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28/03/2023 | LUXEMBOURG | N°48641

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 mars 2023, 48641


Tribunal administratif N° 48641 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48641 3e chambre Inscrit le 6 mars 2023 Audience publique du 28 mars 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48641 du rôle et déposée le 6 mars 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Radu Alain DUTA, av

ocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsie...

Tribunal administratif N° 48641 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48641 3e chambre Inscrit le 6 mars 2023 Audience publique du 28 mars 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48641 du rôle et déposée le 6 mars 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Radu Alain DUTA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Syrie), de nationalité syrienne, assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer (SHUK), tendant d’après le dispositif de la requête introductive d’instance à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 février 2023 de le transférer vers l’Autriche comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Radu Alain DUTA et Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PEREDERIY en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 mars 2023.

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Le 10 janvier 2023, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche dans la base de données EURODAC, que Monsieur … avait précédemment déposé une première demande de protection internationale en Autriche en date du 16 novembre 2022.

Par arrêté du 16 janvier 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le 17 janvier 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois.

Le 17 janvier 2023, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 18 janvier 2023, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités autrichiennes en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, sur base de la considération que l’intéressé avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Autriche, demande qui fut acceptée tacitement par ces dernières en date du 2 février 2022 conformément à l’article 25, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

Par décision du 28 février 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’il sera transféré vers l’Autriche, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, le ministre invoquant plus particulièrement les dispositions de l’article 28 paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 paragraphe (1) point b) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 10 janvier 2023 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 18(1)b et 25(2) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Autriche qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judicaire du 10 janvier 2023 et le rapport d’entretien Dublin Ill sur votre demande de protection internationale du 17 janvier 2023.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 10 janvier 2023, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

2 La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Autriche en date du 16 novembre 2022.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 17 janvier 2023.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 18 janvier 2023 une demande de reprise en charge aux autorités autrichiennes sur base de l’article 18(1)b du règlement DIII, demande qui fut tacitement acceptée par lesdites autorités autrichiennes en date du 2 février 2023, conformément à l’article 25(2).

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point b) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

La responsabilité de l’Autriche est acquise suivant l’article 25(2) du règlement DIII en ce que l’absence de réponse à l’expiration d’un délai de deux semaines équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de reprendre en charge la personne concernée.

Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert 3 En l’espèce, il ressort des résultats du 10 janvier 2023 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Autriche en date du 16 novembre 2022.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Syrie en 2017 afin de vous rendre en Turquie. Vous y auriez vécu et travaillé jusqu’en 2021 où vous seriez parti en Grèce à l’aide d’un passeur. Après un séjour d’environ trois semaines en Grèce, vous auriez continué votre trajet en passant par les pays de Balkans et la Hongrie avant d’arriver en Autriche. Selon vos dires, vous y auriez donné vos empreintes, mais vous n’auriez pas eu l’intention d’introduire une demande de protection internationale. Vous seriez resté quelques jours en Autriche et vous seriez ensuite parti chez un ami à …/Allemagne pour une durée d’environ deux mois.

Finalement, vous auriez pris le train pour venir au Luxembourg.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 17 janvier 2023, vous avez fait mention de souffrir de tachycardie depuis votre départ de la Syrie. Egalement, vous déclarez avoir des problèmes de dents. Cependant vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Autriche qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l’Autriche est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Autriche est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Autriche profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. Par conséquent, l’Autriche est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la C.IUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Autriche sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires autrichiennes.

4 Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l’Autriche ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Autriche revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers l’Autriche, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Autriche, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Autriche en informant les autorités autrichiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités autrichiennes n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2023, inscrite sous le numéro 48641 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 28 février 2023.

L’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, introduit par la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protectioninternationale et à la protection temporaire, publiée au Mémorial en date du 1er juillet 2021, prévoit dorénavant un recours en réformation, suspensif de plein droit, contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi.

Le tribunal constate, tel que retenu ci-avant, que Monsieur … a introduit, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, auquel le tribunal est en principe seul tenu, un recours en annulation contre la décision ministérielle du 28 février 2023, alors que la loi du 18 décembre 2015, telle que modifiée, prévoit désormais un recours en réformation.

L’introduction d’un recours en annulation dans une matière prévoyant un recours au fond n’est pas de nature à entraîner l’irrecevabilité du recours, alors qu’il est de jurisprudence constante que si, dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité et à condition d’observer les règles de procédure spéciales pouvant être prévues et des délais dans lesquels le recours doit être introduit1.

Le recours en annulation est partant recevable dans la mesure où des moyens d’annulation soulevés, ledit recours ayant été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

Arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique avoir quitté la Syrie en raison de la guerre civile qui y règnerait depuis plus d’une décennie, guerre qui aurait appauvri le peuple syrien, lequel devrait faire face à la famine et à l’apparition d’épidémies. Il précise encore qu’en tant que soldat de l’armée syrienne, refusant de commettre des exactions au nom du régime en place, il aurait été contraint de déserter et par la suite de fuir afin d’éviter les persécutions dont il aurait fait l’objet.

En droit, le demandeur déclare dans un premier temps se rapporter à prudence de justice en ce qui concerne le respect, par le ministre, de la procédure applicable à la « prise/reprise en charge d’une demande de protection internationale » et notamment en ce qui concerne le respect des délais prévus aux articles 21 et suivants du règlement Dublin III.

Il donne plus particulièrement à considérer qu’il ignorerait pourquoi sa demande de protection internationale aurait fait l’objet d’une procédure différente de celles des autres demandes, alors qu’il n’aurait pas été informé dans une langue qu’il comprend de l’application du règlement Dublin III et ce en violation de l’article 4 du même règlement, le demandeur ajoutant que la décision ministérielle litigieuse n’aurait pas été traduite en langue arabe.

Dans un deuxième temps, le demandeur fait valoir que la motivation à la base de la décision ministérielle litigieuse serait incomplète, voire erronée dans la mesure où il se serait vu notifier une décision de 4 pages, dont la 2ième page évoquerait un entretien Dublin III du 13 octobre 2022, ainsi qu’un transit par la Croatie où une décision de protection internationale aurait été prise et une demanderesse et non pas un demandeur de protection 1 Trib. adm., 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n° 2 et les autres références y citées.internationale, Monsieur … ajoutant que la décision en question aurait en outre été adressée à un avocat autre que le sien.

Le demandeur en conclut que la motivation à la base de la décision qu’il se serait vu notifier correspondrait à deux dossiers différents et serait partant étrangère à son propre cas, de sorte qu’il y aurait lieu d’annuler la décision en question pour défaut de motivation, le demandeur s’emparant à cet égard de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ».

Monsieur … ajoute qu’il serait de jurisprudence que l’administration ne pourrait pas se limiter à employer des formules générales et abstraites et il estime que si la décision lui notifiée serait certainement le résultat d’une erreur de secrétariat, cette erreur serait toutefois trop grave pour pouvoir être régularisée, alors que le tribunal ne serait pas en mesure de contrôler la légalité de l’acte en question.

A titre subsidiaire, le demandeur fait plaider que la décision ministérielle litigieuse devrait encourir l’annulation pour erreur manifeste d’appréciation, dans la mesure où les motifs à sa base seraient étrangers à son propre cas.

En s’emparant ensuite de l’article 2 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte), ci-après désignée par « la directive 2011/95/UE », il conteste avoir déposé une demande de protection internationale en Autriche, alors qu’il y aurait uniquement fait l’objet d’un relevé d’empreintes digitales, le demandeur ajoutant ne pas vouloir obtenir une protection internationale dans ce même pays, alors que la langue y parlée serait trop difficile à apprendre et que la population autrichienne serait hostile à l’immigration. Il relève encore dans ce contexte que les autorités autrichiennes n’auraient jamais accepté formellement de le reprendre en charge, mais se seraient bornées à affirmer que sa situation sera examinée sur place et qu’une décision sera prise le moment venu, pour conclure que les autorités luxembourgeoises seraient compétentes pour examiner sa demande de protection internationale.

Le demandeur fait ensuite état de divers problèmes de santé, à savoir « angoisse, tachycardie, céphalées, maux de dents », dont l’origine pourrait être aussi bien bénigne qu’extrêmement grave, tout en précisant qu’un médecin généraliste lui aurait prescrit un traitement médical pour lutter contre ces maux. Compte tenu de cet état de santé, pour lequel il ne serait pas établi qu’il puisse être transféré en Autriche, le demandeur, en se basant sur l’article 130 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », estime qu’il ne saurait être éloigné du territoire luxembourgeois.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A l’appui de ses conclusions, il fait plus particulièrement valoir que, contrairement aux affirmations du demandeur, celui-ci ne se serait pas vu notifier une décision faisantréférence à un autre dossier, mais que ce ne serait qu’au moment de l’envoi du dossier administratif au litismandataire du concerné qu’une erreur aurait vraisemblablement été commise. La décision de transfert effectivement notifiée au demandeur serait quant à elle motivée en fait et en droit, de sorte que les contestations du concerné à cet égard seraient à rejeter. La partie étatique ajoute que conformément à la jurisprudence en la matière, elle aurait, en tout état de cause toujours la possibilité de compléter sa motivation.

Le délégué du gouvernement réfute ensuite les affirmations du demandeur quant à un prétendu non-respect de la procédure de « prise/reprise en charge de l’examen d’une demande de protection internationale » et quant aux délais prévus aux articles 21 et suivants du règlement Dublin III, en faisant valoir qu’outre le fait que ces développements ne seraient pas suffisamment circonstanciés, la procédure visée à l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 ainsi qu’à l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin, de même que les délais prévus au prédit règlement auraient bien été respectée en l’espèce.

Après avoir encore contesté que le demandeur n’aurait pas été mis en mesure de comprendre pourquoi sa demande de protection internationale aurait fait l’objet « d’une procédure différente » que d’autres demandes, la partie étatique réfute encore toute violation de l’article 4 du règlement Dublin III.

Quant aux contestations du demandeur en ce qui concerne le dépôt effectif d’une demande de protection internationale en Autriche, la partie étatique fait valoir qu’un tel dépôt ressortirait à suffisance des recherches effectuées dans la base de données EURODAC. Il fait en outre valoir que le règlement Dublin III viserait à lutter contre le « forum shopping » pour conclure au caractère non fondé des développements du demandeur en ce qui concerne son refus de se voir octroyer une demande de protection internationale en Autriche.

Finalement, le délégué du gouvernement exclut toute application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III en arguant que les prétendus problèmes de santé du demandeur ne seraient appuyés par aucun certificat médical et qu’en tout état de cause, il existerait une présomption qu’en cas de besoin, des traitements médicaux adéquats seraient offerts au demandeur en Autriche.

Appréciation du tribunal S’agissant des critiques du demandeur en ce qui concerne la légalité externe de la décision ministérielle litigieuse, basées principalement sur un défaut de motivation de ladite décision compte tenu du fait qu’il se serait vu notifier une décision contenant une motivation étrangère à son propre cas, force est de souligner qu’indépendamment de la question de savoir si le demandeur s’est effectivement vu notifier une telle décision, ce qui est contesté par la partie étatique, il est de jurisprudence constante que si motifs sur lesquels repose l’acte, ne sont pas indiqués avec une précision suffisante dans l’acte administratif même, ils peuvent encore être précisés au plus tard au cours de la procédure contentieuse pour permettre à la juridiction administrative d’exercer son contrôle de légalité2.

Ainsi, si en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, toute décision administrative doit reposer sur des motifs de fait et de droit juridiquement 2 Trib. adm., 26 avril 2004, n° 17153 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 87, (2e volet) et les autres références y citées.admissibles et indiquer formellement les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle rentre dans une des hypothèses énumérées de manière limitative à l’alinéa 2 de l’article 6 précité, dont notamment les décisions refusant, comme en l’espèce, de faire droit à la demande de l’intéressé, il n’en reste pas moins qu’il est de jurisprudence que la sanction de l’absence de motivation ne consiste pas dans l’annulation de l’acte visé, mais dans la suspension des délais de recours et que celui- ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse.

A cet égard il convient de noter que dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a bien complété la motivation à la base de la décision ministérielle litigieuse en rappelant que d’après les recherches effectuées dans la base de données EURODAC, le demandeur a déposé préalablement une demande de protection internationale en Autriche, que les autorités autrichiennes ont acceptée tacitement de le reprendre, informations qui figuraient d’ailleurs déjà sur la décision que le demandeur affirme s’être vu notifier, et en expliquant le mécanisme du règlement Dublin III, lequel a notamment pour but d’éviter le « forum shopping », ainsi que la raison pour laquelle le ministre a exclu l’application de l’article 17 du règlement Dublin III dans le chef du demandeur.

Dans la mesure où le demandeur avait, avant l’introduction du recours sous analyse, connaissance de la base légale de la décision litigieuse, qu’il s’est vu expliquer que cette même décision repose sur la considération qu’il a précédemment introduit une demande de protection internationale en Autriche et que les autorités autrichiennes ont accepté tacitement de reprendre l’examen de sa demande, ces données ayant figuré sur les deux premières pages de la décision qu’il affirme s’être vu notifier, et que par la suite il s’est vu soumettre une motivation supplémentaire par le délégué du gouvernement, le moyen relatif à un défaut de motivation est à rejeter, étant encore relevé à cet égard, que si le demandeur devait avoir estimé qu’il n’a pas utilement pu prendre position quant à l’ensemble de la motivation de la décision litigieuse, il aurait pu solliciter la production d’un mémoire complémentaire, ce qu’il a toutefois omis de faire.

Pour être tout à fait complet, il convient encore de noter que si le demandeur devait effectivement s’être vu notifier une décision qui n’a que partiellement trait à son propre cas, cette circonstance laisserait plutôt conclure à une motivation erronée et non pas à un défaut de motivation.

Quant aux affirmations du demandeur selon lesquelles il se rapporterait à prudence de justice en ce qui concerne concerne le respect, par le ministre, de la procédure applicable à la « prise/reprise en charge d’une demande de protection internationale » et notamment en ce qui concerne le respect des délais prévus aux articles 21 et suivants du règlement Dublin III, celles-ci sont à rejeter alors que le demandeur reste en défaut de préciser quel article aurait été concrètement violé par le ministre et dans quelle mesure celui-ci aurait été violé, étant rappelé à cet égard qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, un tel moyen simplement suggéré étant en effet à rejeter.

Quant aux développements du demandeur selon lesquels il aurait ignoré les raisons pour lesquelles « il a fait l’objet d’une procédure différente de celle des autres demandes d’asile ainsi que la finalité de cette procédure », développements basés sur une prétendueviolation de l’article 4 du règlement Dublin III, il échet de rappeler que ledit article prévoit qu’un demandeur de protection internationale doit se voir transmettre les informations y visées, à savoir celles tenant à l’application et aux objectifs dudit règlement, ainsi qu’aux conséquences d’un dépôt d’une demande en obtention d’une protection internationale dans un autre Etat membre, de même que celles tenant aux critères de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, à l’entretien individuel et à la possibilité de contester la décision de transfert, respectivement au fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant ou encore à l’existence du droit d’accès à ces données dans une langue dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend, en l’occurrence la langue arabe. Il ressort encore dudit article 4 du règlement Dublin III que les informations en question sont transmises au demandeur de protection internationale par écrit par le biais d’une brochure commune à tous les Etats membres et peuvent encore être précisées oralement dans le cadre de l’entretien individuel.

En l’espèce, le reproche du demandeur selon lequel il n’aurait, à aucun moment, été éclairé sur les raisons pour laquelle il a été fait application du règlement Dublin III, est contredit par les documents versés en cause.

Ainsi, il ressort des éléments du dossier administratif que le jour même du dépôt de sa demande de protection internationale, le demandeur s’est vu remettre une brochure d’informations rédigée en langue arabe, Monsieur … ayant, en effet, signé le document par lequel il certifie avoir « reçu en mains propres et [avoir] pris connaissance du document suivant: (…) Brochure d’informations Dublin partie B en langue arabe ».

Force est encore de constater qu’il ressort du procès-verbal de l’entretien Dublin III ayant eu lieu en date du 17 janvier 2023, que cet entretien a été mené en langue arabe, que le demandeur a notamment été informé, préalablement à son audition, non seulement du fait que l’objectif dudit entretien était de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, conformément aux dispositions du règlement Dublin Ill, mais également de ce qu’en application dudit règlement, un autre Etat membre pourrait être considéré comme étant responsable de sa demande de protection internationale, auquel cas il serait transféré vers l’Etat membre responsable. Il en ressort encore qu’à la fin de cette audition, le demandeur a signé une « déclaration finale faite par l’intéressé » certifiant que « L’entretien ci-dessus a été fait en langue arabe et il n’y avait pas de problèmes de compréhension entre les parties présentes et moi-même », cette déclaration ayant encore été traduite oralement au demandeur par un interprète qui a également signé le rapport d’entretien Dublin III.

Il s’ensuit que le demandeur n’est pas fondé à soutenir ne pas s’être vu expliquer les raisons pour lesquelles le ministre a fait application du règlement Dublin III et ne pas avoir compris ces raisons, de sorte que le moyen relatif à une violation de l’article 4 du règlement Dublin III est également à rejeter pour ne pas être fondé.

Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur selon lesquels la décision de transfert n’aurait pas été traduite en langue arabe, alors que contrairement à ce que semble suggérer ce dernier, l’article 4 paragraphe (2) du règlement Dublin III ne contient pas de disposition quant aux langues dans lesquelles les décisions de transfert prises dans le cadre de l’article 28 paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 doivent être rédigées ou notifiées, ladite disposition imposant en effet uniquement que les informations telles que celles prévues au paragraphe (1) dudit article soient données dans unelangue que l’intéressé comprend ou dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend, ce qui a été le cas, en l’espèce, puisque le tribunal vient de retenir que ces informations lui ont été données tant par écrit, sous forme d’une brochure traduite en arabe, qu’oralement, lors de son entretien du 17 janvier 2023, en langue arabe.

S’agissant ensuite de la légalité interne de la décision attaquée, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités autrichiennes pour le traitement de la demande de protection internationale du demandeur, respectivement de ses suites, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre ».

Enfin, l’article 25 paragraphe (2) du règlement Dublin III sur lequel le ministre s’est encore basé pour conclure à la responsabilité des autorités autrichiennes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que « L’absence de réponse à l’expiration du délai d’un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. ».

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers l’Autriche et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait l’Autriche, en ce qu’il y avait introduit une demande de protection internationale le 16 novembre 2022 et que les autorités autrichiennes avaient accepté tacitement de le reprendre en charge le 2 février 2023 conformément à l’article 25 paragraphe (2) du règlement Dublin III, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat et de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Cette conclusion n’est pas énervée par les affirmations du demandeur consistant à mettre en doute que les autorités autrichiennes vont effectivement procéder à l’examen de sa demande de protection internationale du fait qu’elles n’ont pas explicitement accepté la demande de reprise en charge leur adressée par leurs homologues luxembourgeois, une telle acceptation tacite étant, comme précisé ci-avant, expressément prévue par l’article 25, paragraphe (2) du règlement Dublin III aux termes duquel « L’absence de réponse à l’expiration du délai d’un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. ». Par ailleurs, il résulte de la note du « Federal Office for Immigration and Asylum » du 7 novembre 2022 figurant au dossier administratif, de laquelle il résulte que si l’Autriche n’est certes plus en mesure d’envoyer des décisions d’acceptation expresse de prise/reprise en charge en raison de la charge de travail trop importante de l’unité autrichienne Dublin III, il n’en reste pas moins que les autorités autrichiennes examinent toutes les demandes de prise/reprise en charge et que dans les cas où après examen elle constate qu’elle est responsable, elle donne son acceptation par défaut.

Ensuite et si, de par ses affirmations qu’il n’aurait jamais déposé une demande de protection internationale en Autriche, et qu’il n’aurait, par ailleurs, jamais eu l’intention de ce faire, le demandeur entend contester la compétence de principe de l’Autriche pour le traitement de sa demande de protection internationale, il y a lieu de relever qu’en application du mécanisme de détermination de l’Etat responsable prévu par l’article 18 paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, l’Autriche est désignée comme étant responsable précisément au motif de l’introduction par le demandeur d’une demande de protection internationale auprès des autorités autrichiennes, cette information ressortant sans équivoque de la consultation de la base de données EURODAC, « système de comparaison des données dactyloscopiques pour aider à la mise en œuvre de la politique de l’Union en matière d’asile »3, dont la fiabilité ne saurait être remise en cause par la seule allégation non autrement étayée du demandeur selon laquelle il n’aurait jamais déposé de demande de protection internationale en Autriche, étant encore précisé à cet égard que cette même allégation formulée dans le cadre du présent recours, est d’ailleurs contredite par les affirmations du demandeur au cours de son entretien Dublin III du 17 janvier 2023, le demandeur y ayant en effet répondu par l’affirmative à la question de savoir s’il a introduit une demande de protection internationale en Autriche4, tout en ayant précisé que « la procédure est toujours en cours/je suis parti sans attendre une réponse à ma demande ».

Sur base de ces considérations et eu égard à l’acceptation tacite par les autorités autrichiennes de reprendre en charge le demandeur sur le fondement de l’article 18 paragraphe (1), point b), disposition visant justement l’hypothèse d’un « demandeur dont la demande est en cours d’examen », celui-ci reste, en tout état de cause, en défaut d’établir que les autorités luxembourgeoises auraient fait une application erronée des critères de responsabilité prévus au chapitre 3 du règlement Dublin III. En effet, le règlement Dublin III prévoit des critères 3 Considérant 37 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d’Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et relatif aux demandes de comparaison avec les données d’Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) n°1077/2011 portant création d’une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

4 Page 5 /7 de l’entretien du 17 janvier 2023. objectifs de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale et ledit règlement a été, entre autres, adopté, tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, afin d’éviter le « forum shopping », de sorte que le fait que le demandeur n’aurait jamais souhaité introduire une demande de protection internationale en Autriche n’est pas à prendre en considération dans la procédure de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale.

Le tribunal relève ensuite que le ministre ne saurait déroger à l’application du règlement Dublin III et se déclarer compétent pour connaître de la protection internationale d’un ressortissant d’un pays tiers, nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre, que dans le cadre de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, et ce compte tenu de l’existence de défaillances systémiques existantes dans l’Etat membre requis, ou dans le cadre de l’article 17 du règlement Dublin III, disposition ne permettant toutefois pas à un demandeur de protection internationale individuel de choisir lui-même par quel pays il souhaite voir traiter sa demande de protection internationale, mais offrant uniquement à un Etat membre la possibilité, lorsque cela se révèle nécessaire ou opportun, de prendre lui-même la responsabilité du traitement d’une demande de protection internationale, sans qu’il ne puisse être déduit des termes de l’article 17 paragraphe (1) du règlement Dublin III une obligation pour un Etat membre de traiter une demande protection internationale, lorsque sur la base des critères repris au chapitre III dudit règlement, il est constaté qu’un autre Etat membre doit traiter cette demande.

Force est de constater qu’en l’espèce, le demandeur ne conclut pas à l’existence de défaillances systémiques qui existeraient en Autriche, mais il estime, compte tenu de son état de santé, qu’il ne saurait être éloigné du Luxembourg, le demandeur se basant à cet égard sur l’article 130 de la loi du 29 août 2008. Dans ce contexte, il convient d’abord de noter que si, tel que relevé à juste titre par la partie étatique, l’article 130 de la loi du 29 août 2008 n’est pas applicable aux décisions de transfert, les considérations quant à l’état de santé du demandeur sont toutefois à examiner dans le cadre du prédit article 17 paragraphe (1) du règlement Dublin III aux termes duquel « « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».

A cet égard, il convient d’abord de rappeler que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres5, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 20176.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge7, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours 5 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 88 et 97.

7 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 58 et les autres références y citées.en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration8.

Comme retenu ci-avant, le demandeur invoque son état de santé pour affirmer qu’il existerait des motifs qui auraient dû amener le ministre à décider la prise en charge de sa demande de protection internationale par le Luxembourg nonobstant la compétence de principe de l’Autriche.

Force est toutefois de constater que le demandeur reste en défaut de verser un quelconque certificat médical permettant de démontrer la réalité de ces prétendus problèmes de santé et a fortiori d’établir la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci.

En outre, le tribunal relève qu’il ne se dégage d’aucun élément soumis à son appréciation, ni même d’ailleurs des explications du demandeur lui-même, qu’il ne pourrait pas bénéficier en Autriche des soins médicaux dont il pourrait le cas échéant avoir besoin.

Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale, au système de santé autrichien, quod non, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités autrichiennes en usant des voies de droit internes, voire devant les instances européennes adéquates.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1) premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers l’Autriche par le biais de la communication aux autorités autrichiennes des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal retient dès lors que les problèmes de santé tels qu’allégués par le demandeur ne sauraient s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférant encourt le rejet, pour ne pas être fondé.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut de tout autre moyen, le recours en annulation sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, 8 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 mars 2023 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Sibylle Schmitz, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 mars 2023 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 48641
Date de la décision : 28/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 22/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-03-28;48641 ?

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