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06/02/2023 | LUXEMBOURG | N°45063

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 février 2023, 45063


Tribunal administratif N° 45063 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:45063 2e chambre Inscrit le 6 octobre 2020 Audience publique du 6 février 2023 Recours formé par Monsieur … et consort, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45063 du rôle et déposée le 6 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif par la société anony

me Arendt & Medernach SA, établie et ayant son siège social à L-2082 Luxembourg, 41A, avenu...

Tribunal administratif N° 45063 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:45063 2e chambre Inscrit le 6 octobre 2020 Audience publique du 6 février 2023 Recours formé par Monsieur … et consort, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45063 du rôle et déposée le 6 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme Arendt & Medernach SA, établie et ayant son siège social à L-2082 Luxembourg, 41A, avenue JF Kennedy, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 186371, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente instance par Maître Thierry Lesage, assisté de Maître Marianne Rau, avocats à la Cour, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes datée au 10 septembre 2020, portant les références 2020-0396-S2 RB, 2020-0397-S2 RB et 2020-0398-S2 RB, par laquelle avait été enjoint à la société « … » de fournir des renseignements en vertu de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura Geiger, en remplacement de l’huissier de justice Carlos Calvo, les deux demeurant à Luxembourg, du 6 octobre 2020, portant signification de ce recours à la société de droit suédois …, constituée et existant sous les lois de Suède, ayant son siège social à Stockholm, représentée par ses représentants légaux actuellement en fonctions, agissant par sa succursale …, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, établie à L-…, représentée par ses représentants permanents actuellement en fonctions ;

Vu l’ordonnance présidentielle du 16 octobre 2020, inscrite sous le numéro 45064 du rôle ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 octobre 2020 ;

Vu le mémoire, intitulé « mémoire en réplique », de Maître Thierry Lesage, déposé au greffe du tribunal administratif le 20 novembre 2020 ;

Vu l’ordonnance du président de la deuxième chambre du tribunal administratif du 26 avril 2021 autorisant chacune des parties à déposer un mémoire supplémentaire quant à l’incidence de l’arrêt de la Cour administrative du 12 janvier 2021, inscrit sous le numéro 41487C du rôle ;

Vu le mémoire supplémentaire de Maître Thierry Lesage, déposé au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2021 ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 août 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Thierry Lesage et Monsieur le délégué du gouvernement Sandro Laruccia en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 novembre 2022.

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Par courrier recommandé du 10 septembre 2020, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », enjoignit à la société …, ci-après désignée par « la Banque », en vertu de l’article 3, paragraphe (3) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après dénommée la « loi du 25 novembre 2014 », de lui fournir pour le 16 octobre 2020 au plus tard, certains renseignements quant à des comptes bancaires détenus par elle au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …, qui résideraient à « une adresse à … Belgique ».

Ladite injonction, référencée sous les numéros 2020-0396-S2 RB, 2020-0397-S2 RB, 2020-0398-S2 RB, est libellée comme suit :

« […] En date du 29 mai 2020, l’autorité compétente de l’administration fiscale belge nous a transmis trois demandes de renseignements en vertu de la Directive du Conseil 2011/16/UE du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013, en vertu de l’article 26 de la convention fiscale entre le Luxembourg et la Belgique du 17 septembre 1970, ainsi que de la convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale et de son protocole d’amendement, approuvés en droit interne par la loi du 26 mai 2014.

L’autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de lesdites demandes de renseignements et a exclu l’absence manifeste de pertinence vraisemblable.

Les personnes physiques concernées par les demandes sont Monsieur …, né le … à …, Suède et ayant une adresse à … Belgique, ainsi que son épouse Madame …, née le ….

Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2018, les renseignements et documents suivants pour le 16 octobre 2020 au plus tard.

Concernant les comptes mentionnés dans le tableau ci-dessous, veuillez fournir les renseignements suivants :

Numéros de comptes bancaires 1. … 11. … 21. … 2. … 12. … 22. … 3. … 13. … 23. … 4. … 14. … 24. … 5. … 15….

… 25. … 6. … 16. … 7. … 17. … 8. … 18. … 9. … 19. … 10. … 20. …  Veuillez fournir le(s) titulaire(s) de ces comptes.

 Veuillez fournir le(s) nom(s) de la (des) personne(s) étant autorisée(s) à effectuer des opérations sur ces comptes.

 Veuillez fournir le nom de la (des) personne(s) ayant ouvert ces comptes même si la date d’ouverture ne se situe pas dans la période visée par la présente décision d’injonction.

 Veuillez préciser les soldes d’ouverture et de clôture de ces comptes pour la période visée.

 Veuillez préciser le montant des intérêts payés pour ces comptes pour la période concernée.

 Veuillez indiquer le montant des impôts payé sur les intérêts durant cette période.

 Veuillez fournir les extraits/relevés bancaires de ces comptes pour la période visée.

 Veuillez indiquer si Monsieur … et/ou Madame … sont titulaires d’autres comptes auprès de votre établissement bancaire pendant la période concernée. Dans l’affirmative, veuillez répondre aux mêmes tirets ci-

dessus.

 Veuillez indiquer l’ensemble des placements et investissements dont Monsieur … est bénéficiaire auprès de votre établissement, ainsi que leurs valeurs et les revenus perçus.

Actions :

 Veuillez indiquer si un investissement en actions a appartenu ou appartient à Monsieur …. Dans l’affirmative, veuillez préciser la période (date de début et date de fin).

 Veuillez indiquer la date et le prix d’acquisition, ainsi que la devise.

3  Veuillez indiquer comment l’investissement a-t-il été financé.

 Veuillez indiquer si le rendement sur investissement et / ou le prix de vente obtenu ont été payés à d’autres personnes que les bénéficiaires de l’investissement, c.à.d. à d’autres personnes que Monsieur ….

 Veuillez préciser si l’actif incorporel résulte du travail propre de l’investisseur.

Dans la négative, veuillez préciser de qui, comment et quand l’actif incorporel a été acquis et à quel prix (veuillez préciser également la devise).

 Veuillez préciser si un montant lié à l’investissement a été versé à l’investisseur.

Dans l’affirmative, veuillez préciser la date, le montant et la devise.

Obligations, certificats d’investissement, dérivés, autres produits d’investissement :

 Veuillez indiquer si un investissement en obligations, certificats d’investissement, dérivés, et/ou autres produits d’investissement a appartenu ou appartient à Monsieur …. Dans l’affirmative, veuillez préciser la période (date de début et date de fin).

 Veuillez indiquer la date et le prix d’acquisition, ainsi que la devise.

 Veuillez indiquer comment l’investissement a-t-il été financé.

 Veuillez indiquer si le rendement sur investissement et / ou le prix de vente obtenu ont été payés à d’autres personnes que les bénéficiaires de l’investissement, c.à.d. à d’autres personnes que Monsieur ….

 Veuillez préciser si l’actif incorporel résulte du travail propre de l’investisseur.

Dans la négative, veuillez préciser de qui, comment et quand l’actif incorporel a été acquis et à quel prix (veuillez préciser également la devise).

 Veuillez préciser si un montant lié à l’investissement a été versé à l’investisseur.

Dans l’affirmative, veuillez préciser la date, le montant et la devise.

 Veuillez indiquer si le montant mentionné est un rendement sur investissement et / ou un produit de la vente (dividendes, intérêts, prix de vente, autre rendement) et si des taxes ont été retenues. Veuillez indiquer le montant et la raison des impôts payés.

Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l’article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération.

Je vous prie de bien vouloir nous envoyer les renseignements et documents par le biais du Système d’envoi de fichiers par OTX (voir à cet effet https://impotsdirects.public.lu/fr/echanges_electroniques/Echangederenseignementssurdema nde.html pour le guide d’utilisateur).

Conformément à l’article 6 (1) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements à l’encontre de la présente décision d’injonction. Ce recours doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements demandés. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 octobre 2020, inscrite sous le numéro 45063 du rôle, Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après désignéspar « les époux … », ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision d’injonction précitée du 10 septembre 2020.

Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, inscrite sous le numéro 45064 du rôle, les époux … ont encore fait introduire une demande tendant à voir ordonner le sursis à exécution, sinon une mesure de sauvegarde par rapport à la décision d’injonction précitée du 10 septembre 2020, demande dont ils ont été déboutés par ordonnance présidentielle du 16 octobre 2020.

Force est à titre liminaire de relever que malgré le fait que la requête introductive d’instance ait été signifiée à la Banque par voie d’huissier de justice en date du 6 octobre 2020, cette dernière n’a pas constitué avocat.

Or, nonobstant ce constat, le tribunal est amené à statuer à l’égard de toutes les parties suivant un jugement ayant les effets d’une décision juridictionnelle contradictoire conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Le tribunal relève ensuite que le délégué du gouvernement a sollicité, à travers son mémoire en réponse du 20 octobre 2020, la jonction du présent rôle avec une affaire inscrite sous le numéro 44168 du rôle.

Etant donné que le recours inscrit sous le numéro 44168 du rôle est dirigé contre des actes juridiquement distincts, en l’occurrence trois décisions d’injonction émises par le directeur le 2 janvier 2020 à l’encontre de la Banque afin que celle-ci lui fournisse à chaque fois pour le 10 février 2020 au plus tard des renseignements quant à des comptes bancaires détenus par elle au nom de Monsieur …, mais non pas de son épouse, et ce, pour la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2017, il n’a pas trait au même objet, de sorte qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de jonction sous examen.

Quant à la recevabilité du recours en annulation Arguments des parties A l’appui de leur recours, les époux …, après avoir, dans un premier temps, expliqué (i) qu’ils auraient bénéficié depuis le 1er octobre 1998 du régime fiscal belge pour cadres étrangers basé sur une circulaire belge du 8 août 1983, (ii) que ce régime leur aurait été octroyé aux termes d’une décision rendue en date du 14 juin 1999 par le Service Etrangers du ministère des Finances belge, ci-après désigné par « le Service Etrangers », (iii) qu’en vertu de cette décision, ils auraient été considérés comme non-résidents fiscaux en Belgique et auraient déposé depuis lors chaque année une déclaration fiscale à l’impôt des non-résidents et (iv) que ce statut fiscal spécial n’aurait jamais été remis en cause par le Service Etrangers, compétent en Belgique pour vérifier la situation fiscale des non-résidents et notamment des cadres étrangers bénéficiant de ce statut, et, dans un deuxième temps, mis en avant les raisons pour lesquelles ils estiment que l’administration fiscale belge ne serait pas fondée, dans le cas d’espèce, à demander des renseignements auprès d’un établissement financier étranger, tout en réfutant, par ailleurs, que les renseignements demandés puissent être considérés comme constitutifs d’informations vraisemblablement pertinentes pour ladite administration, ont pris position quant à la recevabilité de leur recours en annulation.

A cet égard, les époux …, après avoir souligné que la décision d’injonction leur causerait grief, notamment sous forme d’une atteinte à leurs droits au respect de la vie privée et à la protection de leurs données à caractère personnel, tels que garantis notamment par les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH »), ainsi que 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la Charte ») du fait de la communication et de l’utilisation de renseignements sensibles et strictement personnels, à savoir des informations bancaires détenues par un établissement bancaire luxembourgeois, ont estimé pouvoir bénéficier, en leur qualité de contribuables visés par la décision d’injonction - en dépit de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 ne prévoyant l’ouverture d’un recours spécial qu’au profit du seul détenteur de renseignements -, de la voie de recours de droit commun prévue à l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 ». Ce constat s’imposerait d’autant plus que suite à l’entrée en vigueur de la loi du 1er mars 2019 portant modification de la loi du 25 novembre 2014, cette dernière ne prévoirait plus d’interdiction de recours contre une décision d’injonction adoptée en application de l’article 3, paragraphe (3) de cette même loi, de sorte que la voie de recours de droit commun devrait être ouverte au contribuable visé et ce, en application de l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996. A fortiori les règles de la procédure administrative ordinaire prévues par la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives auraient également vocation à s’appliquer, à l’exclusion des règles de procédure dérogatoires au droit commun prévues à l’article 6, paragraphe (2) de la loi du 25 novembre 2014. Les époux … sont, en tout état de cause, d’avis qu’il ne saurait être déduit du simple fait que la loi du 25 novembre 2014 ne prévoirait désormais plus qu’une voie de recours spéciale au profit du seul détenteur d’information que le législateur ait voulu exclure la voie de recours de droit commun au contribuable concerné, ce d’autant plus que pour conclure à une telle interdiction, il faudrait, notamment en application de l’article 52, paragraphe (1) de la Charte, qu’elle soit expressément prévue par la loi elle-même, ce qui ne serait pas le cas puisque le législateur aurait justement supprimé une telle interdiction. Ils ajoutent qu’une telle interdiction serait en tout état de cause manifestement contraire aux exigences du principe de l’Etat de droit garanti par la Constitution luxembourgeoise, de l’article 13 de la CEDH et de l’article 47 de la Charte qui exigeraient notamment qu’un administré ou un contribuable doive disposer d’un recours effectif et d’un accès à un tribunal contre un acte émanant d’une autorité publique lui causant grief.

A titre subsidiaire, les époux … ont sollicité, à travers leur recours, que pour le cas où le tribunal devait considérer que nonobstant la suppression de l’interdiction de toute voie de recours suite à la modification de la loi du 25 novembre 2014, celle-ci exclut l’exercice du recours en annulation de droit commun par le contribuable concerné par une décision d’injonction adoptée en application de son article 3, paragraphe (3), il soit sursis à statuer en attendant que la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») se soit prononcée sur la question préjudicielle lui posée par la Cour administrative dans un arrêt du 14 mars 2019, inscrit sous le numéro 41487C du rôle.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a conclu à l’irrecevabilité du recours en ce qu’il est introduit par les contribuables visés, à savoir les époux …, pour lesquels aucun recours ne serait prévu par l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, tout en soulignant que dans son arrêt du 6 octobre 2020, dans les affaires jointes C 245/19 et C-246/19, la CJUE aurait retenu qu’il n’était pas contraire au droit de l’Union européenne de ne pas prévoir de recours au profit du contribuable visé par une décision d’injonction en matière d’échange de renseignements. Ainsi, après avoir rappelé la législation nationaleactuelle en la matière, le délégué du gouvernement s’est penché sur les enseignements de la CJUE dans son arrêt précité en soulignant que celle-ci aurait explicitement avalisé la possibilité d’un recours différé, a posteriori, par opposition au recours ex ante réclamé en l’espèce. Or cette possibilité existerait en l’espèce pour les contribuables visés en ce sens qu’ils pourraient exercer dans l’Etat requérant, en l’occurrence la Belgique, leur droit en y invoquant l’illégalité des investigations menées à leur encontre. Le délégué du gouvernement a encore expliqué que la différence majeure ayant conduit la CJUE dans son arrêt précité à distinguer suivant la qualité du demandeur découlerait du fait que la situation du contribuable visé par une enquête serait différente de celle de la personne détentrice d’informations alors que cette dernière risquerait, contrairement au contribuable visé, de se voir infliger une sanction administrative en cas de non-respect de la décision d’injonction.

Dans leur mémoire intitulé « mémoire en réplique », les époux … ont pris position quant aux enseignements qui seraient, selon eux, à tirer de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020, dans les affaires jointes C-245/19 et C-246/19, à savoir (i) que le législateur européen n’aurait pas cherché à restreindre le droit à un recours effectif contre une décision d’injonction de fournir des renseignements émanant des autorités fiscales de l’Etat requis, (ii) que le droit à un recours effectif du contribuable contre une décision d’injonction de fournir des renseignements émanant des autorités fiscales de l’Etat requis aurait été consacré et (iii) que seule la loi pourrait restreindre le droit à un recours effectif du contribuable contre une décision d’injonction de fournir des renseignements émanant des autorités fiscales de l’Etat requis, tout en insistant surtout sur le fait qu’aussi bien les arrêts de la Cour administrative du 14 mars 2019 ayant posé les questions préjudicielles que l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 auraient été rendus en prenant en considération les dispositions de la loi du 25 novembre 2014 avant sa modification en mars 2019 et donc avant que le législateur luxembourgeois n’ait décidé de supprimer l’interdiction de tout recours, telle qu’elle se dégageait de l’ancienne version de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014. Les époux … ont continué en insistant sur le fait que suivant leur interprétation de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 et de la jurisprudence des juridictions administratives, il appartiendrait au législateur luxembourgeois de prévoir expressément dans la loi du 25 novembre 2014 une interdiction de recours s’il souhaitait effectivement interdire au contribuable concerné d’exercer un recours en annulation de droit commun contre une décision d’injonction du directeur et qu’à défaut, ce droit de recours devrait être reconnu via l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996. Ils ont ajouté qu’une telle volonté d’interdire l’exercice d’un recours en annulation de droit commun par le contribuable visé ne se dégagerait pas non plus des travaux parlementaires à la base de la loi modificative de mars 2019. Les époux … ont ensuite pointé le fait que si dans son arrêt du 6 octobre 2020, la CJUE avait retenu que l’interdiction d’un recours direct – à condition qu’elle soit prévue par la loi – du contribuable visé n’était pas disproportionnée dans la mesure où le contribuable a la possibilité de contester cette décision à titre incident dans le cadre d’un recours contre une décision ultérieure de rectification ou de redressement de la taxation décidée par les autorités fiscales de l’Etat requérant, il n’en resterait pas moins qu’eux-mêmes n’auraient pas la possibilité de contester de manière incidente la légalité de la décision d’injonction litigieuse devant les juridictions belges et ce, eu égard au fait que la décision en question aurait été adoptée par les autorités fiscales luxembourgeoises en application de la loi luxembourgeoise et que nonobstant tous les recours qu’ils auraient déjà exercés en Belgique et tous les recours qu’ils pourront encore exercer à l’avenir contre des éventuelles décisions de taxation belge, les juridictions belges ne se prononceraient jamais sur la conformité de la décision d’injonction prise sur base de la loi luxembourgeoise. Or, depuis sa modification, la loi du 25 novembre 2014 imposerait à l’administration fiscale des obligations déterminées qu’elle devrait respecter lorsqu’elle adopte une décision d’injonction. Il ne faudrait pas non plus perdre de vue que pourque la transmission de données personnelles ne constitue pas une atteinte aux droits de la protection des données personnelles et au respect de la vie privée, il faudrait qu’elle repose sur une décision émanant d’une autorité administrative légalement justifiée. A cela s’ajouterait qu’à défaut d’une décision d’injonction remplissant les conditions requises par la loi, la transmission de données serait illégale et ouvrirait en principe droit à l’exercice d’une demande de dommages et intérêts par le contribuable notamment contre l’Etat luxembourgeois en application de l’article 79, paragraphe (1) du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, ci-après désigné par « le règlement UE/2016/679 ». Ils avancent ensuite deux éléments qui seraient en principe particulièrement susceptibles d’affecter la validité d’une décision d’injonction luxembourgeoise à savoir (i) l’annulation de la demande de renseignements par les juridictions de l’Etat requérant puisque dans un tel cas la décision d’injonction perdrait sa base juridique et (ii) l’adoption d’une décision d’injonction en violation des conditions posées en particulier par la loi du 25 novembre 2014 et de manière plus large par la législation luxembourgeoise. A cela s’ajouterait qu’il pourrait également arriver qu’une demande de renseignements ne soit pas annulée par les juridictions de l’Etat requérant mais que la décision d’injonction serait néanmoins illégale pour être contraire à la loi luxembourgeoise en ce que l’administration fiscale luxembourgeoise aurait dépassé ses pouvoirs tels que réglés par la seule législation luxembourgeoise. Ainsi, en l’absence de l’existence d’un recours en annulation de droit commun devant les juridictions administratives, le contribuable visé par une décision d’injonction illégale n’aurait pas la possibilité d’exercer un recours effectif contre celle-ci, faute pour les juridictions de l’Etat étranger de se reconnaître compétentes pour apprécier la légalité de la décision d’injonction du directeur par rapport aux dispositions légales luxembourgeoises. De fait, aucun contrôle ne serait possible ni au Luxembourg, ni dans l’Etat requérant, ce qui serait inacceptable dans un Etat de droit. Après avoir réitéré que tant que les juridictions administratives luxembourgeoises n’auront pas constaté l’illégalité d’une décision d’injonction par rapport à la loi luxembourgeoise, le contribuable visé n’aurait pas la possibilité effective d’exercer une action en dommages et intérêts contre l’Etat luxembourgeois pour avoir été à l’origine d’une transmission illégale de données personnelles en vertu de l’article 79, paragraphe (1) du règlement UE/2016/679, précité, les époux … soulignent encore que même si la demande de renseignements étrangères était annulée par les juridictions de l’Etat requérant, une décision d’injonction du directeur sur cette base continuerait à exister et à être exécutoire au Luxembourg.

A titre subsidiaire, et pour le cas où le tribunal devait néanmoins considérer qu’il ne se dégagerait pas de manière suffisamment expresse de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 que leur recours en annulation serait à déclarer recevable en application de l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996 et selon les règles de procédure prévues par cette même loi, ils demandent à ce que le tribunal sursoie à statuer et demande à la CJUE de statuer à titre préjudiciel sur la question suivante :

« Est-ce que les articles 7, 8 et 52, paragraphe 1er, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lus ensemble avec l’article 47 de ladite Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale d’un Etat membre qui, dans le cadre du régime de procédure en matière d’échange de renseignements sur demande mis en place notamment en vue de la mise en œuvre de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, empêche, sans même prévoir dans la loi une interdiction claire et précise de recours juridictionnel, le contribuable concerné par une décision à travers laquelle 8 l’autorité compétente de cet Etat membre oblige un détenteur de renseignements à lui fournir des informations en vue de donner suite à une demande d’échange de renseignements émanant d’un autre Etat membre d’exercer un recours juridictionnel direct et indirect contre celle-ci, de sorte qu’une telle décision échapperait à tout contrôle juridictionnel de conformité à la législation de l’Etat requis, à l’initiative du contribuable concerné ? ».

Dans leur mémoire supplémentaire du 22 juin 2021 qu’ils ont été autorisés à déposer afin de notamment prendre position quant à l’incidence de l’arrêt de la Cour administrative du 12 janvier 2021, inscrit sous le numéro 41487C du rôle, les époux … ont réitéré, en substance, leurs développements contenus dans leurs écrits contentieux antérieurs pour insister sur le fait qu’au regard tant de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 que de celui de la Cour administrative du 12 janvier 2021, il ne pourrait y avoir de doute qu’une décision d’injonction, telle que la décision déférée en l’espèce, constituerait une décision causant grief au contribuable et contre laquelle un recours en annulation devrait en principe être ouvert en droit luxembourgeois selon la procédure de droit commun et ce, à partir du moment où la loi luxembourgeoise n’interdirait – sous le régime applicable au moment de l’adoption de la décision d’injonction attaquée – pas expressément l’exercice d’un tel recours dans le chef du contribuable visé.

Dans son mémoire supplémentaire du 9 août 2021, le délégué du gouvernement a tout d’abord maintenu son argumentation antérieure, tout en insistant sur le fait que non seulement les arrêts de la Cour administrative du 12 janvier 2021 viendraient corroborer encore davantage le fait que les époux …, en leur qualité de contribuables visés par une demande de renseignements, ne disposeraient pas dans l’Etat requis, d’un droit de recours et ce du fait qu’ils pourraient, dans le cadre de la procédure d’imposition définitive réalisée dans l’Etat requérant, y contester les renseignements collectés par l’Etat requis et continués à l’Etat requérant pour procéder à l’imposition définitive, mais, par ailleurs, les considérants n° 34 à 36 de l’arrêt de la Cour administrative inscrit sous le numéro 41487C du rôle, indiqueraient qu’il incombe au requérant de justifier en droit l’impossibilité existante dans le droit positif de l’Etat requérant de contester, dans le cadre de l’imposition définitive, les renseignements collectés par l’administration.

Le délégué du gouvernement a ensuite insisté sur le fait qu’une situation dans laquelle il pourrait être retenu que les garanties juridictionnelles n’existent pas dans l’Etat requérant ne serait pratiquement pas envisageable dans les pays membres de l’Union européenne qui seraient obligés de se conformer au droit primaire et au droit dérivé de l’Union européenne ainsi qu’à la Charte. Il met encore en avant qu’en l’espèce, l’Etat requérant serait la Belgique et que l’existence d’une voie de droit telle que requise ne serait pas simplement affirmée ou supposée mais existerait effectivement et sans contestation possible et ce, à la lecture du contenu de l’ordonnance prise par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, section civile, siégeant en matière de référé du 27 février 2020.

Tout en admettant que les affaires toisées par la Cour administrative le 12 janvier 2021 auraient trait à une situation où la demande d’échange de renseignements et les décisions d’injonction y relatives ont été émises sous l’égide de la loi du 25 novembre 2014 avant sa modification, le délégué du gouvernement est d’avis qu’il n’en resterait pas moins que le moyen invoqué par les demandeurs pour justifier l’existence d’un recours de droit commun ne se concilierait pas avec les arrêts de la CJUE et les récents arrêts de la Cour administrative, tout en réitérant que l’intérêt à agir serait différent suivant que la voie de droit est exercée par un tiers détenteur, appelé à collaborer avec l’administration, ou que cette voie est exercée par le contribuable visé par une procédure d’imposition dans l’Etat requérant. Les arrêts de la CJUEindiqueraient justement que l’Union européenne considère comme un objectif d’intérêt général reconnu par elle, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales. De ce fait, pour les époux …, en leur qualité de contribuables visés par une demande d’échanges de renseignements, les considérations liées à la protection des données et à leur vie privée devraient céder le pas, dans un premier stade, dans l’Etat requis, au nom d’une efficace coopération administrative fiscale et être analysées, à un stade ultérieur, par les juridictions de l’Etat requérant qui seraient mieux placées pour mettre en balance les intérêts du contribuable concerné et la marge de manœuvre de l’autorité fiscale dudit pays.

Enfin, le délégué du gouvernement soutient que mis à part les arguments d’ores et déjà développés, il y aurait de toute façon une impossibilité matérielle à justifier la recevabilité du recours sous analyse. En effet, si les époux … souhaitaient s’emparer de l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996 pour justifier la recevabilité de leur recours, ils commettraient, ce faisant, une erreur d’appréciation quant à l’applicabilité de la notion de pertinence vraisemblable aux décisions d’injonction puisque ledit article prévoirait des causes bien spécifiques pour solliciter l’annulation d’une décision administrative. Or, aucun argumentaire en relation avec l’une de ces causes bien spécifiques n’aurait été présenté ou développé, ce qui serait de toute façon impossible puisque la notion de pertinence vraisemblable, permettant de contester une décision d’injonction serait une notion juridique propre, sui generis, issue de la loi du 25 novembre 2014. Il ne serait, en tout état de cause, pas admissible qu’un administré prenne pour base un article de la loi du 7 novembre 1996 pour justifier la recevabilité de son action en justice, pour s’emparer ensuite d’une autre loi spécifique, en l’occurrence celle du 25 novembre 2014, pour faire valoir ses arguments et ce, faute pour la loi initialement invoquée de prévoir la cause d’annulation invoquée.

Analyse du tribunal Il échet tout d’abord de constater que la demande d’échange de renseignements des autorités belges est basée sur la convention entre le Luxembourg et la Belgique en vue d’éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune du 17 septembre 1970, ci-après désignée par « la Convention », ainsi que sur la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, du 15 février 2011, ci-après désignée par « la directive 2011/16/UE », transposée en droit interne par la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal. La demande en cause se trouve également fondée sur la convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale et son protocole d’amendement, approuvés par la loi du 26 mai 2014, ci-après la « Convention d’assistance mutuelle ». La décision d’injonction du 10 septembre 2020, quant à elle, est fondée sur la loi du 25 novembre 2014.

En ce qui concerne ensuite la recevabilité du recours sous analyse, il convient de rappeler que le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégage.

Concernant ainsi le moyen des époux …, suivant lequel leur recours serait à déclarer recevable sur base de l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996, force est de rappeler que celui-

ci dispose dans son premier paragraphe que : « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes 10 destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements. ».

La disposition qui précède donne dès lors compétence au tribunal administratif de statuer sur tous les recours dirigés contre des décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements.

L’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 dispose, depuis sa modification par la loi du 1er mars 2019 applicable au moment des décisions litigieuses, que : « (1) Contre la décision d’injonction visée à l’article 3, paragraphe 4, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements. […] (2) Le recours contre la décision d’injonction visée à l’article 3, paragraphe 3 et la décision visée à l’article 5 doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements demandés. Le recours a un effet suspensif. Par dérogation à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives, il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive d’instance. Le mémoire en réponse doit être fourni dans un délai d’un mois à dater de la signification de la requête introductive. Le dépôt de la requête ou du mémoire au greffe du tribunal vaut signification à l’État ou par l’État. Toutefois, dans l’intérêt de l’instruction de l’affaire, le président de la chambre appelée à connaître de l’affaire peut ordonner d’office la production de mémoires supplémentaires dans le délai d’un mois. Le tribunal administratif statue dans le mois à dater de la signification du mémoire en réponse ou du dernier mémoire supplémentaire. À défaut de signification du mémoire en réponse ou des mémoires supplémentaires dans les délais prévus, il statue dans le mois de l’expiration du délai d’un mois pour la signification du mémoire en réponse ou des mémoires supplémentaires. […] ».

Il se dégage de la lecture de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 précité, que celui-

ci prévoit explicitement un recours en annulation contre les décisions d’injonction en matière d’échange de renseignements sur demande, ainsi que toute une procédure contentieuse dérogatoire à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives.

Force est ainsi de retenir que, dans la mesure où l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 attribue uniquement compétence au tribunal administratif de statuer sur les recours dirigés contre des décisions à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements, et que l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 prévoit, depuis sa modification intervenue par la loi du 1er mars 2019, expressément un recours en annulation et une procédure contentieuse spéciale, dérogatoire au droit commun en matière de procédure devant les juridictions administratives, contre les décisions d’injonction en matière d’échange de renseignements sur demande, l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 ne saurait s’appliquer à l’égard d’une décision d’injonction prise sur base de la loi du 25 novembre 2014 afin d’ouvrir au contribuable visé, voire au tiers intéressé une voie de recours exclue par l’article 6 de la loi du 25 novembre 20141. L’analyse de la recevabilité du présent recours s’effectue dès lors exclusivement au regard des dispositions de la loi du 25 novembre 2014.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’argumentaire des époux … suivant lequel, faute pour le législateur d’avoir prévu expressément une interdiction de recours contre une décision d’injonction, il ne saurait être déduit du simple fait que la loi du 25 novembre 2014 ne prévoirait 1 Trib. adm., 5 juillet 2022, n°47441 et 47442 du rôle, c. par Cour adm., 6 octobre 2022, n°47712C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.plus qu’une voie de recours spéciale au profit du seul détenteur d’informations que ledit législateur ait voulu exclure la voie de recours de droit commun au contribuable visé, voire au tiers intéressé. En effet, une telle lecture du paragraphe (1) de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 ne se dégage pas de son libellé, lequel est clair et précis en ce sens que ladite disposition, en accordant un recours devant le tribunal administratif uniquement à une personne ayant la qualité de détenteur des renseignements qui s’est vu notifier une décision directoriale lui enjoignant de fournir certains renseignements, exclut nécessairement toute possibilité de recours contre la décision d’injonction dans le chef du contribuable visé, voire du tiers intéressé2, de sorte qu’aucune interprétation au-delà du texte de la loi ne s’impose au tribunal.

Au vu de ces considérations, la demande des époux …, telle que formulée à l’audience des plaidoiries du 21 novembre 2022, d’effectuer un nouveau renvoi préjudiciel à la CJUE afin de voir trancher la question de savoir si une législation prévoyant un recours spécifique uniquement dans le chef du détenteur des renseignements à l’encontre d’une décision d’injonction de fournir des renseignements pouvait être interprétée comme excluant implicitement un recours dans le chef de tout tiers intéressé et notamment du contribuable visé sur base du droit commun et ce compte tenu des exigences de clarté et de précision requises à travers l’article 52, paragraphe (1) de la Charte est à rejeter pour être dénuée de fondement.

Le moyen formulé par les époux … fondé sur une application de l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 encourt dès lors le rejet.

Dans la mesure où l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 dispose que : « Contre la décision d’injonction visée à l’article 3, paragraphe 3, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements. », et accorde, tel que relevé ci-avant, un recours devant le tribunal de céans uniquement au détenteur des renseignements, tout en excluant nécessairement par là même toute possibilité de recours contre la décision d’injonction dans le chef du contribuable visé, voire du tiers intéressé, un recours dirigé contre la décision d’injonction formé par le contribuable visé ou un tiers intéressé est a priori irrecevable.

Se pose ensuite la question de la compatibilité de l’exclusion des époux … en tant que contribuables visés par la demande des autorités belges, de tout recours prévu par l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, avec les articles 52, paragraphe (1) et 47 de la Charte et 13 de la CEDH prévoyant notamment le droit à un recours effectif.

A cet égard, il convient de se référer aux enseignements de la CJUE dans son arrêt du 6 octobre 2020, affaires jointes C-245/19 et C-246/19, certes pris dans le contexte de l’ancienne version de la loi du 25 novembre 2014 non modifiée par celle du 1er mars 2019, mais néanmoins et contrairement à ce que plaident les époux …, transposable en l’espèce dans la mesure où la CJUE s’est penchée sur la question de la compatibilité de l’exclusion d’un recours contre la décision d’injonction avec l’article 47 de la Charte dans l’hypothèse où cette exclusion vise le détenteur des informations sollicitées, le tiers intéressé, respectivement, comme en l’espèce, les contribuables visés.

Dans son arrêt du 6 octobre 2020, la CJUE a, en ce qui concerne concrètement le contribuable visé par l’enquête à l’origine de la décision d’injonction de communication d’informations, reconnu que cette personne est titulaire, d’une part, du droit au respect de la 2 Idem.vie privée garanti par l’article 7 de la Charte et, d’autre part, du droit à la protection des données à caractère personnel garanti par l’article 8, paragraphe (1) de la Charte3. Elle a également admis que la communication d’informations relatives à une personne physique identifiée ou identifiable à un tiers, y compris à une autorité publique, ainsi que la mesure qui impose ou permet cette communication, sont, sans préjudice de leur éventuelle justification, constitutives d’ingérences dans le droit de cette personne au respect de sa vie privée ainsi que dans son droit à la protection des données à caractère personnel la concernant, indépendamment de la question de savoir si ces informations présentent un caractère sensible ou non et quelle que soit leur utilisation ultérieure, sauf si ladite communication intervient dans le respect des dispositions du droit de l’Union européenne et, le cas échéant, des dispositions du droit interne prévues à cet effet4. Ainsi, d’après la CJUE, la communication à l’autorité nationale compétente d’informations relatives à une personne physique identifiée ou identifiable, telles que les informations sollicitées dans le cadre d’une décision d’injonction telle que celle de l’espèce, et la mesure qui impose cette communication sont susceptibles de violer le droit au respect de la vie privée de la personne en cause ainsi que son droit à la protection des données à caractère personnel5. La CJUE en a déduit qu’un contribuable visé par l’enquête dans l’Etat requérant à l’origine de la décision d’injonction de communication d’informations émise par l’autorité compétente de l’Etat requis doit a priori se voir reconnaître le bénéfice du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte en présence d’une décision d’injonction de communication d’informations telle que celle de l’espèce6.

D’un autre côté, la CJUE a toutefois rappelé que l’article 52, paragraphe (1) de la Charte permet de limiter l’exercice de ce droit à condition que soit préservé le contenu essentiel du droit à un recours effectif7 incluant, entre autres éléments, celui consistant, pour la personne titulaire de ce droit, à pouvoir accéder à un tribunal compétent pour assurer le respect des droits que le droit de l’Union européenne lui garantit et, à cette fin, pour examiner toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre le litige dont il se trouve saisi8. La CJUE a souligné que cette exigence n’implique néanmoins pas, en tant que telle, que le titulaire de ce droit dispose d’une voie de recours directe ayant pour objet, à titre principal, de mettre en cause une mesure donnée, pour autant toutefois qu’il existe par ailleurs, devant les différentes juridictions nationales compétentes, une ou plusieurs voies de recours lui permettant d’obtenir, à titre incident, un contrôle juridictionnel de cette mesure assurant le respect des droits et des libertés que le droit de l’Union européenne lui garantit, sans devoir s’exposer à cette fin au risque de se voir infliger une sanction en cas de non-respect de la mesure en cause9. Elle a insisté, à cet égard, sur la différence de situation du contribuable visé par l’enquête par rapport à celle de la personne détentrice d’informations qui, elle, en l’absence de possibilité de former un recours direct contre une décision d’injonction qui lui est adressée, serait privée de toute protection juridictionnelle effective10.

La CJUE a ensuite relevé qu’une décision d’injonction de communication d’informations intervient dans le cadre de la phase préliminaire de l’enquête visant le contribuable en cause, au cours de laquelle sont recueillies des informations relatives à la 3 CJUE (grande chambre), Etat luxembourgeois contre B et Etat luxembourgeois contre B e.a, du 6 octobre 2020, affaires jointes nos C 245/19 et C-246/19, considérant n° 72.

4 Idem, considérant n° 73.

5 Idem, considérant n° 74.

6 Idem, considérant n° 75 7 Idem, considérant n° 78.

8 Idem, considérant n° 66.

9 Idem, considérant n° 79.

10 Idem, considérant n° 80.situation fiscale de ce contribuable et qui ne revêt pas un caractère contradictoire, et que seule la phase ultérieure de ladite enquête, qui s’ouvre par l’envoi d’une proposition de rectification ou de redressement au contribuable visé, d’une part, revêt un caractère contradictoire impliquant de permettre à ce contribuable d’exercer son droit d’être entendu et, d’autre part, est susceptible de déboucher sur une décision de rectification ou de redressement adressée audit contribuable11. La CJUE a alors retenu que c’est cette décision de rectification ou de redressement qui constitue un acte à l’égard duquel le contribuable visé doit disposer d’un droit de recours effectif supposant que le tribunal saisi du litige afférent soit compétent pour examiner toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre ce litige et, en particulier, pour vérifier que les preuves sur lesquelles se fonde cet acte n’ont pas été obtenues ou utilisées en violation des droits et des libertés garantis à l’intéressé par le droit de l’Union européenne12.

Dans ce contexte, la CJUE a encore confirmé que l’objectif de la directive 2011/16/UE de contribuer à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales, en renforçant la coopération entre les autorités nationales compétentes en ce domaine, constitue un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union européenne, au sens de l’article 52, paragraphe (1) de la Charte, et que l’intérêt attaché à l’efficacité et à la rapidité de cette coopération justifie qu’une législation nationale excluant qu’un recours direct puisse être formé contre une décision d’injonction par le contribuable visé par l’enquête à l’origine de la demande d’échange d’informations ayant conduit l’autorité nationale compétente à adopter cette décision, est propre à réaliser l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales poursuivi par la directive 2011/16 et nécessaire à la réalisation de cet objectif13. En outre, d’après la CJUE, une telle législation n’apparaît pas comme disproportionnée14.

A partir de cet arrêt, la Cour administrative a, dans son arrêt précité du 12 janvier 2021, inscrit sous le numéro 41487Ca du rôle, conclu que ledit arrêt devra être lu en ce sens que les articles 47 et 52, paragraphe (1) de la Charte imposent une obligation systématique à chaque Etat membre en sa qualité d’Etat requérant engageant une procédure d’échange de renseignements sur demande avec un autre Etat membre d’ouvrir une voie de recours ainsi définie à l’encontre d’une « décision de rectification ou de redressement adressée audit contribuable ».

Elle a encore relevé qu’il incombe au demandeur de justifier en droit, une impossibilité existante dans le droit positif de l’Etat requérant de contester, dans le cadre de l’imposition définitive, les renseignements collectés auprès de l’administration des Contributions directes15.

Dans deux arrêts du 6 octobre 2022, inscrits sous les numéros respectifs 47711C et 47712C du rôle, la Cour administrative a encore confirmé que l’ensemble des raisonnements qui précèdent continue à s’appliquer suite à la modification de l’article 6 de loi du 25 novembre 2014 par la loi du 1er mars 201916.

Un premier constat s’impose, à savoir que l’argumentation des époux … suivant laquelle, faute pour eux de pouvoir introduire un recours en annulation de droit commun contre 11 Idem, considérant n° 81.

12 Idem, considérant n° 82.

13 Idem, considérants nos 85 à 91.

14 Idem, considérant n° 92.

15 Idem, considérants nos 34 à 36.

16 Cour. adm., 6 octobre 2022, n° 47711C et 47712C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lula décision d’injonction devant le tribunal administratif, leur droit à un recours effectif serait violé du fait qu’il ne leur serait pas non plus possible de contester la légalité d’une décision d’injonction, prise sur le fondement de dispositions légales luxembourgeoises, devant les juridictions belges est à rejeter pour être dénuée de pertinence puisqu’il se dégage des enseignements de l’arrêt, précité, de la CJUE que ce qui importe pour apprécier si le droit à un recours effectif du contribuable visé par une décision d’injonction est respecté est qu’il existe dans le chef de celui-ci, devant le juge national compétent de l’Etat membre requérant, une possibilité de contrôle juridictionnel a posteriori de la validité de l’échange de renseignements découlant de la demande de l’Etat requérant et de la décision d’injonction.

Or, il y a lieu de constater que l’Etat requérant est en l’espèce la Belgique et que celle-

ci est tenue en tant qu’Etat membre de l’Union européenne au respect des dispositions de la Charte et liée par l’interprétation de la CJUE du droit de l’Union européenne, la Belgique étant encore signataire de la CEDH, et dispose ainsi a priori d’un système de recours efficace contre les violations des droits et libertés prévus par la CEDH et la Charte.

Force est ensuite de relever qu’outre le fait que les époux … n’allèguent pas qu’il leur serait impossible de soumettre la légalité de la demande d’échange de renseignements des autorités belges au juge belge, il ressort de l’ordonnance du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, section civile, siégeant en matière de référé, du 27 février 2020 que le juge appelé à connaître de l’affaire de référé a expressément indiqué que « […] s’il apparaît ultérieurement que l’administration fiscale belge a réellement effectuée des investigations illégales et n’a pas respecté le prescrit de la loi, comme les demandeurs le prétendent, ces derniers peuvent quant à eux encore invoquer l’illégalité des investigations a posteriori et les informations reçues pourront, le cas échéant, être rejetées par le juge du fond en cas de violation reconnue par celui-ci, le cas échéant. », de sorte qu’il échet de constater qu’il existe bel et bien une voie de recours dans le chef du contribuable visé à l’encontre d’une « décision de rectification ou de redressement adressée audit contribuable » en Belgique, tel qu’exigé par la CJUE.

Au vu de ce qui précède, il échet de conclure qu’il ne ressort pas des pièces versées en cause que les époux …, en leur qualité de contribuables visés, ne disposent pas, en Belgique, d’un accès à une voie de recours leur permettant de contester la validité de l’échange de renseignements découlant de la demande des autorités belges du 29 mai 2020 et de la décision d’injonction déférée du 10 septembre 2020, à l’encontre d’une « décision de rectification ou de redressement adressée audit contribuable » émise à leur encontre par les autorités belges à l’issue de leur enquête et que l’exercice utile de leur droit à un recours effectif ne leur y serait partant pas garanti, malgré le statut d’Etat membre de l’Union européenne de la Belgique, ce qui entraînerait qu’un recours devrait quand même leur être rendu possible au Luxembourg sous peine de les priver entièrement du droit à un recours effectif leur garanti par les articles 47 de la Charte et 13 de la CEDH.

L’argumentation des époux … suivant laquelle l’exclusion de toute possibilité de recours dans leur chef contre la décision d’injonction litigieuse serait contraire aux droits consacrés notamment par les articles 47 et 52, paragraphe (1) de la Charte, respectivement 13 de la CEDH est dès lors à rejeter pour ne pas être fondée.

Il n’y a pas non plus lieu de saisir la Cour constitutionnelle de la question de savoir si la loi du 25 novembre 2014, en ce qu’elle exclut le contribuable visé de la voie de recours de droit commun, serait contraire au principe de l’Etat de droit garanti par la Constitutionluxembourgeoise, une telle question étant, au vu des enseignements se dégageant de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020, dénuée de fondement.

Dans la mesure où le tribunal a retenu ci-avant qu’au vu du libellé clair de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, depuis sa modification, il était dans l’intention du législateur, en limitant expressément la voie de recours au seul détenteur des renseignements, de nécessairement exclure toute possibilité de recours contre une décision d’injonction dans le chef du contribuable visé, voire du tiers intéressé et au vu des enseignements clairs se dégageant de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 - lequel a certes été pris dans le contexte de l’ancienne version de la loi du 25 novembre 2014 non encore modifiée par celle du 1er mars 2019, mais qui est néanmoins, tel que relevé ci-avant, transposable en l’espèce dans la mesure où la CJUE s’est penchée sur les conséquences de l’absence de toute voie de recours, y compris au profit du contribuable visé -, la questions préjudicielle formulée par les époux … dans leur mémoire déposé le 20 novembre 2020, telle que réitérée dans leur mémoire supplémentaire du 22 juin 2021, est également à rejeter pour être dénuée de pertinence.

Il s’ensuit que le recours des époux … dirigé contre la décision d’injonction du 10 septembre 2020 est à déclarer irrecevable.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

rejette la demande de jonction du présent rôle avec l’affaire introduite en date du 17 février 2020 sous le numéro 44168 du rôle ;

déclare le recours en annulation dirigé contre la décision d’injonction du 10 septembre 2020 irrecevable, partant le rejette ;

condamne les époux … aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, juge, et lu à l’audience publique du 6 février 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 février 2023 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 45063
Date de la décision : 06/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-02-06;45063 ?

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