Tribunal administratif N° 45846 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:45846 2e chambre Inscrit le 1er avril 2021 Audience publique du 2 février 2023 Recours formé par la société anonyme A, …, contre un bulletin d’imposition, en matière d’impôts
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 45846 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er avril 2021 par la société anonyme Elvinger Hoss Prussen SA, établie et ayant son siège social à L-1340 Luxembourg, 2, place Winston Churchill, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B209469, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Yves Prussen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme A, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à l’annulation du bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2019, émis le 24 juillet 2019 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er juillet 2021 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 28 juillet 2021 par la société anonyme Elvinger Hoss Prussen SA, au nom de la société anonyme A, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin d’impôt attaqué ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yves Prussen et Monsieur le délégué du gouvernement Eric Pralong en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 novembre 2022.
En date du 20 décembre 2018, la société anonyme A, ci-après désignée par « la société A », introduisit une demande de décision anticipée auprès du directeur de l'administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », sollicitant qu’une distribution de bénéfices, affectés préalablement à la réserve de prime d’émission, soit reconnue comme une restitution d’apport afin d’éviter l’application d’une retenue d’impôt de 15% s’imposant pour une distribution de bénéfices, demande qui fut rejetée en date du 20 mars 2019 par le bureau d’imposition Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition ».
En date du 24 juillet 2019, le bureau d’imposition émit à l'égard de la société A le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2019.
Par courrier du 29 juillet 2019, une réclamation, signée par Monsieur B et Monsieur C pour le compte de la société anonyme D, ci-après désignée par « la société D », mandatée par la société A pour introduire une réclamation, fut introduite contre le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2019 auprès du directeur, réclamation qui ne connut pas de réponse de la part de ce dernier.
Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er avril 2021, la société A a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance auquel le tribunal est en principe seul tenu, à l’annulation du bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2019, émis le 24 juillet 2019.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours au motif que la société A n’aurait pas introduit de réclamation à l’encontre du bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2019 émis le 24 juillet 2019. En effet, il ressortirait explicitement du mandat signé par la société A, établi en vue de l’introduction d’une réclamation contre le bulletin litigieux, qu’elle aurait mandaté uniquement la société D et non pas Monsieur C qui n’aurait agi qu’en qualité de « représentant » et de salarié de la société D. Or, le pouvoir de représentation légal de la société D ne pourrait pas être déterminé par le libellé du mandat d’un tiers, mais serait défini par les dispositions légales de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, ci-après dénommée « la loi du 10 août 1915 », et plus précisément par l’article 441-5 de cette loi, le représentant étatique précisant qu’en vertu des statuts de la société D, elle ne saurait être engagée que par « la signature individuelle de l’administrateur-délégué, ayant toute capacité pour exercer les activités décrites dans l’objet social ci-avant, conformément aux critères retenus par le Ministère luxembourgeois des Classes Moyennes, ou par la signature conjointe de l’administrateur-délégué et d’un autre administrateur de la société ». Le délégué du gouvernement fait remarquer qu’en l’espèce, les signataires de la réclamation en cause, à savoir Monsieur B et Monsieur C, ne seraient pas des administrateurs de la société D, de sorte à ne pas disposer du pouvoir de représentation légal pour poser des actes valables à l’égard des tiers au nom et pour le compte de la société D. Il en conclut que la société D, mandataire chargé par la société A de l’introduction d’une réclamation, n’aurait pas introduit de réclamation valable, de sorte que le recours devrait être déclaré irrecevable omisso medio.
Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse conclut au rejet de ce moyen d’irrecevabilité. Elle se réfère à l’alinéa 1er du paragraphe 102 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et estime que du point de vue de la preuve du mandat, les conditions formelles ne seraient pas pertinentes alors qu’une société commerciale aurait donné mandat à une autre société commerciale et que le mandat viserait plus spécifiquement un employé de la société mandataire, chargé de préparer et de présenter la réclamation. La question de la validité du mandat conféré à cette personne relèverait des règles du droit civil et du droit commercial qui seraient identiques, précisant qu’il s’agirait ainsi des règles relatives aux vices de consentement, à la cause du contrat ou à l’absence de contrariété à l’ordre public. La société demanderesse se réfère, à cet égard, aux articles 1984 et 1985 du Code civil pour soutenir que le mandat civil pourrait être donné par écrit sous seing privé, par lettre, et même verbalement, et qu’en matière commerciale, la preuve serait libre. Elle en conclut qu’en l’espèce, la société A aurait donné mandat par écrit à la société D et aurait précisé que dans le contexte de ce mandat, la société D serait représentée par Monsieur C. Les courriers adressés par la société D à l’administration des Contributions directes, suivis de la réclamation signée par Monsieur C, démontreraient d’ailleurs que ce mandat aurait été accepté et exécuté de la manière prévue. La société demanderesse estime enfin que si l’administration des Contributions directes avait des questions ou contestations par rapport à la preuve du mandat en cause, elle aurait eu l’obligation d’en aviser le contribuable et de demander des précisions, mais qu’elle ne pourrait pas contester cette preuve deux ans plus tard, la société demanderesse se référant à ce sujet à un arrêt de la Cour administrative du 15 juillet 2021, numéro 45739C du rôle.
Le tribunal relève que conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO, et de l’article 8 (3) point 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre un bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux en l’absence d’une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation dirigée contre ce bulletin.
Le tribunal constate, à cet égard, que la société A a introduit, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance auquel le tribunal est en principe seul tenu, un recours en annulation contre le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2019, alors que tel que précisé précédemment, un recours en réformation est prévu.
L’introduction d’un recours en annulation dans une matière prévoyant un recours au fond n’est pas de nature à entraîner l’irrecevabilité du recours, alors qu’il est de jurisprudence constante que si, dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité et à condition d’observer les règles de procédure spéciales pouvant être prévues et des délais dans lesquels le recours doit être introduit1.
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en annulation dirigé contre le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2019, émis le 24 juillet 2019 par le bureau d’imposition, dans la seule mesure des moyens d’annulation soulevés.
Force est ensuite de constater qu’un recours dirigé contre un bulletin dressé par un bureau d’imposition est irrecevable omisso medio si ledit bulletin et les contestations formulées n’ont pas été soumis préalablement pour examen et décision au directeur2.
En vertu du paragraphe 238 AO, « Befugt, ein Rechtsmittel einzulegen, ist der, gegen den der Bescheid oder die Verfügung ergangen ist. Für seine Vertretung gelten der § 102 Absatz 2 und die §§ 103 bis 110. […] ». Ainsi, le destinataire d’un bulletin d’imposition peut se faire représenter conformément au paragraphe 102 AO, alinéa 2.
Le paragraphe 102 prévoit en effet que « (1) Für die Geschäftsfähigkeit von Privatpersonen gelten in Steuersachen die Vorschriften des bürgerlichen Rechts.
(2) Das gleiche gilt von der Vertretung und Vollmacht, soweit in den §§ 103 bis 111 nichts anderes vorgeschrieben ist. ».
1 Trib. adm., 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n° 2 et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 6 août 1997, n° 9574 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 1249 et les autres références y citées.
Dans la mesure où les paragraphes 103 à 111 AO ne prévoient aucune disposition contraire, il y a lieu de conclure que, en ce qui concerne les personnes morales auxquelles un mandat a été donné en vue de représenter un contribuable notamment dans le cadre d’une réclamation à introduire devant le directeur, les règles du droit civil sont applicables à ce mandat.
Partant, dans la mesure où le paragraphe 102 AO se réfère expressément aux dispositions du droit civil, et donc notamment à l’article 1984 du Code civil, il autorise valablement les contribuables à se faire représenter par un mandataire, que ce dernier constitue une personne physique ou une personne morale, dans le cadre notamment de l’introduction d’une réclamation devant le directeur, dirigée contre un bulletin d’imposition.3 Il convient encore de noter qu’une personne morale ne peut pas agir personnellement, au sens strict du terme, mais uniquement par l’intermédiaire de ses organes investis du pouvoir de la représenter, cette particularité au niveau de sa manière d’agir la distinguant à cet égard d’une personne physique. Il y a lieu de se référer, en ce qui concerne la représentation d’une société anonyme, telle que la société D, à l’article 441-5 de la loi du 10 août 1915, libellé comme suit :
« Le conseil d’administration a le pouvoir d’accomplir tous les actes nécessaires ou utiles à la réalisation de l’objet social, à l’exception de ceux que la loi ou les statuts réservent à l’assemblée générale. […] Il représente la société à l’égard des tiers et en justice, soit en demandant, soit en défendant. Les exploits pour ou contre la société sont valablement faits au nom de la société seule.
[…] Toutefois, les statuts peuvent donner qualité à un ou à plusieurs administrateurs pour représenter la société dans les actes ou en justice, soit seuls, soit conjointement. Cette clause est opposable aux tiers dans les conditions prévues au titre Ier, chapitre Vbis de la loi modifiée du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises. […] ».
Une société anonyme est donc valablement représentée à l’égard des tiers, tels que le directeur, par son conseil d’administration en fonctions, sinon par les administrateurs auxquels ce pouvoir de représentation a été attribué à travers les statuts.
Il est constant en cause, en l’espèce, que la société A a donné mandat écrit à la société D pour introduire en son nom et pour son compte une réclamation devant le directeur, la société demanderesse le relevant elle-même dans son mémoire en réplique. Elle donne à considérer qu’elle aurait précisé dans le cadre de ce mandat confié à la société D que cette dernière serait représentée par Monsieur C, ledit mandat étant libellé comme suit :
« Die Unterzeichnerin, A, eine Aktiengesellschaft luxemburgischen Rechts mit Sitz in L-…, eingetragen im luxemburgischen Handelsregister (Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg) unter der Nummer … (die „Vollmachtgeberin“), erteilt der D, einer 3 En ce sens : trib. adm., 27 septembre 2001, n° 12211 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 1111 et l’autre référence y citée.
Aktiengesellschaft luxemburgischen Rechts (Société Anoyme) mit Sitz in L-…, eingetragen im luxemburgischen Handelsregister (Registre de Commerce de et des Sociétés de Luxembourg) unter … (die „Bevollmächtigte“), hiermit die Vollmacht und ermächtigt Herrn C in seiner Funktion als Angestellter der Bevollmächtigten zur Vertretung der Vollmachtgeberin in folgenden Angelegenheiten:
- Vertretung der Vollmachtgeberin bei der Korrespondenz mit der luxemburgischen Finanzverwaltung im Rahmen der Einreichung einer Reklamation im Namen der Vollmachtgeberin gegen den Kapitalertragsteuerbescheid vom 24. Juli 2019, sowie - die Bestellung der Bevollmächtigten als Empfangsbevollmächtigte bzgl. sämtlicher Korrespondenz mit der luxemburgischen Finanzverwaltung in Bezug auf die eingereichte Reklamation. […] ».
Le tribunal relève toutefois que la société D, mandataire de la société A, « se trouve engagée par la signature individuelle de l’administrateur-délégué, ayant toute capacité pour exercer les activités décrites dans l’objet social […], conformément aux critères retenus par le Ministère luxembourgeois des Classes Moyennes, ou par la signature conjointe de l’administrateur-délégué et d’un autre administrateur de la société. », tel que cela résulte de de l’extrait publié au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg, par rapport au régime de signature statutaire, versé en cause.
Au vu des considérations qui précèdent, la société A ne pouvait pas déterminer, dans le cadre de son mandat, le représentant de la société D, cette représentation étant prévue, en application de l’article 441-5 de la loi du 10 août 1915, par les statuts de la société mandataire.
Or, il résulte du document du registre de commerce et des sociétés de Luxembourg versé par le délégué du gouvernement à l’appui de son mémoire en réponse et non utilement contesté par la société demanderesse, que Monsieur C n’est ni un administrateur-délégué, ni un autre administrateur de la société D, de sorte que cette dernière ne peut pas être engagée par la signature individuelle ou conjointe de Monsieur C.
Si le conseil d’administration d’une société peut conférer un mandat spécial à une personne, agissant alors dans les limites du mandat lui donné et nécessitant une procuration spéciale afin de justifier ses pouvoirs auprès des tiers, force est de constater que la société demanderesse reste en défaut de prouver qu’un tel mandat spécial aurait été conféré par le conseil d’administration de la société D à Monsieur C, salarié de cette société.
Il en va de même pour Monsieur B pour lequel il n’est pas non plus prouvé par la société demanderesse qu’il est un administrateur-délégué de la société D, sinon un autre administrateur de ladite société, et qu’il dispose d’un mandat spécial lui conféré par le conseil d’administration de la société D.
La réclamation du 29 juillet 2019 n’ayant pas été signée par une personne autorisée à représenter la société D, aucune réclamation n’a été valablement introduite par ladite société pour le compte de la société demanderesse, de sorte que cette dernière n’a pas formulé ses contestations par rapport au bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2019, émis le 24 juillet 2019, à travers une réclamation, préalablement au présent recours.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de la société demanderesse selon laquelle en cas de contestations quant à la preuve du mandat, l’administration des Contributions directes aurait dû en aviser le contribuable et demander des précisions. En effet, les faits de l’arrêt de la Cour administrative du 15 juillet 2021, numéro 45739C du rôle, invoqué par la société A à l’appui de cette argumentation, ne sont pas transposables au cas d’espèce, alors que la question de la tardivité de la réclamation concernait le fond de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, l’objet du recours ayant consisté en une décision du directeur ayant déclaré la réclamation irrecevable pour cause de tardiveté. Or, en l’espèce est en cause, non pas le bien-
fondé de l’acte déféré, mais la recevabilité même du recours, alors que les contestations formulées à l’encontre d’un bulletin d’impôt doivent avoir été présentées - préalablement à la saisine du tribunal - au directeur, de sorte à constituer une question d’ordre public devant être appréciée d’office par le tribunal, qui dans le cadre de cette appréciation, ne saurait être lié par le comportement de la partie étatique au cours de la phase précontentieuse.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à déclarer irrecevable omisso medio, aucune réclamation valable n’ayant été régulièrement introduite préalablement au présent recours.
Eu égard à l’issue du litige, la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 5.000 euros, telle que formulée par la société demanderesse sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, est également à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
déclare irrecevable le recours en annulation déposé au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2021 ;
rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 5.000 euros, telle que formulée par la société demanderesse ;
condamne la société demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, juge et lu à l’audience publique du 2 février 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
Paulo Aniceto Lopes Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 février 2023 Le greffier du tribunal administratif 6