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02/02/2023 | LUXEMBOURG | N°47261

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 février 2023, 47261


Tribunal administratif N° 47261 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47261 2e chambre Inscrit le 1er avril 2022 Audience publique du 2 février 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47261 du rôle et déposée le 1er avril 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … ...

Tribunal administratif N° 47261 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47261 2e chambre Inscrit le 1er avril 2022 Audience publique du 2 février 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47261 du rôle et déposée le 1er avril 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Jordanie), de nationalité jordanienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 mars 2022 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’un report à l’éloignement ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2022 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Ardavan Fatholahzadeh déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2022 au nom de Monsieur …, préqualifié ;

Vu l’acte de constitution de nouvel avocat à la Cour et de reprise de mandat de Maître Virginie Mertz, avocat à la Cour, assistée de Maître Juliette Addou, avocat, tous les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déclarant qu’elle se constitue pour Monsieur …, préqualifié, versé à l’audience publique du tribunal administratif du 9 janvier 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Juliette Addou et Madame le délégué du gouvernement Charline Radermecker en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 janvier 2023.

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En date du 10 mai 2016, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 19 novembre 2019, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après 1dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination de la Jordanie ou de tout autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.

Par arrêt de la Cour administrative du 3 mars 2022, portant le numéro 46240C du rôle, Monsieur … fut définitivement débouté de son recours contentieux introduit à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 19 novembre 2019.

Par courrier du 18 mars 2022 de son litismandataire de l’époque, Monsieur … introduisit auprès du ministère une demande en obtention d’un report à l’éloignement au sens des articles 125bis et 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ».

Par décision du 22 mars 2022, le ministre refusa de faire droit à cette demande sur base des motifs et considérations suivants :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre fax du 18 mars 2022 par lequel vous sollicitez pour le compte de votre mandant un report à l’éloignement conformément à l’article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

En réponse permettez-moi de vous informer que je ne suis malheureusement pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande étant donné que Monsieur … ne remplit pas les conditions à l’article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

En effet, la Cour administrative, dans son jugement en date du 3 mars 2022, nourrit des doutes quant à la véracité des prétendues fonctions journalistiques de M. … en tant que rédacteur en chef du journal …. De plus, l’existence du média précité n’a pas pu être démontrée par M. …. Dans ses quatre articles que la Cour administrative a examinés, aucune critique à l’endroit des membres de la famille royale n’a été décelée.

De plus, M. … n’est pas en mesure d’apporter des preuves circonstanciées de son engagement politique dans le mouvement d’opposition « association 24 mars ». De même, il n’est pas en mesure de recueillir les preuves de son prétendu militantisme sur les réseaux sociaux contre la corruption institutionnelle et l’emprise de la famille royale jordanienne sur le gouvernement et les richesses nationales.

Par ailleurs, M. … a affirmé ne pas avoir eu de problèmes les 7 mois précédent son départ du pays, avoir travaillé pour le Ministère jordanien de la Santé jusqu’à son départ et que les autorités jordaniennes, à savoir le service appelé de sa part contrôlant si un citoyen était concerné par un jugement ou une accusation de la part de la sureté nationale, lui auraient confirmé qu’il pourrait voyager sans restrictions.

Lors de son arrivée en Europe, M. … n’a pas déposé de demande de protection internationale au Pays-Bas, pays de primo-arrivé. Par contre, il y a voyagé en Allemagne et en France avant de venir au Luxembourg. Il y a déposé sa demande de protection internationale seulement après avoir été exclu des études à l’Université de Luxembourg. M.

… affirma alors ne plus avoir eu d’autre choix et avoua que des raisons économiques 2giseraient à la base de sa demande.

Finalement, le retour en Jordanie n’est pas exclu d’office car la Cour administrative, dans son jugement en date du 3 mars 2022, ne dégage pas un risque concret d’être exposé, en cas du retour de M. … en Jordanie, à une condamnation à la peine de mort, à l’exécution, à la torture, à des traitements inhumains ou dégradants ou encore à des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison de violences aveugles dans le cadre d’un conflit armé interne ou international […] . ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er avril 2022, inscrite sous le numéro 47261 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée du 22 mars 2022, portant rejet de sa demande en obtention d’un report à l’éloignement.

Par courrier recommandé du 25 mars 2022, Monsieur … fut convoqué au ministère le 7 avril 2022 en vue d’organiser son retour vers son pays d’origine. Il ressort d’une note au dossier administratif que lors dudit rendez-vous, Monsieur … aurait informé l’agent du ministère qu’il refuserait de retourner volontairement et souhaiterait attendre l’issue son recours contentieux.

Etant donné qu’en la présente matière aucun recours au fond n’est prévu ni par la loi du 29 août 2008, ni par une autre disposition légale, le demandeur a valablement pu introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle déférée refusant de faire droit à sa demande en obtention d’un report à l’éloignement, recours qui, par ailleurs, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A titre liminaire et en ce qui concerne la demande en communication du dossier administratif formulée exclusivement dans le dispositif de la requête introductive d’instance, le tribunal constate que la partie étatique a déposé ensemble avec son mémoire en réponse, une farde de pièces correspondant a priori au dossier administratif. A défaut pour le demandeur de remettre en question le caractère complet du dossier mis à disposition à travers le mémoire en réponse, la demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant devenue sans objet.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, déclarant être de nationalité jordanienne, fait valoir que si la possibilité matérielle de le renvoyer dans son pays d’origine existe, il n’aurait cependant aucune garantie par rapport à une installation paisible en Jordanie.

Il n’aurait ainsi aucune indication sur le sort qui lui serait réservé, en raison de ses activités journalistiques et de ses engagements politiques, en cas de retour sur le territoire de son pays d’origine. Le demandeur expose, dans ce contexte, que la profession de journaliste serait dangereuse en Jordanie, en ce que les journalistes s’opposant au régime en place dans le pays auraient connu une répression systémique par les autorités ces dernières années. Le demandeur soutient ainsi s’être à plusieurs reprises positionné contre le régime en le critiquant ouvertement et explicitement, à travers la publication d’une pluralité d’articles, l’animation d’une émission radio, la participation à plusieurs manifestations, l’appartenance à une association illégale nommée « 24 mars » et le refus de travailler pour le régime jordanien. Il continue en relatant qu’il risquerait d’être accusé de tentative de renversement du système gouvernemental, de diffamation à l’encontre de personnalités et de calomnies envers les « hautes sphères de la société ». Il soutient qu’il aurait été emprisonné par les services secrets jordaniens pendant trois mois durant lesquels il aurait subi des violences physiques et mentales et que sa famille ferait 3l’objet de menaces de la part des autorités jordaniennes qui essayeraient toujours d’obtenir des informations le concernant. Il estime, en conséquence, qu’au vu de son dossier administratif, il serait établi et avéré qu’il ne pourrait quitter le Luxembourg légalement pour des raisons indépendantes de sa volonté, à savoir la forte probabilité de subir des traitements inhumains et dégradants dans son pays d’origine voire la très grande possibilité d’être exécuté sans sommation.

En droit, il invoque une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 en avançant qu’en cas de retour vers la Jordanie, sa vie ou sa liberté y serait gravement en danger eu égard à la situation préoccupante des journalistes jordaniens. Afin d’appuyer ses dires, il se réfère notamment à des articles intitulés « Freedom of the Net 2018 – Jordan » et « Jordanie :

répression contre les activistes politiques » qu’il ne verse toutefois pas en cause.

Le demandeur argue ainsi qu’il risquerait d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par « la CEDH », ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ci-après désignée par « la Convention des Nations Unies », puisqu’il serait considéré de facto comme un opposant politique ne disposant d’aucune protection dans son pays d’origine.

Au vu de ces considérations, le demandeur soutient qu’il justifierait à suffisance se trouver dans l’impossibilité de quitter le territoire luxembourgeois et qu’il ne pourrait ni regagner son pays d’origine ni se rendre dans aucun autre pays au sens de l’article 129 de la loi du 29 août 2008.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que ce serait à bon droit qu’il a refusé de lui accorder un report à l’éloignement.

Aux termes de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 : « (1) Si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays conformément à l’article 129, le ministre peut reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances propres à chaque cas et jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation. L’étranger peut se maintenir provisoirement sur le territoire, sans y être autorisé à séjourner. […] ».

Il s’ensuit que le ministre peut reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou encore s’il ne peut ni regagner son pays d’origine ni se rendre dans un autre pays conformément à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, disposition qui, quant à elle, dispose que :

« L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

4 Il s’ensuit que l’article 129 précité s’oppose à ce qu’un étranger soit éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il est établi que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH.

Partant, une lecture combinée des articles 125bis et 129 de la loi du 29 août 2008 amène le tribunal à retenir qu’au cas où l’étranger réussit à établir qu’il risque sa vie ou sa liberté dans le pays à destination duquel il sera éloigné ou qu’il y sera exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies, le ministre est dans l’obligation de reporter l’éloignement, nonobstant le libellé de l’article 125bis qui exprime par l’utilisation du mot « peut » l’existence d’une simple faculté dans le chef du ministre1.

Il convient encore de relever que le report à l’éloignement constitue par définition une mesure provisoire, temporaire, destinée à prendre fin en même temps que les circonstances de fait empêchant l’éloignement de l’étranger soumis à une obligation de quitter le territoire auront cessé, la charge de la preuve des raisons justifiant un report à l’éloignement incombant en principe au demandeur qui se prévaut des conditions de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008.

En l’espèce, encore que le demandeur soutienne tant être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté qu’être exposé, en cas de retour en Jordanie, à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies, il appert toutefois à la lecture de son recours qu’il entend uniquement inscrire sa demande de report à l’éloignement dans le second cas de figure de l’article 125bis, lequel, par renvoi à l’article 129, précité, de la loi du 29 août 2008, prévoit la possibilité d’un report à l’éloignement d’un étranger s’il est établi que sa vie ou sa liberté sont gravement menacées ou s’il est exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH dans le pays à destination duquel il doit être éloigné. En effet, les obstacles visés par le premier cas de figure de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 doivent avoir trait aux modalités effectives du départ, voire de l’éloignement de l’intéressé du territoire luxembourgeois, telles que notamment la délivrance de documents de voyage valables et l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé, l’éloignement en raison de la situation de sécurité dans le pays de destination étant, quant à lui, expressément prévu par le second cas de figure dudit article 125bis, lequel, par renvoi à l’article 129 de la loi du 29 août 2008 prévoit la possibilité d’un report à l’éloignement de l’intéressé si sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH.

A défaut pour le demandeur d’avoir fait état d’un tel obstacle matériel rendant son obligation de quitter le territoire luxembourgeois impossible pour des raisons indépendantes de sa volonté, l’analyse du tribunal se limitera au second cas de figure de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008.

En ce qui concerne la crainte du demandeur d’être exposé à un risque pour sa vie et/ou sa liberté, ainsi qu’à des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies en cas de retour en Jordanie, il y a lieu de rappeler qu’il a déposé le 10 mai 2016 une demande de protection internationale au 1 Trib. adm. 14 novembre 2012, n°29750, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n°790 et les autres références y citées.

5Luxembourg dont il a été débouté par décision ministérielle du 19 novembre 2019, confirmée définitivement par la Cour administrative à travers son arrêt, précité, du 3 mars 2022.

Pour ce qui est des motifs invoqués à la base de ladite demande de protection internationale, il se dégage de la décision ministérielle, précitée, du 19 novembre 2019, ainsi que de l’arrêt de la Cour administrative du 3 mars 2022 que Monsieur … avait justifié sa demande de protection internationale en expliquant avoir quitté la Jordanie alors qu’il aurait publié des articles de presse et présenté des émissions de radio ayant comme sujet l’opposition au système dirigeant du pays, afin de dénoncer notamment la corruption de la famille royale jordanienne. En raison de son engagement politique, il aurait été emprisonné par un tribunal militaire pour une durée de trois mois, pendant laquelle il aurait subi des violences physiques et morales. Monsieur … avait encore soutenu avoir participé en tant qu’activiste politique à des manifestations et créé une association d’opposition politique nommée « 24 mars », ayant entrainé sa persécution par les autorités jordaniennes.

Force est dès lors de constater que les raisons qui, selon le demandeur, justifieraient dans son chef un report à l’éloignement, à savoir le fait qu’il risquerait des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d’origine de la part des autorités jordaniennes, sont exactement les mêmes que celles invoquées par-devant le ministre lors du dépôt de sa demande de protection internationale.

Dans l’arrêt précité du 3 mars 2022 ayant définitivement débouté le demandeur de sa demande de protection internationale, la Cour administrative a retenu que la crédibilité des déclarations du demandeur quant à l’intensité de ses activités journalistiques et engagements politiques ainsi qu’aux persécutions qui en auraient suivi, était irrémédiablement compromise de sorte que les déclarations du demandeur en relation avec ses craintes de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants de la part des autorités jordaniennes ne permettraient, à l’évidence, de justifier ni l’octroi du statut de réfugié ni l’octroi de la protection subsidiaire.

Il y a à cet égard lieu de relever que la Cour est venue à cette conclusion suite à l’analyse des quatre publications versées par le demandeur, qui ont nourrit, auprès de la Cour, des doutes quant à la véracité des fonctions journalistiques que le demandeur prétend avoir exercées auprès du journal « … ». Ainsi, la Cour a retenu le caractère polémique des articles versés par le demandeur en insistant cependant sur le fait que, ni l’existence de ce journal, ni le fait pour le demandeur d’être rédacteur en chef dudit journal, ne peuvent être tenus pour établis étant donné que le demandeur restait en défaut d’avancer des preuves circonstanciées, témoignant du caractère plausible de cette activité journalistique ainsi que de la matérialité des fonctions qu’il aurait exercées. La Cour a en outre fait le même constat concernant les prétentions selon lesquelles le demandeur aurait animé une émission de radio en 2013 avant d’être arrêté par les autorités jordaniennes. Les explications ne sont, selon la Cour, soutenues par aucune indication témoignant du caractère plausible de cette activité. Elle a encore ajouté que le demandeur n’a pas su démontrer la continuité de ses activités journalistiques depuis son départ de Jordanie.

La Cour a par ailleurs relevé que les explications avancées par le demandeur pour justifier les violences et l’emprisonnement qu’il aurait subis durant trois mois ainsi que la condamnation par un tribunal, n’auraient pas été convaincantes, dans la mesure où l’intéressé est resté en défaut de rapporter un récit circonstancié. Elle a ainsi constaté que Monsieur … s’était contredit en affirmant avoir été condamné par ledit tribunal au paiement d’une caution, alors que durant son entretien devant la direction de l’Immigration il aurait démenti avoir été condamné à un tel paiement. La Cour a encore retenu ne pas être convaincue par l’argument selon lequel le demandeur aurait subi une usurpation de son compte Facebook pour expliquer les messages y 6postés durant sa détention. Par ailleurs, elle a relevé que le demandeur a pu continuer à travailler pour le ministère de la Santé jordanien durant la période de survenance des éléments rapportés et qu’il a en plus pu quitter la Jordanie depuis l’aéroport d’Amman sans être inquiété davantage par les autorités jordaniennes. Finalement, la Cour a encore émis des doutes sérieux concernant les engagements et le militantisme politique avancés par le demandeur, en soulevant que ce dernier ne fut en mesure d’apporter, ni des preuves circonstanciées concernant son rôle joué dans la fondation et la participation au mouvement d’opposition politique de l’association « 24 mars », ni des preuves circonstanciées concernant son militantisme sur les réseaux sociaux tendant à diffuser ses prises de position contre la corruption institutionnelle et l’emprise de la famille royale jordanienne sur le gouvernement et les richesses nationales.

Encore que l’arrêt précité de la Cour administrative ne bénéficie, par rapport à la demande de Monsieur … tendant à l’octroi d’un report à l’éloignement, pas de l’autorité de la chose jugée conformément à l’article 1351 du Code Civil lequel dispose que : « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. », le tribunal ne saurait toutefois se départir des conclusions y retenues alors que le demandeur tente d’obtenir un report à l’éloignement en se fondant, pour ce qui est des traitements inhumains et dégradants trouvant prétendument leur origine dans ses engagements politiques et activités journalistiques en Jordanie, sur un récit ayant une toile de fond identique à celui qui a d’ores et déjà été jugé non crédible par la Cour et ce, sans pour autant fournir un quelconque nouvel élément probant.

Il ne saurait dès lors s’appuyer sur ces mêmes faits pour tenter d’établir son impossibilité de regagner son pays d’origine parce que sa vie et/ou sa liberté y seraient gravement menacées, respectivement parce qu’il risquerait d’y être exposé à des traitements contraires à l’article 3 CEDH ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies.

Ainsi, dans la mesure où le demandeur a sollicité un report à l’éloignement seulement quinze jours après le prononcé de l’arrêt en question, à savoir le 18 mars 2022, et qu’il a basé sa demande sur un récit identique à celui ayant été analysé par la Cour administrative dans son arrêt du 3 mars 2022 et ayant amené celle-ci à rejeter sa demande de protection internationale définitivement, sans invoquer aucun changement au niveau de sa situation particulière, voire de la situation générale en Jordanie qui se serait produite entre le 3 et le 18 mars 2022, le ministre a valablement pu, en dehors de tout élément pertinent nouveau, refuser d’accorder le report à l’éloignement à Monsieur …. Il s’ensuit, au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, que le recours sous analyse est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation dirigé à l’encontre de la décision ministérielle du 22 mars 2022 portant refus d’accorder au demandeur un report à l’éloignement ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande en communication du dossier administratif comme étant devenue sans objet ;

7condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, juge, Caroline Weyland, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 2 février 2023 par le premier juge, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 février 2023 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47261
Date de la décision : 02/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-02-02;47261 ?

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