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30/01/2023 | LUXEMBOURG | N°45931,45985

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 janvier 2023, 45931,45985


Tribunal administratif N° 45931+45985 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI LU:TADM:2023 :45931+45985 1re chambre Inscrits les 22 avril et 4 mai 2021 Audience publique du 30 janvier 2023 Recours formés par Madame A et consort, … contre des décisions du collège des bourgmestre et échevins de la Ville de Luxembourg, et des décisions du ministre de l’Intérieur

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JUGEMENT

I Vu la requête inscrite sous le numéro 45931 du rôle et déposée le 22 avril 2021 au greffe du tribunal adm

inistratif par Maître Guy Thomas, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des ...

Tribunal administratif N° 45931+45985 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI LU:TADM:2023 :45931+45985 1re chambre Inscrits les 22 avril et 4 mai 2021 Audience publique du 30 janvier 2023 Recours formés par Madame A et consort, … contre des décisions du collège des bourgmestre et échevins de la Ville de Luxembourg, et des décisions du ministre de l’Intérieur

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JUGEMENT

I Vu la requête inscrite sous le numéro 45931 du rôle et déposée le 22 avril 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy Thomas, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame A, conseillière communale de la Ville de Luxembourg, demeurant à L-…, et de Monsieur B, conseiller communal de la Ville de Luxembourg, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation « des décisions de Madame la ministre de l’Intérieur des 21 janvier 2021 et 19 avril 2021 refusant de faire droit à leurs demandes des 9 décembre 2020 et 24 février 2021 d'intervenir auprès du Collège des bourgmestre et échevins de la Ville de Luxembourg afin que ce dernier retire sa décision de confier certaines missions de maintien de l'ordre public à des sociétés privées de gardiennage […] sinon, et en cas de refus de la part du Collège échevinal de retirer sa décision, de suspendre l'exécution de cette convention en vertu de l'article 104 de la loi communale du 13 décembre 1988 et d'en mettre en œuvre l'annulation via un arrêté grand-

ducal sur base de l'article 103 de la loi communale » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy Engel, demeurant à Luxembourg, du 26 avril 2021, portant signification de ladite requête à la Ville de Luxembourg, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, ayant sa maison communale à L-1648 Luxembourg, Hôtel de Ville, Place Guillaume II ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 avril 2021 par Maître Patrick Kinsch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la Ville de Luxembourg, préqualifiée ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 mai 2021 par Maître Albert Rodesch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat, préqualifié ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 septembre 2021 par Maître Albert Rodesch au nom de l’Etat ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 septembre 2021 par Maître Albert Rodesch au nom de l’Etat ;

1 Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 septembre 2021 par Maître Patrick Kinsch au nom de la Ville de Luxembourg, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 octobre 2021 par Maître Guy Thomas au nom de Madame A et Monsieur B, préqualifiés ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 novembre 2021 par Maître Albert Rodesch au nom de l’Etat ;

Vu le mémoire en duplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 novembre 2021 par Maître Patrick Kinsch au nom de la Ville de Luxembourg, préqualifiée ;

Vu la nouvelle constitution d’avocat à la Cour de la société à responsabilité limitée Rodesch Avocats à la Cour du 6 décembre 2022 pour compte de l’Etat ;

II Vu la requête inscrite sous le numéro 45985 du rôle et déposée le 4 mai 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy Thomas, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame A, conseillière communale de la Ville de Luxembourg, demeurant à L-…, et de Monsieur B, conseiller communal de la Ville de Luxembourg, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation « des décisions du Collège des bourgmestre et échevins de la Ville de Luxembourg confiant certaines missions de maintien de l'ordre public à des sociétés privées de gardiennage » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy Engel, demeurant à Luxembourg, du 6 mai 2021, portant signification de ladite requête à l’administration communale de la Ville de Luxembourg, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, ayant sa maison communale à L-1648 Luxembourg, Hôtel de Ville, Place Guillaume II ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 mai 2021 par Maître Patrick Kinsch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la Ville de Luxembourg, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 septembre 2021 par Maître Patrick Kinsch au nom de la Ville de Luxembourg, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 26 octobre 2021 par Maître Guy Thomas au nom de Madame A et Monsieur B, préqualifiés ;

Vu le mémoire en duplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 novembre 2021 par Maître Patrick Kinsch au nom de la Ville de Luxembourg, préqualifiée ;

I + II Vu les pièces versées en cause et notamment les actes déférés ;

2 Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Guy Thomas, Maître Patrick Kinsch et Maître Stéphane Sünnen, en remplacement de Maître Albert Rodesch, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 décembre 2022.

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En sa séance du 13 juillet 2020, le conseil communal de la Ville de Luxembourg, ci-

après désigné par « le conseil communal », délibéra notamment à propos du point porté à l’ordre du jour et libellé comme suit : « situation dans le quartier de la Gare et moyens d’action des différents acteurs publics ». A cette occasion, le conseil communal adopta une motion commune des groupes X (X) et Y (Y) et ayant relevé une « situation actuelle très préoccupante du point de vue sécurité et incivilités dans le quartier de la Gare et dans certaines rues du quartier de Bonnevoie » et invitant le collège des bourgmestre et échevins de la Ville de Luxembourg, ci-après désigné par « le collège échevinal », notamment à intervenir auprès de divers ministères en vue de résoudre cette situation et à « réfléchir à d’autres mesures visant à assurer une présence dans les quartiers de la Gare et Bonnevoie en vue d’assurer la prise en charge des besoins des services d’assistance, des usagers de services, mais aussi des résidents et des commerçants des quartiers affectés par le dialogue », cette motion ayant été adoptée avec 16 voix contre 2, 8 conseillers s’étant abstenus. Lors de cette même séance, le conseil communal rejeta encore deux motions du groupe Z sur le même sujet.

Le 13 novembre 2020, le collège échevinal décida « de conclure un contrat avec une société privée de surveillance afin d’assurer du 1er décembre 2020 au 31 janvier 2021 une action de prévention active et visible avec des équipes de 2 agents avec chien, 7 jours/7 » dans le quartier de la Gare et dans le quartier de la Ville-Haute. Lors de sa même séance, le collège échevinal décida encore de charger le Service Espace public, fêtes et marchés de demander trois offres à des entreprises privées.

Le 23 novembre 2020, le collège échevinal décida d’attribuer le marché public visant ladite mission de surveillance à la société à responsabilité limitée C, ci-après désignée par « la société C ».

Le 9 décembre 2020, les conseillers communaux D, appartenant au parti V (V), B, appartenant au parti W et E, appartenant au parti Z, s’adressèrent au ministre de l'Intérieur, ci-

après désigné par « le ministre », afin d’intervenir auprès du collège échevinal afin « qu’il mette fin sans délai à cette convention […] » et en cas de refus de sa part, de « suspendre l’exécution de cette convention en vertu de l’article 104 de la loi communale et d’en mettre en œuvre l’annulation via un arrêté grand-ducal, en vertu de l’article 103 de la loi communale ».

Le ministre prit position en date du 21 janvier 2021 comme suit :

« Par votre courrier sous rubrique vous exprimez des doutes concernant la légalité de la conclusion d'un contrat de gardiennage entre la Ville de Luxembourg et la société C Luxembourg que vous estimez contraire à l'article 97 de la Constitution et à la loi modifiée du 12 novembre 2002 relative aux activités de gardiennage et de surveillance.

En ce qui concerne la conformité du contrat par rapport à la loi précitée du 12 novembre 2002, je tiens à soulever que cette matière relève de la compétence de la ministre 3 de la Justice. Néanmoins cette question fera l'objet d'une entrevue entre les ministères de l'Intérieur, de la Justice, de la Sécurité intérieure et du SYVICOL qui aura lieu sous peu.

En ce qui concerne le maintien de l'ordre dans l'espace public, les compétences des autorités communales sont déterminées par le décret du 14 décembre 1789 relatif à la constitution des municipalités, le décret des 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire, la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale et la loi communale modifiée du 13 décembre 1988.

Ainsi les communes sont chargées de la police administrative générale sur leur territoire afin de garantir la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques. Elles sont chargées encore de certaines compétences de police spéciale en vertu de lois spéciales.

L'exercice de la police administrative constitue un service public dont l'organisation ne peut pas être déléguée, mais que la collectivité publique doit assurer en régie. La délégation, par la commune à une personne physique ou morale, de missions de maintien de l'ordre, que ce soit par un contrat ou par un autre moyen, est, à priori, non conforme au principe précité.

Dans une délibération du 13 novembre 2020, le collège des bourgmestre et échevins de la Ville de Luxembourg a admis qu'une action de prévention était nécessaire dans certains quartiers de la Ville et a décidé de recourir à une société de surveillance et de gardiennage à cette fin.

L'objet du contrat que la Ville a finalement conclu avec C consiste à confier à la société de gardiennage et de surveillance des missions de prévention sur la voie publique en y faisant circuler des agents en équipes de deux personnes accompagnées d'un chien de garde avec les charges pour les agents de signaler à la Police grand-ducale les incidents qui nécessitent son intervention et de faire un rapport journalier sur leur activité à l'attention de la Police grand-ducale et de la Ville de Luxembourg.

Considérant qu'une mission pareille, définie largement, peut entrer en conflit avec le principe de la gestion en régie du service public de la police administrative, énoncé ci-

dessus, je suis intervenue auprès de Mme la Bourgmestre de la Ville de Luxembourg pour insister sur une définition plus précise de l'activité de la société de gardiennage et de surveillance afin de garantir que celle-ci n'empiète pas sur les attributions des autorités publiques dans le maintien de l'ordre.

La Ville de Luxembourg vient d'annoncer une prolongation du contrat en question et, d'après mes informations, la définition de la mission sera reconsidérée par le collège des bourgmestre et échevins.

Je suis consciente des défis en la matière exprimés par la Ville de Luxembourg, de même que par d'autres communes du Grand-Duché de Luxembourg et j'entends contribuer à les résoudre, dans la mesure de mes compétences en tant que ministre de l'Intérieur, en créant un cadre juridique nouveau permettant notamment aux agents municipaux d'intervenir davantage dans le maintien de l'ordre. Je compte soumettre au Conseil de gouvernement les amendements au projet de loi n° 7126 concernant les sanctions administratives communales dans les semaines à venir. ».

4 En sa séance du 22 janvier 2021, le collège échevinal décida de « prolonger de 2 mois le contrat existant avec la société C, soit jusqu’au 30 avril 2021 […] », tout en précisant que « la prolongation se fait sur base de l’article 43 (1) e) de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics » et décida de « lancer par la suite une procédure ouverte, afin de conclure un nouveau contrat avec une société de gardiennage, ce nouveau contrat devant tenir compte d’un périmètre de mission élargi incluant notamment, à côté des quartiers de la Gare et de la Ville-Haute, le quartier de Bonnevoie ».

Le 27 janvier 2021, le collège échevinal passa commande auprès de la société C.

Par une lettre du 24 février 2021, les mêmes conseillers communaux s’adressèrent à nouveau au ministre dans les termes suivants :

« Nous avons bien reçu votre courrier en réponse à notre lettre commune concernant le gardiennage privé de certaines rues de notre capitale.

Votre réunion avec notre bourgmestre semble avoir produit son effet puisque le contrat conclu avec C n'a pas été reconduit dans sa façon originale. Un nouveau contrat a été signé qui renseigne : « Surveillance des infrastructures communales dans les parcs et places publics par une présence visible dans le périmètre assigné en début d'exécution du contrat, le périmètre étant sujet à révision. En cas de nécessité, prêter assistance aux personnes en difficultés. » La formulation « assurer la prévention active et visible sur la voie publique » a disparu de la mission confiée à la société C.

Il n'en demeure pas moins que les patrouilles canines à pied n'ont pas cessé dans les rues du quartier de la Gare, loin s'en faut. Dans les faits, la société privée de gardiennage continue d'agir très largement en dehors du cadre fixé par son nouveau contrat avec la Ville de Luxembourg, se livrant à une surveillance généralisée des voies publiques et n'hésitant pas de poursuivre ses interventions dans les halls d'entrée d'immeubles privés pour en déloger des personnes jugées indésirables pour des raisons ne tenant aucunement de l'assistance à personnes en danger. En témoignent les photos prises sur les lieux que nous ajoutons à la présente.

Nous avouons être dans l'embarras quant à la qualification à donner à une pratique pareille mais il nous semble que le cadre légal est encore plus incertain qu'auparavant.

Dans l'espoir que la présente trouvera un accueil favorable et qu'elle vous amènera à clarifier la situation dans le cadre de vos compétences en intervenant une nouvelle fois auprès du collège échevinal de la Ville de Luxembourg pour garantir le respect des règles constitutionnelles et légales, nous vous prions d'agréer, Madame la Ministre, l'assurance de nos sentiments très distingués. ».

En sa séance du 26 février 2021, le collège échevinal prit les décisions suivantes :

« Marque son accord avec les explications lui fournies ;

Décide partant de charger la Cellule juridique de préparer ensemble avec le Service Espace public, fêtes et marchés le cahier des charges pour l’exercice d’une mission de surveillance telle que décrite dans les quartiers de la Ville haute, de la Gare et de Bonnevoie à partir du 15 avril 2021 pour une durée de 6 mois ;

5 Marque son accord avec le périmètre de surveillance proposé, les alentours du stade … devant cependant encore être inclus dans le prédit périmètre ;

Décide que les équipes de la société, qui devra disposer d’un agrément du Ministère de la Justice sur base de la loi modifiée du 12 novembre 2002 relative aux activités privées de gardiennage et de surveillance, devront être composées comme suit : […] ».

Suivant ladite délibération, la mission envisagée est libellée comme suit :

« - la surveillance des infrastructures et installations communales dans les parcs et places publics, ainsi que les bâtiments scolaires et autres bâtiments publics appartenant à la Ville, par une présence visible dans le périmètre assigné en début d’exécution du contrat, le périmètre étant sujet à révision ;

- en cas de nécessité, prêter assistance, ce dans la limite de ce qui est légalement permis, dont notamment à l’article 43 du Code de procédure pénale et des articles 410-1 et 410-2 du Code pénal ;

- appeler la police en cas d’incident ; ».

Lors de la même séance, le périmètre envisagé par le contrat fut défini.

En sa séance du 12 mars 2021, le collège échevinal délibéra ce qui suit :

« Considérant le recours à une société de gardiennage pour assurer une présence aux quartiers de la Gare, de Bonnevoie et de la Ville Haute ;

Considérant la décision du collège échevinal du 26 février 2021, suivant laquelle il a été décidé ce qui suit : […] Entend Madame […] donnant des explications sur le contenu du projet du cahier des charges;

Que le contrat avec la société de gardiennage, qui est prévu d’entrer en vigueur le 15 avril 2021, sera conclu pour une durée de 6 mois, tacitement reconductible pour des durées successives de 6 mois, avec un maximum de 3 ans ; que le contrat pourra être résilié par chacune des parties avec un préavis de 2 mois avant l’échéance ;

Qu'est encore discuté le périmètre de présence de la société de gardiennage à Bonnevoie ;

- Madame […], juriste de la Cellule juridique, quitte la séance Après discussion, Marque son accord avec les explications lui fournies et le contenu du projet du cahier des charges ;

Décide que le périmètre des missions de la société de gardiennage à Bonnevoie sera le suivant : […] ».

6 Le 15 mars 2021, le collège échevinal décida encore de « faire débuter le nouveau contrat avec une société de gardiennage à partir du 15 mai 2021 et non à partir du 15 avril 2021 » et « d’intégrer la Place du Parc également dans le périmètre de présence de la société de gardiennage, le Service Parcs ne devant s’occuper que de la surveillance du parc municipal ».

Par un courrier du 19 avril 2021, la ministre prit position suite au courrier précité des conseillers communaux D, B et E, dans les termes suivants:

« Par votre courrier sous rubrique vous m'informez que le collège des bourgmestre et échevins a reconduit le contrat avec la société C dont question dans ma réponse à votre courrier du 9 décembre 2020. Après analyse du contrat prolongé, je peux confirmer que la mission de la société de gardiennage a bien été redéfinie et qu'elle ne semble plus porter sur une activité de « prévention active et visible sur la voie publique ». Bien au contraire, la Ville de Luxembourg, toujours d'après les termes du contrat, recourt à des services de la société pour la surveillance d'infrastructures communales et l'assistance à des personnes en difficultés.

A priori, le contrat ne me semble pas être en contradiction avec les missions qui peuvent être légalement confiées à des sociétés privées de gardiennage et de surveillance en vertu de la loi modifiée du 12 novembre 2002 relative aux activités privées de gardiennage et de surveillance, tout en donnant à considérer que cette appréciation relève in fine de la compétence de la ministre de la Justice.

J'ai informé Madame la bourgmestre de la Ville de Luxembourg que l'exercice de la police administrative constitue un service public dont l'organisation ne peut pas être déléguée, mais que la collectivité publique doit assurer en régie. La délégation, par la commune, à une personne physique ou morale, de missions de maintien de l'ordre, que ce soit par un contrat ou par un autre moyen, est, à priori, non conforme au principe précité.

Comme vous constatez vous-mêmes dans votre courrier sous rubrique, la définition de la mission de la société de gardiennage privée a été recadrée, de sorte que je me vois dans l'impossibilité d’exercer une mesure de tutelle administrative à défaut d’être motivée par une violation de la loi ou une contrariété à l'intérêt général.

Je profite du contexte pour vous informer qu'en date du 2 avril 2021 le gouvernement a adopté les amendements au projet de loi n° 7126 relative aux sanctions administratives et à l'élargissement des compétences des agents municipaux prévoyant de confier à ces derniers des missions de proximité censées contribuer au maintien de l'ordre public et à l'accroissement du sentiment de sécurité des citoyens. » Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 avril 2021, inscrite sous le numéro 45931 du rôle, Madame A et Monsieur B ont fait introduire un recours en réformation sinon en annulation contre des décisions ainsi qualifiées du ministre qui ressortiraient des courriers des 21 janvier 2021 et 19 avril 2021 et « refusant de faire droit à leurs demandes des 9 décembre 2020 et 24 février 2021 d'intervenir auprès du Collège des bourgmestre et échevins de la Ville de Luxembourg afin que ce dernier retire sa décision de confier certaines missions de maintien de l'ordre public à des sociétés privées de gardiennage en violation tant des dispositions constitutionnelles et légales réservant ces tâches à la police que de celles de la loi du 12 novembre 2002 relative aux activités privées de gardiennage et de surveillance limitant les activités de ces sociétés privées à la 7 surveillance de biens mobiliers et immobiliers, à la gestion de centres d'alarmes, au transport de fonds ou de valeurs et à la protection de personnes sinon, et en cas de refus de la part du Collège échevinal de retirer sa décision, de suspendre l'exécution de cette convention en vertu de l'article 104 de la loi communale du 13 décembre 1988 et d'en mettre en œuvre l'annulation via un arrêté grand-ducal sur base de l'article 103 de la loi communale ».

Le 26 avril 2021, le collège décida de charger la société à responsabilité limitée F, ci-après désignée par « la société F », d’une mission de gardiennage du 15 mai au 15 novembre 2021, ce dont la société F fut informée par le bourgmestre de la Ville de Luxembourg, ci-après désigné par « le bourgmestre », le 27 avril 2021, la commande ayant été passée à travers un courrier du bourgmestre du 10 mai 2021.

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 mai 2021, inscrite sous le numéro 45985 du rôle, Madame A et Monsieur B ont encore fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à annulation de « décisions du Collège des bourgmestre et échevins de la Ville de Luxembourg confiant certaines missions de maintien de l'ordre public à des sociétés privées de gardiennage en violation tant des dispositions constitutionnelles et légales réservant ces tâches à la police que de celles de la loi du 12 novembre 2002 relative aux activités privées de gardiennage et de surveillance limitant les activités de ces sociétés privées à la surveillance de biens mobiliers et immobiliers, à la gestion de centres d'alarmes, au transport de fonds ou de valeurs et à la protection de personnes », en affirmant que la première des décisions attaquées daterait du 13 novembre 2020, la deuxième de « janvier 2021 » et qui prolongerait « la mission précédente (avec des modifications de pure forme quant à la mission, non respectées dans la pratique) pour une nouvelle durée de trois mois » et en précisant que « cette deuxième décision vient non seulement d’être prolongée pour une durée de six mois, mais également élargie au quartier […] de Bonnevoie, cette fois-ci avec la société F », les requérants demandant suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, auquel le tribunal est en principe seul tenu, de réformer, sinon annuler « les décisions attaquées », tout en demandant la jonction avec l’affaire inscrite sous le numéro 45931 du rôle.

1) Quant à la jonction Dans la mesure où les deux recours visent (i) des décisions ainsi qualifiées prises dans le contexte de marchés publics lancés pour charger une société de gardiennage de missions en relation avec divers quartiers de la Ville de Luxembourg, les requérants reprochant en substance à travers le recours inscrits sous le numéro 45931 du rôle au ministre de ne pas avoir suspendu, voire mis en œuvre la procédure d’annulation suivant les articles 103 et 104 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, ci-après désignée par « la loi communale », (ii) diverses décisions ainsi qualifiée prises par le collège échevinal dans le même contexte, ces décisions ayant été critiquées à travers la saisine du ministre, le tribunal estime qu’il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de joindre les affaires inscrites sous les numéros 45931 et 45985 et de statuer à travers un seul jugement.

2) Quant à l’admissibilité du mémoire en réponse de Maître Rodesch du 21 septembre 2021 dans le rôle numéro 45931 A l’audience des plaidoiries, le tribunal a soulevé d’office la question de l’admissibilité du mémoire en réponse déposé en date du 21 septembre 2021 par Maître 8 Rodesch dans le rôle numéro 45931, le même avocat ayant d’ores et déjà déposé un mémoire en réponse en date du 20 septembre 2021, question par rapport à laquelle Maître Stéphane Sünnen, en remplacement de Maître Rodesch, s’est rapporté à prudence de justice.

Dans la mesure où l’article 7 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », limite le nombre de mémoires admissibles à deux et où l’article 5, paragraphe (1) de la même loi prévoit un mémoire réponse, l’Etat ayant toutefois déposé deux mémoires en réponse et un mémoire en duplique, le deuxième mémoire en réponse du 21 septembre 2021, qui suivant les explications fournies par le litismandataire de l’Etat n’a été déposé que dans la mesure où le premier mémoire en réponse aurait contenu des erreurs matérielles, n’est pas admissible comme étant un mémoire en surnombre et est partant à écarter.

3) Quant à la recevabilité des deux recours Arguments des parties Dans les deux recours, les requérants justifient leur intérêt à agir par les mêmes considérations, à savoir que les décisions attaquées les priveraient en leur qualité de conseillers communaux du plein exercice de leur mandat, dans la mesure où leur fonction de membres du conseil communal impliquerait le devoir de contrôler le pouvoir exécutif de la Ville de Luxembourg et de « l'empêcher de porter atteinte aux textes constitutionnels et légaux ».

Ils font encore valoir qu’à défaut d’indication de voies ou de délai de recours, aucun délai de recours n’aurait commencé à courir.

En leur qualité de conseillers communaux, ils seraient censés veiller à ce que les conventions et marchés conclus par le collège échevinal soient conformes à la loi et à ce que les dépenses en résultant pour le budget communal ne soient pas excessives. Dans ce contexte, ils critiquent l’opportunité des mesures prises par le collège échevinal, en l’occurrence leur coût par rapport à leur effet bénéfique, respectivement font valoir que les dépenses engendrées auraient dû être investies dans d’autres domaines.

De ces considérations ils déduisent « l'intérêt des conseillers communaux de s'opposer à des projets dispendieux qui n'améliorent nullement la situation des citoyen(ne)s, et de s'engager à ce que l'argent public soit investi par les autorités communales dans des projets à caractère éducatif et social du genre […] ou dans d'autres projets ».

La Ville de Luxembourg conclut dans les deux recours à l’irrecevabilité du recours tant au regard de son objet, qu’au regard de l’intérêt à agir dans le chef des requérants, tout en invoquant encore dans le recours inscrit sous le numéro 45985 du rôle, un moyen d’irrecevabilité ratione temporis.

Quant à l’objet du recours, elle fait, dans le recours inscrit sous le numéro 45931, valoir, d’une part, que le défaut par le ministre d'exercer ses pouvoirs de tutelle ne serait pas un acte faisant grief, et, d’autre part, que le recours serait sans objet puisque les conventions critiquées n'auraient plus été en vigueur au jour de l'introduction du recours.

9 Quant au premier moyen, elle rejoint l’argumentation développée par l’Etat dans sa réponse, s’appuyant sur la jurisprudence des juridictions administratives, suivant laquelle l'article 104 de la loi communale, confèrerait au ministre le choix d'exercer son pouvoir de suspension à l'égard des actes émanant des autorités communales et dont il estime qu'ils contreviennent à la loi ou à l'intérêt général et selon laquelle si un administré pouvait agir en justice contre un arrêté ministériel portant suspension d'un acte communal, tel ne serait pas le cas dans l'hypothèse où le recours est dirigé contre une décision de refus de suspension.

Admettre le contraire signifierait, en effet, qu'un administré pourrait forcer le ministre à se livrer à un contrôle de la légalité et l'opportunité d'actes communaux.

Quant au deuxième ordre de critiques tenant à l’objet du recours, la Ville de Luxembourg souligne, tant dans le recours inscrit sous le numéro 45931 que dans celui inscrit sous le numéro 45985 du rôle, que les conventions critiquées n’auraient plus été en vigueur au jour de l'introduction du recours.

En effet, les premier et second marchés publics que les requérants critiquent tant devant le tribunal que devant le ministre auraient épuisé leurs effets, de sorte que les recours devraient être rejetés comme étant sans objet, une suspension par le ministre ou une annulation par le Grand-Duc n'étant pas de nature à modifier la situation actuelle critiquée par les requérants. Dès lors, aucun intérêt subsisterait dans leur chef.

En second lieu, la Ville de Luxembourg conteste dans les deux rôles l’intérêt à agir des requérants, et ce tant au niveau d’un intérêt personnel qu’au niveau d’un intérêt « fonctionnel ».

L’absence d’intérêt personnel se traduirait par le fait que les requérants agiraient en leur qualité de conseillers communaux dans le but de pouvoir « contrôler le pouvoir exécutif ».

Au niveau de leur qualité de conseillers communaux invoquée, la Ville de Luxembourg fait valoir que l’intérêt à agir des membres d'un conseil communal pourrait tout au plus être « fonctionnel ». Or, les requérants n’invoqueraient pas pareil intérêt fonctionnel.

Tout en admettant que les jurisprudences belges, françaises et luxembourgeoises ouvriraient le recours aux membres des assemblées délibérantes, même là où ces membres n’auraient pas d'intérêt personnel à introduire de recours, la Ville de Luxembourg fait valoir qu’il s’agirait d’une exception au principe de l'exigence d'un intérêt personnel pour agir.

La Ville de Luxembourg se livre ensuite à une analyse des jurisprudences, belges, françaises et luxembourgeoises sur cette question.

Elle se prévaut plus particulièrement d’une jurisprudence de la Cour administrative1 à propos de la question du droit d’accès d’un député à des documents, pour conclure qu’en l’espèce, contrairement à cette affaire, Madame A et Monsieur B ne prétendraient pas que les décisions du collège échevinal les auraient privé en tant que conseillers communaux d'une partie de leurs attributions et auraient par conséquent porté atteinte à leur fonction. Ils soutiendraient au contraire, quant au fond, que la conclusion des marchés publics litigieux aurait violé la loi ou la Constitution, alors qu’un tel moyen de légalité interne, étranger à la 1 Cour adm. 26 janvier 2021, numéro 44997C du rôle.

10 défense des fonctions propres d'un conseiller communal, relèverait, en l'absence d'un intérêt personnel pour agir du requérant, d'une action populaire ou d'une action dans l'intérêt de la loi, dont la recevabilité se heurterait aux termes exprès de l'article 7, paragraphe (2) de la loi modifié du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 ».

Dans le rôle numéro 45931, l’Etat rejoint en substance les contestations de la Ville de Luxembourg.

Dans leurs répliques respectives, les requérants font valoir que les actes incriminés résulteraient « de plusieurs décisions du collège échevinal […] de lancer des marchés publics et de signer avec des sociétés de gardiennage privées des contrats visant à surveiller l'espace public dans quelques quartiers de la Ville de Luxembourg considérés comme « sensibles » ».

Ces décisions continueraient à sortir leurs effets jusqu'au 15 novembre 2021 moyennant un troisième contrat de marché conclu avec une société privée, qui serait également visé par le recours, et continueraient à le faire par un quatrième voire cinquième contrat et en tout cas aussi longtemps que le ministre n’interviendrait pas.

Les requérants expliquent que leur recours aurait été introduit juste avant le lancement dans les journaux de l'avis de marché concernant le troisième marché « Service de gardiennage ».

Le recours serait dès lors recevable alors qu'au moment de son introduction, la continuation de la surveillance de l'espace public par des gardiens de sécurité privés aurait été en train de se perpétuer à la suite du lancement d'un troisième marché décidé par le collège échevinal avant le dépôt du recours.

Ils font valoir que dans le cadre d'un tel enchaînement de contrats successifs ayant tous le même objet, il ne saurait raisonnablement être exigé de leur part de faire une intervention auprès du ministre de l'Intérieur, puis un recours subséquent, voire d’introduire un recours à chaque fois qu'un nouveau contrat de gardiennage est mis en œuvre.

Il serait ainsi suffisant de faire valoir un intérêt né et actuel au moment de l'introduction de leur recours, qui viserait la surveillance de l'espace public par des gardiens privés en tant que telle et non pas les différents contrats de plus ou moins courte durée, qui continueraient à s'enchaîner dans le temps.

Décider le contraire reviendrait, d’après les requérants, à réduire à néant les principes du procès équitable et du recours utile à la justice au vœu de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).

Au niveau de leur intérêt à agir à titre personnel, les requérants expliquent dans leurs mémoires en réplique respectifs que si Monsieur B n'habitait aucun des quartiers dits « sensibles » patrouillés par les gardiens privés, il n'en serait pas moins affecté en sa qualité de citoyen de la Ville de Luxembourg devant contribuer aux dépenses budgétaires engendrées par ce service de gardiennage qu’il qualifie d’aussi coûteux qu'inefficace. Un tel intérêt serait à considérer comme suffisant.

11 Quant à Madame A, elle déclare avoir pris la relève d'un autre conseiller communal à la suite du système de rotation appliqué par son parti politique et précise habiter le quartier de Bonnevoie et contribuer également aux dépenses engendrées par le gardiennage.

Par ailleurs, un des deux conseillers communaux ayant cédé son siège dans le cadre de cette rotation, à savoir Monsieur G, aurait aussi habité le quartier de Bonnevoie pendant 20 ans et aurait travaillé au quartier de la Gare, constat dont les deux requérants déduisent qu’ils seraient bien au courant de la situation dans les quartiers litigieux de par leurs contacts réguliers avec cet ancien conseiller communal.

Les requérants font ensuite valoir qu’ils n’auraient pas seulement un intérêt à agir en leur qualité de simples citoyens de la Ville de Luxembourg, mais aussi et surtout en leurs qualités de conseiller communaux démocratiquement élus en vue de « s'opposer à des actes illégaux de l'exécutif de leur commune dont elles sont censées contrôler les agissements tant au niveau du respect de la Constitution et de la loi qu'au niveau des dépenses budgétaires engagées par cette action dont le résultat tangible est inversement proportionnel à son coût ».

Dans ce contexte, ils s’emparent de l’arrêt précité de la Cour administrative 26 janvier 2021, dans lequel la Cour administrative aurait consacré le principe du contrôle du gouvernement par la Chambre des Députés en ce qu'un député disposerait d'une mission permanente de contrôle de l'exécutif.

En l’espèce, ce serait la non-conformité du système de surveillance de l'espace public par des agents de sécurité privés par rapport à l'ordonnancement juridique existant qui ferait l'objet du présent litige et non pas une question politique ou d'opportunité politique.

Ils font valoir que le « laisser-faire » du ministre, pour ce qui est du rôle numéro 45931, et, pour ce qui est du rôle 45985, le fait que la surveillance de l’espace public se serait poursuivie par un deuxième, puis troisième contrat nonobstant l’opposition énergique du ministre de la Sécurité intérieure et de l’intervention, qualifiée de moins énergique, du ministre de l’Intérieur auprès du bourgmestre, situation que les requérants qualifient de « violation flagrante des règles tant constitutionnelles que légales », ne pourraient être avalisés par le juge administratif dans un Etat de droit garantissant l'accès au juge et un recours effectif.

Indépendamment de la circonstance que leurs recours ne viseraient pas la communication d'un contrat, tel que cela était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt précité de la Cour administrative, mais le respect des textes constitutionnels et légaux régissant l’Etat démocratique, les requérants font valoir que les conseillers communaux, élus démocratiquement au niveau communal, à l'instar des députés élus au niveau national, ne sauraient disposer de moins de droits que les députés dans leur mission de contrôler les agissements du collège échevinal.

Dès lors, contrairement à la position de la Ville de Luxembourg, les principes dégagés par l'arrêt de la Cour administrative et par les arrêts de la Cour Constitutionnelle y cités, consacrant notamment le principe de l’Etat de droit à valeur constitutionnelle, devraient s'appliquer mutatis mutandis aux présents recours, qui devraient dès lors être déclarés recevables.

12 Dans sa duplique déposée dans le recours inscrit sous le numéro 45931 du rôle, la Ville de Luxembourg reproche aux requérants une confusion avec le recours inscrit sous le numéro 45985.

Elle reproche dans les deux rôles aux requérants de faire l'amalgame entre tous les contrats et tous les rapports d’exécution de leurs missions émis par les entreprises de gardiennage privées successivement chargées.

A cet égard, la Ville de Luxembourg explique que durant la période du 1er décembre 2020 au 31 mars 2021 la société C aurait été chargée de la surveillance des quartiers de la Gare et de la Ville-Haute, tandis que la société F se serait vue charger pour la période du 15 mai 2021 au 15 novembre 2021 de la surveillance de la Gare, de la Ville-Haute et de Bonnevoie, ce dernier contrat étant entretemps arrivé à terme.

La Ville de Luxembourg fait ensuite valoir que l’arrêt invoqué par les requérants, qui confirmerait le caractère nécessairement « fonctionnel » de l'intérêt à agir d'une personne qui ne serait pas personnellement concernée par un contrat conclu par l'administration, ne serait pas transposable en l’espèce. Contrairement au député concerné par cette affaire, les requérants auraient pu accéder sans problèmes aux documents du marché et aux rapports des agents de sécurité. Concernant la mission de contrôle des conseillers communaux, la Ville de Luxembourg renvoie à ce propos à la loi communale, qui prévoirait justement les moyens légaux permettant aux conseillers communaux de contrôler les actes du collège échevinal.

Dans le mémoire en duplique, déposé dans le recours inscrit sous le numéro 45985, la Ville de Luxembourg fait encore état de ce qu’entretemps le troisième contrat conclu avec la société F serait venu à échéance, à savoir le 11 novembre 2021 de sorte que le recours serait devenu sans objet également à ce niveau.

Dans son mémoire en duplique, déposé dans le recours inscrit sous le numéro 45931 du rôle, l’Etat réitère que la jurisprudence et la doctrine considèreraient de manière constante que le refus par l'autorité tutélaire d'exercer son pouvoir facultatif de suspension d'un acte émanant d'une autorité communale ne constituerait pas une décision faisant grief.

Partant de ce constat, la prétendue gravité d'un acte sous-jacent soumis à l'autorité tutélaire, tel qu’invoquée par les requérants dans leur réplique, serait sans incidence sur la recevabilité du recours, la « décision » de l'autorité tutélaire n'étant pas un acte faisant grief.

Subsidiairement, en ce qui concerne l’intérêt à agir contre « les deux premiers marchés conclus par la Ville de Luxembourg » et par rapport aux explications fournies par les requérants pour justifier leur intérêt, l’Etat relève que la portée du recours serait délimitée par l'acte attaqué et par les moyens développés dans la requête, sans que le recours ne puisse par la suite être étendu à d’autres actes.

Le recours serait dirigé contre deux prétendues décisions du ministre portant sur deux conventions conclues entre la Ville de Luxembourg et une société privée qui n’auraient plus été en vigueur au jour de l'introduction du recours.

En outre, l'objet d'un recours devrait porter nécessairement sur un acte administratif et non sur un principe de manière générale, de sorte que les requérants ne seraient pas fondés à 13 soutenir que le recours viserait de manière générale la surveillance de l'espace public par une société privée et non pas différents contrats.

L’Etat réfute encore toute violation de l’article 6 de la CEDH, en renvoyant à un jugement du tribunal administratif du 20 septembre 2021, inscrit sous le numéro 43776 du rôle, dont il déduit que le droit au recours devant un tribunal ne serait pas absolu et pourrait faire l'objet de limitations.

Dès lors, la délimitation de l'objet d'un recours dans une requête introductive d'instance et corrélativement l'interdiction d'étendre l'objet du recours en cours de procédure ne pourrait être considérée comme contraire au principe du procès équitable et au recours utile à la justice.

L’Etat maintient encore ses contestations quant à l'intérêt à agir à titre personnel des requérants, tout en affirmant qu’il se rapporte à prudence de justice sur ce point.

Analyse du tribunal Au regard des contestations afférentes des parties à l’instance, il convient de prime abord de délimiter l’objet des deux recours.

Le tribunal relève que l’objet du recours inscrit sous le numéro 45931 du rôle se dégage à suffisance de la motivation de la requête introductive, lue ensemble avec le dispositif de celle-ci, à savoir les décisions ainsi qualifiées du ministre des 21 janvier et 19 avril 2021, qui refuseraient de faire droit à des demandes d’intervenir auprès du collège échevinal pour que celui-ci retire sa décision de charger une société de gardiennage de certaines missions, et, en cas de refus de celui-ci de ce faire, de suspendre l’exécution de la convention conclue, voire de mettre en œuvre l’annulation par le Grand-Duc.

En revanche, l’identification de l’objet du recours inscrit sous le numéro 45985 du rôle est moins aisée. En effet, le dispositif, auquel le tribunal est en principe seul tenu, se réfère à « des décisions » du collège échevinal sans autre précision, alors que la motivation de la requête introductive d’instance fait état de décisions du collège échevinal « confiant certaines missions de maintien de l'ordre public à des sociétés privées de gardiennage », en mentionnant une décision du 13 novembre 2020, « suivie d'une deuxième décision datant de janvier 2021 » prolongeant la mission de la société de gardiennage. En introduction de la requête introductive d’instance, les requérants exposent encore que le contrat de gardiennage aurait été prolongé pour une nouvelle durée de 6 mois, sans toutefois identifier concrètement l’acte qui, selon eux, véhiculerait une telle décision.

A défaut de toute autre explication fournie dans la requête introductive, inscrite sous le numéro 45985 du rôle, le tribunal retient qu’il est saisi d’un recours dirigé contre des décisions, ainsi qualifiées, prises par le collège échevinal lors des séances du 13 novembre 2020 et 22 janvier 2021 de charger une entreprise de gardiennage de certaines missions, voire de prolonger cette mission.

En revanche, si les requérants semblent critiquer une deuxième prolongation du contrat de service, le tribunal n’est néanmoins pas à même d’identifier un autre acte que les requérants ont le cas échéant entendu attaquer, étant relevé qu’en tout état de cause une demande en annulation ou en réformation d’un acte administratif formulée à travers un 14 mémoire en réplique est irrecevable, l’acte attaqué devant être identifié, en application de l’article 1er de la loi du 21 juin 1999, dans la requête introductive d’instance, qui délimite l’objet du recours, et une extension de l’objet du recours dans les écrits ultérieurs n’étant pas recevable2. Dès lors, le tribunal ne saurait avoir égard aux explications fournies par les requérants dans leur réplique quant à l’objet du recours, celui-ci devant se cristalliser à travers les seuls termes de la requête introductive d’instance.

Au demeurant, les explications fournies dans la réplique, suivant lesquelles « les actes incriminés dans le recours résultent de plusieurs décisions du collège échevinal de la VdL de lancer des marchés publics et de signer avec des sociétés de gardiennage privés des contrats visant à surveiller l’espace public », n’identifient pas davantage les actes attaqués, au-delà de ce que le tribunal a retenu ci-avant suivant la lecture de la requête introductive d’instance.

A cet égard, le tribunal relève encore qu’il ne saurait en tout état de cause être saisi du contrôle d’une certaine « politique » suivie par les autorités communales, ni d’une action de celles-ci, ni d’ailleurs du contrôle de l’exécution d’une décision administrative, mais uniquement, à côté d’actes à caractère réglementaires, de décisions administratives individuelles, que le requérant doit par ailleurs identifier avec suffisamment de précision.

Les deux recours ont partant pour objet (i) deux décisions, ainsi qualifiées, du collège échevinal de charger une entreprise de gardiennage de missions de surveillance et de gardiennage dans divers quartiers de la Ville de Luxembourg et (ii) deux refus, ainsi qualifiés, du ministre de faire application de l’article 104 de la loi communale en vue de l’application par le Grand-Duc de l’article 103 de la même loi en relation avec ces mêmes décisions prises par le collège échevinal.

Aux termes de l’article 103 de la loi communale :

« Le Grand-Duc peut annuler les actes collectifs et individuels des autorités communales qui sont contraires à la loi ou à l’intérêt général. L’arrêté d’annulation doit être motivé et indiquer les moyens légaux ou les éléments d’intérêt général qui sont en cause et qu’il s’agit de protéger.

Par autorités communales au sens des articles 103 à 108 inclus de la présente loi, on entend le conseil communal, le collège des bourgmestre et échevins, le bourgmestre, le receveur ainsi que les organes des syndicats de communes et établissements publics placés sous la surveillance des communes. ».

L’article 104 de la même loi dispose que :

« Le ministre de l’Intérieur peut, par arrêté motivé, suspendre l’exécution de l’acte par lequel une autorité communale viole la loi ou lèse l’intérêt général.

Les motifs de la suspension sont communiqués à l’autorité communale dans les cinq jours de la suspension. Si l’annulation de l’acte par le Grand-Duc n’intervient pas dans les quarante jours à partir de la communication à l’autorité communale, la suspension est levée. ».

2 Trib. adm. 22 octobre 2008, n° 22230 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 377 et les autres références y citées.

15 Il se dégage de ces dispositions que la faculté pour le Grand-Duc, prévue à l’article 103 de la loi communale, d’annuler des actes collectifs et individuels des autorités communales qu’il estime contraires à la loi ou à l’intérêt général, peut être précédée de la suspension de l’exécution de l’acte de l’autorité communale par le ministre en vertu de l’article 104.

L’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 dispose que :

« (1) Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l'égard desquelles aucun autre recours n'est admissible d'après les lois et règlements.

(2) Dans les cas où des lois et règlements admettent contre une décision administrative le recours au Grand-Duc, la partie se prétendant lésée pourra néanmoins déférer cette décision au tribunal administratif pour les causes sus-énoncées Dans ce cas, elle renonce au recours au Grand-Duc. Lorsque, en pareil cas, la partie intéressée s'est d'abord adressée au Grand-Duc, elle peut encore se pourvoir devant le tribunal administratif, mais seulement pour les causes ci-dessus énoncées, contre la décision qu'elle aura inutilement déférée au Grand-Duc. […] ».

L’article 3 de la loi du 7 novembre 1996 dispose que :

« (1) Le tribunal administratif connaît en outre comme juge du fond des recours en réformation dont les lois spéciales attribuent connaissance au tribunal administratif. […] ».

En l’espèce, indépendamment (i) de la question discutée par les parties de savoir si les décisions du ministre ayant statué sur le fondement de l’article 104 de la loi communale constituent des décisions susceptibles de recours3, voire si les courriers du ministre du 21 janvier 2021 et 19 avril 2021 portent un refus dans le sens voulu par les requérants, (ii) de celle du maintien de l’objet du recours, contesté tant par l’Etat que par la Ville de Luxembourg au regard de l’expiration des marchés conclus, (iii) de celle de savoir si une décision du collège échevinal de recourir à un marché public constitue une décision susceptible de recours indépendamment de la décision d’attribution du marché4, et (iv) de la recevabilité ratione temporis des recours en réformation, sinon en annulation dirigés contre les décisions du collège échevinal, se pose essentiellement la question de l’intérêt à agir de Madame A et de Monsieur B.

Cette question se pose au même titre tant par rapport aux recours dirigés contre les décisions du collège échevinal que par rapport à ceux visant les prises de position du ministre au sujet des mêmes décisions du collège échevinal. En effet, aux termes de l’article 2, 3 Trib. adm. 5 mars 1997, n° 9435 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Acte administratif, n° 119 ; C.E. belge 7 novembre 2008, n° 187.801, cité sub n° 9 de l’ouvrage « Le contentieux administratif en droit luxembourgeois », par Rusen Ergec.

4 Cour adm. 21 juin 2022, n° 47126C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu, ayant retenu que la « décision » du collège échevinal de lancer une nouvelle procédure de soumission publique après annulation de la première s’analyse comme le point de départ de l’appel d’offres publiques trouvant son aboutissement dans une décision communale d’adjudication, de sorte qu’un recours dirigé contre la « décision » de lancer la procédure est prématurée et partant irrecevable s’agissant d’un acte préparatoire.

16 paragraphe (2), précité de la loi du 7 novembre 1996, l’intervention d’un administré auprès du ministre, voire auprès du Grand-Duc sur le fondement des articles 103 et 104 de la loi communal ne l’empêche pas de déférer directement devant le tribunal administratif la décision qu’il a portée aussi devant le Grand-Duc en application des articles 103 et 104 de la loi communale, de sorte qu’en fin de compte se pose dans toutes les hypothèses la question de l’intérêt à agir du concerné contre les décisions prises par le collège échevinal que les requérants ont entendu voir contrôlées par le Grand-Duc, voire suspendues par le ministre.

A cet égard, il y a lieu de relever que la recevabilité d’un recours est conditionnée par l’existence d’un acte de nature à faire grief et ayant produit cet effet sur la personne du demandeur. Il importe donc que l’intérêt, qui doit être né et actuel, effectif et légitime5, soit non pas impersonnel et général, mais personnel6. Ainsi, il faut que la décision querellée entraîne des conséquences fâcheuses pour le demandeur, de nature matérielle ou morale7 et qu’elles l’atteignent à un titre particulier ou pour le moins appartenant à une catégorie définie et limitée d’administrés, l’annulation poursuivie devant pouvoir mettre fin à ces conséquences8. A défaut de grief, le demandeur ne peut se prévaloir de conséquences fâcheuses à son encontre. Eu égard à la circonstance que les juridictions ne sont pas instituées pour procurer aux plaideurs des satisfactions purement platoniques ou leur fournir des consultations, il appartient au tribunal de s’assurer qu’au moment de la requête introductive d’instance la condition d’intérêt soit bien remplie et qu’elle soit maintenue par la suite.

En tout état de cause, il appartient à la partie requérante d’expliquer et de justifier son intérêt à agir, étant relevé qu’il n’appartient pas au tribunal de rechercher par ses propres moyens quel pourrait le cas échéant être l’intérêt à agir dont pourrait se prévaloir une partie requérante à défaut de toute explication fournie par celle-ci.

Il convient encore de rappeler qu’en matière de contentieux administratif, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d’un administré qui peut tirer un avantage corrélatif de la décision par le juge administratif9.

L’intérêt devant être personnel, il doit être distinct de l’intérêt général.

Le contentieux administratif luxembourgeois ne connaît en effet pas l’action populaire, ni le recours dans le seul intérêt de la loi, le requérant devant justifier d’un intérêt à agir personnel, sous réserve de certaines interventions législatives en faveur des associations d’importance nationale10.

Même les associations sans but lucratif, qui entendent demander en justice la réparation de l’atteinte aux intérêts collectifs qu’ils défendent, ne sont admis à agir que du 5 Trib. adm. 11 octobre 1999, n°11243 et 11244, confirmé par Cour adm. 17 février 2000, n° 11608C, Pas. adm.

2022, V° Procédure contentieuse, n° 17 et les autres références y citées.

6 En ce sens « Le contentieux administratif en droit luxembourgeois » par Rusen Ergec mis à jour par Francis Delaporte, Procédure contentieuse, n° 114, Pas. adm. 2022, p. 70.

7 Précis de droit administratif belge, André Mast, Edition entièrement adaptée et complétée par André Alen et Jean Dujardin, E. Story-Scientia, 1989, n° 650 p. 592.

8 Op. cit.

9 Cour adm. 14 juillet 2009, n° 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 2 et les autres références y citées.

10 Par exemple : article 7, alinéa 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif 17 moment que l’action collective est dictée par un intérêt corporatif caractérisé et que ces actions collectives ont pour objectif de profiter à l’ensemble des associés, tandis que lorsque l’intérêt collectif en défense duquel elles prétendent agir, même en conformité avec leur objet social, se confond avec l’intérêt général de la collectivité, le droit d’agir leur est en principe refusé, étant donné que par leur action, elles empiètent sur les attributions des autorités étatiques, administratives et répressives, auxquelles est réservée la défense de l’intérêt général11.

Pour justifier d’un intérêt à agir il faut dès lors pouvoir se prévaloir de la lésion d’un intérêt personnel dans le sens que la réformation ou l’annulation de l’acte attaqué confère aux demandeurs une satisfaction certaine et personnelle12.

En l’espèce, un premier constat en découle, à savoir que des considérations avancées par les requérants tenant à l’intérêt général en ce qu’il n’y aurait pas lieu de maintenir dans l’ordonnancement juridique une décision estimée comme étant contraire à la Constitution par les requérants, à défaut de toute justification d’un intérêt personnel et direct, ne saurait justifier leur intérêt à agir.

Dans ce contexte, le tribunal relève encore que l’intérêt à agir ne dépend pas du sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours dont l’analyse ne sera faite que dans le cadre de l’examen au fond13. Autrement dit, la circonstance invoquée par les parties requérantes en l’espèce de l’existence d’une violation qu’elles estiment être flagrante de la Constitution ne justifie pas ipso facto leur intérêt à agir.

En ce qui concerne la question de savoir si Madame A respectivement Monsieur B peuvent invoquer un grief suffisant pour justifier d’un intérêt à agir, le tribunal relève de prime abord qu’à lire la requête introductive d’instance, ceux-ci ne font pas état d’un intérêt personnel, mais invoquent exclusivement leur qualité de conseillers communaux et déclarent que les actes attaqués les priveraient en cette qualité « du plein exercice de leur mandat » en faisant état d’une fonction de contrôle du collège échevinal en vue de s’opposer à des décisions qui seraient contraires à la loi ou à la Constitution, voire de s’opposer à des projets coûteux dont ils mettent en cause l’effet utile.

Le tribunal constate encore que ce n’est pas à titre personnel que Monsieur B est intervenu auprès du ministre en date des 9 décembre 2020 et 24 février 2021, mais en tant que conseiller communal appartenant au parti politique W, – étant relevé que Madame A ne figurait pas parmi les signataires de ces deux demandes.

Le constat suivant lequel Monsieur B est intervenu en sa seule qualité de conseiller communal, voire de membre du parti politique W, est confirmée par les pièces soumises à l’appréciation du tribunal et plus particulièrement par les différents communiqués, motions et questions urgentes présentées conjointement par les partis V, W et Z, signés notamment par Monsieur B en tant que conseiller communal.

11 Trib. adm., 27 juin 2001, n° 12485 du rôle, confirmé par Cour adm., 17 janvier 2002, n° 13800C du rôle, Pas.

adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 68 et les autres références y citées.

12 Trib. adm. 22 octobre 2007, n° 22489 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 12 et les autres références y citées 13 Trib. adm. 25 octobre 2001, n° 12415 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 8 et les autres références y citées 18 Ce n’est que dans leur réplique que les requérants font état, au-delà d’un intérêt lié à leur fonction, d’un intérêt personnel en tant que contribuable communal, soucieux de contrôler les dépenses publiques, peu importe qu’ils habitent les quartiers visés par les missions de surveillance commandées par le collège échevinal, tel que cela est le cas de Madame A, ou ne les habitent pas, tel que cela est le cas de Monsieur B.

En ce qui concerne de prime abord les considérations avancées, au titre d’un intérêt personnel, liées au contrôle de la gestion des dépenses publiques, le tribunal est amené à retenir que de telles considérations d’ordre général ne sauraient justifier un intérêt personnel pour agir contre une décision prise au niveau communal impliquant des dépenses, telle la décision de conclure un contrat. Certes, un intérêt personnel est susceptible d’être reconnu à un contribuable communal pour agir contre une décision affectant directement son imposition. Tel n’est toutefois pas le cas en présence d’une quelconque décision de conclure un contrat - à supposer qu’il existe un acte détachable susceptible d’être attaqué devant les juridictions administratives -, au seul motif qu’un tel acte engendre une dépense publique, un tel intérêt n’étant en tout état de cause ni direct, ni individuel. Au contraire, une telle analyse reviendrait à reconnaître à tout habitant d’une commune un intérêt à agir contre une quelconque décision des autorités communales impliquant des dépenses publiques. Or, le mécontentement d’ordre général, sans lien avec sa propre imposition, d’un contribuable communal avec la gestion des dépenses publiques n’est pas à résoudre devant les juridictions administratives, mais à travers le mécanisme des élections démocratiques.

Ensuite, la seule affirmation de Madame A qu’elle habiterait l’un des quartiers visés par les missions dont a été chargée une entreprise de gardiennage est encore insuffisante pour justifier son intérêt à agir, Madame A restant en tout état de cause en défaut d’expliquer en quoi la mission telle que confiée aux entreprises de gardiennage concernées la gênerait personnellement ou affecterait négativement sa situation personnelle, étant relevé que suivant le sondage effectué par la Ville de Luxembourg et dont question dans la séance du collège échevinal du 26 février 2021, les habitants des quartiers concernés ont a priori ressenti globalement les effets de l’intervention de la société de gardiennage comme étant bénéfiques.

Par ailleurs, en ce qui concerne les considérations avancées par rapport à d’autres conseillers communaux appartenant aux mêmes partis politiques qui connaîtraient très bien la situation des quartiers concernés voire qui y auraient habité ou travaillé, le tribunal n’entrevoit pas en quoi de telles considérations pourraient justifier un intérêt personnel que ce soit dans le chef de Madame A ou que ce soit dans le chef de Monsieur B.

S’agissant, enfin, de la question de l’existence d’un intérêt fonctionnel, le tribunal relève que la jurisprudence belge a eu l’occasion de définir les limites d’un tel intérêt dit fonctionnel, comme une forme particulière de l’intérêt du requérant en raison de la fonction qu’il occupe14. Ainsi, le titulaire d’un intérêt fonctionnel n’est recevable à invoquer que les moyens tirés de la méconnaissance des prérogatives attachées à sa fonction, l’intérêt à agir en tant qu’intérêt fonctionnel étant ainsi limité à la défense par le titulaire de la fonction litigieuse de prérogatives liées à cette même fonction. A défaut de moyen tiré d’une méconnaissance des prérogatives attachées à la fonction du requérant, le recours est irrecevable, étant relevé que même l’existence d’une irrégularité d’ordre public ne rend pas recevable le recours15.

14 Michel Leroy « Contentieux administratif », quatrième édition, page 512 et suivantes.

15 idem page 514 et les arrêts du Conseil d’Etat belge y cités.

19 En l’espèce, le tribunal constate que les requérants restent justement en défaut d’invoquer un tel moyen dénonçant la méconnaissance d’une prérogative attachée à leur fonction de conseillers communaux.

En revanche, à lire les moyens présentés par eux, ceux-ci ont trait en substance à une non-conformité à la Constitution et à la loi d’une convention signée par la Ville de Luxembourg avec une entreprise de gardiennage, à la suite de la décision du collège échevinal de lancer un marché public en vue de la mission critiquée, en l’occurrence une violation du monopole de la loi consacré par l’article 97 de la Constitution pour l’organisation et l’attribution des forces de l’ordre, une violation de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale réservant à la police étatique le maintien de l’ordre public et une violation de la loi du 12 novembre 2002 relative aux activités privées de gardiennage et de surveillance limitant les activités de ces sociétés privées à la surveillance de biens mobiliers et immobiliers, à la gestion de centres d'alarmes, au transport de fonds ou de valeurs et à la protection de personnes. Or, les requérants restent en défaut d’expliquer en quoi de tels moyens adressées aux délibérations litigieuses du collège échevinal aient trait à une méconnaissance d’une des prérogatives attachées à leur fonction de conseillers communaux.

Si les parties requérantes se prévalent essentiellement des enseignements qu’il conviendrait de déduire d’un arrêt de la Cour administrative du 26 janvier 2021, inscrit sous le numéro 44997C du rôle, le tribunal est néanmoins amené à retenir que les principes retenus dans cette affaire ne sont pas transposables en l’espèce.

Cette affaire concernait, en effet, une décision de refus d’accorder à un député l’accès à des documents détenus par le gouvernement, qui avait réclamé un tel accès afin de pouvoir exercer sa fonction de député. Le refus lui opposé l’a dès lors affecté dans l’exercice de ses prérogatives, à savoir celle de contrôler l’exécutif.

En l’espèce, toutefois la situation est différente en ce que la décision du collège échevinal de charger une société de gardiennage d’une prestation de services, voire de prolonger la mission, a été prise suivant les conditions de majorité requise au sein de cet organe. Un conseiller communal, ne faisant pas partie de cet organe, ne saurait faire état d’un intérêt fonctionnel pour voir contrôler les décisions prises par le collège échevinal devant les juridictions administratives au motif, non pas que cette décision aurait été prise en violation d’une des prérogatives lui accordées en sa fonction ou en violation des attributions reconnues au conseil dont il fait partie, mais au seul motif qu’il estime cette délibération contraire à la loi ou à la Constitution, voire au motif qu’il estime qu’une politique différente aurait dû être poursuivie par les autorités communales Une telle considération ne relève pas de la défense d’une prérogative attachée à la fonction de conseiller communal, mais revient à s’ériger en défenseur de l’intérêt général -

les requérants affirmant vouloir voir sanctionnés des actes qu’ils estiment être contraires à la Constitution ou à la loi -, alors que conformément aux principes retenus ci-avant, la défense du seul intérêt général ou du recours destiné au seul respect de la loi ne permet pas de justifier l’intérêt à agir, à défaut de la justification d’un intérêt personnel, ne fut-il fonctionnel.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les requérants n’ont pas justifié à suffisance un intérêt à agir, qu’il soit personnel ou qu’il soit fonctionnel, de sorte 20 que les deux recours en réformation, sinon en annulation sont à déclarer irrecevables, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les autres moyens d’irrecevabilité soulevés, cet examen devenant surabondant.

Cette conclusion n’est pas énervée par la référence faite par les requérants à l’article 6 de la CEDH, voire au principe général de l’Etat de droit, dans la mesure où cette disposition, respectivement ce principe général, ne sont pas de nature à empêcher à réserver l’accès aux juridictions administratives aux seuls requérants justifiant d’un intérêt suffisant à agir, en ce sens que l’acte attaqué doit leur faire grief et que l’annulation ou la réformation de l’acte fait cesser ces inconvénients pour le requérant, justification qui justement n’a pas été fournie à suffisance en l’espèce.

Eu égard à l’issue du litige, les demandes en paiement d’indemnités de procédure chacune de 1.250 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives formulées dans les deux rôles par les requérants sont rejetées.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

joint les affaires inscrites sous les numéros 45931 et 45985 du rôle ;

écarte des débats le deuxième mémoire en réponse déposé en date du 21 septembre 2021 par Maître Albert Rodesch dans l’affaire inscrite sous le numéro 45931 du rôle ;

déclare irrecevables les recours en réformation, sinon en annulation inscrits sous les numéros 45931 et 45985 du rôle ;

rejette les demandes respectives en paiement d’indemnités de procédure formulées par les requérants dans les deux rôles ;

condamne les parties requérantes au paiement des frais et dépens ;

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 janvier 2023 par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Poiani s. Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 janvier 2023 Le greffier du tribunal administratif 21


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 45931,45985
Date de la décision : 30/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-01-30;45931.45985 ?

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