ils font ensuite valoir que le critère de permanence dégagé par la loi ne serait pas non plus rempli en l’espèce, étant donné que la vente litigieuse aurait été réalisée à titre isolée, dans le seul but de payer leurs impôts et après une période très longue de détention de l’immeuble cédé, soit en l’occurrence plus de 10 ans. Ces éléments démontreraient que le but recherché n’aurait pas été la réalisation d’un bénéfice commercial, mais la conservation et une jouissance à long terme dudit bien immobilier, les demandeurs précisant encore y avoir habité eux-mêmes pendant de longues années.

Les demandeurs contestent finalement tout but de lucre dans leur chef, en réaffirmant ne pas avoir cédé l’appartement litigieux pour en tirer une plus-value ou pour réinvestir le prix de vente dans d’autres immeubles, alors qu’ils auraient utilisé 70% des fonds pour régler les impôts réclamés par l’administration des Contributions directes, de sorte que le prix de vente de l’appartement litigieux réalisé en 2017 ne pourrait pas être imposé comme bénéfice commercial.

Le délégué du gouvernement, dans son mémoire en réponse, conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Il retrace, dans ce contexte, tout d’abord, le cadre factuel à la base du litige sous examen en exposant qu’il ressortirait tant des explications des demandeurs que de leur dossier fiscal que ces derniers auraient acquis l'immeuble situé à … au cours de l'année 2003, en tant que maison d'habitation dans un état plus ou moins vétuste.

Après des travaux de rénovation et de transformation d'une certaine envergure, les six appartements nouvellement aménagés dans l'immeuble auraient été donnés en location à partir de l'année 2013, année au cours de laquelle une première vente aurait également eu lieu, la dernière vente ayant été réalisée en 2017. Les bureaux, garages et caves du rez-de-chaussée auraient servi de bureaux, de garages et d’entrepôts aux sociétés artisanales de toiture, façade et menuiserie exploitées par Monsieur …, associé et gérant de chacune d'elles, tandis que les appartements auraient servi en partie d'habitation privée aux demandeurs et en partie à la 9location à bail. La partie étatique précise à ce sujet que les demandeurs auraient eux-mêmes occupé, au gré des différentes ventes, un appartement du premier et deux appartements du second étage.

Au cours de l'année 2014, les demandeurs auraient acquis un autre immeuble, situé à …, où ils auraient emménagé en octobre 2017. Le premier étage de cet immeuble leur servirait d'habitation privée, tandis que les chambres des 2e, 3e et 4e étage auraient été louées et le rez-

de-chaussée mis à disposition des sociétés artisanales de Monsieur …, ainsi que d'une société nouvellement créée par Madame … pour l’exploitation d’un débit de boissons et d’une discothèque.

Après avoir retracé les rétroactes à la base du litige sous examen, ainsi que le cadre légal fondé sur les articles 14, 19 et 99ter LIR permettant de qualifier le prix de vente d’un bien immobilier de bénéfice commercial imposable, le délégué du gouvernement relève, tout d’abord, que, bien que les demandeurs sembleraient vouloir se prévaloir du principe de l'annualité de l'impôt afin de faire reconnaître le caractère isolé de la vente ayant eu lieu en novembre 2017, le bureau d’imposition aurait rangé l'ensemble des revenus en rapport avec l’immeuble à … dans la catégorie du bénéfice commercial dès leur origine, en 2013.

Dans ce contexte, tout en contestant, d’une part, que la cession de leur appartement en 2017 devrait être considérée de façon isolée et sans aucun lien avec l'ensemble des opérations la précédant, et, d’autre part, l’argumentation des demandeurs consistant à conclure à l’absence d’activité commerciale, respectivement de but de lucre basée sur la seule considération que les fonds obtenus dans le cadre de la vente de leur appartement en 2017 aurait quasi-exclusivement servis à payer leurs dettes fiscales, le délégué du gouvernement explique devoir établir la nature du patrimoine des demandeurs afin de déterminer la catégorie de revenu dans laquelle range le bénéfice dégagé par la cession de l'appartement vendu au cours de l'année 2017.

Ainsi, selon la partie étatique, les critères permettant de qualifier une activité de commerciale seraient remplis en l’espèce en ce qui concerne l'indépendance et la participation à la vie économique générale. Quant au développement d’une activité à but de lucre revêtant un caractère permanent, le délégué du gouvernement donne à considérer que compte tenu de l'envergure manifeste du projet d'aménagement et des travaux de rénovation et de transformation entrepris, facilités en l'espèce par le savoir-faire et l'expertise des époux …, lesquels exploiteraient des sociétés artisanales de toiture, de façade et de menuiserie, le bureau d'imposition aurait, à juste titre, conclu à une activité commerciale dans leur chef dès l'année d'imposition 2013 où un premier appartement aurait été loué et un second vendu.

Ainsi, la qualification de « commerciale » n’aurait pas été donnée à une activité d'achat et de vente d'immeubles mais à une activité de promotion immobilière matérialisée en l’espèce par une mise en valeur plus poussée d'un bien immobilier qui, par l’apport d’un savoir-faire et de connaissances étendues dans des domaines aussi variés que ceux concernant les réglementations, les possibilités d'aménagement, la mise en oeuvre des travaux, la coordination des métiers de la construction, le financement ou encore la commercialisation, au moyen d'une activité dont l'ampleur ne saurait être considérée comme négligeable, aurait permis d'obtenir non pas un revenu quelconque d'un immeuble mais bien d'en obtenir le revenu le plus élevé possible, qu'il s'agisse d'un prix de vente ou d'un loyer.

Dans ce contexte, la partie étatique relève encore que les demandeurs, en s'appuyant sur le caractère isolé de la vente, ainsi que sur la durée de détention de l’appartement litigieux 10dépassant les dix ans, auraient négligé, d’une part, toute réflexion au sujet de l'activité de grande envergure ayant eu lieu durant la période s'étendant entre les dates d'acquisition et de cession, et, d’autre part, la différence entre la période de détention totale et la période de détention du bien nouveau que représentait l'appartement après achèvement des travaux de transformation et de rénovation. Ainsi, dès que les travaux de transformation auraient été achevés en 2013, les époux … auraient commencé à louer et à vendre les appartements nouvellement constitués jusqu'à la vente du dernier appartement en 2017 et celle des bureaux, garages et entrepôts, ayant servi à l'exploitation des sociétés artisanales, au cours de l'année 2018. De plus, les demandeurs auraient acquis, en 2014, au moyen des bénéfices déjà réalisés, un bâtiment plus spacieux à …, dans le but d'y établir leur résidence, d'exploiter un commerce au rez-de-chaussée et de louer des chambres se trouvant aux 2e, 3e et 4e étages.

La partie étatique fait valoir, sur base des éléments qui précèdent, que l'ensemble des travaux entrepris pour obtenir les autorisations nécessaires, pour rénover et transformer l’immeuble litigieux afin d’y aménager les différents appartements, garages, caves et emplacements, représenterait une activité véritable, ayant requis de la part des parties demanderesses un engagement personnel allant bien au-delà d'une activité de gestion d'un patrimoine privé, portée vers la jouissance durable d'un patrimoine existant à conserver et, le cas échéant, à accroître par simple accumulation.

Ce serait cette activité de promotion immobilière, laquelle ne serait pas une simple activité d’achat et de vente d’immeubles, qui devrait être considérée, dans le chef des demandeurs, comme une « activité » constitutive d'une entreprise commerciale, telle que visée par l'article 14, alinéa 1er LIR, exercée à titre indépendant, à but de lucre et représentant, en ce que les appartements achevés auraient été librement offerts à la location, respectivement à la vente à tout intéressé disposant des moyens nécessaires, une participation à la vie économique générale.

Afin d’établir davantage l’activité de promotion immobilière dans le chef des demandeurs, la partie étatique met encore en avant leur acquisition d’un immeuble à … en 2014, dès que ces derniers auraient disposé des moyens nécessaires, la réalisation de travaux de rénovation et d’aménagement en rapport avec ledit immeuble, la location des chambres se trouvant au 2e, 3e et 4e étage à partir du printemps de l'année 2016, ainsi que l'occupation personnelle du 1er étage au mois d'octobre de l'année 2017, tout comme l’utilisation des locaux situés au rez-de-chaussée afin d’y exploiter leurs sociétés.

Ainsi, au regard des opérations réalisées par les demandeurs tant à … qu’à …, consistant, à travers leurs moyens et facultés, en une mise en valeur poussée d'immeubles de toute nature, la partie étatique argumente que ce genre d'activité des demandeurs serait susceptible de se perpétuer à l'avenir, chaque fois que l'occasion se présenterait, de sorte que les conditions permettant de vérifier le caractère permanent de l'entreprise seraient remplies en l’espèce.

Sur base de ces considérations, le délégué du gouvernement fait valoir que l'activité de promotion des demandeurs serait constitutive d'une entreprise commerciale, de sorte que les revenus ainsi réalisés, en l’occurrence les loyers encaissés, ainsi que le bénéfice obtenu par les ventes successives d'appartements, tel que plus particulièrement la vente litigieuse en 2017, auraient, à juste titre, été qualifiés, par le bureau d’imposition, comme bénéfices commerciaux, le quantum de l’impôt retenu n’ayant pas donné lieu à des critiques de la part des demandeurs.

11Le recours serait partant à rejeter pour manquer de fondement.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs insistent sur la circonstance que l’immeuble situé à … aurait été dans un état vétuste au moment de son acquisition en 2003, qu’ils y auraient emménagé en 2004 et qu’ils auraient eux-mêmes réalisé les travaux de rénovation et d'aménagement sur une période de 13 ans, au fur et à mesure de leurs moyens financiers et du temps à leur disposition, sans que lesdits travaux ne se seraient inscrits dans le cadre d'une activité commerciale, mais dans le cadre de la conservation et de la gestion normale de leur bien immobilier. Ils relèvent encore, dans ce contexte, avoir habité, ensemble avec leurs trois enfants, dans la maison litigieuse et que ce n’aurait été qu’en 2013 qu’ils auraient commencé à vendre certaines unités de ladite maison afin de pouvoir acquérir un immeuble plus spacieux, en l’occurrence la maison à … en 2014 qu’ils auraient également dû rénover et réaménager pour notamment, en partie, y installer les bureaux de leurs sociétés artisanales, les demandeurs précisant qu’une annexe servant actuellement à l’exploitation d’une discothèque laquelle aurait déjà existé au moment de l’acquisition.

Ils contestent encore l’analyse opérée par les autorités fiscales consistant à affirmer qu’ils auraient fourni des efforts continus permettant de percevoir, à côté du simple rendement du patrimoine, une rémunération, alors que les opérations immobilières litigieuses se seraient résumées à acquérir un immeuble en 2003 qu’ils auraient détenu pendant 10 ans avant de le revendre et de racheter un immeuble plus spacieux en 2013, immeuble qu’ils auraient rénové et dont ils seraient toujours propriétaires à l’heure actuelle. Ils auraient, par ailleurs, donné les parties non-utilisées de l’immeuble à … en location. Ils réfutent encore la thèse étatique selon laquelle les travaux de rénovation, sur une durée de 10 ans, devraient être considérés comme une activité d’exploitation, alors qu’il s’agirait exclusivement de l’entretien et de la conservation de leur bien immobilier.

Les demandeurs passent ensuite à nouveau en revue les quatre critères afin qu’une activité puisse être qualifiée d’opération commercial dont le résultat positif serait imposable en tant que bénéfice commercial.

Ils contestent, dans ce cadre, tout d’abord l’analyse étatique selon laquelle le caractère de l’indépendance serait donné en l’espèce, dans la mesure où, d’une part, la partie étatique se serait limitée à l’affirmer sans concrètement l’établir, et, d’autre part, la location, respectivement la vente de leurs biens immobiliers n’aurait jamais constituée leur activité principale ou accessoire, alors qu’ils auraient toujours eu une activité salariée et que les travaux de rénovation auraient été effectués par eux-mêmes sur une période de 10 ans.

De même, en ce qui concerne le critère de la participation à la vie économique générale, les demandeurs, tout en réitérant leur argumentation développée dans leur recours sur base de la doctrine et de la jurisprudence en la matière, relèvent que le bureau d’imposition, ainsi que le délégué du gouvernement, resteraient en défaut d’établir que les prestations litigieuses, en ce qui concerne la location des parties non-utilisées de l’immeuble, auraient dépassé les limites de la gestion d’un patrimoine privé, surtout qu’ils auraient toujours personnellement occupé l’immeuble en question. Dans un même ordre d’idées, les opérations immobilières litigieuses n’auraient pas été réalisées dans un court laps de temps et n’auraient pas conduit à une valorisation rapide de leur patrimoine, alors que, depuis 2003, ils n’auraient vendu qu’un immeuble pour acquérir un immeuble plus spacieux. Leur but recherché aurait ainsi été la conservation et la jouissance à long terme de leur immeuble à …, de sorte que la vente de l’appartement litigieux ne constituerait pas une activité commerciale pour ne pas sortir du cadre 12de la gestion normale d’un patrimoine privé.

Quant au critère de permanence d’une prétendue activité de négoce d’immeubles, les demandeurs critiquent les autorités fiscales d'avoir considéré, d’une part, qu’ils auraient eu une activité de « promoteurs immobiliers » du seul fait d'avoir loué en 2013, soit 10 ans après l'acquisition, une partie de l'immeuble dont ils n'auraient pas eu besoin, et, d’autre part, qu’ils auraient effectué un ensemble de travaux administratifs, de construction, d’aménagement et de rénovation, dans le but d’une activité commerciale de promotion immobilière, alors même que l’immeuble litigieux aurait été acquis dans un état vétuste et qu’ils auraient effectué eux-mêmes les travaux pour une utilisation personnelle. Dans ce cadre, ils précisent avoir trois enfants pour lesquels il aurait été prévu qu'ils occuperaient un jour les appartements dans l'immeuble, Monsieur … ayant installé le bureau des sociétés dont il serait gérant au rez-de-chaussée dudit bien immobilier. Par ailleurs, ils expliquent que la seule raison pour la vente des appartements à …, aurait été l'opportunité pour eux d'acheter l'immeuble à … lors d'une adjudication publique.

Dans un même ordre d’idées, la mise en location des appartements dans leur nouvel immeuble à …, dont ils seraient propriétaires depuis 2014, constituerait également une simple gestion de leur patrimoine privé.

Les demandeurs concluent de l’ensemble de ces éléments que le critère de permanence des opérations ne serait pas rempli en l’espèce au regard de la réalisation d’un très faible nombre de mutations immobilières sur une période de 18 ans, sans intention de les répéter en vue d’en faire une source récurrente de revenus. Ils insistent encore sur la circonstance que la division en appartements de l'immeuble à … aurait été effectuée pour des raisons privées, au vu de leurs 3 enfants et des sociétés dont le sieur … était gérant, de même que dans un esprit de conservation de l'immeuble.

Même si chaque appartement devait être considéré de façon isolée, le rythme des opérations de vente ne permettrait pas, selon les demandeurs, de conclure à une activité de promotion immobilière dans leur chef, alors qu'il n'y aurait manifestement pas eu de valorisation rapide du patrimoine, caractéristique essentielle d'un esprit de lucre et d'une entreprise commerciale, de sorte que, également sous cette optique, le critère de permanence ne serait pas non plus démontré en l'espèce.

Ils précisent finalement que le critère du but de lucre ne serait pas donné, dans la mesure où ils n’auraient réalisé aucun bénéfice.

A titre liminaire, force est de relever que seul la qualification du revenu de la vente immobilière au cours de l’année 2017 est litigieuse en l’espèce.

L’article 14 LIR dispose qu’est notamment à considérer comme bénéfice commercial « le revenu net provenant d’une entreprise commerciale, industrielle, minière ou artisanale », une telle entreprise étant définie comme « toute activité indépendante à but de lucre exercée de manière permanente et constituant une participation à la vie économique générale, lorsque ladite activité ne forme ni une exploitation agricole ou forestière ni l’exercice d’une profession libérale ».

Outre les deux critères négatifs relatifs à l’existence d’une exploitation agricole ou forestière et à l’exercice d’une profession libérale, cette définition de l’entreprise commerciale énonce quatre critères caractéristiques, à savoir 1) l’indépendance, 2) le but de lucre, 3) le caractère de permanence et 4) la participation à la vie économique générale, qui doivent être 13réunis cumulativement pour qu’une activité soit constitutive d’une entreprise commerciale au sens du droit fiscal.

L’activité en cause doit en outre dépasser les limites de la gestion du patrimoine privé pour pouvoir être qualifiée de commerciale. En effet, il se dégage des distinctions inhérentes aux différentes catégories de revenus que « quelle que soit l’importance d’un patrimoine privé, les opérations de gestion y relatives ne constituent pas une activité commerciale, si les actes posés ne sortent pas du cadre de la gestion normale d’un patrimoine privé »4.

La notion de gestion du patrimoine privé (« Vermögensverwaltung ») ne faisant pas l’objet d’une définition légale, elle est cependant délimitée par le biais de deux exemples énoncés au paragraphe 7 (4) de l’ordonnance du 16 décembre 1941 relative à l’exécution des paragraphes 17 à 19 de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934 qui prévoit que :

« Vermögensverwaltung liegt in der Regel vor, wenn Vermögen genutzt wird, zum Beispiel wenn Kapitalvermögen verzinslich angelegt oder unbewegliches Vermögen vermietet oder verpachtet wird ». Le concept de gestion d’un patrimoine privé ne se limite cependant pas aux exemples de jouissance sus-énoncés 5 . D’une manière générale, il y a administration du patrimoine privé aussi longtemps que les activités d’achat et de vente s’analysent en de simples accessoires d’une jouissance des fruits d’un patrimoine immobilier privé dont la substance est conservée. Au contraire, de telles activités dépassent le cadre de la gestion d’un patrimoine privé lorsque le contribuable recherche une exploitation de la substance de son patrimoine par transfert (« Umschichtung ») d’éléments substantiels de sa fortune.

Quant au critère de la permanence de l’activité, il y a lieu de rappeler qu’il résulte à ce sujet des travaux préparatoires de la LIR concernant l’article 14 que « le caractère de permanence n’implique pas nécessairement que l’activité se répète. Pour qu’il y ait permanence, il suffit que l’activité ait lieu avec l’intention de la répéter si l’occasion s’en présente et de constituer de la sorte une source de revenu sur la base d’opérations répétées », le même commentaire de l’article 14 précisant que « le caractère de permanence sépare l’activité commerciale d’actes similaires isolés qui ont lieu dans le cadre de l’administration du patrimoine privé du contribuable »6.

Le tribunal doit dès lors examiner les transactions immobilières litigieuses ci-dessus décrites sous l’angle de vue de l’existence cumulative des quatre critères de la loi dont l’existence simultanée définit l’entreprise commerciale et exclut la thèse soutenue par les demandeurs de la simple gestion de la fortune privée.

En l’espèce, force est de constater que les époux … ont acquis en date du 24 septembre 2003 une maison d’habitation unifamiliale à …, qu’ils se sont engagés à occuper personnellement et laquelle se trouvait, au moment de ladite acquisition, d’après les déclarations concordantes des parties, dans un état vétuste. Ils ont, par la suite, procédé à des travaux de construction, de rénovation et d’aménagement de ladite maison, pour la transformer en un immeuble comprenant plusieurs appartements qu’ils ont, d’une part, occupé à titre d’habitation personnelle, voire affecté à la domiciliation des sociétés dont Monsieur … est le gérant, et, d’autre part, donné en location pour le surplus.

___________________

4 Emile Stoffel, Le bénéfice commercial, commentaire des articles 14-18 de la loi du 4 décembre 1967, in Etudes fiscales décembre 1997, n° 109-111, p. 15, n° 14.14 5 cf. Emile Stoffel, op.cit.

6 Projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. n° 571-4, commentaire des articles, p. 18 14 Il ressort encore du dossier fiscal, et plus particulièrement des actes notariés de vente, que les époux … ont, à partir de 2013 et jusqu’à 2017, procédé à la vente de tous les appartements de leur immeuble à …, en cédant un appartement en 2013, deux appartements les 9 janvier et 6 février 2014, un appartement le 22 octobre 2015 et finalement l’appartement litigieux en date du 16 novembre 2017.

Il est encore constant en cause que les époux … ont acquis le 21 mai 2014 un immeuble à …, immeuble (i) qui constitue à l’heure actuelle leur résidence, respectivement le siège social des sociétés dont Monsieur … est gérant, (ii) dont des chambres situées aux 2e, 3e et 4e étages sont données en location et (iii) qui sert à l’exploitation d’une discothèque, dans une de ses annexes. Il ressort encore de l’acte notarié du 21 mai 2014 que les demandeurs ont déclaré ne pas avoir acquis ledit immeuble en vue de sa revente, mais en vue d’y établir, plus précisément au 1er étage dudit immeuble, leur habitation principale.

Force est, dans ce contexte, au tribunal de relever, d’une part, que les biens immobiliers situés à …, respectivement à …, ont à chaque fois été acquis par les époux … en vue d’y établir leur lieu d’habitation principale, et, d’autre part, que les demandeurs ont été propriétaires de l’immeuble à … pendant 10 ans avant de commencer à céder, dans un intervalle de quatre ans, les différents appartements ayant été aménagés par leurs soins dans ledit immeuble, de sorte qu’il y a lieu de retenir que une longue période de détention des immeubles cédés.

Dans ce cadre, il y a lieu de préciser que l’acquisition ou la location d’objets immobiliers par un particulier peut être considérée objectivement comme une opération de gestion de patrimoine privé dans le but de générer ainsi des revenus nets de location, de même que la revente d'immeubles est compatible avec la gestion d'un patrimoine immobilier privé, aussi longtemps que ce patrimoine sert au contribuable principalement à dégager des revenus de location7.

Or, si l’administration d’un patrimoine immobilier privé n’exclut pas qu’il puisse y avoir des mutations, c’est-à-dire des acquisitions et des ventes d’immeubles, il faut que ces mutations soient comprises comme début ou fin d’une activité orientée essentiellement vers une jouissance des fruits, par notamment la location, et qu’elles ne s’analysent pas comme un négoce déguisé d’immeubles8.

Quant au critère de la courte période de détention des immeubles, il convient de souligner que selon le Bundesfinanzhof, c'est essentiellement le nombre des acquisitions (ou constructions) d'immeubles, ainsi que le fait qu'elles soient rapidement suivies de leur revente, qui est déterminant pour distinguer gestion d'un patrimoine privé et entreprise commerciale9, la revente rapide des objets (« enger zeitlicher Zusammenhang zwischen Kauf und Verkauf von Wohnungen ») étant définie, par une jurisprudence constante du Bundesfinanzhof, comme une revente dans un délai maximal de cinq ans à partir de l'acquisition de l'objet en question:

___________________

7 « Private Vermögensverwaltung ist nach ständiger Rechtsprechung des BFH anzunehmen, solange sich die Tätigkeit noch als Nutzung von Grundbesitz durch Fruchtziehung aus zu erhaltender Substanz darstellt und die Ausnutzung substantieller Vermögenswerte nicht entscheidend in den Vordergrund tritt. … Die Veräusserung von Grundbesitz ist daher der privaten Vermögensverwaltung zuzurechnen, wenn der Steuerpflichtige damit höhere Erträge aus dem vorhandenen Vermögen anstrebt. Veräussert er dagegen den Grundbesitz, um Substanzwertsteigerungen auszunutzen, wird er gewerblich tätig » (BFH, arrêt du 18 janvier 1989, BStBl 1990, II, 1051, 1052).

8 Emile Stoffel, op. Cit., pp.15 et 16.

9 BFH, arrêt précité, p.1052-1053.

15« Besteht ein enger zeitlicher Zusammenhang zwischen der Errichtung und der Veräusserung (…), so liegt nach der Rechtsprechung des BFH regelmässig ein Gewerbebetrieb vor; ein enger zeitlicher Zusammenhang wird angenommen, wenn die Zeitspanne zwischen der Errichtung und dem Verkauf der Wohnungen nicht mehr als fünf Jahre beträgt ».10 En l’espèce, force est de constater que les époux … ont acquis l’immeuble à … en 2003 et n’ont commencé à céder le premier appartement qu’en 2013, soit après une période de détention de 10 ans, étant précisé que l’appartement dont la cession est actuellement litigieuse a été vendue après une période de détention de 14 ans, ce qui constitue un indice excluant le caractère commercial de l’activité des époux …, dont le but recherché paraît avoir été moins une valorisation rapide du patrimoine moyennant ces mutations, caractéristique essentielle d’un esprit de lucre et d’une entreprise commerciale 11, mais la recherche d’une conservation et d’une jouissance à long terme desdites propriétés immobilières, et ce, tant à titre personnel qu’à titre de bailleur, étant précisé qu’il n’est pas contesté que la vente des différents appartements de leur immeuble à … leur a permis de financer l’acquisition d’un immeuble plus spacieux à … où ils ont, à nouveau, d’une part, établi leur lieu d’habitation principale, ainsi que le siège social de leurs sociétés, et, d’autre part, donné en location les autres parties de l’immeuble non utilisées personnellement afin de générer des revenus locatifs.

En ce qui concerne les trois autres critères d’appréciation cités ci-dessus, il y a lieu de souligner que la participation à la vie économique générale implique que le contribuable prenne part, d’une façon perceptible au public intéressé, à l’échange général des biens et prestations et qu’il soit prêt à entrer en relation d’affaires avec un nombre indéterminé de personnes, compte tenu naturellement de l’étendue et du genre de son entreprise et de sa propre capacité de prestation. Ainsi, le commerçant prend part au trafic économique général en approvisionnant le marché en biens pour lesquels il existe un besoin et en les échangeant contre des équivalents en nature ou en argent. Cet élément de la participation est à apprécier dans chaque cas d’espèce en considération du but recherché ainsi que de la nature des opérations exécutées12.

En l’espèce, les époux … ont uniquement participé à la vie économique générale, en participant à l’échange général des biens et prestations de manière perceptible au public, à travers les seules opérations de vente réalisées en relation avec les appartements situés dans leur immeuble à …, sans qu’il ne ressort des éléments soumis à l’analyse du tribunal par les parties un quelconque indice permettant de retenir dans le chef des époux … l’intention de répéter une telle activité à l’avenir. Force est, dans ce contexte, encore de relever que l’argumentation étatique consistant à soutenir le contraire doit être qualifiée de simple allégation pour ne pas être soutenue par un quelconque élément concret.

Quant au critère de l’indépendance, celui-ci n’est également pas donné en l’espèce, alors qu’il est constant en cause pour être admis par l’ensemble des parties, que les demandeurs ont été, pendant l’année fiscale litigieuse, dans des liens d’une occupation salariale, par ailleurs non liée à une activité de vente et de revente d’immeubles.

Sur base des considérations qui précèdent, le tribunal arrive à la conclusion que le bureau d’imposition a retenu, à tort, que les opérations immobilières des époux … s’analysent en des activités commerciales, de sorte que le bulletin d’impôt sur le revenu de l’année 2017 émis le 4 décembre 2019 est à réformer pour avoir, à tort, procédé à la requalification du produit

___________________

10 BFH, arrêt du 22 mars 1990, BStBl 1990, II, 637, 638, avec de nombreuses références de jurisprudence.

11 Cour adm., 10 avril 2008, n° 23722C, disponible sur www.jurad.etat.lu.

12 Trib. adm., 21 juin 2000, n° 11582, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 118 et les autres références y citées.

16provenant de la vente du 16 novembre 2017 de l’appartement des époux … à … en bénéfice commercial et procédé à l’imposition afférente.

Quant à l’indemnité de procédure sollicitée par les époux …, d’un montant de 1.000 euros, sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il échet de constater qu’il n’est pas établi en cause en quoi le fait de laisser à leur charge les sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens aurait un caractère inéquitable. Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter la demande afférente.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours irrecevable pour autant qu’il est dirigé contre une « décision de refus implicite » du directeur de l’administration des Contributions directes ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme pour le surplus ;

au fond, déclare le recours fondé ;

partant, par réformation du bulletin d’impôt sur le revenu de l’année 2017, émis en date du 4 décembre 2019, dit que c’est à tort que le bureau d’imposition Esch 2 de l’administration des Contributions directes a requalifié le produit provenant de la vente du 16 novembre 2017 de l’appartement des époux … à … en bénéfice commercial ;

renvoie le dossier au bureau d’imposition Esch 2 pour exécution ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire ;

rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure sollicitées par les époux … ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 avril 2023 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 avril 2023 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 45104
Date de la décision : 21/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 29/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-04-21;45104 ?

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