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10/01/2023 | LUXEMBOURG | N°42156a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 janvier 2023, 42156a


Tribunal administratif N° 42156a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:42156a 4e chambre Inscrit le 24 décembre 2018 Audience publique du 10 janvier 2023 Recours formé par l’association sans but lucratif « …», a.s.b.l., … et consorts contre le règlement grand-ducal du 23 septembre 2018 portant règlementation de la profession d’ostéopathe et déterminant :

1) les études en vue de l’obtention du diplôme d’ostéopathe ;

2) les modalités de reconnaissance des diplômes étrangers ;

3) l’exercice et les attributions de la profession d

’ostéopathe en matière d’actes administratifs à caractère réglementaire

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Tribunal administratif N° 42156a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:42156a 4e chambre Inscrit le 24 décembre 2018 Audience publique du 10 janvier 2023 Recours formé par l’association sans but lucratif « …», a.s.b.l., … et consorts contre le règlement grand-ducal du 23 septembre 2018 portant règlementation de la profession d’ostéopathe et déterminant :

1) les études en vue de l’obtention du diplôme d’ostéopathe ;

2) les modalités de reconnaissance des diplômes étrangers ;

3) l’exercice et les attributions de la profession d’ostéopathe en matière d’actes administratifs à caractère réglementaire

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JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 42156 du rôle et déposée le 24 décembre 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître François Prüm, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

1) l’association sans but lucratif « … », a.s.b.l., en abrégé « … », établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le n° F …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction ;

2) Monsieur …, ostéopathe D.O., demeurant à L-… ;

3) Monsieur …, ostéopathe D.O., demeurant à L-…, tendant à l’annulation du règlement grand-ducal du 23 septembre 2018 portant règlementation de la profession d’ostéopathe et déterminant :

1) les études en vue de l’obtention du diplôme d’ostéopathe ;

2) les modalités de reconnaissance des diplômes étrangers ;

3) l’exercice et les attributions de la profession d’ostéopathe ;

Revu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 mars 2019 ;

Revu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 avril 2019 par Maître François Prüm, pour compte de ses mandants ;

Revu l’ordonnance du président de la quatrième chambre du tribunal administratif du 8 mai 2019 par laquelle le délai en vue du dépôt du mémoire en duplique a été fixé au vendredi 24 mai 2019 à 17.00 heures ;

Revu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 mai 2019 par Maître Patrick Kinsch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Revu l’ordonnance du président de la quatrième chambre du tribunal administratif du 4 juin 2019 par laquelle les parties ont été autorisées à déposer des mémoires supplémentaires à la suite d’une demande afférente présentée par Maître François Prüm ;

Revu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 juillet 2019 par Maître François Prüm pour compte de ses mandants ;

Revu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 septembre 2019 par Maître Patrick Kinsch pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le jugement interlocutoire du tribunal administratif du 5 février 2021, inscrit sous le numéro 42156 du rôle posant une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle ;

Vu l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 juin 2021, inscrit sous le numéro 00166 du registre ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 9 juin 2021 autorisant les parties à déposer un mémoire supplémentaire afin de prendre position par rapport à l’arrêt de la Cour constitutionnelle précité du 4 juin 2021 ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 septembre 2021 par Maître François Prüm pour compte de ses mandants ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 octobre 2021 par Maître Patrick Kinsch pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Revu les pièces versées en cause et notamment le règlement grand-ducal attaqué ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Danielle Wagner, en remplacement de Maître François Prüm, et Maître Patrick Kinsch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 octobre 2022.

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En date du 23 septembre 2018 fut pris un règlement grand-ducal portant règlementation de la profession d’ostéopathe et déterminant :

1) les études en vue de l’obtention du diplôme d’ostéopathe ;

2) les modalités de reconnaissance des diplômes étrangers ;

3) l’exercice et les attributions de la profession d’ostéopathe, dénommé ci-après le « règlement grand-ducal du 23 septembre 2018 ». Ce règlement grand-ducal fut publié au Mémorial A n° 873 du 27 septembre 2018.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 décembre 2018, l’association sans but lucratif « …», a.s.b.l., dénommée ci-après « … », Monsieur … et Monsieur …, désignés tous ensemble ci-après par « les parties demanderesses », ont fait introduire un recours tendant à l’annulation du règlement grand-ducal du 23 septembre 2018.

Par un jugement du 5 février 2021, inscrit sous le numéro 42156 du rôle, le tribunal de céans a d’abord déclaré recevable le recours en annulation dirigé contre le règlement grand-

ducal du 23 septembre 2018. Au fond et tout en ayant donné acte aux parties demanderesses de ce qu’elles ont renoncé à leur moyen tiré de l’article 95 de la Constitution, le tribunal, par rapport au moyen relatif à une inconstitutionnalité de l’article 7 de la loi modifiée du 26 mars 1992 sur l'exercice et la revalorisation de certaines professions de santé, dénommée ci-après « la loi du 26 mars 1992 », a soumis à la Cour constitutionnelle, avant tout autre progrès en cause, la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions combinées des articles 1er et 7 de la loi modifiée du 26 mars 1992 sur l’exercice et la revalorisation de certaines professions de santé sont-elles conformes aux paragraphes (5) et (6) de l’article 11 et à l’article 32, paragraphe (3) de la Constitution combinés, sinon pris individuellement ? ».

Dans ce contexte, le tribunal avait d’abord relevé que le règlement grand-ducal du 23 septembre 2018, sous examen, avait été pris sur le fondement de l’article 7 de la loi du 26 mars 1992, intitulé « statuts et attributions de ces professions », disposant qu’« Un règlement grand-ducal détermine le statut, les attributions et les règles de l’exercice de ces professions », les professions auxquelles il est ainsi fait référence étant celles figurant à l’article 1er de la loi du 26 mars 1992, auquel avait été rajouté la profession d’« ostéopathe » par la loi du 21 août 2018 portant modification :

1° de la loi modifiée du 18 décembre 1987 organisant le centre thermal et de santé de Mondorf-les-Bains ;

2° de la loi modifiée du 26 mars 1992 sur l’exercice et la revalorisation de certaines professions de santé ;

3° de la loi modifiée du 11 août 2006 relative à la lutte antitabac ;

4° de la loi modifiée du 14 juillet 2015 portant création de la profession de psychothérapeute, ci-après dénommée « la loi du 21 août 2018 ».

Etant donné que le domaine de la protection de la santé, notion intégrant nécessairement les professions médicales, y compris les ostéopathes, est visé par l’article 11, paragraphe (5) de la Constitution disposant que « La loi règle [ce domaine] quant à ses principes » et que l’article 32, paragraphe (3) de celle-ci, dans sa version applicable au jour de la prise du règlement grand-ducal sous examen du 23 septembre 2018, dispose que « Dans les matières réservées à la loi par la Constitution, le Grand-Duc ne peut prendre des règlements et arrêtés qu’en vertu d’une disposition légale particulière qui fixe l’objectif des mesures d’exécution et le cas échéant les conditions auxquelles elles sont soumises », le tribunal, dans son jugement du 5 février 2021, avait relevé qu’au regard du titre1 du règlement grand-ducal du 23 septembre 2018, laissant penser que l’objectif de celui-ci était de procéder à une règlementation de base globale et exhaustive de la profession d’ostéopathe, ainsi qu’au regard du constat que l’article 7 de la loi du 26 mars 1992 reste muet quant à la moindre ligne de conduite, quant au type de règlementation à élaborer, quant aux conditions à remplir par les personnes intéressées par l’exercice de la profession d’ostéopathe, ainsi que quant aux modalités d’exercice de ladite profession, que se poserait la question de la conformité de l’article 7 de la loi du 26 mars 1992 à l’article 32, paragraphe (3) de la Constitution.

1 « portant réglementation de la profession d’ostéopathe et déterminant :

1.

les études en vue de l’obtention du diplôme d’ostéopathe ;

2.

les modalités de reconnaissance des diplômes étrangers ;

3.

l’exercice et les attributions de la profession d’ostéopathe. » Dans son arrêt du 4 juin 2021, inscrite sous le numéro 00166 du registre, la Cour constitutionnelle a d’abord dit, par rapport à la question préjudicielle lui posée, que « les dispositions combinées des articles 1er et 7 de la loi du 26 mars 1992 ne sont pas conformes à l’article 32, paragraphe 3, considéré ensemble les paragraphes 5 et 6 de l’article 11 de la Constitution », sur base des motifs suivants :

« (…) Si, dans une matière réservée à la loi, l’encadrement législatif d’une attribution du pouvoir réglementaire au Grand-Duc peut, au-delà de la stricte disposition prévoyant la délégation de pouvoir, se dégager de l’ensemble des règles législatives pertinentes, il n’en reste pas moins que la fixation des objectifs des mesures d’exécution doit être clairement énoncée, de même que les conditions auxquelles elles sont, le cas échéant, soumises.

L’orientation et l’encadrement du pouvoir exécutif doivent, en tout état de cause, être consistants, précis et lisibles, l’essentiel des dispositions afférentes étant appelé à figurer dans la loi.

Les articles 1er et 7 de la loi du 26 mars 1992, pris tant individuellement qu’en combinaison, n’orientent ni n’encadrent autrement l’action du pouvoir réglementaire.

Au contraire, à travers l’article 7 de la loi du 26 mars 1992, le pouvoir exécutif se voit déléguer inconditionnellement la détermination du statut, des attributions et des règles de l’exercice des professions de santé visées à l’article 1er de ladite loi.

En outre, la Cour constate qu’au-delà des deux dispositions précitées, si la loi du 26 mars 1992 fixe les conditions générales d’accès aux professions visées et différentes conditions communes liées à l’exercice de ces professions, conditionnant de la sorte dans une certaine mesure l’action du pouvoir réglementaire, elle reste cependant essentiellement en défaut de déterminer avec la précision requise l’objectif des mesures d’exécution. (…) ».

La Cour constitutionnelle a également retenu que « ces dispositions cesseront d’avoir un effet juridique le 30 juin 2023», au motif que « L’effet immédiat de la déclaration d’inconstitutionnalité, moyennant l’inapplicabilité corrélative du règlement grand-ducal du 23 septembre 2018, voire des autres règlements, pris en exécution de l’article 7 de la loi du 26 mars 1992, entraînerait des conséquences manifestement excessives sur l’ordre juridique, de sorte qu’il y a lieu de reporter, en application de l’article 95ter de la Constitution, au 30 juin 2023 les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité, afin de permettre au législateur d’y remédier. ».

Par avis du tribunal du 9 juin 2021, les parties ont été autorisés à déposer un mémoire supplémentaire afin de leur permettre de prendre position par rapport à l’arrêt précité du 4 juin 2021.

Dans leur mémoire supplémentaire, les parties demanderesses, après avoir rappelé les rétroactes de la présente affaire, tel que passés en revue ci-avant, donnent à considérer qu’en vertu de l'article 95ter, paragraphe (6) de la Constitution, les dispositions des lois déclarées non conformes à la Constitution par un arrêt de la Cour constitutionnelle cesseraient d'avoir un effet juridique le lendemain de la publication de cet arrêt dans les formes prévues pour la loi, à moins que la Cour constitutionnelle n'ait ordonné un autre délai, respectivement prévu les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause.

Ainsi, il résulterait du commentaire de l'article en question, dans le cadre de la proposition de révision de l'article 95ter de la Constitution, dossier parlementaire numéro 7414, que la formulation proposée confèrerait un effet général et absolu aux arrêts de la Cour constitutionnelle, mais que le mécanisme proposé permettrait à ladite Cour de reporter l'effet absolu de sa décision d’inconstitutionnalité, afin de permettre, dans l'intervalle, au gouvernement et au législateur de prendre des initiatives pour clarifier la situation juridique à la suite d’un tel arrêt.

De son côté, l'avis du Conseil d'Etat du 5 avril 2010 aurait souligné qu'un effet différé de la décision ne saurait être opposé à la partie ayant invoqué le moyen d'inconstitutionnalité de la loi devant le juge de renvoi, le Conseil d’Etat ayant encore précisé, dans son avis complémentaire du 2 juillet 2012, qu’il serait impérieux de consacrer en des termes clairs, l'effet immédiat de l'arrêt pour les parties en litige devant le juge de renvoi, ainsi que dans son avis complémentaire du 20 décembre 2019, que la partie à l'origine du renvoi préjudiciel devant la Cour constitutionnelle devrait, en toute circonstance, bénéficier de l'arrêt déclarant inconstitutionnelle la disposition légale en cause.

Ainsi, les parties demanderesses font plaider que même si la Cour constitutionnelle aurait déclaré erga omnes que les articles 1er et 7 de la loi du 26 mars 1992 ne produisent plus aucun effet juridique après le 30 juin 2023 pour permettre au législateur d'y remédier, cette décision devrait produire un effet immédiat entre les parties au procès et donc inter partes.

En effet, si tel n'était pas le cas, un règlement grand-ducal se greffant sur une partie d'une loi déclarée inconstitutionnelle continuerait, jusqu'au 30 juin 2023 compris, à s'appliquer aux personnes qui en ont justement demandé annulation, de sorte à rendre leur action judiciaire largement inutile.

Au fond, les parties demanderesses estiment, à titre principal, qu’au regard de l’arrêt précité de la Cour constitutionnelle, le tribunal devrait déclarer justifié leur recours en annulation introduit contre le règlement grand-ducal du 23 septembre 2018, en renvoyant, à cet effet, à un arrêt récent de la Cour administrative du 12 février 2019, portant le numéro 40638C du rôle, lequel se serait également prononcée en matière d'annulation d'acte réglementaire pour violation du principe de la matière réservée à la loi.

Il y aurait dès lors lieu d’annuler le règlement grand-ducal du 23 septembre 2018 avec effet au lendemain du prononcé de l'arrêt de la Cour constitutionnelle, sinon avec effet au jour du jugement à prononcer, sinon avec effet au 1er juillet 2023.

A titre subsidiaire, les parties demanderesses déclarent maintenir leurs moyens tirés du dépassement de la loi et de l'insécurité juridique et de la violation du principe de l'égalité devant la loi, tel qu’invoqués dans le cadre de leur requête introductive d’instance.

La partie gouvernementale, de son côté, rappelle également les rétroactes de l’affaire dans son mémoire supplémentaire, tout en soulignant que la Cour constitutionnelle aurait fait droit à sa demande de voir modulés dans le temps les effets du constat d'inconstitutionnalité au motif que l'effet immédiat de la déclaration d'inconstitutionnalité entraînerait des conséquences manifestement excessives sur l'ordre juridique, de sorte que ces dispositions cesseront d'avoir un effet juridique le 30 juin 2023.

En droit, la partie gouvernementale conclut au rejet du recours en tous ses volets.

En effet, en demandant principalement une annulation avec effet immédiat du règlement grand-ducal du 23 septembre 2018, les parties demanderesses ne respecteraient pas ce qui aurait été clairement et expressément décidé par la Cour constitutionnelle dans son arrêt, lequel aurait autorité de la chose jugée.

En l’espèce, la Cour constitutionnelle aurait décidé que la déclaration d'inconstitutionnalité ne prendrait pas effet immédiatement, mais seulement à partir du 30 juin 2023, sans faire une exception au profit des parties demanderesses.

Etant donné que l'objet même de l'instance actuellement pendante, dans le cadre de laquelle la Cour constitutionnelle avait été saisie, aurait été d'obtenir, à travers une déclaration d'inconstitutionnalité de la base légale du règlement grand-ducal, l'annulation du règlement grand-ducal du 23 septembre 2018, il serait clair qu'une distinction entre la situation individuelle des parties demanderesses, d'une part, et celle des autres citoyens, d'autre part, n'aurait pas de sens en l'espèce.

En effet, si la Cour constitutionnelle avait décidé que la déclaration d'inconstitutionnalité prendrait effet immédiatement inter partes, la conséquence en serait que le règlement devrait être annulé avec effet immédiat à l’égard des parties demanderesses par un jugement du tribunal administratif, lequel aurait cependant, quant à lui, un effet erga omnes en application de l’article 7, paragraphe (3) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », en vertu duquel la décision prononçant l'annulation d’un règlement grand-

ducal aurait un caractère absolu, à partir du jour où elle est coulée en force de chose jugée.

Or, ce serait précisément ce que la Cour constitutionnelle aurait souhaité éviter en différant les effets de sa déclaration d'inconstitutionnalité.

Quant au renvoi aux différents avis du Conseil d'Etat dans le cadre de l'adoption de la proposition de modification de l'article 95ter de la Constitution, la partie gouvernementale souligne que si ce dernier aurait effectivement voulu, dans le cas de figure où la Cour constitutionnelle décide de donner un effet différé à son arrêt, voir consacré l'effet immédiat de l'arrêt pour les parties en litige devant le juge de renvoi ainsi que pour les justiciables ayant déjà engagé un recours, il ne faudrait pas perdre de vue que le Conseil d'Etat n’aurait qu’un rôle consultatif et que ses avis ne pourraient être pris en considération pour l'interprétation des dispositions adoptées qu'à condition que le législateur ait donné suite aux propositions du Conseil d'Etat, ce qui, en l’espèce n’aurait pourtant pas été le cas, alors que l'ajout à l'article 95ter de la Constitution, tel que proposé par le Conseil d'Etat, n'aurait pas été adopté, la Commission parlementaire des institutions et de la révision constitutionnelle ayant préféré une solution plus flexible au profit de la Cour constitutionnelle, tel que cela ressortirait du rapport de cette dernière du 4 février 2020, renvoyant à la jurisprudence du Conseil constitutionnel français à cet égard.

Ainsi, en l’espèce, la Cour constitutionnelle n'aurait dès lors fait qu'user de la flexibilité lui laissée par l'article 95ter, paragraphe (6) de la Constitution, sans distinguer entre l'effet inter partes et l'effet erga omnes de la déclaration d'inconstitutionnalité.

Même si le Conseil constitutionnel français retiendrait en principe que la déclaration d'inconstitutionnalité devrait bénéficier à l'auteur de la question et s'appliquer aux instances en cours à la date de la décision d'inconstitutionnalité, tel ne serait pourtant pas toujours le cas, notamment si cet effet aurait des conséquences manifestement excessives, la partie gouvernementale citant plusieurs décisions du Conseil constitutionnel en ce sens.

Ainsi, l'annulation immédiate du règlement grand-ducal litigieux créerait un vide juridique que la Cour constitutionnelle aurait justement voulu éviter.

Etant donné que le tribunal administratif serait obligé de respecter l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la Cour constitutionnelle, il ne saurait pas prononcer d'annulation avec effet immédiat du règlement grand-ducal du 23 septembre 2018.

La partie gouvernementale fait ensuite plaider que la demande subsidiaire tendant à une annulation avec effet différé au 30 juin 2023 du règlement grand-ducal du 23 septembre 2018 serait également à rejeter, alors qu’une annulation présupposerait qu'au moment où il a été pris, le règlement grand-ducal n’aurait pas disposé d'une base légale valable.

Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce, alors que l'inconstitutionnalité de la base légale n'aurait été constatée qu'avec effet au 30 juin 2023, de sorte que rien n'empêcherait le législateur, au moment où il modifiera le texte de la loi du 26 mars 1992, de donner un effet rétroactif à la nouvelle base légale.

Etant donné qu’il n’y aurait pas lieu d'anticiper, il n'y aurait en conséquence pas lieu d'annuler le règlement attaqué, même avec effet différé.

En ce qui concerne finalement les autres moyens au fond invoqués par les parties demanderesses dans le cadre de leur recours, la partie gouvernementale déclare se rapporter à ses mémoires antérieurement déposés devant le tribunal administratif avant la saisine de la Cour constitutionnelle.

Force est tout d’abord au tribunal de constater, en ce qui concerne le moyen relatif à une violation, par les articles 1er et 7 de la loi du 26 mars 1992, de l’article 32, paragraphe (3) de la Constitution, qu’il ressort de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 juin 2021 que les articles 1er et 7 de la loi du 26 mars 1992, sur base desquels le règlement grand-ducal déféré du 23 septembre 2018 a été pris, considérés tant individuellement qu’en combinaison, n’orientent ni n’encadrent autrement l’action du pouvoir réglementaire, de sorte que l’article 7 de la loi du 26 mars 1992 viole l’article 32, paragraphe (3) de la Constitution, du fait de déléguer, de manière inconditionnelle, au pouvoir exécutif la détermination du statut, des attributions et des règles de l’exercice des professions de santé visées à l’article 1er de ladite loi.

Il suit de ce constat d’inconstitutionnalité de la base légale du règlement grand-ducal du 23 septembre 2018, que les parties demanderesses ont à bon droit soulevé l’illégalité de ce dernier pour défaut de base légale valable.

Or, les parties sont en désaccord en ce qui concerne l’effet, sur la solution du présent litige, de la décision de la Cour constitutionnelle de reporter, en application de l’article 95ter de la Constitution, au 30 juin 2023 les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité, en ce qu’elle a déclaré que les articles 1er et 7 de la loi du 26 mars 1992 « cesseront d’avoir un effet juridique le 30 juin 2023 », la partie gouvernementale estimant que cette décision serait même de nature à rendre impossible toute annulation du règlement grand-ducal du 23 septembre 2018 sur cette base.

A titre liminaire, force au tribunal de préciser qu’il n’est actuellement pas amené à statuer sur la légalité d’un acte individuel pris en application du règlement grand-ducal du 23 septembre 2018 et qui ferait grief aux parties demanderesses, mais qu’il est saisi d’un recours direct en annulation dudit règlement grand-ducal sur base de l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996 aux termes duquel « (1) Le tribunal administratif statue encore sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent. (…) ».

Etant donné qu’un règlement grand-ducal est par nature un acte susceptible d’atteindre un nombre indéterminé de personnes, c’est-à-dire à effet erga omnes, la décision du tribunal de céans, statuant sur le recours en annulation dirigé contre le règlement grand-

ducal du 23 septembre 2018, devra nécessairement également avoir un effet erga omnes.

En effet, à défaut de base légale expresse afférente, il n’est pas permis au juge de réguler les effets inter partes de l’annulation d’un règlement grand-ducal, une telle question devant se régler dans le cadre d’une éventuelle affaire future relative à un acte individuel pris en exécution du règlement grand-ducal litigieux.

Il s’ensuit que l’argumentation des parties demanderesses relative à un effet inter partes de l’éventuelle annulation du règlement grand-ducal déférée est à rejeter.

Aux termes de l’article 95ter de la Constitution, « (1) La Cour Constitutionnelle statue, par voie d'arrêt, sur la conformité des lois à la Constitution. (…) (6) Les dispositions des lois déclarées non conformes à la Constitution par un arrêt de la Cour Constitutionnelle cessent d’avoir un effet juridique le lendemain de la publication de cet arrêt dans les formes prévues pour la loi, à moins que la Cour Constitutionnelle n’ait ordonné un autre délai. La Cour Constitutionnelle détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause. » Il s’ensuit que, par principe, les dispositions législatives déclarées inconstitutionnelles cessent d’avoir un effet juridique le lendemain de la publication de l’arrêt de la Cour constitutionnelle afférent, à moins que cette dernière n’ait décidé de reporter cet effet à une autre date. Il s’agit dès lors de modifier l’effet erga omnes d’un arrêt constatant l’inconstitutionnalité d’une loi qui a en principe un effet ex nunc.

Le paragraphe (6) de l’article 95ter précité de la Constitution prévoit encore, dans sa dernière phrase, la possibilité, pour la Cour constitutionnelle, de préciser les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits, depuis son adoption, sont susceptibles d’être remis en cause rétroactivement, pour donner ainsi un effet ex tunc au constat d’inconstitutionnalité sous certaines conditions, ce que la Cour constitutionnelle n’a pourtant pas fait en l’occurrence.

Il échet ensuite de rappeler que la décision de la Cour constitutionnelle de différer les effets de son constat d’inconstitutionnalité est motivée, en l’espèce, par la considération que l’effet immédiat de la déclaration d’inconstitutionnalité entraînerait des conséquences manifestement excessives sur l’ordre juridique, de même que par le souci de permettre au législateur d’y remédier dans le délai lui ainsi imparti.

En ce qui concerne la conséquence de ce report de l’effet du constat d’inconstitutionnalité au 30 juin 2023 sur la présente affaire, force est d’abord de considérer que la décision de la Cour constitutionnelle de différer la cessation d’effet des dispositions litigieuses sur base desquels le règlement grand-ducal du 23 septembre 2018 a été pris, n’est pas de nature à remettre en cause le nécessaire constat d’inconstitutionnalité ab initio des articles 1er et 7 de la loi du 26 mars 1992, soit dès leur adoption, donc également au jour où le règlement grand-ducal du 23 septembre 2018 a été pris, mais se limite à maintenir lesdites dispositions en vigueur jusqu’au 30 juin 2023 pour les motifs indiqués ci-avant.

Il y a encore lieu de rappeler, dans ce contexte, en ce qui concerne les effets d’un jugement annulant un règlement grand-ducal dans le cadre d’un recours basé sur l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996, que si la jurisprudence a toujours retenu, en application de l’article 7, paragraphe (3), 2e phrase de la loi du 7 novembre 1996, que l’annulation d’un acte règlementaire ne pourrait avoir qu’un effet erga omnes pour le futur, afin de limiter les incidences négatives en termes de retour en arrière, inhérentes à toute annulation classique, et, par ricochet, toute inflation potentielle d’actions en responsabilité contre la puissance publique2, de sorte à constituer une exception au droit commun de la rétroactivité de l’annulation d’un acte administratif3, selon lequel une décision administrative annulée est réputée n'être jamais intervenue, l'acte annulé disparaissant rétroactivement depuis la date où il a été pris4, la Cour constitutionnelle a cependant, en date du 15 novembre 2019, déclaré l'article 7, paragraphe (3), 2e phrase de la loi du 7 novembre 1996 comme n’étant « pas conforme à l'article 95 de la Constitution en ce qu'il limite, de façon générale et inconditionnée dans le temps, les effets de l'annulation définitive d'un acte administratif à caractère réglementaire »5, la Cour constitutionnelle n’ayant pas différé l’effet de son arrêt y 2 Cour adm. 17 décembre 2015, nos 36178C et 36217C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 88.

3 Trib. adm. 8 décembre 2014, n° 33910 du rôle, conf. par Cour adm. 12 mai 2015, nos 35726C et 35731C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes règlementaires (recours contre les), n° 39.

4 Cour adm. 15 octobre 1998, n° 10704C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n°72 et les autres références y citées.

5 Cour constit., 15 novembre 2019, n° 00150 du registre, Mémorial A n° 777 du 20 novembre 2019 :

« (…) Ledit article 7, paragraphe 3, dispose dans sa deuxième phrase que l’annulation définitive d’un acte administratif à caractère règlementaire par la juridiction administrative a un caractère absolu et produit ses effets erga omnes pour l’avenir.

En disposant ainsi, le législateur a opté pour un effet ex nunc des décisions d’annulation d’un acte administratif à caractère règlementaire, excluant implicitement, mais nécessairement, le caractère rétroactif des effets erga omnes de ladite annulation.

Cette modulation dans le temps des effets de l’annulation d’un acte administratif à caractère règlementaire implique qu’un tel acte, bien que jugé illégal, continue à rester applicable à partir de la date de prise d’effet jusqu’à la date où son annulation est devenue définitive et que le juge est en conséquence tenu de l’appliquer pour la période antérieure à son annulation malgré sa contrariété à la loi reconnue.

Pareille limitation générale et inconditionnée dans le temps des effets de l’annulation d’un acte administratif à caractère règlementaire se heurte ainsi à la prohibition édictée par l’article 95 de la Constitution, étant donné 9 relatif, de sorte que la limitation dudit article n’a plus d’effet depuis la publication de l’arrêt en question.

Il suit de cet arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 novembre 2019 que, faute de disposition légale imposant d’office aux juridictions administratives un effet ex nunc d’un jugement d’annulation d’un règlement grand-ducal, celles-ci ont désormais la faculté, telle que retenue par la jurisprudence afférente relative à l’annulation d’une décision administrative individuelle, de moduler, dans leur jugement, les effets de l’annulation prononcé d’un acte règlementaire, dans l’idée que le juge administratif est tout autant le garant de la stabilité et de la sécurité juridiques que de la protection des droits de l’administré face à l’administration, et qu’il lui appartient, dans la mesure du possible, de tenter de concilier ces deux impératifs6. Ainsi, il doit être permis au juge administratif, s’apprêtant à annuler un acte, de statuer en deçà de ses attributions maximales et de limiter les effets de sa décision d’annulation7.

Il s’ensuit qu’en l’espèce et afin de respecter la solution dégagée par l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 juin 2021 en ce qui concerne l’effet de son constat d’inconstitutionnalité des articles 1er et 7 de la loi du 26 mars 1992, le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en annulation, ne saurait décider autrement que de prononcer, sur base du constat d’illégalité du règlement grand-ducal du 23 septembre 2018, l’annulation de ce dernier, également avec effet au 30 juin 2023, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation gouvernementale basée sur une assertion hypothétique selon laquelle le règlement grand-ducal déféré ne pourrait en aucun cas être annulé, alors qu’éventuellement une nouvelle loi pourrait ultérieurement et de manière rétroactive, lui fournir une base légale valable, alors qu’il n’appartient pas au tribunal, au jour où il statue, de spéculer sur la manière dont le législateur entend réagir face à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 juin 2021.

Finalement, les parties demanderesses sollicitent l’allocation d’une indemnité de procédure de 3.500,- euros en application de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, alors qu’il paraîtrait inéquitable de laisser à leur charge les sommes exposées par elles et non comprises dans les dépens.

La partie gouvernementale s’y oppose.

Au vu de la solution du litige, il est fait droit à la demande des parties demanderesses en allocation d’une indemnité de procédure, laquelle est fixée ex aequo et bono à un montant total de 3.000,- euros.

que ni cet article, ni une quelconque autre disposition constitutionnelle ne prévoit une possibilité de déroger à cette prohibition.

L’atteinte à la sécurité juridique résultant, selon l’État, nécessairement de l’effet rétroactif de l’annulation d’un acte administratif à caractère réglementaire ne saurait sous-tendre une dérogation à la prohibition édictée par l’article 95 de la Constitution. (…) ».

6 Cour adm. 5 mai 2015, n° 35722C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 84 et l’autre référence y citée.

7 ibidem Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

vidant le jugement du tribunal administratif du 5 février 2021, inscrit sous le numéro 42156 du rôle ;

déclare le recours justifié au fond, partant annule le règlement grand-ducal du 23 septembre 2018 avec effet au 30 juin 2023 ;

condamne l’Etat du Grand-Duché à payer aux parties demanderesses une indemnité de procédure de 3.000,- euros ;

condamne l’Etat du Grand-Duché aux frais et dépens de l’instance ;

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 janvier 2023 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 janvier 2023 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 42156a
Date de la décision : 10/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-01-10;42156a ?

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