Tribunal administratif N° 44168 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:44168 2e chambre Inscrit le 17 février 2020 Audience publique du 6 février 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 44168 du rôle et déposée le 17 février 2020 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme Arendt & Medernach SA, établie et ayant son siège social à L-2082 Luxembourg, 41A, avenue JF Kennedy, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 186371, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente instance par Maître Thierry Lesage, assisté de Maître Marianne Rau, avocats à la Cour, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-2740 Luxembourg, 1, rue Nicolas Welter, tendant à l’annulation de trois décisions du directeur de l’administration des Contributions directes datées au 2 janvier 2020, référencées sous les numéros 2019-1315-S1 DS, 2019-1316-S1 DS et 2019-1317-S1 DS, par lesquelles avait été enjoint à la « société anonyme … » de fournir des renseignements en vertu de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura Geiger, en remplacement de l’huissier de justice Carlos Calvo, les deux demeurant à Luxembourg, du 18 février 2020, portant signification de ce recours à la société de droit suédois …, constituée et existant sous les lois de Suède, ayant son siège social à Stockholm (Suède), représentée par ses représentants légaux actuellement en fonctions, agissant par sa succursale …, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, établie à L-…, représentée par ses représentants permanents actuellement en fonctions ;
Vu les ordonnances présidentielles des 27 février 2020 et 11 mars 2020, inscrites sous les numéros 44169 et 44169a du rôle ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 mars 2020 ;
Vu le mémoire, intitulé « mémoire en réplique », de Maître Thierry Lesage, déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2020 ;
Vu l’ordonnance du président de la deuxième chambre du tribunal administratif du 18 juin 2020 autorisant chacune des parties à déposer un mémoire supplémentaire suite à la communication, par la partie étatique, des raisons avancées par l’autorité étrangère pour justifier la pertinence vraisemblable des renseignements demandés ;
Vu le mémoire supplémentaire de Maître Thierry Lesage, déposé au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2020 ;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2020 ;
Vu l’ordonnance du président de la deuxième chambre du tribunal administratif du 9 juillet 2020 autorisant chacune des parties à déposer un mémoire supplémentaire suite à une demande justifiée afférente de Maître Thierry Lesage du 7 juillet 2020 ;
Vu le mémoire supplémentaire de Maître Thierry Lesage, déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2020 ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 21 septembre 2020 ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 7 octobre 2020 prononçant la rupture du délibéré et autorisant les parties à déposer un mémoire supplémentaire quant à l’incidence de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 6 octobre 2020 dans les affaires jointes C 245/19 et C 246/19 ;
Vu le mémoire supplémentaire de Maître Thierry Lesage, déposé au greffe du tribunal administratif le 16 novembre 2020 ;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2020 ;
Vu l’ordonnance du président de la deuxième chambre du tribunal administratif du 26 avril 2021 autorisant chacune des parties à prendre un mémoire supplémentaire quant à l’incidence de l’arrêt de la Cour administrative du 12 janvier 2021, inscrit sous le numéro 41487C du rôle ;
Vu le mémoire supplémentaire de Maître Thierry Lesage, déposé au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2021 ;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif le 9 août 2021 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Thierry Lesage et Monsieur le délégué du gouvernement Sandro Laruccia en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 novembre 2022.
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Par trois courriers recommandés séparés du 2 janvier 2020, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », enjoignit à la « société anonyme … », ci-après désignée par « la Banque », en vertu de l’article 3, paragraphe (3) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après dénommée la « loi du 25 novembre2014 », de lui fournir pour le 10 février 2020 au plus tard, certains renseignements quant à des comptes bancaires détenus par elle au nom de Monsieur … qui résiderait à « une adresse à …Belgique ».
Lesdites injonctions, référencées respectivement sous les numéros 2019-1315-S1 DS, 2019-1316-S1 DS et 2019-1317-S1 DS, sont libellées comme suit :
1. « […] En date du 20 décembre 2019, l'autorité compétente de l'administration fiscale belge nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la Directive du Conseil 2011116/UE du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013, en vertu de l'article 26 de la convention fiscale entre le Luxembourg et la Belgique du 17 septembre 1970, ainsi que de la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale et de son protocole d'amendement, approuvés en droit interne par la loi du 26 mai 2014.
L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.
La personne physique concernée par la demande est Monsieur …, né le … à …, Suède et ayant une adresse à … Belgique.
Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2017, les renseignements et documents suivants pour le 10 février 2020 au plus tard.
Concernant les comptes …, …, …, …, …, …, …, …, …. et …, veuillez fournir les renseignements suivants :
Veuillez fournir le(s) titulaire(s) des comptes.
Veuillez fournir le(s) nom(s) de la (des) personne(s) étant autorisée(s) à effectuer des opérations sur ces comptes.
Veuillez fournir le nom de la (des) personne(s) ayant ouvert ces comptes même si la date d'ouverture ne se situe pas dans la période visée par la présente décision d'injonction.
Veuillez préciser les soldes d'ouverture et de clôture de ces comptes pour la période visée.
Veuillez préciser le montant des intérêts payés pour ces comptes pour la période concernée.
Veuillez indiquer le montant des impôts payé sur les intérêts durant cette période.
Veuillez fournir les relevés de ces comptes pour la période visée.
Veuillez indiquer si Monsieur … est titulaire d'autres comptes auprès de votre établissement bancaire pendant la période concernée. Dans l'affirmative, 3 veuillez fournir les références de ces comptes et répondre aux mêmes tirets ci-
dessus.
Veuillez indiquer l'ensemble des placements et investissements dont Monsieur … est bénéficiaire auprès de votre établissement ainsi que leurs valeurs et les revenus perçus.
Actions :
Veuillez indiquer si un investissement en actions a-t-il appartenu ou appartient-
il à Monsieur …. Dans l'affirmative, veuillez préciser la période.
Veuillez indiquer la date et le prix d'acquisition, ainsi que la devise.
Veuillez indiquer comment l'investissement a-t-il été financé.
Veuillez indiquer si le rendement sur investissement et / ou le prix de vente obtenu ont-ils été payés à d'autres personnes que les bénéficiaires de l'investissement. Dans l'affirmative, veuillez préciser.
Veuillez préciser si l'actif incorporel résulte-t-il du travail propre de l'investisseur. Veuillez préciser si un montant lié à l'investissement a été versé à l'investisseur. Dans l'affirmative, veuillez préciser.
Obligations, certificats d'investissement dérivés autres produits d'investissement :
Veuillez indiquer si un investissement en obligations a-t-il appartenu ou appartient-il à Monsieur …. Dans l'affirmative, veuillez préciser la période.
Veuillez indiquer la date et le prix d'acquisition, ainsi que la devise.
Veuillez indiquer comment l'investissement a-t-il été financé.
Veuillez indiquer si le rendement sur investissement et / ou le prix de vente obtenu ont-ils été payés à d'autres personnes que les bénéficiaires de l'investissement. Dans l'affirmative, veuillez préciser.
Veuillez préciser si l'actif incorporel résulte-t-il du travail propre de l'investisseur.
Veuillez préciser si un montant lié à l'investissement a été versé à l'investisseur.
Dans l'affirmative, veuillez préciser.
Veuillez indiquer si le montant mentionné est un rendement sur investissement et / ou un produit de la vente (Dividendes, intérêts, prix de vente, autre rendement) et si des taxes ont été retenues. Veuillez indiquer la raison des impôts payés.
Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l'article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération. […] ».
2. « […] En date du 20 décembre 2019, l'autorité compétente de l'administration fiscale belge nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la Directive du Conseil 2011/16/UE du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013, en vertu de l'article 26 de la convention fiscale entre le Luxembourg et la Belgique du 17 septembre 1970, ainsi que de la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en 4 matière fiscale et de son protocole d'amendement, approuvés en droit interne par la loi du 26 mai 2014.
L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.
La personne physique concernée par la demande est Monsieur …, né le … à …, Suède et ayant une adresse à … Belgique.
Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2017, les renseignements et documents suivants pour le 10 février 2020 au plus tard.
Concernant les comptes …, …, …, …, …, …, …, …, … et …, veuillez fournir les renseignements suivants :
Veuillez fournir le(s) titulaire(s) des comptes.
Veuillez fournir le(s) nom(s) de la (des) personne(s) étant autorisée(s) à effectuer des opérations sur ces comptes.
Veuillez fournir le nom de la (des) personne(s) ayant ouvert ces comptes même si la date d'ouverture ne se situe pas dans la période visée par la présente décision d'injonction.
Veuillez préciser les soldes d'ouverture et de clôture de ces comptes pour la période visée.
Veuillez préciser le montant des intérêts payés pour ces comptes pour la période concernée.
Veuillez indiquer le montant des impôts payé sur les intérêts durant cette période.
Veuillez fournir les relevés de ces comptes pour la période visée.
Veuillez indiquer si Monsieur … est titulaire d'autres comptes auprès de votre établissement bancaire pendant la période concernée. Dans l'affirmative, veuillez fournir les références de ces comptes et répondre aux mêmes tirets ci-
dessus.
Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l'article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération. […] ».
3. « […] En date du 20 décembre 2019, l'autorité compétente de l'administration fiscale belge nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la Directive du Conseil 2011/16/UE du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013, en vertu de l'article 26 de la convention fiscale entre le Luxembourg et la Belgique du 17 septembre 1970, ainsi que de la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en 5 matière fiscale et de son protocole d'amendement, approuvés en droit interne par la loi du 26 mai 2014.
L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.
La personne physique concernée par la demande est Monsieur …, né le … à …, Suède et ayant une adresse à … Belgique.
Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2017, les renseignements et documents suivants pour le 10 février 2020 au plus tard.
Concernant les comptes … et …, veuillez fournir les renseignements suivants :
Veuillez fournir le(s) titulaire(s) des comptes.
Veuillez fournir le(s) nom(s) de la (des) personne(s) étant autorisée(s) à effectuer des opérations sur ces comptes.
Veuillez fournir le nom de la (des) personne(s) ayant ouvert ces comptes même si la date d'ouverture ne se situe pas dans la période visée par la présente décision d'injonction.
Veuillez préciser les soldes d'ouverture et de clôture de ces comptes pour la période visée.
Veuillez préciser le montant des intérêts payés pour ces comptes pour la période concernée.
Veuillez indiquer le montant des impôts payé sur les intérêts durant cette période.
Veuillez fournir les relevés de ces comptes pour la période visée.
Veuillez indiquer si Monsieur … est titulaire d'autres comptes auprès de votre établissement bancaire pendant la période concernée. Dans l'affirmative, veuillez fournir les références de ces comptes et répondre aux mêmes tirets ci-
dessus.
Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l'article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 février 2020, inscrite sous le numéro 44168 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions d’injonction précitées du 2 janvier 2020.
Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, inscrite sous le numéro 44169 du rôle, Monsieur … a encore fait introduire une demande tendant à voirordonner le sursis à exécution, sinon une mesure de sauvegarde par rapport aux trois décisions d’injonction précitées du 2 janvier 2020.
Par ordonnance du 27 février 2020, inscrite sous le numéro 44169 du rôle, le premier vice-président du tribunal administratif déclara la requête tendant à voir ordonner le sursis à exécution, sinon une mesure de sauvegarde provisoirement justifiée et ce, jusqu’à l’intervention d’une nouvelle ordonnance à rendre après continuation des débats sur le mérite de la requête, tout en réservant les frais.
Par ordonnance du 11 mars 2020, inscrite sous le numéro 44169a du rôle, le premier vice-président du tribunal administratif vida l’ordonnance du 27 février 2020 et décida qu’en attendant que le tribunal administratif se soit prononcé sur le mérite du recours en annulation introduit sous le numéro 44168 du rôle, il serait sursis à l’exécution des trois décisions d’injonction du directeur de l’administration des Contributions directes du 2 janvier 2020, tout en réservant les frais.
Force est à titre liminaire de relever que malgré le fait que la requête introductive d’instance ait été signifiée à la Banque par voie d’huissier de justice en date du 18 février 2020, cette dernière n’a pas constitué avocat.
Or, nonobstant ce constat, le tribunal est amené à statuer à l’égard de toutes les parties suivant un jugement ayant les effets d’une décision juridictionnelle contradictoire conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Le tribunal relève ensuite que le délégué du gouvernement a sollicité, à travers son mémoire supplémentaire du 14 décembre 2020, la jonction du présent rôle avec une affaire inscrite sous le numéro 45063 du rôle.
Etant donné que le recours inscrit sous le numéro 45063 du rôle est dirigé contre un acte juridiquement distinct, en l’occurrence une décision d’injonction émise par le directeur le 10 septembre 2020 à l’encontre de la Banque afin que celle-ci lui fournisse pour le 16 octobre 2020 au plus tard des renseignements quant à des comptes bancaires détenus par elle au nom non seulement de Monsieur …, mais également de son épouse, Madame …, et ce, pour la période allant du 1er au 31 décembre 2018, il n’a pas trait au même objet, de sorte qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de jonction sous examen.
Quant à la recevabilité du recours en annulation Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours, Monsieur …, après avoir, dans un premier temps, expliqué (i) que lui et son épouse auraient bénéficié depuis le 1er octobre 1998 du régime fiscal belge pour cadres étrangers basé sur une circulaire belge du 8 août 1983, (ii) que ce régime leur aurait été octroyé aux termes d’une décision rendue en date du 14 juin 1999 par le Service Etrangers du ministère des Finances belge, ci-après désigné par « le Service Etrangers », (iii) qu’en vertu de cette décision, ils auraient été considérés comme non-résidents fiscaux en Belgique et auraient déposé depuis lors chaque année une déclaration fiscale à l’impôt des non-résidents et (iv) quece statut fiscal spécial n’aurait jamais été remis en cause par le Service Etrangers, compétent en Belgique pour vérifier la situation fiscale des non-résidents et notamment des cadres étrangers bénéficiant de ce statut, et, dans un deuxième temps, mis en avant les raisons pour lesquelles il estime que l’administration fiscale belge ne serait pas fondée, dans le cas d’espèce, à demander des renseignements auprès d’un établissement financier étranger, tout en réfutant, par ailleurs, que les renseignements demandés puissent être considérés comme constitutifs d’informations vraisemblablement pertinentes pour ladite administration, a pris position quant à la recevabilité de son recours en annulation.
A cet égard, Monsieur …, après avoir souligné que les décisions d’injonction lui causeraient grief, notamment sous forme d’une atteinte à ses droits au respect de la vie privée et à la protection de ses données à caractère personnel, tels que garantis notamment par les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH »), ainsi que 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la Charte ») du fait de la communication et de l’utilisation de renseignements sensibles et strictement personnels, à savoir des informations bancaires détenues par un établissement bancaire luxembourgeois, a estimé pouvoir bénéficier, en sa qualité de contribuable visé par les décisions d’injonction - en dépit de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 ne prévoyant l’ouverture d’un recours spécial qu’au profit du seul détenteur de renseignements -, de la voie de recours de droit commun prévue à l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 ». Ce constat s’imposerait d’autant plus que suite à l’entrée en vigueur de la loi du 1er mars 2019 portant modification de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après désignée par « la loi du 1er mars 2019 », cette dernière ne prévoirait plus d’interdiction de recours contre une décision d’injonction adoptée en application de l’article 3, paragraphe (3) de cette même loi, de sorte que la voie de recours de droit commun devrait être ouverte au contribuable visé et ce, en application de « l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ». En effet, Monsieur … est d’avis qu’il ne saurait être déduit du simple fait que la loi du 25 novembre 2014 ne prévoirait désormais plus qu’une voie de recours spéciale au profit du seul détenteur d’informations que le législateur ait voulu exclure le contribuable concerné de la voie de recours de droit commun, ce d’autant plus que pour conclure à une telle interdiction, il faudrait, notamment en application de l’article 52, paragraphe (1) de la Charte, qu’elle soit expressément prévue par la loi elle-même, ce qui ne serait pas le cas puisque le législateur aurait justement supprimé une telle interdiction. Il ajoute qu’une telle interdiction serait en tout état de cause manifestement contraire aux exigences découlant tant du principe de l’Etat de droit garanti par la Constitution luxembourgeoise, que de l’article 13 de la CEDH et de l’article 47 de la Charte qui exigeraient notamment qu’un administré ou un contribuable doive disposer d’un recours effectif et d’un accès à un tribunal contre un acte émanant d’une autorité publique.
A titre subsidiaire, Monsieur … a sollicité, à travers son recours, que pour le cas où le tribunal devait considérer que nonobstant la suppression de l’interdiction de toute voie de recours suite à la modification de la loi du 25 novembre 2014, cette dernière exclut l’exercice du recours en annulation de droit commun par le contribuable concerné par une décision d’injonction adoptée en application de son article 3, paragraphe (3), il soit sursis à statuer en attendant que la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») se soit prononcée sur la question préjudicielle lui posée par la Cour administrative dans un arrêt du 14 mars 2019, inscrit sous le numéro 41487C du rôle.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a conclu à l’irrecevabilité du recours en ce qu’il est introduit par le contribuable visé, à savoir Monsieur …, pour lequel aucun recours ne serait prévu par l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 dans sa version applicable au moment de la prise des décisions litigieuses. A titre subsidiaire, il a lui aussi demandé que le tribunal sursoie à statuer en attendant les réponses aux questions préjudicielles posées par la Cour administrative (i) auprès de la Cour constitutionnelle, dans l’affaire inscrite sous le numéro 37014 du rôle et (ii) auprès de la CJUE dans les affaires inscrites sous les numéros 41487C et 41486C du rôle.
Dans son mémoire intitulé « mémoire en réplique », tout comme dans son mémoire supplémentaire déposé le 25 juin 2020, Monsieur … a réitéré en substance ses développements contenus dans son recours pour insister sur le fait qu’à défaut pour la loi du 25 novembre 2014 de prévoir une voie de recours spéciale au profit du contribuable concerné par la décision d’injonction, la voie de recours de droit commun prévue à l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996 devrait lui être ouverte.
Il a ensuite souligné que l’arrêt de la Cour administrative inscrit sous le numéro 41487C du rôle aurait été rendu sous l’ancien régime de la loi du 25 novembre 2014 et donc avant la modification de cette dernière par la loi du 1er mars 2019 depuis l’entrée en vigueur de laquelle la loi du 25 novembre 2014 ne prévoirait plus d’interdiction de recours contre une décision d’injonction adoptée en application de l’article 3, paragraphe (3) de cette même loi. Au vu de ces considérations, Monsieur … a estimé qu’il ne paraîtrait ni utile, ni nécessaire d’attendre le résultat des questions préjudicielles pendantes au moment du dépôt de son mémoire supplémentaire devant la CJUE puisque celles-ci auraient été posées sous le régime de la loi du 25 novembre 2014 avant sa modification. Il a encore rappelé que ce ne serait qu’à titre subsidiaire qu’il aurait sollicité dans son recours le sursis à statuer en attendant que la question préjudicielle en cause soit effectivement tranchée par la CJUE.
Dans son mémoire supplémentaire du 1er juillet 2020, le délégué du gouvernement, tout en admettant que les questions préjudicielles à ce moment encore pendantes devant la CJUE auraient concerné des décisions d’injonction prises sous l’égide de la loi du 25 novembre 2014 avant sa modification par la loi du 1er mars 2019, a, en substance, insisté sur l’importance que conserverait la réponse à l’une des deux questions posées à la CJUE pour trancher la question de la recevabilité d’un recours introduit par le contribuable visé par une décision d’injonction.
Le délégué du gouvernement a, par ailleurs, réfuté la théorie adverse suivant laquelle du fait pour le législateur d’avoir, par sa loi modificative du 1er mars 2019, supprimé l’interdiction pure et simple de tout recours, tout en n’instaurant qu’un recours au profit du seul détenteur des renseignements, le législateur aurait voulu implicitement ouvrir la possibilité d’une voie de recours de droit commun au profit du contribuable visé, ce d’autant plus qu’il ne ferait pas de sens que le législateur ait voulu instaurer implicitement une voie de droit en matière d’échange de renseignements par le biais du droit commun au profit du contribuable visé, sans lui reconnaître l’effet suspensif attaché à son recours, effet suspensif pourtant prévu pour les recours exercés conformément à l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014. Enfin, le délégué du gouvernement a réitéré sa demande de surseoir à statuer jusqu’à ce que la CJUE se soit prononcée sur l’existence d’une voie de recours au profit du contribuable concerné et quant aux conditions dans lesquelles celle-ci serait à exercer.
Dans son mémoire supplémentaire du 6 août 2020, Monsieur … a, en substance, maintenu ses développements antérieurs tout en renvoyant pour le surplus aux conclusions del’avocate générale Kokott présentées dans le cadre des affaires jointes C-245/19 et C-246/19, pendantes devant la CJUE, dont il se dégagerait non seulement qu’il faudrait prévoir une voie de recours dans le chef notamment du contribuable visé par une décision d’injonction mais également que le recours en question devrait pouvoir s’exercer devant les juridictions de l’Etat requis, en l’occurrence les juridictions luxembourgeoises.
Dans son mémoire supplémentaire du 16 novembre 2020, Monsieur … a pris position quant aux enseignements qui seraient, selon lui, à tirer de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020, dans les affaires jointes C-245/19 et C-246/19, à savoir (i) que le législateur européen n’aurait pas cherché à restreindre le droit à un recours effectif contre une décision d’injonction de fournir des renseignements émanant des autorités fiscales de l’Etat requis, (ii) que le droit à un recours effectif du contribuable contre une décision d’injonction de fournir des renseignements émanant des autorités fiscales de l’Etat requis aurait été consacré et (iii) que seule la loi pourrait restreindre le droit à un recours effectif du contribuable contre une décision d’injonction de fournir des renseignements émanant des autorités fiscales de l’Etat requis, tout en insistant surtout sur le fait qu’aussi bien les arrêts de la Cour administrative du 14 mars 2019 ayant posé les questions préjudicielles que l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 auraient été rendus en prenant en considération les dispositions de la loi du 25 novembre 2014 avant sa modification en mars 2019 et donc avant que le législateur luxembourgeois n’ait décidé de supprimer l’interdiction de tout recours, telle qu’elle se dégageait de l’ancienne version de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014. Monsieur … a continué en insistant sur le fait que suivant son interprétation de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 et de la jurisprudence des juridictions administratives, il appartiendrait au législateur luxembourgeois de prévoir expressément dans la loi du 25 novembre 2014 une interdiction de recours s’il souhaitait effectivement interdire au contribuable concerné d’exercer un recours en annulation de droit commun contre une décision d’injonction du directeur et qu’à défaut, ce droit de recours devrait être reconnu via l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996. Il ajoute qu’une telle volonté d’interdire l’exercice d’un recours en annulation de droit commun par le contribuable visé ne se dégagerait pas non plus des travaux parlementaires à la base de la loi modificative de mars 2019. Monsieur … pointe ensuite le fait que si dans son arrêt du 6 octobre 2020, la CJUE avait retenu que l’interdiction d’un recours direct – à condition qu’elle soit prévue par la loi – dans le chef du contribuable visé n’était pas disproportionnée dans la mesure où le contribuable a la possibilité de contester cette décision à titre incident dans le cadre d’un recours contre une décision ultérieure de rectification ou de redressement de la taxation décidée par les autorités fiscales de l’Etat requérant, il n’en resterait pas moins que lui-même n’aurait pas la possibilité de contester de manière incidente la légalité des décisions d’injonction devant les juridictions belges et ce, eu égard au fait que les décisions en question auraient été adoptées par les autorités fiscales luxembourgeoises en application de la loi luxembourgeoise et que nonobstant tous les recours qu’il aurait déjà exercés en Belgique et tous les recours qu’il pourrait encore exercer à l’avenir contre des éventuelles décisions de taxation belge, les juridictions belges ne se prononceraient jamais sur la conformité des décisions d’injonction prises sur base de la loi luxembourgeoise. Or, depuis sa modification, la loi du 25 novembre 2014 imposerait à l’administration fiscale des obligations déterminées qu’elle devrait respecter lorsqu’elle adopte une décision d’injonction. Il ne faudrait pas non plus perdre de vue que pour que la transmission de données personnelles ne constitue pas une atteinte aux droits de la protection de ces mêmes données et au respect de la vie privée, il faudrait qu’elle repose sur une décision émanant d’une autorité administrative légalement justifiée. A cela s’ajouterait qu’à défaut d’une décision d’injonction remplissant les conditions requises par la loi, la transmission de données serait illégale et ouvrirait en principe droit à l’exercice d’une action en dommages et intérêts par le contribuable, notamment contre l’Etat luxembourgeois en application de l’article 79,paragraphe (1) du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, ci-après désigné par « le règlement UE/2016/679 ». Il avance ensuite deux éléments qui seraient en principe particulièrement susceptibles d’affecter la validité d’une décision d’injonction luxembourgeoise, à savoir (i) l’annulation de la demande de renseignements par les juridictions de l’Etat requérant, puisque dans un tel cas la décision d’injonction perdrait sa base juridique et (ii) l’adoption d’une décision d’injonction en violation des conditions posées en particulier par la loi du 25 novembre 2014 et de manière plus large par la législation luxembourgeoise. A cela s’ajouterait qu’il pourrait également arriver qu’une demande de renseignements ne soit pas annulée par les juridictions de l’Etat requérant mais que la décision d’injonction serait néanmoins illégale pour être contraire à la loi luxembourgeoise en ce que l’administration fiscale luxembourgeoise aurait dépassé ses pouvoirs tels que réglés par la seule législation luxembourgeoise. Ainsi, en l’absence de l’existence d’un recours en annulation de droit commun devant les juridictions administratives, le contribuable visé par une décision d’injonction illégale n’aurait pas la possibilité d’exercer un recours effectif contre celle-ci, faute pour les juridictions de l’Etat étranger de se reconnaître compétentes pour apprécier la légalité de la décision d’injonction du directeur par rapport aux dispositions légales luxembourgeoises. De fait, aucun contrôle ne serait possible ni au Luxembourg, ni dans l’Etat requérant, ce qui serait inacceptable dans un Etat de droit. Après avoir réitéré que tant que les juridictions administratives luxembourgeoises n’auront pas constaté l’illégalité d’une décision d’injonction par rapport à la loi luxembourgeoise, le contribuable visé n’aurait pas la possibilité effective d’exercer une action en dommages et intérêts contre l’Etat luxembourgeois pour avoir été à l’origine d’une transmission illégale de données personnelles en vertu de l’article 79, paragraphe (1) du règlement UE/2016/679, précité, Monsieur … souligne encore que même si la demande de renseignements étrangères était annulée par les juridictions de l’Etat requérant, une décision d’injonction du directeur sur cette base continuerait à exister et à être exécutoire au Luxembourg.
A titre subsidiaire, et pour le cas où le tribunal devait néanmoins considérer qu’il ne se dégagerait pas de manière suffisamment expresse de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 que son recours en annulation serait à déclarer recevable en application de l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996 et selon les règles de procédure prévues par cette même loi, Monsieur … demande à ce que le tribunal sursoie à statuer et demande à la CJUE de statuer à titre préjudiciel sur la question suivante :
« Est-ce que les articles 7, 8 et 52, paragraphe 1er, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lus ensemble avec l’article 47 de ladite Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale d’un Etat membre qui, dans le cadre du régime de procédure en matière d’échange de renseignements sur demande mis en place notamment en vue de la mise en œuvre de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, empêche, sans même prévoir dans la loi une interdiction claire et précise de recours juridictionnel, le contribuable concerné par une décision à travers laquelle l’autorité compétente de cet Etat membre oblige un détenteur de renseignements à lui fournir des informations en vue de donner suite à une demande d’échange de renseignements émanant d’un autre Etat membre d’exercer un recours juridictionnel direct et indirect contre celle-ci, de sorte qu’une telle décision échapperait à tout contrôle juridictionnel de conformité à la législation de l’Etat requis, à l’initiative du contribuable concerné ? ».
Dans son mémoire supplémentaire du 14 décembre 2020, le délégué du gouvernement a, quant à lui, maintenu ses conclusions quant à l’irrecevabilité du recours sous analyse suite à l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020, dans les affaires jointes C 245/19 et C-246/19. Ainsi, après avoir rappelé la législation nationale actuelle en la matière, le délégué du gouvernement s’est penché sur les enseignements de la CJUE dans son arrêt précité en soulignant que celle-
ci aurait explicitement avalisé la possibilité d’un recours différé, a posteriori, par opposition au recours ex ante réclamé en l’espèce. Or, cette possibilité existerait en l’espèce pour le contribuable visé en ce sens qu’il pourrait exercer dans l’Etat requérant, en l’occurrence la Belgique, son droit en y invoquant l’illégalité des investigations menées à son encontre. Le délégué du gouvernement a encore expliqué que la différence majeure ayant conduit la CJUE dans son arrêt précité à distinguer suivant la qualité du demandeur découlerait du fait que la situation du contribuable visé par une enquête serait différente de celle de la personne détentrice d’informations alors que cette dernière risquerait, contrairement au contribuable visé, de se voir infliger une sanction administrative en cas de non-respect de la décision d’injonction.
Dans son mémoire supplémentaire du 22 juin 2021 que Monsieur … a été autorisé à déposer notamment pour prendre position quant à l’incidence de l’arrêt de la Cour administrative du 12 janvier 2021, inscrit sous le numéro 41487C du rôle, Monsieur … a réitéré, en substance, ses développements contenus dans ses écrits contentieux antérieurs pour insister sur le fait qu’au regard tant de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 que de celui de la Cour administrative du 12 janvier 2021, il ne pourrait y avoir de doute qu’une décision d’injonction, telle que les trois décisions déférées en l’espèce, constituerait une décision causant grief au contribuable et contre laquelle un recours en annulation devrait en principe être ouvert en droit luxembourgeois selon la procédure de droit commun et ce, à partir du moment où la loi luxembourgeoise n’interdirait – sous le régime applicable au moment de l’adoption des décisions d’injonction attaquées – pas expressément l’exercice d’un tel recours dans le chef du contribuable visé.
Dans son mémoire supplémentaire du 9 août 2021, le délégué du gouvernement a tout d’abord maintenu son argumentation antérieure, tout en insistant sur le fait que non seulement les arrêts de la Cour administrative du 12 janvier 2021 viendraient corroborer encore davantage le fait que Monsieur …, en sa qualité de contribuable visé par une demande de renseignements, ne disposerait pas dans l’Etat requis d’un droit de recours et ce du fait qu’il pourrait, dans le cadre de la procédure d’imposition définitive réalisée dans l’Etat requérant, y contester les renseignements collectés par l’Etat requis et continués à l’Etat requérant pour procéder à l’imposition définitive, mais, par ailleurs, les considérants n° 34 à 36 de l’arrêt de la Cour administrative inscrit sous le numéro 41487C du rôle, indiqueraient qu’il incombe au requérant de justifier en droit l’impossibilité existante dans le droit positif de l’Etat requérant de contester, dans le cadre de l’imposition définitive, les renseignements collectés par l’administration.
Le délégué du gouvernement a ensuite insisté sur le fait qu’une situation dans laquelle il pourrait être retenu que les garanties juridictionnelles n’existent pas dans l’Etat requérant ne serait pratiquement pas envisageable dans les pays membres de l’Union européenne qui seraient obligés de se conformer au droit primaire et au droit dérivé de l’Union européenne, ainsi qu’à la Charte. Il met encore en avant qu’en l’espèce, l’Etat requérant serait la Belgique et que l’existence d’une voie de droit telle que requise ne serait pas simplement affirmée ou supposée mais existerait effectivement et sans contestation possible et ce, à la lecture du contenu de l’ordonnance prise par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles,section civile, siégeant en matière de référé du 27 février 2020 versée en cause par Monsieur ….
Tout en admettant que les affaires toisées par la Cour administrative le 12 janvier 2021 auraient trait à une situation où la demande d’échange de renseignements et les décisions d’injonction y relatives ont été émises sous l’égide de la loi du 25 novembre 2014 avant sa modification, le délégué du gouvernement est d’avis qu’il n’en resterait pas moins que le moyen invoqué par Monsieur … pour justifier l’existence d’un recours de droit commun ne se concilierait pas avec les arrêts de la CJUE et les récents arrêts de la Cour administrative, tout en réitérant que l’intérêt à agir serait différent suivant que la voie de droit est exercée par un tiers détenteur, appelé à collaborer avec l’administration, ou que cette voie est exercée par le contribuable visé par une procédure d’imposition dans l’Etat requérant. Les arrêts de la CJUE indiqueraient justement que l’Union européenne considère comme un objectif d’intérêt général reconnu par elle, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales. De ce fait, pour Monsieur …, en sa qualité de contribuable visé par une demande d’échanges de renseignements, les considérations liées à la protection des données et à sa vie privée devraient céder le pas, dans un premier stade, dans l’Etat requis, au nom d’une efficace coopération administrative fiscale et être analysées, à un stade ultérieur, par les juridictions de l’Etat requérant qui seraient mieux placées pour mettre en balance les intérêts du contribuable concerné et la marge de manœuvre de l’autorité fiscale dudit pays.
Enfin, le délégué du gouvernement soutient que mis à part les arguments d’ores et déjà développés, il y aurait de toute façon une impossibilité matérielle à justifier la recevabilité du recours sous analyse. En effet, si Monsieur … souhaitait s’emparer de l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996 pour justifier la recevabilité de son recours, il commettrait, ce faisant, une erreur d’appréciation quant à l’applicabilité de la notion de pertinence vraisemblable aux décisions d’injonction puisque ledit article prévoirait des causes bien spécifiques pour solliciter l’annulation d’une décision administrative. Or, aucun argumentaire en relation avec l’une de ces causes bien spécifiques n’aurait été présenté ou développé, ce qui serait de toute façon impossible puisque la notion de pertinence vraisemblable, permettant de contester une décision d’injonction serait une notion juridique propre, sui generis, issue de la loi du 25 novembre 2014. Il ne serait, en tout état de cause, pas admissible qu’un administré prenne pour base un article de la loi du 7 novembre 1996 pour justifier la recevabilité de son action en justice, pour s’emparer ensuite d’une autre loi spécifique, en l’occurrence celle du 25 novembre 2014, pour faire valoir ses arguments et ce, faute pour la loi initialement invoquée de prévoir la cause d’annulation invoquée.
Analyse du tribunal Il échet tout d’abord de constater que la demande d’échange de renseignements des autorités belges est basée sur la convention entre le Luxembourg et la Belgique en vue d’éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune du 17 septembre 1970, ci-après désignée par « la Convention », ainsi que sur la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, du 15 février 2011, ci-après désignée par « la directive 2011/16/UE », transposée en droit interne par la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal. La demande en cause se trouve également fondée sur la convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale et son protocole d’amendement, approuvés par la loi du 26 mai 2014, ci-après la « Conventiond’assistance mutuelle ». Les décisions d’injonction du 2 janvier 2020, quant à elles, sont fondées sur la loi du 25 novembre 2014.
En ce qui concerne ensuite la recevabilité du recours sous analyse, il convient de rappeler que le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégage.
Concernant ainsi le moyen de Monsieur … suivant lequel son recours serait à déclarer recevable sur base de l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996, force est de rappeler que celui-
ci dispose dans son premier paragraphe que : « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements. ».
La disposition qui précède donne dès lors compétence au tribunal administratif de statuer sur tous les recours dirigés contre des décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements.
L’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 dispose, depuis sa modification par la loi du 1er mars 2019 applicable au moment des décisions litigieuses, que : « (1) Contre la décision d’injonction visée à l’article 3, paragraphe 4, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements. […] (2) Le recours contre la décision d’injonction visée à l’article 3, paragraphe 3 et la décision visée à l’article 5 doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements demandés. Le recours a un effet suspensif. Par dérogation à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives, il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive d’instance. Le mémoire en réponse doit être fourni dans un délai d’un mois à dater de la signification de la requête introductive. Le dépôt de la requête ou du mémoire au greffe du tribunal vaut signification à l’État ou par l’État. Toutefois, dans l’intérêt de l’instruction de l’affaire, le président de la chambre appelée à connaître de l’affaire peut ordonner d’office la production de mémoires supplémentaires dans le délai d’un mois. Le tribunal administratif statue dans le mois à dater de la signification du mémoire en réponse ou du dernier mémoire supplémentaire. À défaut de signification du mémoire en réponse ou des mémoires supplémentaires dans les délais prévus, il statue dans le mois de l’expiration du délai d’un mois pour la signification du mémoire en réponse ou des mémoires supplémentaires. […] ».
Il se dégage de la lecture de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 précité, que celui-
ci prévoit explicitement un recours en annulation contre les décisions d’injonction en matière d’échange de renseignements sur demande, ainsi que toute une procédure contentieuse dérogatoire à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives.
Force est ainsi de retenir que, dans la mesure où l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 attribue uniquement compétence au tribunal administratif de statuer sur les recours dirigés contre des décisions à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements, et que l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 prévoit, depuis sa modification intervenue par la loi du 1er mars 2019, expressément un recours en annulation et une procédure contentieuse spéciale, dérogatoire au droit commun en matière de procédure devant lesjuridictions administratives, contre les décisions d’injonction en matière d’échange de renseignements sur demande, l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 ne saurait s’appliquer à l’égard d’une décision d’injonction prise sur base de la loi du 25 novembre 2014 afin d’ouvrir au contribuable visé, voire au tiers intéressé une voie de recours exclue par l’article 6 de la loi du 25 novembre 20141. L’analyse de la recevabilité du présent recours s’effectue dès lors exclusivement au regard des dispositions de la loi du 25 novembre 2014.
Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’argumentaire de Monsieur … suivant lequel, faute pour le législateur d’avoir prévu expressément une interdiction de recours contre une décision d’injonction, il ne saurait être déduit du simple fait que la loi du 25 novembre 2014 ne prévoirait désormais plus qu’une voie de recours spéciale au profit du seul détenteur d’informations que ledit législateur ait voulu exclure le contribuable visé, voire le tiers intéressé de la voie de recours de droit commun. En effet, une telle lecture du paragraphe (1) de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 ne se dégage pas de son libellé, lequel est clair et précis en ce sens que ladite disposition, en accordant un recours devant le tribunal administratif uniquement à une personne ayant la qualité de détenteur des renseignements qui s’est vu notifier une décision directoriale lui enjoignant de fournir certains renseignements, exclut nécessairement toute possibilité de recours contre la décision d’injonction dans le chef du contribuable visé, voire du tiers intéressé2, de sorte qu’aucune interprétation au-delà du texte de la loi ne s’impose au tribunal.
Au vu de ces considérations, la demande de Monsieur …, telle que formulée à l’audience des plaidoiries du 21 novembre 2022, d’effectuer un nouveau renvoi préjudiciel à la CJUE afin de voir trancher la question de savoir si une législation prévoyant un recours spécifique uniquement dans le chef du détenteur des renseignements à l’encontre d’une décision d’injonction de fournir des renseignements pouvait être interprétée comme excluant implicitement un recours dans le chef de tout tiers intéressé et notamment du contribuable visé sur base du droit commun et ce compte tenu des exigences de clarté et de précision requises à travers l’article 52, paragraphe (1) de la Charte est à rejeter pour être dénuée de fondement.
Le moyen formulé par Monsieur … fondé sur une application de l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 encourt dès lors le rejet.
Dans la mesure où l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 dispose que : « Contre la décision d’injonction visée à l’article 3, paragraphe 3, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements. », et accorde, tel que relevé ci-avant, un recours devant le tribunal de céans uniquement au détenteur des renseignements, tout en excluant nécessairement par là même toute possibilité de recours contre la décision d’injonction dans le chef du contribuable visé, voire du tiers intéressé, un recours dirigé contre la décision d’injonction formé par le contribuable visé ou un tiers intéressé est a priori irrecevable.
Se pose ensuite la question de la compatibilité de l’exclusion de Monsieur …, en tant que contribuable visé par la demande des autorités belges, de tout recours prévu par l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, avec les articles 52, paragraphe (1) et 47 de la Charte et 13 de la CEDH prévoyant notamment le droit à un recours effectif.
1 Trib. adm., 5 juillet 2022, n°47441 et 47442 du rôle, c. par Cour adm., 6 octobre 2022, nos 47711C et 47712C du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu.
2 Idem.
A cet égard, il convient de se référer aux enseignements de la CJUE dans son arrêt du 6 octobre 2020, affaires jointes C-245/19 et C-246/19, certes pris dans le contexte de l’ancienne version de la loi du 25 novembre 2014 non modifiée par celle du 1er mars 2019, mais néanmoins et contrairement à ce que plaide Monsieur …, transposable en l’espèce dans la mesure où la CJUE s’est penchée sur la question de la compatibilité de l’exclusion d’un recours contre la décision d’injonction avec l’article 47 de la Charte dans l’hypothèse où cette exclusion vise le détenteur des informations sollicitées, le tiers intéressé, respectivement, comme en l’espèce, le contribuable visé.
Dans son arrêt du 6 octobre 2020, la CJUE a, en ce qui concerne concrètement le contribuable visé par l’enquête à l’origine de la décision d’injonction de communication d’informations, reconnu que cette personne est titulaire, d’une part, du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 7 de la Charte et, d’autre part, du droit à la protection des données à caractère personnel garanti par l’article 8, paragraphe (1) de la Charte3. Elle a également admis que la communication d’informations relatives à une personne physique identifiée ou identifiable à un tiers, y compris à une autorité publique, ainsi que la mesure qui impose ou permet cette communication, sont, sans préjudice de leur éventuelle justification, constitutives d’ingérences dans le droit de cette personne au respect de sa vie privée ainsi que dans son droit à la protection des données à caractère personnel la concernant, indépendamment de la question de savoir si ces informations présentent un caractère sensible ou non et quelle que soit leur utilisation ultérieure, sauf si ladite communication intervient dans le respect des dispositions du droit de l’Union européenne et, le cas échéant, des dispositions du droit interne prévues à cet effet4. Ainsi, d’après la CJUE, la communication à l’autorité nationale compétente d’informations relatives à une personne physique identifiée ou identifiable, telles que les informations sollicitées dans le cadre d’une décision d’injonction telles que celles de l’espèce, et la mesure qui impose cette communication sont susceptibles de violer le droit au respect de la vie privée de la personne en cause ainsi que son droit à la protection des données à caractère personnel5. La CJUE en a déduit qu’un contribuable visé par l’enquête dans l’Etat requérant à l’origine de la décision d’injonction de communication d’informations émise par l’autorité compétente de l’Etat requis doit a priori se voir reconnaître le bénéfice du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte en présence d’une décision d’injonction de communication d’informations telle que celle de l’espèce6.
D’un autre côté, la CJUE a toutefois rappelé que l’article 52, paragraphe (1) de la Charte permet de limiter l’exercice de ce droit à condition que soit préservé le contenu essentiel du droit à un recours effectif7 incluant, entre autres éléments, celui consistant, pour la personne titulaire de ce droit, à pouvoir accéder à un tribunal compétent pour assurer le respect des droits que le droit de l’Union européenne lui garantit et, à cette fin, pour examiner toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre le litige dont il se trouve saisi8. La CJUE a souligné que cette exigence n’implique néanmoins pas, en tant que telle, que le titulaire de ce droit dispose d’une voie de recours directe ayant pour objet, à titre principal, de mettre en cause une mesure donnée, pour autant toutefois qu’il existe par ailleurs, devant les différentes juridictions nationales compétentes, une ou plusieurs voies de recours lui permettant d’obtenir, à titre 3 CJUE (grande chambre), Etat luxembourgeois contre B et Etat luxembourgeois contre B e.a, du 6 octobre 2020, affaires jointes nos C 245/19 et C-246/19, considérant n° 72.
4 Idem, considérant n° 73.
5 Idem, considérant n° 74.
6 Idem, considérant n° 75 7 Idem, considérant n° 78.
8 Idem, considérant n° 66.incident, un contrôle juridictionnel de cette mesure assurant le respect des droits et des libertés que le droit de l’Union européenne lui garantit, sans devoir s’exposer à cette fin au risque de se voir infliger une sanction en cas de non-respect de la mesure en cause9. Elle a insisté, à cet égard, sur la différence de situation du contribuable visé par l’enquête par rapport à celle de la personne détentrice d’informations qui, elle, en l’absence de possibilité de former un recours direct contre une décision d’injonction qui lui est adressée, serait privée de toute protection juridictionnelle effective10.
La CJUE a ensuite relevé qu’une décision d’injonction de communication d’informations intervient dans le cadre de la phase préliminaire de l’enquête visant le contribuable en cause, au cours de laquelle sont recueillies des informations relatives à la situation fiscale de ce contribuable et qui ne revêt pas un caractère contradictoire, et que seule la phase ultérieure de ladite enquête, qui s’ouvre par l’envoi d’une proposition de rectification ou de redressement au contribuable visé, d’une part, revêt un caractère contradictoire impliquant de permettre à ce contribuable d’exercer son droit d’être entendu et, d’autre part, est susceptible de déboucher sur une décision de rectification ou de redressement adressée audit contribuable11. La CJUE a alors retenu que c’est cette décision de rectification ou de redressement qui constitue un acte à l’égard duquel le contribuable visé doit disposer d’un droit de recours effectif supposant que le tribunal saisi du litige afférent soit compétent pour examiner toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre ce litige et, en particulier, pour vérifier que les preuves sur lesquelles se fonde cet acte n’ont pas été obtenues ou utilisées en violation des droits et des libertés garantis à l’intéressé par le droit de l’Union européenne12.
Dans ce contexte, la CJUE a encore confirmé que l’objectif de la directive 2011/16/UE de contribuer à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales, en renforçant la coopération entre les autorités nationales compétentes en ce domaine, constitue un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union européenne, au sens de l’article 52, paragraphe (1) de la Charte, et que l’intérêt attaché à l’efficacité et à la rapidité de cette coopération justifie qu’une législation nationale excluant qu’un recours direct puisse être formé contre une décision d’injonction par le contribuable visé par l’enquête à l’origine de la demande d’échange d’informations ayant conduit l’autorité nationale compétente à adopter cette décision, est propre à réaliser l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales poursuivi par la directive 2011/16 et nécessaire à la réalisation de cet objectif13. En outre, d’après la CJUE, une telle législation n’apparaît pas comme disproportionnée14.
A partir de cet arrêt, la Cour administrative a, dans son arrêt précité du 12 janvier 2021, inscrit sous le numéro 41487Ca du rôle, conclu que ledit arrêt devra être lu en ce sens que les articles 47 et 52, paragraphe (1) de la Charte imposent une obligation systématique à chaque Etat membre en sa qualité d’Etat requérant engageant une procédure d’échange de renseignements sur demande avec un autre Etat membre d’ouvrir une voie de recours ainsi définie à l’encontre d’une « décision de rectification ou de redressement adressée audit contribuable ».
9 Idem, considérant n° 79.
10 Idem, considérant n° 80.
11 Idem, considérant n° 81.
12 Idem, considérant n° 82.
13 Idem, considérants nos 85 à 91.
14 Idem, considérant n° 92.Elle a encore relevé qu’il incombe au demandeur de justifier en droit, une impossibilité existante dans le droit positif de l’Etat requérant de contester, dans le cadre de l’imposition définitive, les renseignements collectés auprès de l’administration des Contributions directes15.
Dans deux arrêts du 6 octobre 2022, inscrits sous les numéros respectifs 47711C et 47712C du rôle, la Cour administrative a encore confirmé que l’ensemble des raisonnements qui précèdent continue à s’appliquer suite à la modification de l’article 6 de loi du 25 novembre 2014 par la loi du 1er mars 201916.
Un premier constat s’impose, à savoir que l’argumentation de Monsieur … suivant laquelle, faute pour lui de pouvoir introduire un recours en annulation de droit commun contre les décisions d’injonction devant le tribunal administratif, son droit à un recours effectif serait violé du fait qu’il ne lui serait pas non plus possible de contester la légalité d’une décision d’injonction, prise sur le fondement de dispositions légales luxembourgeoises, devant les juridictions belges est à rejeter pour être dénuée de pertinence puisqu’il se dégage des enseignements de l’arrêt, précité, de la CJUE que ce qui importe pour apprécier si le droit à un recours effectif du contribuable visé par une décision d’injonction est respecté est qu’il existe dans le chef de celui-ci, devant le juge national compétent de l’Etat membre requérant, une possibilité de contrôle juridictionnel a posteriori de la validité de l’échange de renseignements découlant de la demande de l’Etat requérant et de la décision d’injonction.
Or, il y a lieu de constater que l’Etat requérant est en l’espèce la Belgique et que celle-
ci est tenue en tant qu’Etat membre de l’Union européenne au respect des dispositions de la Charte et liée par l’interprétation de la CJUE du droit de l’Union européenne, la Belgique étant encore signataire de la CEDH, et dispose ainsi a priori d’un système de recours efficace contre les violations des droits et libertés prévus par la CEDH et la Charte.
Force est ensuite de relever qu’outre le fait que Monsieur … n’allègue pas qu’il lui serait impossible de soumettre la légalité de la demande d’échange de renseignements des autorités belges au juge belge, il ressort de l’ordonnance du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, section civile, siégeant en matière de référé, du 27 février 2020 que le juge appelé à connaître de l’affaire de référé a expressément indiqué que « […] s’il apparaît ultérieurement que l’administration fiscale belge a réellement effectuée des investigations illégales et n’a pas respecté le prescrit de la loi, comme les demandeurs le prétendent, ces derniers peuvent quant à eux encore invoquer l’illégalité des investigations a posteriori et les informations reçues pourront, le cas échéant, être rejetées par le juge du fond en cas de violation reconnue par celui-ci, le cas échéant. », de sorte qu’il y a lieu de constater qu’il existe bel et bien une voie de recours dans le chef du contribuable visé à l’encontre d’une « décision de rectification ou de redressement adressée audit contribuable » en Belgique, tel qu’exigé par la CJUE.
Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure qu’il ne ressort pas des pièces versées en cause que Monsieur …, en sa qualité de contribuable visé, ne dispose pas, en Belgique, d’un accès à une voie de recours lui permettant de contester la validité de l’échange de renseignements découlant des demandes des autorités belges du 20 décembre 2019 et des décisions d’injonction déférées du 2 janvier 2020, dans le cadre d’un recours contre une « décision de rectification ou de redressement adressée audit contribuable » émise à son encontre par les autorités belges à l’issue de leur enquête et que l’exercice utile de son droit à un recours effectif ne lui y serait partant pas garanti, malgré le statut d’Etat membre de l’Union 15 Idem, considérants nos 34 à 36.
16 Cour. adm., 6 octobre 2022, n° 47711C et 47712C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lueuropéenne de la Belgique, ce qui entraînerait qu’un recours devrait quand même lui être rendu possible au Luxembourg sous peine de le priver entièrement du droit à un recours effectif lui garanti par les articles 47 de la Charte et 13 de la CEDH.
L’argumentation de Monsieur … suivant laquelle l’exclusion de toute possibilité de recours dans son chef contre les décisions d’injonction litigieuses serait contraire aux droits consacrés notamment par les articles 47 et 52, paragraphe (1) de la Charte, respectivement 13 de la CEDH est dès lors à rejeter pour ne pas être fondée.
Il n’y a pas non plus lieu de saisir la Cour constitutionnelle de la question de savoir si la loi du 25 novembre 2014, en ce qu’elle exclut le contribuable visé de la voie de recours de droit commun, serait contraire au principe de l’Etat de droit garanti par la Constitution luxembourgeoise, une telle question étant, au vu des enseignements se dégageant de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020, dénuée de fondement.
Dans la mesure où le tribunal a retenu ci-avant qu’au vu du libellé clair de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, depuis sa modification, il était dans l’intention du législateur, en limitant expressément la voie de recours au seul détenteur des renseignements, de nécessairement exclure toute possibilité de recours contre une décision d’injonction dans le chef du contribuable visé, voire du tiers intéressé et au vu des enseignements clairs se dégageant de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 - lequel a certes été pris dans le contexte de l’ancienne version de la loi du 25 novembre 2014 non encore modifiée par celle du 1er mars 2019, mais qui est néanmoins, tel que relevé ci-avant, transposable en l’espèce dans la mesure où la CJUE s’est penchée sur les conséquences de l’absence de toute voie de recours, y compris au profit du contribuable visé -, la question préjudicielle formulée par Monsieur … dans son mémoire supplémentaires du 16 novembre 2020, telle que réitérée dans son mémoire supplémentaire du 22 juin 2021, est également à rejeter pour être dénuée de pertinence.
Il s’ensuit que le recours de Monsieur … dirigé contre les décisions d’injonction du 2 janvier 2020 est à déclarer irrecevable.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
rejette la demande de jonction du présent rôle avec l’affaire introduite en date du 6 octobre 2020 sous le numéro 45063 du rôle ;
vidant l’ordonnance présidentielle du 11 mars 2020, inscrite sous le numéro 44169a du rôle ;
déclare le recours en annulation dirigé contre les décisions d’injonction du 2 janvier 2020 irrecevable, partant le rejette ;
fait masse des frais et dépens de l’instance au provisoire et de la présente instance et condamne Monsieur … à l’intégralité de ces frais.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, juge, et lu à l’audience publique du 6 février 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 février 2023 Le greffier du tribunal administratif 20