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05/04/2023 | LUXEMBOURG | N°48690

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 avril 2023, 48690


Tribunal administratif N° 48690 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48690 3e chambre Inscrit le 14 mars 2023 Audience publique du 5 avril 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48690 du rôle et déposée le 14 mars 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise NSAN-N

WET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de...

Tribunal administratif N° 48690 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48690 3e chambre Inscrit le 14 mars 2023 Audience publique du 5 avril 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48690 du rôle et déposée le 14 mars 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise NSAN-NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Syrie), de nationalité syrienne, assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 mars 2023 de le transférer vers l’Italie comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Fideline BILOA BIBI en remplacement de Maître Françoise NSAN-NWET et Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Le 24 novembre 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service criminalité organisée-

police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il ressort d’une recherche effectuée dans la base de données EURODAC à la même date que Monsieur … avait franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 9 novembre 2022 et fut « fingerprinted » le même jour.

Le 8 décembre 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 1établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 12 décembre 2022, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes aux fins de la prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III.

Par arrêté du 16 décembre 2022, notifié à l’intéressé le 19 décembre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois.

Par missive du 14 février 2023, le ministre informa les autorités italiennes qu’elles seraient considérées comme ayant tacitement accepté la prise en charge de Monsieur … pour ne pas avoir répondu dans le délai leur imparti à la demande de reprise en charge leur adressée le 13 février 2023, conformément à l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III.

Par décision du 8 mars 2023, notifiée le même jour par voie recommandée à Monsieur …, le ministre informa ce dernier de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de celles des articles 13, paragraphe (1), et 22, paragraphe (7), du règlement Dublin III.

Ladite décision est libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 24 novembre 2022 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 13(1) et 22(7) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 24 novembre 2022 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 8 décembre 2022.

En mains également le courrier de votre mandataire du 28 février 2023 par lequel elle sollicite l'examen en commun de votre demande de protection internationale avec celle de votre père ….

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 24 novembre 2022, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

2La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 9 novembre 2022.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 8 décembre 2022.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 12 décembre 2022 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut tacitement acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 13 février 2023, conformément à l'article 22(7) du règlement Dublin III.

2. Quant au bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, conformément à l'article 13(1) du règlement DIII.

La responsabilité de l'Italie est acquise suivant l'article 22(7) du règlement DIII en ce que l'absence de réponse à l'expiration d'un délai de deux mois équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur 3risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE, 3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 24 novembre 2022 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 9 novembre 2022.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Syrie en été 2022. Vous auriez pris un vol de Damas vers Benghazi/Libye. Vous seriez ensuite resté chez des passeurs à Tripolis pendant trois mois avant de partir en Italie dans une traversée illégale. Vous auriez passé une semaine en Italie et vous auriez quitté le pays sans introduire une demande de protection internationale. Vous auriez ensuite traversé la Suisse et l'Allemagne et vous indiquez que vous auriez été contrôlé par la police dans les deux pays. Vous auriez cependant informé les autorités suisses et allemandes de votre intention d'aller au Luxembourg pour introduire une demande de protection internationale. Vous auriez ensuite pris plusieurs trains afin d'arriver au Luxembourg en date du 23 novembre 2022.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 8 décembre 2022, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous racontez que les passeurs et les agents de la garde-côte en Libye vous auraient frappé et qu'ils auraient pris vos affaires. Par ailleurs, vous déclarez avoir quitté l'Italie sans introduire une demande de protection internationale parce que votre but aurait été de rejoindre le Luxembourg dès votre départ.

Rappelons à cet égard que l'Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S'il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d'accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d'importantes difficultés sur le plan de l'hébergement et des conditions de vie, il n'y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.

4 Notons dans ce contexte que l'Italie a adopté en date du 21 octobre 2020 le décret n° 130/2020 qui remplace la loi n° 132/2018 du 1er décembre 2018 et met en place le SAI (Sistema di accoglienza e integrazione). Ce nouveau système en matière d'accueil et d'intégration a réformé le système établi en 2018 et permet depuis lors d'améliorer l'accueil pour les demandeurs de protection internationale.

Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Con. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de I'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Notons dans ce contexte que bien qu'il soit compréhensible que vous voudriez que votre demande soit traitée conjointement avec celle de votre père ici au Luxembourg, il y a lieu de constater que vous êtes majeur d'âge et capable de vivre seul sans l'assistance d'un membre de famille. Ainsi, rien n'empêche votre transfert en Italie.

5 Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Italie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devait s'avérer nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 mars 2023, inscrite sous le numéro 48690 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 8 mars 2023.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation sous analyse, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur retrace en premier lieu les faits et rétroactes ayant mené à la décision déférée du 8 mars 2023 tout en expliquant plus particulièrement qu’il aurait été contraint de quitter la Syrie, en raison de la guerre qui y régnerait. Il donne plus particulièrement à considérer que sa famille et lui-même auraient été contraint de fuir leur région d’origine en raison d’une attaque sur leur village et le massacre consécutif de la population, de sorte qu’ils se trouveraient, depuis 2013, « en errance » dans leur propre pays avec l’insécurité et les dangers qui y régneraient. En 2022, le demandeur et son père auraient décidé de partir vers l’Europe suite à la résurgence de la violence à l’égard des civils. Il précise, par ailleurs, qu’ils seraient sans nouvelles des autres membres de leur famille depuis le tremblement de terre qui a eu lieu en Syrie le 6 février 2023. Le demandeur explique ensuite que lui et son père auraient été séparés par la suite et qu’il se serait retrouvé en Italie où ses empreintes digitales auraient été enregistrées. Il aurait continué sa route vers le Luxembourg où il aurait dû rejoindre son père, lequel ne serait toutefois arrivé qu’en date du 8 février 2023. Monsieur … ajoute que son père aurait directement informé les autorités luxembourgeoises de la présence de son fils sur le territoire luxembourgeois et de la qualité de demandeur de protection internationale de celui-ci. Le demandeur souligne finalement que par courrier du 28 février 2023, son père et lui-même auraient informé la direction de l’Immigration de leur souhait de voir traiter leurs demandes de protection internationale respectives de manière conjointe.

6 En droit, le demandeur se prévaut en premier lieu d’un « non-respect de l’unité familiale » de la part du ministre. A l’appui de ses affirmations, il donne à considérer que le ministre aurait fondé sa décision sur l’acception tacite de prise en charge des autorités italiennes, sans toutefois prendre en compte sa situation familiale et les circonstances exceptionnelles de l’espèce. A cet égard, il rappelle que le seul membre de sa famille dont il serait certain qu’il serait encore en vie, à savoir son père, serait venu au Luxembourg deux jours seulement après le tremblement de terre en Syrie. Il ajoute que sa mère serait portée disparue depuis la survenance du séisme en Syrie et que le fait d’être réuni avec son père au Luxembourg lui permettrait de surmonter l’angoisse relative à cette disparition.

En se prévalant de l’article 10 du règlement Dublin III, ainsi que des considérants 14 et 17 dudit règlement il fait valoir que le respect de la vie privée et familiale serait érigé en considération primordiale et par conséquent centrale dans l’examen des situations personnelles des demandeurs de protection internationale. Or, en l’espèce, le ministre resterait en défaut de motiver son refus d’appliquer les dispositions dérogatoires visées aux articles 8 à 11 du règlement Dublin III, articles qui nécessiteraient pourtant une analyse et une motivation spécifique. Le demandeur ajoute que les simples constatations du ministre, selon lesquelles il ne serait pas mineur et capable de vivre seul ne rempliraient pas « les conditions requises notamment aux articles 10 et 11 du règlement Dublin III ».

Il est en outre d’avais que sa propre demande de protection internationale et celle de son père devraient être examinées ensemble alors qu’ils auraient fait une demande afférente par écrit, que son père serait plus âgé que lui et que leur situation familiale serait connue par les autorités luxembourgeoises et ceci depuis le 8 février 2023, à savoir avant l’acceptation tacite de l’Italie intervenue le 13 février 2023. Le demandeur en conclut que les autorités italiennes ne se seraient pas vues soumettre l’ensemble des éléments de preuves et ce en violation de l’article 21 du règlement Dublin III, de sorte que la procédure de détermination de l’Etat membre responsable de sa demande de protection internationale serait viciée.

Dans un deuxième temps, le demandeur se prévaut de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie, telles que prévues à l'article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin Ill. A cet égard, il fait valoir que bien que l’Italie soit liée par divers instruments juridiques internationaux ou communautaires garantissant les droits de l’Homme, tels que la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ci-après désignée par « la Convention torture », ainsi que la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », et qu’à ce titre, elle soit présumée d’en appliquer les dispositions, il n’en resterait pas moins que les observateurs internationaux déploreraient des dysfonctionnements majeurs dans la politique d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie. A l’appui de ses affirmations, le demandeur se base sur un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme ci-après désignée par la « CourEDH », du 4 novembre 2014, affaire Tarakhel c/ Suisse, ainsi que d’un jugement du tribunal administratif de Giessen de janvier 2015 (VG Giessen, 13.01.2015 1 L 3772/14.G.I.A), pour affirmer qu’un transfert vers l’Italie ne serait envisageable que si des garanties individuelles étaient fournies concernant l’accès à un logement décent. Cette exigence s’appliquerait également aux demandeurs de protection internationale masculins voyageant sans famille, alors que ceux-ci 7auraient encore plus de difficultés à trouver un logement. Il se prévaut encore de deux rapports publiés en 2018 par l’ONG « Médecins sans Frontières » et par l’ONG « European Council on Refugees and Exilees », ainsi que d’un article de presse du journal « La Libre » du 10 juillet 2022 pour mettre en exergue que de nombreux demandeurs de protection internationale se retrouveraient dans la rue en Italie et ce sans accès à la nourriture, à l’eau et à des soins de santé. Il fait encore référence à une circulaire du gouvernement italien du 5 décembre 2022 dans laquelle il serait fait état d’une indisponibilité des structures d’accueil et qui demanderait aux Etat membres de cesser temporairement les transferts vers l’Italie, tout en soulignant qu’en date du 9 mars 2023 le ministre de l’Intérieur français aurait exhorté les autorités italiennes à respecter le règlement Dublin III.

Toujours dans le même contexte, le demandeur fait valoir que la présomption que l’Italie respecterait les droits de l’Homme serait réfragable tout en précisant que l’absence d’hébergement des demandeurs de protection internationale pourrait constituer, compte tenu de la grande vulnérabilité de ceux-ci, un traitement inhumain et dégradant, le demandeur se référant à cet égard encore à un arrêt de Cour de justice de l'Union européenne ci-après désignée par la « CJUE », du 19 mars 2019 (Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, C-163/17) ainsi qu’un arrêt de la CourEDH du 2 juillet 2020 (N.H. et autres c.

France) pour conclure à l’existence de défaillances systémiques en Italie.

En dernier lieu, le demandeur fait valoir que le ministre aurait dû faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, compte tenu des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie, lesquelles auraient comme conséquence de l’exposer à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH et à l’article 4 de la Charte.

Au vu de ces considérations, le demandeur conclut à la réformation de la décision ministérielle litigieuse.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne la légalité externe de la décision ministérielle litigieuse et plus précisément le moyen relatif à des prétendus manquements dans la procédure de détermination de l’Etat membre responsable du traitement de la demande de Monsieur …, ce dernier reprochant au ministre de ne pas avoir fourni tous les renseignements nécessaires aux autorités italiennes et plus particulièrement sa volonté de voir examiner sa demande de protection internationale ensemble avec celle de son père et reprochant au ministre de ne pas avoir motivé à suffisance son refus d’appliquer les articles 10 et 11 du règlement Dublin III, il convient d’abord de constater en ce qui concerne le prétendu défaut de motivation reproché au ministre que si dans sa décision sous analyse, celui-ci s’est certes contenté d’affirmer que les informations à sa disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8 à 11 du règlement Dublin III, il est toutefois de jurisprudence constante que si motifs sur lesquels repose l’acte, ne sont pas indiqués avec une précision suffisante dans l’acte administratif même, ils peuvent encore être précisés au plus tard au cours de la procédure contentieuse pour permettre à la juridiction administrative d’exercer son contrôle de légalité1.

Ainsi, si en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision 1 Trib. adm., 26 avril 2004, n° 17153 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 87, (2e volet) et les autres références y citées.

8administrative doit reposer sur des motifs de fait et de droit juridiquement admissibles et indiquer formellement les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle rentre dans une des hypothèses énumérées de manière limitative à l’alinéa 2 de l’article 6 précité, dont notamment les décisions refusant, comme en l’espèce, de faire droit à la demande de l’intéressé, il n’en reste pas moins qu’il est de jurisprudence que la sanction de l’absence de motivation ne consiste pas dans l’annulation de l’acte visé, mais dans la suspension des délais de recours et que celui- ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse.

A cet égard il convient de noter que dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a bien complété la motivation à la base de la décision ministérielle litigieuse en précisant que le père du demandeur ne rentre pas dans la définition de membre de famille telle que prévue à l’article 2, point g) du règlement Dublin III.

Dans la mesure où le demandeur avait, avant l’introduction du recours sous analyse, connaissance du fait que le ministre ne dispose pas d’informations susceptibles de conclure à l’application des articles 8 à 11 du règlement Dublin III, et que par la suite il s’est vu soumettre une motivation supplémentaire par le délégué du gouvernement, le moyen relatif à un défaut de motivation est à rejeter, étant encore relevé à cet égard, que si le demandeur devait avoir estimé qu’il n’a pas utilement pu prendre position quant à l’ensemble de la motivation de la décision litigieuse, il aurait pu solliciter la production d’un mémoire complémentaire, ce qu’il a toutefois omis de faire.

En ce qui concerne l’affirmation du demandeur que la procédure de détermination de l’Etat membre responsable de sa demande de protection internationale aurait été viciée dans la mesure où les autorités italiennes ne se seraient pas vues transmettre toutes les preuves et indices visés à l’article 21 du règlement Dublin III, dans la mesure où le ministre ne les auraient pas informés du fait que son père aurait également introduit une demande de protection internationale au Luxembourg, il convient de rappeler que si en vertu de l’article 21 du règlement Dublin III « la requête aux fins de prise en charge par un autre État membre est présentée à l’aide d’un formulaire type et comprend les éléments de preuve ou indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, et/ou les autres éléments pertinents tirés de la déclaration du demandeur qui permettent aux autorités de l’État membre requis de vérifier s’il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement », de sorte que l’Etat membre requérant doit effectivement indiquer la présence de membres de famille du demandeur sur son territoire, il convient toutefois de souligner que l’article 2, point g), du règlement Dublin III, dispose en ce qui concerne la notion de « membres de la famille» au sens du même règlement que, « dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d’origine, les membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des Etats membres :

- le conjoint du demandeur, ou son ou sa partenaire non marié(e) engagé(e) dans une relation stable, lorsque le droit ou la pratique de l’Etat membre concerné réserve aux couples non mariés un traitement comparable à celui réservé aux couples mariés, en vertu de sa législation relative aux ressortissants de pays tiers, - les enfants mineurs des couples visés au premier tiret ou du demandeur, à condition qu’ils soient non mariés et qu’ils soient nés du mariage, hors mariage ou qu’ils aient été 9adoptés au sens du droit national, - lorsque le demandeur est mineur et non marié, le père, la mère ou un autre adulte qui est responsable du demandeur de par le droit ou la pratique de l’Etat membre dans lequel cet adulte se trouve, - lorsque le bénéficiaire d’une protection internationale est mineur et non marié, le pratique de l’Etat membre dans lequel le bénéficiaire se trouve ; ».

En l’espèce, il est constant en cause que le demandeur conclut à une violation de la procédure de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale dans la mesure où les autorités italiennes n’auraient pas été informées du fait que son père a également déposé une demande de protection internationale au Luxembourg. Or, l’article 2, point g), précité, du règlement Dublin III ne mentionnant pas le père d’une personne majeure, il convient de retenir que le père du demandeur ne peut être considéré comme un « membre de la famille » au sens du règlement Dublin III.

De ce fait, l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait fait preuve de mauvaise foi et aurait dû prendre en considération le lien de parenté qui existerait entre lui et son père, en informant les autorités italiennes du fait que celui-ci a également déposé une demande de protection internationale au Luxembourg, est à écarter, le père d’une personne majeure n’étant, comme retenu ci-avant, pas visé par l’article 2, point g), précité, du règlement Dublin III.

Au vu de ce qui précède, le moyen ayant trait à une prétendue procédure viciée est à écarter.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision ministérielle litigieuse, il convient d’abord de relever qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte formellement ou tacitement, la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III sur le fondement duquel la décision litigieuse a été prise dispose, quant à lui, que « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la 10frontière ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui dont le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière en provenance d’un pays tiers, cette responsabilité prenant fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.

Il est constant que la décision ministérielle déférée est motivée, d’une part, par le fait que Monsieur … a franchi illégalement la frontière italienne le 9 novembre 2022 et, d’autre part, par le fait que les autorités italiennes ont accepté tacitement, en date du 13 février 2023, de le prendre en charge sur base de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, alors que conformément à l’article 22, paragraphe (7), du règlement Dublin III, aux termes duquel :

« L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d’un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée ».

C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.

Force est ensuite de constater que le demandeur conteste la compétence de principe de l’Italie en soutenant que le ministre aurait dû faire application des articles 10 et 11 du règlement Dublin III tout en affirmant que son transfert vers l’Italie violerait en tout état de cause les dispositions des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte, ainsi que des articles 3, paragraphe (2) et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de même que le principe de non-refoulement.

En ce qui concerne les affirmations du demandeur basées sur le fait que le ministre aurait dû faire application des articles 10 et 11 du règlement Dublin III, il convient de rappeler que l’article 10 du règlement Dublin III, intitulé « Membres de la famille de demandeurs d’une protection internationale », dispose que : « Si le demandeur a, dans un État membre, un membre de sa famille dont la demande de protection internationale présentée dans cet État membre n’a pas encore fait l’objet d’une première décision sur le fond, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. », tandis que l’article 11 du même règlement, intitulé « Procédure familiale », dispose, quant à lui que « Lorsque plusieurs membres d’une famille et/ou des frères ou sœurs mineurs non mariés introduisent une demande de protection internationale dans un même État membre simultanément, ou à des dates suffisamment rapprochées pour que les procédures de détermination de l’État membre responsable puissent être conduites conjointement, et que l’application des critères énoncés dans le présent règlement conduirait à les séparer, la détermination de l’État membre responsable se fonde sur les dispositions suivantes:

a) est responsable de l’examen des demandes de protection internationale de l’ensemble des membres de la famille et/ou des frères et sœurs mineurs non mariés, l’État membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus grand nombre d’entre eux;

b) à défaut, est responsable l’État membre que les critères désignent comme responsable de l’examen de la demande du plus âgé d’entre eux. ».

11Force est de constater que ces deux articles ont trait à la compétence de principe des Etats membres et visent, en ce qui concerne l’article 10, le cas où un demandeur de protection internationale a un membre de famille dans l’Etat requérant dont la demande de protection internationale présentée dans ce même Etat n’a pas encore fait l’objet d’une première décision sur le fond, et en ce qui concerne l’article 11, le cas où plusieurs membres de famille introduisent une demande de protection internationale dans un Etats membre à des dates identiques ou rapprochées, ces deux dispositions européennes prévoyant dans ce cas une compétence de principe de l’Etat membre en question. Dans la mesure où le tribunal vient toutefois de retenir ci-avant que le père du demandeur n’est pas à considérer comme membre de famille au sens du règlement Dublin III, c’est à bon droit que le ministre n’a pas fait application des articles 10 et 11 de ce même règlement.

Il s’ensuit que les contestations du demandeur en ce qui concerne l’incompétence de principe du Luxembourg pour statuer sur sa demande de protection internationale sont à rejeter pour ne pas être fondées.

Il convient ensuite de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1), du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En ce qui concerne tout d’abord la violation alléguée de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, aux termes duquel « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. », il convient de relever que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 la CEDH.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs 12d’asile vers un Etat membre déterminé2.

A cet égard, il convient d’abord de constater que la décision déférée du 8 mars 2023 a été prise en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, cette dernière disposition visant une hypothèse distincte du cas d’un demandeur ayant introduit une demande de protection internationale dans un premier Etat membre, hypothèse plus particulièrement visée à l’article 18 du règlement Dublin III, étant, à cet égard, relevé qu’il est constant en cause pour résulter également des propres déclarations du demandeur au cours de la phase précontentieuse, qu’il a quitté l’Italie sans y avoir introduit une demande de protection internationale.

Dans la mesure où le demandeur n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour en Italie, il n’est en tout état de cause pas en mesure de se prévaloir de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III qu’il aurait personnellement pu y rencontrer.

S’agissant ensuite des obligations découlant pour le ministre de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, il y a lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3.

C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal relève encore à cet égard que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans 2 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, point. 92.

3 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

4 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, Trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que Trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, point. 95.

13lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE8, ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20179.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201910 que pour relever de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine11. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant12.

Le demandeur remettant en question la présomption du respect par l’Italie des droits fondamentaux, puisqu’il affirme y risquer des traitements inhumains et dégradants, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

En l’espèce, il convient d’abord de relever que les deux rapports dont se prévaut le demandeur, à savoir celui de l’ONG « Médecins sans frontières » et de l’ONG « European Council on Refugees and Exilees » datent de 2018 c’est-à-dire depuis près de 5 ans, de sorte à ne pas pouvoir refléter la situation actuelle des demandeurs de protection internationale en Italie. Il convient encore de noter que dans le cadre de son entretien Dublin III du 8 décembre 2022, le demandeur a indiqué avoir quitté l’Italie non pas en raison de quelconques défaillances systémiques, respectivement en raison du fait qu’il se serait retrouvé dans la rue dans ce même pays, le demandeur ayant au contraire déclaré avoir été hébergé dans un foyer et avoir été soigné par la Croix Rouge13, mais uniquement parce qu’il avait l’intention de 7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur www.jurad.etat.lu.

8 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point. 91.

11 Ibid., point. 92.

12 Ibid., pt. 93.

13 Page 5/8 du rapport d’entretien du 18 novembre 2022.

14venir au Luxembourg, pays dans lequel il n’y aurait pas de discriminations.

En tout état de cause, et s’il est certes exact que les autorités italiennes connaissent toujours certains problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, ce qui implique que ceux-ci risquent de se voir confrontés à des difficultés plus ou moins importantes suivant le cas de figure dans lequel ils se trouvent au niveau de l’accès à l’hébergement, aux soins et des conditions de vie en général, il ressort néanmoins également du rapport de l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (OSAR) intitulé « Conditions d’accueil en Italie », initialement publié en janvier 2020 et mis à jour le 10 juin 2021 que depuis octobre 2020, l’Italie est revenue sur le durcissement de sa politique migratoire sous l’ère « Salvini », par le décret-loi de l’actuel ministre de l’intérieur italien ayant rapporté de nombreuses restrictions dans le cadre de l’accueil des demandeurs de protection internationale, notamment par la possibilité d’utiliser à nouveau des centres d’accueil plus petits pour héberger les demandeurs d’asile, ainsi que par la possibilité pour les demandeurs d’asile de s’inscrire sur les registres de l’état civil et donc de posséder un domicile légal leur permettant de bénéficier des prestations sanitaires ou d’ouvrir un compte en banque. Il ressort, par ailleurs, des développements non contestés du délégué du gouvernement que les personnes ayant obtenu un permis de séjour peuvent également plus facilement le convertir en permis de travail. Enfin, une protection spéciale est accordée aux personnes qui risquent des « traitements inhumains ou dégradants » en cas de retour dans leur pays d’origine, ou dans le cas où une expulsion irait « à l’encontre du droit à la vie privée et familiale » et les expulsions ou les rapatriements vers des pays où les droits de l’Homme ne sont pas respectés sont suspendus.

Si ce retour à la normale prend un certain temps avant de porter des fruits sur le terrain, force est de constater que ce constat est insuffisant pour permettre de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Italie, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4 de la Charte.

Le tribunal tient encore à relever que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Italie, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Italie de ressortissants syriens dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile italienne qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Quant à la circulaire du ministère de l’Intérieur italien, invoquée par le demandeur, le tribunal constate, à l’instar de la partie étatique, que si celle-ci fait certes état d’un obstacle 15temporaire aux transferts en Italie, elle ne laisse toutefois pas conclure à l’existence de défaillances systémiques dans ce même pays. Quant à l’affirmation du demandeur selon laquelle le ministre de l’Intérieur français aurait demandé à l’Italie de respecter les règles du règlement Dublin III, force est de constater qu’il ressort certes d’un article publié au journal « Le Point » en date du 9 mars 2023 que « l’Italie [est] priée d’appliquer les règles Dublin sur l’asile », il n’en ressort toutefois pas que la procédure d’asile de ce même Etat se caractériserait par des défaillances systémiques, l’auteur dudit article ayant, au contraire, précisé que « Le ministre français s’est réjoui d’un "échange très positif" avec son homologue italien avec qui il prévoit de se rendre à la frontière franco-italienne "dans les prochaines semaines pour continuer cette discussion" ». Quant à l’article de presse invoqué par le demandeur, force est de constater que celui-ci a trait à une évacuation d’un camp de réfugiés à Lampedusa en raison d’une surpopulation en juillet 2022, ledit article reflétant ainsi la situation dans un camp de réfugié déterminé l’été dernier, et non pas la situation générale des demandeurs de protection internationale en Italie à la date d’aujourd’hui.

Force est dès lors de retenir qu’en l’espèce, le demandeur, qui n’avait pas encore déposé de demande de protection internationale en Italie avant de venir au Luxembourg, n’apporte aucun élément concret de nature à établir qu’il risquerait personnellement des mauvais traitements en cas de retour en Italie. En effet, il n’établit pas que, personnellement et concrètement, ses droits ne seraient pas garantis en Italie, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale transférés en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ces derniers n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore relevé que l’Italie est signataire de la Charte, de la CEDH, de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Dans la mesure où le demandeur est dès lors resté en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités italiennes n’analyseraient pas correctement sa demande de protection internationale et qu’il n’aurait pas accès à la justice italienne pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, que ce soit en relation avec la décision sur sa demande de protection internationale ou avec son accès aux conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, le moyen du demandeur basé sur l’existence de défaillances systémiques en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III entraînant une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte est rejeté.

Néanmoins, dans ce cadre, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable14.

Il échet dès lors d’analyser le moyen du demandeur tiré de la violation par le ministre de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte pris isolément.

14 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

16Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte15, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant16.

Le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat.

Il appartient dès lors au tribunal de procéder à la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé17.

Or, force est de constater que le demandeur n’a avancé ni lors de son entretien Dublin III ni dans son recours des éléments suffisamment concrets et plausibles tenant à sa situation personnelle de nature à démontrer qu’en cas de transfert, il serait personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités italiennes avant de le transférer.

Il ne se dégage dès lors pas des éléments soumis au tribunal que le transfert du demandeur vers l’Italie l’exposerait au risque de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 et 4 de la CEDH.

Enfin, quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, le tribunal relève que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ». A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui 15 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

16 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 88.

17 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

17accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres18, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201719. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge20, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration21.

En l’espèce, le demandeur invoque son risque d’être exposé à des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en cas de transfert en Italie pour conclure que le ministre aurait dû faire application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III.

Or, étant donné que le tribunal vient de rejeter le moyen tiré d’une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte et que, tel que retenu ci-avant, il ne ressort d’aucun élément soumis à son appréciation que le demandeur se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière, il n’entrevoit pas d’éléments de nature à justifier dans le cas du demandeur le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III. A cet égard, il convient encore de rappeler en ce qui concerne les affirmations du demandeur que les autorités italiennes ne pourraient lui assurer un logement décent, que celles-ci sont à rejeter alors que le demandeur a lui-même déclaré lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration du 8 décembre 2022 avoir été hébergé dans un foyer après avoir franchi la frontière italienne. Quant aux développements du demandeur selon lesquels « […] les raisons humanitaires et les circonstances exceptionnelles liées au séisme en Syrie, qui ont conduit à la disparition des membres de la famille du requérant auraient dû présider et guider l'analyse du Ministre […] notamment eu égard au respect de l'unité familiale du requérant », il convient de retenir, à l’instar de la partie étatique que ceux-ci sont à écarter dans le mesure où le demandeur était déjà demandeur de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 24 novembre 2022, soit plusieurs mois avant le séisme en Syrie dont il fait état.

Au vu des considérations qui précèdent, le moyen tiré de la violation par le ministre de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III est à son tour à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

18 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

19 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

20 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 58 et les autres références y citées.

21 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

18reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 avril 2023 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 avril 2023 Le greffier du tribunal administratif 19


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 48690
Date de la décision : 05/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 22/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-04-05;48690 ?

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