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20/03/2023 | LUXEMBOURG | N°48587

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 mars 2023, 48587


Tribunal administratif N° 48587 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48587 2e chambre Inscrit le 24 février 2023 Audience publique du 20 mars 2023 Recours formé par Monsieur A, connu sous différents alias, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48587 du rôle et déposée le 24 février 2023 au greffe du tribunal

administratif par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Or...

Tribunal administratif N° 48587 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48587 2e chambre Inscrit le 24 février 2023 Audience publique du 20 mars 2023 Recours formé par Monsieur A, connu sous différents alias, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48587 du rôle et déposée le 24 février 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A, déclarant être né le … à … (Erythrée), alias A, déclarant être né le … à …, alias A, déclarant être né le … à …, de nationalité érythréenne, actuellement assigné à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 février 2023 de le transférer vers l’Italie comme étant l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pascale Petoud et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 mars 2023.

Le 14 octobre 2022, Monsieur A, connu sous différents alias, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 22 septembre 2022.

Afin de déterminer l’âge de Monsieur A, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-

après désigné par « le ministre », demanda en date du 14 octobre 2022 au Laboratoire National de Santé – service médico-judiciaire – département médecine légale, ci-après désigné par le « LNS », une expertise médico-légale, le rapport médico-légal (« Rechtsmedizinisches Gutachten 1 zur Altersschätzung ») y relatif du 24 octobre 2022 ayant attesté un âge minimal de 25 ans dans le chef de l’intéressé.

Le 3 novembre 2022, Monsieur A fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée-police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Par arrêté du 3 novembre 2022, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre ordonna l’assignation à résidence de Monsieur A à la SHUK pour une durée de trois mois.

Le même jour, Monsieur A fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

En date du 24 novembre 2022, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes en vue de la prise en charge de Monsieur A sur base de l’article 13 (1) du règlement Dublin III, tout en y joignant une copie du rapport d’expertise médico-légale du LNS du 24 octobre 2022.

Par courrier du 19 janvier 2023, les autorités italiennes s’adressèrent en les termes suivants aux autorités luxembourgeoises :

« Chers Messieurs aux termes de l art.34, nous vous informons que le jeune en question n est l objet que d une entrée illègale en Italie à Messine à la date 22.9.2022 à l age du … enregistré comme mineur et l an 2023 demeure mineure aussi.

Peu de jours après au mois d octobre le jeune en objet se deplaca chez vous en restant en Italie que une vingtaine de jours. […] ».

Par courrier du 25 janvier 2023, les autorités luxembourgeoises informèrent leurs homologues italiens qu’elles considéraient l’Italie comme ayant tacitement accepté la prise en charge de Monsieur A en date du même jour, en application de l’article 22 (7) du règlement Dublin III.

Par arrêté du 3 février 2023, le ministre prorogea l’assignation à résidence de Monsieur A à la SHUK pour une durée de trois mois.

Par décision du 14 février 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre informa Monsieur A que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base des dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles des articles 13 (1) et 22 (7) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 14 octobre 2022 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la 2 protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 13(1) et 22(7) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 3 novembre 2022. En mains également le rapport d'examen médico-légal du 24 octobre 2022.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 14 octobre 2022, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 22 septembre 2022.

Lors de l'introduction de votre demande de protection internationale au Luxembourg, vous avez déclaré être né en date du …. La date de naissance indiquée a cependant été remise en question et vous avez été convoqué pour un examen médical en vue de déterminer votre âge.

Vous avez consenti à un tel examen en signant la convocation et en vous présentant au rendez-

vous prévu. Cette expertise médicale du 20 octobre 2022 a confirmé votre majorité et estime votre âge réel à vingt-cinq ans au moins.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 3 novembre 2022.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 24 novembre 2022 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut tacitement acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 25 janvier 2023, conformément à l'article 22(7).

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

3 Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, conformément à l'article 13(1) du règlement DIII.

La responsabilité de l'Italie est acquise suivant l'article 22(7) du règlement DIII en ce que l'absence de réponse à l'expiration d'un délai de deux mois équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 14 octobre 2022 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 22 septembre 2022.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté l'Erythrée en 2020 et vous auriez passé deux ans chez des amis à Addis-Abeba/Ethiopie. Ensuite, vous seriez resté chez des passeurs en Libye pendant six mois avant de monter à bord d'une embarcation en direction de l'Italie en date du 22 septembre 2022. Vous seriez resté dans un foyer en Italie sans introduire une demande de protection internationale avant de traverser la France en train et d'arriver au Luxembourg.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 3 novembre 2022, vous avez déclaré avoir un rhume et avoir mal à la tête à cause du stress. Vous n'avez cependant fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

4 Monsieur, vous indiquez avoir quitté l'Italie sans introduire une demande de protection internationale parce que votre but aurait été de rejoindre le Luxembourg pour introduire une demande.

Rappelons à cet égard que l'Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S'il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d'accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d'importantes difficultés sur le plan de l'hébergement et des conditions de vie, il n'y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.

Notons dans ce contexte que l'Italie a adopté en date du 21 octobre 2020 le décret n° 130/2020 qui remplace la loi n° 132/2018 du 1er décembre 2018 et met en place le SAI (Sistema di accoglienza e integrazione). Ce nouveau système en matière d'accueil et d'intégration a réformé le système établi en 2018 et permet depuis lors d'améliorer l'accueil pour les demandeurs de protection internationale.

Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les 5 autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Italie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devait s'avérer nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n'ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 février 2023, Monsieur A a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 14 février 2023, précitée.

Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert visées à l’article 28 (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation sous 6 examen, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et au-delà des faits et rétroactes exposés ci-dessus, le demandeur explique qu’il serait de nationalité érythréenne et qu’il aurait fui l’Erythrée en 2020 pour rejoindre l’Ethiopie, où il serait resté deux ans. Il se serait ensuite rendu en Libye, via le Soudan, où il serait resté six mois dans un camp de passeurs dans des conditions inhumaines et dégradantes alors qu’il aurait été régulièrement privé de nourriture, insulté, menacé et battu.

A son arrivée en Italie après trois jours de traversée éprouvante de la Méditerranée, il aurait été contraint par les autorités italiennes de donner ses empreintes afin de pouvoir débarquer. Il explique qu’il n’aurait jamais eu l’intention d’introduire une demande de protection internationale en Italie, raison pour laquelle il aurait poursuivi sa route via la France pour finalement rejoindre le Luxembourg.

En droit, le demandeur se prévaut d’une violation de l’article 3 (2) du règlement Dublin III, au motif qu’un transfert vers l’Italie entraînerait, dans son chef, un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », compte tenu de la législation applicable aux demandeurs de protection internationale en Italie.

A ce titre, il s’empare d’un rapport de l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (OSAR) intitulé « Conditions d’accueil en Italie », initialement publié en janvier 2020 et mis à jour le 10 juin 2021, dans lequel cette dernière aurait souligné que si le tollé suscité par l’ancien ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini serait retombé, les conséquences de sa politique d’asile imprévoyante et misanthrope continueraient à se faire sentir, même si entre-temps, quelques-unes de ces modifications avaient déjà été corrigées sur le papier et parfois annulées par le ministre de l’Intérieur en fonctions, étant donné qu’un acte législatif ne pourrait pas immédiatement rétablir le statu quo antérieur.

Ainsi, même si le décret-loi italien n° 130/2020 du 21 octobre 2020, confirmé par la loi n°173/2020 du 18 décembre 2020, avait annulé de nombreuses restrictions de l’époque Salvini en modifiant notamment les conditions d’adjudication des centres « CAS » (strutture temporanee) qui permettraient une base financière moins précaire et l’accès des demandeurs d’asile au système d’accueil de second niveau « SAI », le changement n’existerait, jusqu’à présent, que sur le papier alors qu’il n’y aurait pas d’amélioration sensible au vu du manque de places disponibles.

Quant aux demandeurs d’asile transférés vers l’Italie en vertu du règlement Dublin III, qui seraient très probablement placés dans un CAS, du fait qu’il n’y aurait pas de nouveaux projets dans le système SAI et que les places disponibles dans l’ancien système « SPRAR » seraient insuffisantes, le rapport de l’OSAR noterait que de nombreuses organisations de protection des droits des demandeurs d’asile auraient souligné que l’accès à un CAS ne serait pas toujours garanti pour les demandeurs d’asile transférés vers l’Italie, qui seraient souvent livrés à eux-mêmes à leur arrivée dans les aéroports, sans aucun hébergement, alors que le risque serait grand pour ces personnes d’avoir perdu le droit à l’hébergement.

Le demandeur ajoute qu’aucun changement ne serait intervenu en ce qui concerne l’accès à la procédure d’asile et que l’OSAR renverrait dans le cadre de la mise à jour de son rapport à celui de janvier 2020 qui resterait toujours valable, tout en considérant que les temps d’attente seraient plus longs en raison de la pandémie.

7 Ainsi, l’accès à la procédure d’asile serait très difficile pour les personnes qui, pour diverses raisons, seraient exclues du système d’accueil public ou n’y seraient pas admises parce que les services de police (Questure), contrairement à ce que la loi prévoirait, exigeraient la preuve d’un logement privé pour procéder à l’enregistrement. Si le décret Salvini, selon lequel les demandeurs d’asile en Italie n’auraient pas la possibilité de demander une résidence, n’est certes plus en vigueur, ses répercussions se feraient néanmoins encore ressentir.

Le demandeur souligne encore qu’en raison des manquements persistants dans le système d’accueil décrit et des difficultés supplémentaires causées par la pandémie du virus COVID-19 en Italie, le rapport de l’OSAR maintiendrait ses recommandations de ne pas y renvoyer de manière générale les demandeurs d’asile vulnérables en cas de risque de violation de leurs droits de l’Homme, alors que les conditions d’accueil y resteraient très précaires, sauf s’il était possible de déterminer en détail et au cas par cas, par l’obtention de la part des autorités italiennes d’une garantie individuelle, que l’hébergement de la personne pourrait être assuré en dehors d’un hébergement d’urgence, tout en relevant que faute de garanties d’hébergement, les personnes touchées seraient confrontées à des difficultés matérielles extrêmes, aggravées par la pandémie du virus COVID-19 et par la mauvaise situation économique générale de l’Italie.

Il s’appuie encore sur deux articles de presse intitulés « Le Conseil de l’Europe condamne l’Italie pour son décret sur l’immigration », publié sur www.euractiv.fr, et « Réfugiés et demandeurs d’asile en Italie : exclus des systèmes d’accueil et en danger aux frontières », de l’organisation Médecins sans frontière, du 20 février 2018, mis à jour le 8 novembre 2019, pour soutenir que la situation actuelle en Italie se serait encore aggravée par (i) le flux important de migrants dans ce pays en 2022 alors qu’en vertu des derniers chiffres du ministère de l’Intérieur italien, 101.127 migrants auraient débarqué sur les côtes italiennes en 2022, correspondant à un chiffre supérieur au total des deux années précédentes et (ii) la politique migratoire italienne qui tendrait clairement à réduire la prise en charge des migrants.

Il rappelle, à cet égard, que la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », aurait précisé dans un arrêt du 4 novembre 2014, dans l’affaire Tarakhel c. Suisse, requête n° 29217/12, que l’expulsion d’un demandeur d’asile par un Etat contractant pourrait soulever un problème au regard de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et donc engager la responsabilité de l’Etat en cause, ce qui impliquerait, le cas échant, l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays.

La même position aurait été adoptée par la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », laquelle aurait retenu, dans un arrêt du 16 février 2018, dans l’affaire C.K. et autres contre Republika Slovenija, que le transfert de demandeurs d’asile dans le cadre du système du règlement Dublin III pourrait, dans certaines circonstances, être incompatible avec l’interdiction prévue à l’article 4 de la Charte et que les Etats membres seraient liés, dans l’application de celui-ci, par la jurisprudence de la CourEDH relative à l’article 3 de la CEDH.

De plus, le demandeur fait valoir que dans son arrêt Abubacarr Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland du 19 mars 2019, la CJUE aurait retenu que l’article 4 de la Charte devrait être interprété en ce sens qu’il ne s’opposerait pas à un transfert du demandeur de protection internationale, à moins que la juridiction saisie d’un recours contre la décision de transfert ne constate, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du 8 standard de protection des droits fondamentaux garantis par le droit de l’Union, la réalité de ce risque pour ce demandeur, en raison du fait qu’en cas de transfert, celui-ci se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême.

Il ajoute que les défaillances systémiques de l’Italie en matière d’asile auraient été reconnues par des juridictions nationales de plusieurs Etats membres, en se référant à titre d’exemple à un jugement du tribunal administratif de Rennes du 26 décembre 2017, n°1705747, à un jugement du tribunal administratif de Marseille du 4 octobre 2021, n°2108257, à un jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 janvier 2022, n°220517, et à un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belge du 5 mai 2022, n°272323.

Le demandeur fait remarquer qu’en l’espèce, il ne serait pas établi, et d’ailleurs formellement contesté, que les autorités italiennes aient donné des garanties individuelles quant à une prise en charge de sa part et ce alors même qu’il serait atteint d’une hépatite B, maladie potentiellement mortelle pouvant entraîner une infection chronique causant de graves dommages au foie avec un risque important de décès par cirrhose ou cancer du foie, de sorte qu’il nécessiterait une prise en charge adaptée.

Son renvoi en Italie sans obtention par les autorités luxembourgeoises de garanties individuelles quant à une prise en charge adaptée de sa pathologie serait à assimiler à une violation des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, de sorte que la décision de transfert devrait encourir « l’annulation ».

Le demandeur sollicite finalement la réformation de la décision déférée pour violation de l’article 17 (1) du règlement Dublin III, en estimant que le ministre omettrait de le considérer comme une personne vulnérable au sens de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015. Il relève, à cet égard, qu’il résulterait du rapport d’entretien du 3 novembre 2022 que les questions posées en relation avec son vécu au cours de son voyage auraient été très succinctes. Il estime que pour déterminer son état de vulnérabilité, il aurait été utile de prendre en considération (i) les traitements inhumains et dégradants subis pendant les six mois de son séjour en Lybie où il aurait vécu « entassé » dans une tente avec 500 personnes, n’aurait reçu de l’eau et un repas qu’une seule fois par jour, n’aurait pu se laver qu’une seule fois par semaine dans des conditions indignes, aurait été régulièrement battu avec un tuyau d’arrosage sur tout le corps et aurait reçu des gifles, (ii) les conditions de sa traversée de la Méditerranée, sur une embarcation de fortune bondée, ne disposant que d’un peu d’eau potable et d’un morceau de pain par personne, pendant une durée de trois jours, lesquelles auraient « assurément » causé des traumatismes qui nécessiteraient, « le cas échéant », une prise en charge, et (iii) les conditions dans lesquelles il aurait été forcé de donner ses empreintes alors que suite au sauvetage de l’embarcation par un bateau allemand, les autorités italiennes seraient montées sur le bateau à la rencontre des personnes très affaiblies et auraient conditionné leur descente à terre à la prise de leurs empreintes donc avant tout soin et en dehors de leur consentement éclairé.

Ce serait ainsi à tort que l’autorité ministérielle n’aurait pas fait application de l’article 17 (1) du règlement Dublin III lui conférant la faculté de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui lui paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elle a la charge, et qu’il incomberait ensuite au juge administratif statuant en matière de recours en réformation « […] de vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration […] », le demandeur 9 s’appuyant à cet égard sur un jugement du tribunal administratif du 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, et sur un arrêt de la Cour administrative du 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’en présence de plusieurs moyens invoqués, il n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant1.

Aux termes de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

L’article 13 (1) du règlement Dublin III sur le fondement duquel la décision litigieuse a été également prise dispose, quant à lui, que « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un Etat membre dans lequel il est entré en venant d’un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière ».

Enfin, l’article 22 (7) du règlement Dublin III prévoit que « L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois [à compter de la date de réception de la requête de prise en charge] et du délai d’un mois [lorsque l’Etat membre requérant a invoqué l’urgence] équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte, même tacitement, la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Il est constant en l’espèce que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, de l’article 13 (1) et de l’article 22 (7) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Monsieur A, mais l’Italie, qui est considérée par le ministre comme ayant accepté tacitement de le prendre en charge à partir du 25 janvier 2023, en raison de l’absence de réponse à la demande luxembourgeoise envoyée le 24 novembre 2022.

1 Trib. adm., 31 mai 2006, n° 21060 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 515 et les autres références y citées.

10 Force est ensuite de constater que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Italie, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais invoque l’existence, en Italie, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, telles qu’elles se dégageraient des rapports et jurisprudences versés en cause. Le demandeur invoque par ailleurs une violation de l’article 17 (1) du règlement Dublin III, au motif que son état de vulnérabilité n’aurait pas été pris en compte à suffisance de droit.

A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1), précité, du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

L’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3 (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé2.

A cet égard, le tribunal relève que l’Italie est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, 2 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

11 dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5. Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE8, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20179.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201910 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens 3 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

4 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur www.jurad.etat.lu.

8 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

12 dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine11. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant12.

Le demandeur remettant en question la présomption du respect par l’Italie des droits fondamentaux, puisqu’il affirme y risquer des traitements inhumains et dégradants, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

En l’espèce, s’il est certes exact qu’il ressort du rapport OSAR invoqué par le demandeur que les autorités italiennes connaissent toujours certains problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, ce qui implique que ceux-ci risquent de se voir confrontés à des difficultés plus ou moins importantes suivant le cas de figure dans lequel ils se trouvent au niveau de l’accès à l’hébergement, aux soins et des conditions de vie en général, il ressort néanmoins également dudit rapport que depuis octobre 2020, l’Italie est revenue sur le durcissement de sa politique migratoire sous l’ère « Salvini », par le décret-loi de l’actuel ministre de l’Intérieur italien ayant rapporté de nombreuses restrictions dans le cadre de l’accueil des demandeurs de protection internationale, notamment par la possibilité pour les demandeurs d’asile de s’inscrire sur les registres de l’état civil et donc de posséder un domicile légal. Enfin, une protection spéciale est accordée aux personnes qui risquent des « traitements inhumains ou dégradants » en cas de retour dans leur pays d’origine, ou dans le cas où une expulsion irait « à l’encontre du droit à la vie privée et familiale » et les expulsions ou les rapatriements vers des pays où les droits de l’Homme ne sont pas respectés sont suspendus.

Si d’après les observations du rapport OSAR, ce retour à la normale prend un certain temps avant de porter des fruits sur le terrain, force est de constater que ce constat à lui seul est insuffisant pour permettre de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Italie, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4 de la Charte.

11 Ibid., pt. 92.

12 Ibid., pt. 93.

13 Quant à l’article intitulé « Le Conseil de l’Europe condamne l’Italie pour son décret sur l’immigration », disponible sur www.euractiv.fr, il porte sur un décret visant à réglementer les opérations de sauvetage en mer menées par des organisations non gouvernementales (ONG), de sorte à être sans lien avec la situation du demandeur puisque la décision déférée vise à le transférer dans le cadre du règlement Dublin III du Luxembourg vers l’Italie.

Ensuite, quant à l’article intitulé « Réfugiés et demandeurs d’asile en Italie : exclus des systèmes d’accueil et en danger aux frontières », de l’organisation Médecins sans frontière, du 20 février 2018, mis à jour le 8 novembre 2019, il s’agit d’un article qui traite de manière générale des conditions d’accueil en Italie, du refoulement par les autorités françaises des enfants non-accompagnés en Italie et de violences exercées à la frontière italienne-française tant par les autorités françaises qu’italiennes, qui ne permet pas non plus de conclure à l’existence, à l’heure actuelle, de défaillances systémiques en Italie, ce d’autant plus que l’article en question reflète la situation telle qu’elle se serait présentée il y a plus de cinq ans.

Les articles en question ne permettent dès lors pas de conclure à l’existence de défaillances systémiques dans les conditions d’accueil et la procédure d’asile en Italie.

Le tribunal tient encore à relever que si le demandeur invoque des jurisprudences isolées émanant de juridictions étrangères rendues dans des circonstances particulières et sans les mettre en relation avec la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle en Italie, respectivement avec sa situation personnelle, il reste toutefois en défaut d’invoquer une jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Italie, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Italie de ressortissants érythréens dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile italienne qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Par ailleurs, même s’il ressort des considérations du rapport OSAR, telles qu’invoquées par le demandeur, que la situation des demandeurs de protection internationale en Italie n’est pas encore tout à fait retournée à la normale, il y a cependant lieu de constater qu’aucun indice sérieux n’indique que sa procédure d’asile n’y serait pas conduite conformément aux normes imposées par la directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure »).

Force est dès lors de constater qu’en l’espèce, le demandeur, qui n’avait pas encore déposé de demande de protection internationale en Italie avant de venir au Luxembourg, étant donné qu’il ressort, dans ce cadre, de son rapport d’audition qu’il a refusé d’en déposer une parce qu’il ne voulait pas rester en Italie13, n’apporte aucun élément concret de nature à établir qu’il risquerait personnellement des mauvais traitements en cas de retour en Italie. En effet, il n’établit pas que, personnellement et concrètement, ses droits ne seraient pas garantis en Italie, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale transférés en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ces derniers n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des 13 Page 5 du rapport d’entretien : « Je ne voulais pas vivre en Italie. ».

14 autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates14, étant encore rappelé que l’Italie est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Ainsi, le demandeur est resté en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités italiennes n’analyseraient pas correctement sa demande de protection internationale et qu’il n’aurait pas accès à la justice italienne pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, que ce soit en relation avec la décision sur sa demande de protection internationale ou avec son accès aux conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.

Finalement, et en ce qui concerne le risque mis en avant dans le rapport OSAR d’un retrait du droit à un hébergement en cas de retour en Italie, force est de constater qu’il ne ressort ni du dossier administratif ni des déclarations du demandeur qu’il ferait l’objet d’un tel retrait en Italie, alors qu’il est constant qu’il n’y avait pas encore déposé de demande de protection internationale, de sorte qu’il ne saurait d’ores et déjà être reproché auxdites autorités, dans le cadre de leurs obligations découlant de la directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »), de ne pas mettre à sa disposition un logement ou un hébergement.

Au vu de ce qui précède, le moyen du demandeur basé sur l’existence de défaillances systémiques en Italie au sens de l’article 3 (2), alinéa 2, du règlement Dublin III entraînant une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte est rejeté.

Néanmoins, il convient encore de relever dans ce cadre que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable15.

Il y a dès lors lieu d’analyser le moyen du demandeur tiré de la violation par le ministre des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte pris isolément.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte16, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à 14 Voir article 26 de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

15 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

16 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

15 l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant17.

Le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat.

Il appartient dès lors au tribunal de procéder à la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé18.

Or, force est de constater que le demandeur n’a avancé ni lors de son entretien Dublin III ni dans son recours des éléments suffisamment concrets et plausibles tenant à sa situation personnelle de nature à démontrer qu’en cas de transfert, il serait personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités italiennes avant de le transférer.

En ce qui concerne plus particulièrement son affirmation suivant laquelle il serait à considérer comme une personne vulnérable, le tribunal constate que dans le cadre de son entretien avec l’agent ministériel, le demandeur a uniquement indiqué avoir été frappé par les passeurs en Lybie pour avoir plus d’argent19, sans avoir fait état du fait qu’il y aurait vécu « entassé » dans une tente avec 500 personnes, qu’il n’y aurait reçu de l’eau et un repas qu’une seule fois par jour, qu’il n’y aurait pu se laver qu’une seule fois par semaine dans des conditions indignes, et qu’il y aurait été régulièrement battu avec un tuyau d’arrosage sur tout le corps, de même qu’il n’a pas relaté les conditions de sa traversée de la Méditerranée pendant trois jours, et ce alors même qu’il a explicitement été questionné par rapport à son vécu lors de son trajet vers le Luxembourg. Le litismandataire du demandeur ne renseigne d’ailleurs pas davantage sur le vécu de Monsieur A lorsqu’il sollicite, à travers son courrier du 20 janvier 2023, l’application de l’article 17 (1) du règlement Dublin III. En outre, le demandeur a indiqué non seulement dans le cadre de son entretien avec l’agent ministériel n’avoir subi ni des blessures20 ni des séquelles corporelles21, mais il s’est encore abstenu de verser un quelconque document attestant qu’il souffrirait de stress post-traumatique ou d’autres problèmes de santé dus aux mauvais traitements qu’il aurait prétendument subis au long de son voyage. Le tribunal relève encore à cet égard que le demandeur ne précise pas les conditions dans lesquelles il aurait été forcé de donner ses empreintes aux autorités italiennes, ni les conséquences physiques et mentales que cette contrainte aurait eues sur lui.

17 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 88.

18 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

19 Page 5 du rapport d’entretien.

20 Page 5 du rapport d’entretien.

21 Page 6 du rapport d’entretien.

16 En ce qui concerne son état de santé, et plus précisément le fait qu’il est atteint d’une hépatite B, le tribunal constate tout d’abord que Monsieur A a uniquement déclaré dans le cadre de son entretien Dublin III souffrir d’un rhume et qu’il aurait toujours mal à la tête à cause du stress, tout en indiquant ne pas suivre de traitement médical spécifique22. Ensuite, il y a lieu de relever qu’il ne ressort ni du dossier administratif, ni d’un quelconque autre élément soumis au tribunal, tel un certificat médical, - le demandeur versant uniquement une ordonnance médicale du 18 janvier 2023, sollicitant une prise en charge de son hépatite B, et des analyses sanguines -, que l’état de santé du demandeur serait tel qu’il constituerait un obstacle à son transfert vers l’Italie.

Au vu de ces éléments et dans la mesure où le demandeur est resté en défaut de verser au tribunal une quelconque pièce de nature à justifier la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-

ci, les allégations y afférentes sont rejetées.

En outre, le tribunal relève qu’il ne se dégage de toute façon d’aucun élément tangible soumis à son appréciation que, de manière générale, les demandeurs de protection internationale en Italie n’auraient aucun accès à des traitements médicaux en cas de besoin.

Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché à l’autorité ministérielle de ne pas avoir sollicité de la part des autorités italiennes des garanties individuelles quant à une prise en charge « adaptée » du demandeur en raison de son prétendu état de vulnérabilité.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide italien était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si le demandeur devait estimer que le système italien n’était pas conforme aux normes européennes ; dans ce cas, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits sur base de la directive Procédure, ainsi que de la directive Accueil, directement auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates.

Au vu de ce qui précède et compte tenu des éléments soumis au tribunal, il échet de conclure que Monsieur A n’a pas démontré que le transfert vers l’Italie l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, respectivement 4 de la Charte, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Enfin, en ce qui concerne la violation de l’article 17 du règlement Dublin III, celui-ci prévoit que : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […]. ».

A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une 22 Page 2 du rapport d’entretien.

17 disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres23, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201724.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge25, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration26.

En l’espèce, le demandeur affirme que le ministre aurait dû faire application de l’article 17 du règlement Dublin III en raison de son prétendu état de vulnérabilité.

Or, tel que relevé ci-avant dans le cadre de l’analyse des moyens tirés d’une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, l’état de vulnérabilité avancé par le demandeur reste à l’état de pure allégation et n’est nullement documenté, le demandeur ne versant notamment aucune pièce dont il se dégagerait que son état de santé aurait atteint un degré de gravité particulière qui permettrait de retenir que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale alors même que cet examen incombe aux autorités italiennes.

Au vu des développements qui précèdent, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation par le ministre de l’article 17 (1) du règlement Dublin III est à son tour à rejeter.

Partant, et à défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

23 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

24 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

25 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 58 et les autres références y citées.

26 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

18 Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, juge Annemarie Theis, juge, et lu à l’audience publique du 20 mars 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 mars 2023 Le greffier du tribunal administratif 19


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48587
Date de la décision : 20/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-03-20;48587 ?

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