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20/03/2023 | LUXEMBOURG | N°46004

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 mars 2023, 46004


Tribunal administratif N° 46004 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46004 1re chambre Inscrit le 11 mai 2021 Audience publique du 20 mars 2023 Recours formé par Monsieur A et consort, …, contre un acte établit au nom de la commune de Käerjeng, en matière d’inscription au registre de la population

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46004 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 mai 2021 par Maître Romain Adam, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre de avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A

et de son épouse, Madame B, déclarés officiellement à L-…, tendant principaleme...

Tribunal administratif N° 46004 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46004 1re chambre Inscrit le 11 mai 2021 Audience publique du 20 mars 2023 Recours formé par Monsieur A et consort, …, contre un acte établit au nom de la commune de Käerjeng, en matière d’inscription au registre de la population

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46004 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 mai 2021 par Maître Romain Adam, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre de avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A et de son épouse, Madame B, déclarés officiellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une « décision rendue en date du 22 février 2021 par l’Administration communale de Käerjeng (…) portant refus de leur demande tendant à être inscrits sur le registre principal à l’adresse L-… (…), sinon, si par impossible cette décision en devait pas constituer une décision attaquable (…) [du] silence gardé par l’administration communale de Käerjeng pendant plus de trois mois valant refus implicite » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Kelly Ferreira Simoes, en remplacement de l’huissier de justice Carlos Calvo, demeurant à Luxembourg, du 14 mai 2021, portant signification de ce recours à l’administration communale de Käerjeng, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, ayant sa maison communale à L-4901 Bascharage, 24, rue de l’Eau ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 mai 2021 par Maître Georges Pierret, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale Käerjeng, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre 2021 par Maître Georges Pierret, au nom de de l’administration communale de Käerjeng, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 novembre 2021 par Maître Romain Adam, au nom de ses mandants, préqualifiés ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 novembre 2021 par Maître Georges Pierret, au nom de de l’administration communale de Käerjeng, préqualifiée ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour de la société à responsabilité limitée Etude d’avocats Pierret & associés SARL, inscrite au tableau V de l’ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1730 Luxembourg, 8, rue de l’Hippodrome, immatriculée au registre de commerce et sociétés de Luxembourg sous le numéro B263981, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges Pierret, préqualifié ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Melvin Roth, en remplacement de Maître Romain Adam, et Maître Sébastien Coï, en remplacement de Maître Georges Pierret, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 novembre 2022.

Vu l’avis du tribunal administratif du 7 mars 2023 prononçant la rupture du délibéré en vue d’un changement de composition ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport complémentaire à l’audience publique du 15 mars 2023.

___________________________________________________________________________

En date du 3 février 2011, Monsieur A introduisit une « Demande d’habitation principale » auprès de l’administration communale de Bascharage afin d’établir sa résidence habituelle à L-….

En date du 22 mars 2011, l’administration communale de Bascharage fit parvenir à Monsieur A un document intitulé « déclaration » à travers laquelle se déclare, en cas de signature, d’accord à renoncer à réclamer à la commune de devoir fournir un quelconque service public, l’administration communale de Bascharage se déclarant en contrepartie d’accord à tolérer l’adresse précitée comme résidence habituelle de Monsieur A.

Par courrier du 8 août 2014, le bourgmestre de la commune de Käerjeng, ci-après désigné par « le bourgmestre », informa Monsieur A de ce qui suit :

« (…) Suite à votre demande, l’Administration Communale de Käerjeng vous autorise à établir votre résidence habituelle au n° … de la « … » à L-….

Toutefois, comme son habitation se situe en zone verte, hors du périmètre d’agglomération de la commune de Bascharage, l’Administration Communale ne saurait, pour autant, être astreinte ultérieurement à devoir assurer, assumer, garantir ou prendre à sa charge l’un quelconque des services publics qu’elle doit fournir à ses citoyens, dont l’immeuble d’habitation se situe à l’intérieur de zone urbaine constructible, tels enlèvement des ordures, entretien des routes, mise en place et entretien des canalisations…etc.

La présente liste est simplement énumérative et non pas à considérer comme exhaustive.

Par la signature de la déclaration annexée à la présente, vous vous engagez expressément et irrévocablement, à renoncer, tant pour le présent que pour le futur, à réclamer envers l’Administration Communale de devoir fournir un quelconque service public.

La déclaration de renonciation au service public vaut également en cas d’aliénation de l’immeuble. (…) ».

Par courrier du 24 décembre 2020, Monsieur A et son épouse, Madame B, ci-après désignés par « les consorts A », introduisirent, par l’intermédiaire de leur litismandataire, auprès de l’administration communale de Käerjeng, ci-après désignée par « la commune », une demande tendant à un changement d’adresse à L-….

Par courrier du 22 février 2021, le litismandataire de la commune répondit comme suit :

« (…) Je tiens à vous confirmer que ma mandante n’entend pas procéder à l’inscription de Monsieur A et de Madame B sur le registre principal à l’adresse …, à L-….

En effet, cet immeuble se situe en zone verte, zone qui n’est, par essence, pas destinée à l’habitation.

Par ailleurs, il est faux de prétendre que l’acceptation de la fixation de la résidence à l’adresse … à L-…valait reconnaissance du droit à s’inscrire au registre principal.

Cette faveur accordée à l’époque par Monsieur le Bourgmestre, placé devant le fait accompli de la présence habituelle de vos mandants à l’adresse contestée et ce, en violation des règles légales et réglementaires applicables en matière d’urbanisme, n’avait pas pour but de leur reconnaître le droit d’établir leur résidence habituelle à cette même adresse.

Ledit courrier renfermait encore une condition suspensive à savoir que vos mandants devaient signer la déclaration y annexée, ce qu’ils n’ont jamais fait.

Enfin, le comportement de vos mandants démontre qu’ils n’ont jamais considéré le courrier du 8 août 2014 comme créateur d’un droit dans leur chef puisque ceux-ci sont inscrits sur le registre principal depuis le 7 décembre 2010 et ce, jusqu’à ce jour, à l’adresse …, à L-

….

Il est donc demandé à vos mandants de communiquer en temps utile une nouvelle adresse de résidence principale conforme aux dispositions légales. (…) ».

Par requête déposée en date du 11 mai 2021 au greffe du tribunal administratif, les consorts A ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une « décision rendue en date du 22 février 2021 par l’Administration communale de Käerjeng (…) portant refus de leur demande tendant à être inscrits sur le registre principal à l’adresse L-… (…), sinon, si par impossible cette décision en devait pas constituer une décision attaquable (…) [du] silence gardé par l’administration communale de Käerjeng pendant plus de trois mois valant refus implicite ».

1) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoyant de recours au fond en cette matière, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de la décision déférée, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

La commune se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours en la pure forme et fait valoir que l’acte du 22 février 2021 visé par le recours ne serait qu’un courrier officiel de renseignements adressé par le litismandataire de la commune aux consorts A. Ce courrier n’émanerait dès lors pas d’une autorité administrative.

Les consorts A concluent à la recevabilité du recours introduit à l’encontre du courrier du 22 février 2021 en faisant valoir que ledit courrier ne conférerait certes pas au litismandataire de la commune, la qualité d'autorité administrative. Il n'en resterait cependant pas moins qu’il serait à qualifier de décision administrative, alors qu’il renfermerait la décision de la commune de ne pas « procéder à l'inscription de Monsieur A et de Madame B sur le registre principal à l'adresse … à L-…».

Il est constant en cause que le courrier du 22 février 2021 émane non pas de la commune mais de son litismandataire et qu’il contient des motifs de refus concernant la demande introduite par les consorts A en date du 24 décembre 2020.

Aux termes de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements. ».

Cette disposition limite l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.

Or, en l’espèce, l’acte déféré n’émane pas de la commune, mais de son avocat conseillant certes juridiquement sa mandante, mais n’étant pas à considérer comme autorité administrative, qui soit participe à l’exercice de la puissance publique soit gère un service public2.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre le courrier du 22 février 2021 est à déclarer irrecevable.

S’agissant ensuite du volet du recours visant le refus implicite de la commune, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 4, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », « Dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif. ».

Cette disposition pose la présomption légale d’une décision implicite de rejet qui naît ainsi du silence prolongé de l’autorité administrative sur une demande.

Dans la mesure où il est constant en cause qu’aucune décision expresse n’est intervenue dans un délai de trois mois à la suite de l’introduction de la demande du 24 décembre 2020, cette dernière est censée être rejetée par une décision implicite de rejet pouvant être attaquée devant le tribunal administratif.

Etant donné qu’il n’est pas contesté que le recours a été introduit dans le délai légal et que, par ailleurs, l’administré a la possibilité de déférer la décision de refus implicite résultant du silence de l’administration devant le tribunal administratif de façon illimitée dans le temps, 1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.

2 Ibidem, n° 17.

du moins tant qu’aucune décision administrative ne sera intervenue3, le recours introduit en date du 11 mai 2021 à l’encontre de la décision implicite de refus est recevable.

2) Quant au fond Arguments de parties A l’appui de leur recours et en fait, les consorts A exposent avoir hérité en 1970 d’un fonds classé en zone verte et sur lequel se trouvait érigé un chalet, qui en 1981, aurait bénéficié d'un raccordement aux réseaux d'eau, d'électricité et téléphonique.

Suite à des travaux de rénovation et d’agrandissement d’envergure, les consorts A auraient entendu y établir leur résidence habituelle, ce qui leur aurait été autorisé par la commune en 2011 et en 2014.

Début décembre 2020, ils se seraient rendus à la maison communale pour déclarer leur changement d'adresse à L-…. Le préposé du bureau de la population aurait cependant refusé de faire droit à leur demande En droit, les demandeurs font valoir que l’immeuble sis à L-… constituerait leur résidence habituelle au sens de la loi modifiée du 19 juin 2013 relative à l'identification des personnes physiques, ci-après désignée par « la loi du 19 juin 2013 », alors qu’ils y résideraient de façon continue depuis 20 ans et ceci, selon les demandeurs, avec l'aval tacite de la commune qui aurait été au courant de cet état de choses.

Ils exposent qu’au fil des années, cette situation se serait transformée en un véritable droit acquis à leur profit, si bien que la commune ne saurait aujourd'hui leur refuser de procéder à ce changement d'adresse qui ne viserait qu'à régulariser une situation de fait qui existerait depuis deux décennies.

Le fait pour la commune de revenir sur sa propre décision constituerait une volte-face qui serait attentatoire à la sécurité juridique et au principe de la confiance légitime.

Les demandeurs soutiennent que tant la « décision » de 2011 que celle du 8 août 2014 s'analyseraient en une décision créatrice de droits à leur profit.

Le fait qu’ils seraient restés inscrits à l’adresse …, respectivement qu'ils n'auraient pas signé la déclaration annexée aux courriers de 2011 et de 2014 n’aurait pas d’incidence sur ce droit acquis. En effet, le renvoi de la déclaration annexée au courrier du 8 août 2014 ne s'analyserait pas en une condition suspensive mais constituerait tout au plus une simple formalité dans la mesure où il n'y serait pas clairement indiqué que l'autorisation leur accordée d'établir leur résidence habituelle au … serait subordonnée à la signature et au renvoi de cette déclaration.

Ils font valoir que même à admettre qu'il s'agisse d'une condition suspensive, cette dernière aurait été valablement levée par un courrier électronique adressé par leur litismandataire au secrétaire général de la commune en date du 8 janvier 2021.

Dans son mémoire en réponse, la commune soutient, en se référant à l’article 27, paragraphe (2) de la loi du 19 juin 2013, qu’une inscription sur le registre d’attente n’aurait 3 Trib. adm., 15 mars 2000, Pas.adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 275 et les autres références y citées.

initialement été possible que pour une durée maximale d'une année. A la suite de l’adoption de la loi du 29 mars 2016 modifiant la loi du 19 juin 2013, plus aucune durée maximale n’aurait été fixée, de sorte que l’inscription sur le registre d’attente pourrait durer au-delà d'une année tant que les réserves ne seraient pas été levées.

La commune soutient que son refus d'inscription sur le registre communal principal serait motivé par le fait que l'immeuble des demandeurs se situerait en zone verte, zone qui ne serait, par essence, pas destinée à l'habitation.

La commune conteste tout droit acquis dans le chef des demandeurs et fait valoir que le bourgmestre aurait accepté l’établissement de leur résidence habituelle au … uniquement sous plusieurs conditions, dont notamment celle que la commune ne serait pas astreinte ultérieurement à assurer un quelconque service public qu’elle fournit aux citoyens dont l’immeuble se situe à l’intérieur de la zone urbanisée.

La partie communale précise que les consorts A auraient eu conscience du fait qu’il se serait agi d’une simple tolérance non créatrice d’un droit acquis. Elle rappelle à cet égard que les demandeurs seraient inscrits sur le registre principal depuis le 7 décembre 2010 à l’adresse … à ….

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs soutiennent que la commune ne contesterait ni avoir été au courant du fait qu’ils résideraient de façon continue depuis plus de 20 ans au …, ni avoir tacitement accepté cette circonstance.

Les demandeurs font encore valoir qu’ils ne demanderaient pas à la commune de prendre en charge l'enlèvement des ordures ou de fournir un quelconque autre service. Ils auraient accepté les conditions posées par la commune.

Ils donnent à considérer que le refus de la commune serait basé sur le seul motif ayant trait au fait que leur immeuble se situerait en zone verte et que la commune soulèverait dans ce contexte le caractère illégal de l’« autorisation » qu’elle leur aurait donnée en date du 8 août 2014. Les demandeurs font valoir que cette argumentation se heurterait à la maxime Nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans d’autant plus que la commune n'expliquerait pas en quoi sa décision du 8 août 2014 serait entachée d’illégalité.

Les demandeurs soutiennent que le simple fait que leur immeuble serait situé en zone verte ne saurait conférer à la « décision » du 8 août 2014 le caractère d'une décision illégale en l'absence d'une stipulation légale ou réglementaire spécifique s'opposant dans pareille hypothèse à l'inscription d'une personne au registre principal. Même si une telle disposition existait, elle serait à écarter au profit de la dérogation expresse leur accordée à travers la « décision » du 8 août 2014.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, le tribunal est amené à relever que les consorts A attaquent le refus du bourgmestre de leur inscription sur le registre principal.

Il y a, ensuite, lieu de rappeler que, saisi d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité4.

Il y a ensuite lieu de relever qu’en vertu de l’article 102 du Code civil, le domicile de tout Luxembourgeois, quant à l’exercice de ses droits civils, est le lieu où il a son principal établissement, tandis qu’en vertu de l’article 103 du Code civil, le changement de domicile s’opère par le fait d’une habitation réelle dans un autre lieu, joint à l’intention d’y fixer son principal établissement, l’article 104 du même code prévoyant que la preuve de l’intention résultera d’une déclaration expresse, faite à la commune où on aura transféré son domicile.

Par ailleurs, l’article 10 de la loi électorale modifiée du 18 février 2003 prévoit que le domicile électoral du citoyen est au lieu de la résidence habituelle, c’est-à-dire où il habite d’ordinaire.

Il se dégage des dispositions précitées que le domicile constitue le lieu où une personne exerce ses droits civils et politiques. La déclaration de changement de domicile ne constitue partant pas une simple information des autorités communales d’une nouvelle situation de fait, mais constitue, au contraire, un acte juridique dont découlent des droits effectifs, parmi lesquels celui d’exercer le droit de vote européen, national et communal au lieu où le domicile a été déclaré5.

Comme la déclaration de fixation de résidence investit immédiatement, et de ce seul fait, l’auteur de cette déclaration de certaines prérogatives, l’autorité communale n’est pas appelée à recueillir de manière passive la déclaration, mais elle est investie du pouvoir d’en contrôler, a priori, et, à défaut, a posteriori, l’admissibilité6.

Cette interprétation se trouve d’ailleurs confirmée par l’article 17 de la loi du 19 juin 2013 qui impose, en effet, à chaque commune de tenir un registre communal divisé en un registre principal et un registre d’attente, le projet de loi afférent révélant que l’intention du législateur était de laisser le fonctionnaire délégué décider si l’inscription doit être effectuée sur le registre principal ou sur le registre d’attente et que le but de cette subdivision était de séparer les inscriptions valables des inscriptions provisoires ou des cas dans lesquels il subsiste des problèmes particuliers7.

Il y a, à cet égard, encore lieu de relever que l’article 27 de la même loi énumère de manière limitative les cas de figure dans lesquels une personne est inscrite, non pas sur le registre principal, mais sur le registre d’attente, étant relevé que, dans la mesure où le texte légal précise que dans les cas de figure en question les personnes « sont inscrites sur le registre d’attente », il n’est laissé aucun pouvoir d’appréciation à l’autorité de décision en ce sens que 4 Cour adm., 9 novembre 2010, n°26886C, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 39 et les autres références y citées.

5 Trib. adm., 22 mai 2013, n°31411 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Noms-Prénoms-Domicile-Etat civil-Nationalité, n°37 et l’autre référence y citée.

6 Cour adm., 19 mai 2008, n° 25210C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

7 Projet de loi relative à l’identification des personnes physiques, au registre national des personnes physiques, à la carte d’identité, aux registres communaux des personnes physiques, commentaires des articles, ad article 17.

si une personne tombe dans l’un de ces cas de figure, elle ne peut, en tout état de cause, pas être inscrite sur le registre principal.

La commune motive sa décision de refuser l’inscription des consorts A sur le registre principal en invoquant le fait qu’ils tomberaient dans le cas de figure prévu à l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 19 juin 2013.

Dans la mesure où il a été retenu ci-dessus que le fait pour une personne de tomber dans l’un des cas de figure énumérés à l’article 27 exclut son inscription au registre principal, il appartient au tribunal de vérifier si c’est à bon droit que le bourgmestre a estimé que les consorts A tombaient dans le cas de figure visé au paragraphe (1), point a), dudit article, aux termes duquel : « (1) Sont inscrits sur le registre d’attente :

a) les personnes qui sollicitent une inscription sur le registre communal, mais dont l’endroit où elles entendent établir leur résidence habituelle ne saurait servir à cette fin parce qu’une disposition légale ou réglementaire y interdit la résidence habituelle pour des motifs de sécurité, de salubrité, d’urbanisme ou d’aménagement du territoire ; (…) ».

Il s’ensuit que l’autorité compétente peut refuser l’inscription d’une personne sur le registre principal si elle constate que l’endroit devant servir à la résidence habituelle de cette personne n’est pas compatible avec cette fin parce qu’une disposition légale ou réglementaire y interdit la résidence habituelle pour des raisons de sécurité, de salubrité, d’urbanisme ou d’aménagement du territoire.

En l’espèce, tel que relevé ci-avant, le refus d’inscrire les consorts A sur le registre principal est motivé par la circonstance que l’immeuble situé au … est classé en zone verte.

Les parties s’accordent par ailleurs sur le fait que l’immeuble litigieux est classé en zone verte.

Aux termes de l’article 27 du règlement grand-ducal modifié du 8 mars 2017 sur le contenu du plan d’aménagement général d’une commune, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 mars 2017 », « (…) Seules sont autorisées [en zone verte] des constructions telles que définies à l’article 5 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles [entretemps abrogée par la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 2018 »]. Les communes peuvent toutefois fixer des règles d’urbanisme pour les aménagements et les constructions à y prévoir ».

Ainsi, la zone verte consiste en une zone non destinée à l’habitation, dans laquelle une construction n’est autorisée que sous les conditions déterminées par la loi du 18 juillet 2018, précitée.

Il s’ensuit que le refus déféré est a priori justifié en application de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 19 juin 2013, étant donné que la résidence habituelle est en principe interdite en zone verte en vertu du règlement grand-ducal du 8 mars 2017 pour des raisons d’urbanisme et d’aménagement du territoire.

Pour ce qui est de l’invocation, par les consorts A, de l’existence dans leur chef d’un prétendu droit acquis de pouvoir être inscrit sur le registre principal, alors que la commune aurait accepté l’établissement de leur résidence habituelle au …, celle-ci est également à rejeter, alors que, tel que le souligné à juste titre la commune, même à supposer qu’ils puissent se prévaloir d’un droit acquis de ce chef, un tel droit d’établissement de leur résidence habituelle reste sans incidence sur la question de savoir si les consorts A remplissent les conditions pour pouvoir être inscrits au registre principal, seule question pertinente dans le cadre du présent litige.

S’agissant du moyen des demandeurs ayant trait à une violation du principe général de la confiance légitime, il échet de rappeler que ce principe s’apparente au principe de la sécurité juridique et a été consacré tant par la jurisprudence communautaire en tant que principe du droit communautaire8, que par la jurisprudence nationale en tant que principe général du droit.

Ce principe général du droit tend à ce que les règles juridiques ainsi que l’activité administrative soient empreintes de clarté et de prévisibilité, de manière à ce qu’un administré puisse s’attendre à un comportement cohérent et constant de la part de l’administration dans l’application d’un même texte de l’ordonnancement juridique par rapport à une même situation administrative qui est la sienne.

En vertu de ce principe, l’administré peut exiger de l’autorité administrative qu’elle se conforme à une attitude qu’elle a suivie dans le passé, ce principe garantissant la protection de l’administré contre les changements brusques et imprévisibles de l’attitude de l’administration.

D’une manière générale, un administré ne peut toutefois prétendre au respect d’un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives, justifiées ou non, l’autorité administrative a créé à son profit une situation administrative acquise et réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef. Ce n’est qu’à cette condition que peut naître dans le chef d’un administré la confiance légitime que l’administration respectera la situation par elle créée, les deux notions de droits acquis et de légitime confiance étant voisines.

En l’espèce, il est certes exact qu’il se dégage d’un document intitulé « Déclaration » datée au 22 mars 2011 ainsi que du courrier du 8 août 2014, précité, que la commune a autorisé les consorts A à établir leur résidence habituelle au …, toutefois sous condition de signer la déclaration par laquelle ils renoncent à solliciter de la commune un quelconque service public qu’elle rend aux citoyens habitant à l’intérieur de la zone urbaine constructible.

Or, contrairement à ce que les demandeurs affirment, ces courriers n’ont pas raisonnablement pu leur permettre de déduire que le fait que l’immeuble situé au … est classé en zone verte ne serait plus susceptible de poser problème en vue d’une inscription sur le registre principal au vu des termes clairs de la loi du 19 juin 2013, précités, ce d’autant plus qu’ils ne se sont en tout état de cause jamais engagés à renoncer aux services publics de la commune. Ainsi, aucun élément du dossier ne permet de retenir que la commune ait donné une quelconque assurance aux demandeurs qu’ils pourraient être inscrits sur le registre principal, étant relevé que de toute manière, la confiance légitime ne peut pas être invoquée par rapport à une demande contraire à la réglementation en vigueur.

Il s’ensuit que le moyen fondé sur une violation du principe de confiance légitime est à son tour à rejeter.

Au vu des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens, le recours, en ce qu’il est dirigé contre le refus implicite d’inscrire les consorts A sur le registre principal de la commune de Käerjeng est à rejeter pour ne pas être fondé.

8 CJUE 5 juin 1973, aff. 81/72, Commission c/ Conseil Les demandeurs réclament, enfin, l’octroi d’une indemnité de procédure de 5.000 euros sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, demande qui est toutefois à rejeter au vu de l’issue du litige.

La demande en paiement d’une indemnité de procédure de 5.000.- euros formulée par la commune sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, précitée, est également rejetée en ce qu’il n’est pas justifié en quoi il serait inéquitable de laisser à son unique charge les frais non compris dans les dépens.

Quant à la demande de distraction des frais au profit du mandataire des demandeurs qui la sollicite, affirmant en avoir fait l’avance, il convient de rappeler qu’il ne saurait être donné suite à la demande en distraction des frais posée par le mandataire d’une partie, pareille façon de procéder n’étant point prévue en matière de procédure contentieuse administrative9.

Par ces motifs ;

le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable en ce qu’il vise le courrier du 22 février 2021 ;

le reçoit en la forme pour le surplus ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 5.000.- euros telle que formulée par les demandeurs ;

rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 5.000.- euros telle que formulée par l’administration communale de Käerjeng ;

rejette la demande en distraction des frais formulée par le litismandataire des demandeurs ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens ;

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 mars 2023 par :

Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

9 Trib. adm. 14 février 2001, n° 11607 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 1289 et les autres références y citées.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 mars 2023 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 46004
Date de la décision : 20/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-03-20;46004 ?

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