Tribunal administratif N° 46127 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:46127 2e chambre Inscrit le 15 juin 2021 Audience publique du 5 décembre 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 46127 du rôle et déposée le 15 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 mai 2021 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’un report à l’éloignement ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2021 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Charline Radermecker en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 novembre 2022.
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En date du 10 décembre 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Monsieur … fut débouté de sa demande de protection internationale par une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », du 26 janvier 2021 prise dans le cadre d’une procédure accélérée, décision qui fut confirmée par jugement du tribunal administratif du 11 mars 2021, inscrit sous le numéro 45637 du rôle.
Par courrier de son litismandataire du 30 avril 2021, Monsieur … introduisit auprès du ministère une demande en obtention d’un report à l’éloignement au sens des articles 125bis et 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ».
1Par décision du 4 mai 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé, le ministre refusa de faire droit à cette demande sur base des motifs et considérations suivants :
« […] J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 30 avril 2021 par lequel vous sollicitez pour le compte de votre mandant une demande en obtention d'un report à l'éloignement.
Par la même occasion, vous exposez que votre mandant est dans l’impossibilité de quitter le territoire luxembourgeois en raison de la situation sécuritaire et sanitaire au Nigéria.
En réponse permettez-moi de vous informer que je ne suis malheureusement pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande étant donné que Monsieur … ne remplit pas les conditions à l'article 125 bis et à l'article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration. En revanche, j'invite votre mandant à prendre contact avec Mme […] de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) qui l'assistera lors de ses démarches auprès de son ambassade en vue d'un retour volontaire. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 juin 2021, inscrite sous le numéro 46127 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 4 mai 2021 portant rejet de sa demande en obtention d’un report à l’éloignement.
Etant donné qu’en la présente matière aucun recours au fond n’est prévu ni par la loi du 29 août 2008, ni par une autre disposition légale, le demandeur a valablement pu introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle déférée refusant de faire droit à sa demande en obtention d’un report à l’éloignement, recours qui, par ailleurs, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A titre liminaire et en ce qui concerne la demande en communication du dossier administratif formulée exclusivement dans le dispositif de la requête introductive d’instance, le tribunal constate que la partie étatique a déposé ensemble avec son mémoire en réponse, une farde de pièce correspondant a priori au dossier administratif. A défaut pour le demandeur de remettre en question le caractère complet du dossier mis à disposition à travers le mémoire en réponse, la demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant devenue sans objet.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique qu’au Nigéria, il aurait été pris pour cible par un groupe criminel contre lequel il n’aurait pu bénéficier d’aucune protection, ce qui l’aurait poussé à intégrer un groupe cultiste qui lui aurait demandé quelques mois après son adhésion de tuer une personne d’un autre groupe. Il continue en relatant avoir intégré par la suite un autre groupe cultiste, dénommé « AIYE », qui aurait également exigé qu’il tue pour eux, ce qu’il aurait refusé de faire. Après qu’il ait quitté le groupe en question, les membres de celui-ci ne l’auraient pas laissé tranquille ce qui l’aurait poussé à s’enfuir.
Comme son adhésion au groupe « AIYE » lui aurait également valu d’être menacé par le groupe ennemi « AXE », sa crainte d’être retrouvé par l’un des deux groupes et l’absence de toute perspective de trouver une protection auprès des autorités de son pays d’origine, l’auraient décidé à quitter définitivement le Nigéria.
2En droit, il invoque de prime abord une violation de l’article 6 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et de communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », pour absence de toute motivation contenue dans la décision déférée laquelle se baserait, selon lui, uniquement sur la loi du 29 août 2008 pour rejeter sa demande sans préciser concrètement, dans le cas de l’espèce, les raisons de fait permettant de justifier le refus du ministre.
Il se prévaut, ensuite, d’une violation de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 en avançant qu’en cas de retour au Nigéria, sa vie y serait en danger eu égard notamment au fait qu’il y aurait d’ores et déjà été victime de menaces de mort et de traitements inhumains et dégradants. Afin d’appuyer ses dires, il se réfère à un article publié sur le site internet de la BBC intitulé « Les cultes sur les campus du Nigeria : Boucaniers, Black Axe et autres groupes redoutables » du 2 juin 2020, de sorte que, de l’entendement du tribunal, le demandeur semble arguer risquer des traitements inhumains et dégradants de la part de groupes cultistes qu’il aurait intégrés par le passé et ce, en violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits d’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH »).
Au-delà de ces craintes liées aux agissements de groupes cultistes, Monsieur … met encore en avant ses craintes liées à la situation sécuritaire générale régnant au Nigéria en s’appuyant sur une publication sur le site du Service public fédéral des Affaires étrangères belge, de même que sur une publication sur le site « www.diplomatie.gouv.fr ». Au vu de ces considérations, il devrait être admis qu’il justifie à suffisance se trouver dans l’impossibilité de regagner son pays d’origine pour des raisons indépendantes de sa volonté, respectivement qu’il ne peut pas regagner son pays d’origine au sens de l’article 129 de la loi du 29 août 2008.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que ce serait à bon droit qu’il a refusé de lui accorder un report à l’éloignement.
En ce qui concerne la légalité externe de la décision déférée, le tribunal relève que suivant l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et les catégories de décisions y énumérées, notamment celles refusant de faire droit à une demande de l’administré, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base. Dans la mesure où la décision déférée refuse de faire droit à la demande en obtention d’un report à l’éloignement de l’intéressé, elle tombe dans le champ d’application de l’article 6 précité du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Or, en l’espèce, force est de constater que si la décision querellée se limite certes à faire mention des articles 125bis et 129 de la loi du 29 août 2008 pour indiquer la cause juridique gisant à sa base, il n’en reste pas moins que le délégué du gouvernement a, à travers son mémoire en réponse, fourni une motivation circonstanciée quant aux raisons ayant amené le ministre à refuser à Monsieur … sa demande en obtention d’un report à l’éloignement, à savoir, d’une part, le fait qu’il ne se dégagerait pas des pièces versées par le demandeur que toute personne soit, du seul fait de sa présence sur le territoire nigérian, exposée à des risques graves pour sa vie ou sa liberté, respectivement à un risque de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH et, d’autre part, que les motifs tenant aux traitements inhumains et dégradants qu’il affirme risquer de subir de la part de groupes cultistes qu’il aurait intégrés par le passé au Nigéria auraient déjà été toisés dans le cadre de la décision ministérielle du 26 janvier 2021 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale, confirmée 3définitivement par le tribunal administratif dans son jugement, précité, du 11 mars 2021, de sorte que le tribunal est en l’espèce en mesure de vérifier la légalité de l’acte attaqué.
Par conséquent, dans la mesure où la décision a été suffisamment motivée et que le demandeur a, par ailleurs, eu la possibilité de prendre position y relativement à travers un mémoire en réplique, ce qu’il a toutefois choisi de ne pas faire, le moyen tiré d’un défaut de motivation est rejeté, étant, à cet égard, relevé que l’indication des motifs de refus n’est pas à confondre avec la question de l’existence des motifs et de leur bien-fondé, examen qui sera fait ci-après.
En ce qui concerne, ensuite, la légalité interne de la décision attaquée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 : « (1) Si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays conformément à l’article 129, le ministre peut reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances propres à chaque cas et jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation. L’étranger peut se maintenir provisoirement sur le territoire, sans y être autorisé à séjourner. […] ».
Il s’ensuit que le ministre peut reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou encore s’il ne peut ni regagner son pays d’origine ni se rendre dans un autre pays conformément à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, disposition qui, quant à elle, dispose comme suit :
« L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
Il s’ensuit que l’article 129 précité s’oppose à ce qu’un étranger soit éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il est établi que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH.
Partant, une lecture combinée des articles 125bis et 129 de la loi du 29 août 2008 amène le tribunal à retenir qu’au cas où l’étranger réussit à établir qu’il risque sa vie ou sa liberté dans le pays à destination duquel il sera éloigné ou qu’il y sera exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, le ministre est dans l’obligation de reporter l’éloignement, nonobstant le libellé de l’article 125bis qui exprime par l’utilisation du mot « peut » l’existence d’une simple faculté dans le chef du ministre1.
Il convient encore de relever que le report à l’éloignement constitue par définition une mesure provisoire, temporaire, destinée à prendre fin en même temps que les circonstances de fait empêchant l’éloignement de l’étranger soumis à une obligation de quitter le territoire auront cessé, la charge de la preuve des raisons justifiant un report à l’éloignement incombant en 1 Trib. adm. 14 novembre 2012, n°29750, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n°778 et les autres références y citées.
4principe au demandeur qui se prévaut des conditions de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008.
En l’espèce, encore que le demandeur soutienne tant être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté qu’être exposé, en cas de retour au Nigéria, à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, il appert toutefois à la lecture de son recours qu’il entend uniquement inscrire sa demande de report à l’éloignement dans le second cas de figure de l’article 125bis, lequel, par renvoi à l’article 129, précité, de la loi du 29 août 2008, prévoit la possibilité d’un report à l’éloignement d’un étranger s’il est établi que sa vie ou sa liberté sont gravement menacées ou s’il est exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH dans le pays à destination duquel il doit être éloigné. En effet, les obstacles visés par le premier cas de figure de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 doivent avoir trait aux modalités effectives du départ, voire de l’éloignement de l’intéressé du territoire luxembourgeois, telles que notamment la délivrance de documents de voyage valables et l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé, l’éloignement en raison de la situation de sécurité dans le pays de destination étant, quant à lui, expressément prévu par le second cas de figure dudit article 125bis, lequel, par renvoi à l’article 129 de la loi du 29 août 2008 prévoit la possibilité d’un report à l’éloignement de l’intéressé si sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH.
A défaut pour le demandeur d’avoir fait état d’un tel obstacle matériel rendant son obligation de quitter le territoire luxembourgeois impossible pour des raisons indépendantes de sa volonté, l’analyse du tribunal se limitera au second cas de figure de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008.
En ce qui concerne, ensuite, la crainte du demandeur d’être exposé à un risque pour sa vie et/ou sa liberté, ainsi qu’à des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH en cas de retour au Nigéria, il y a lieu de rappeler qu’il a déposé le 10 décembre 2019 une demande de protection internationale au Luxembourg dont il a été débouté par décision ministérielle du 26 janvier 2021, confirmée définitivement par le tribunal administratif à travers son jugement, précité, du 11 mars 2021.
Pour ce qui est des motifs invoqués à la base de ladite demande de protection internationale, il se dégage de la décision ministérielle, précitée, du 26 janvier 2021, ainsi que du jugement du tribunal administratif du 11 mars 2021 que Monsieur … avait justifié sa demande de protection internationale en expliquant avoir quitté le Nigéria en 2017 en raison de problèmes qu’il y aurait rencontrés avec un groupe cultiste dénommé « AIYE », groupement ultraviolent qu’il aurait rejoint parce qu’il aurait eu besoin d’une protection de la part des membres de celui-ci contre ceux d’un groupe criminel dénommé « AXE », dont il aurait été la cible pendant près de deux ans. Il a précisé que lorsqu’il aurait rejoint le groupement « AIYE », il aurait prévenu les membres de ce groupe qu’il ne s’adonnerait à aucune activité criminelle, mais que, malgré tout, quelques mois après son adhésion, lesdits membres lui auraient ordonné de tuer une personne qui aurait manqué de respect à l’un des leurs, ce qu’il aurait refusé. Il a continué en relatant que sous la pression du groupement « AIYE », il aurait été contraint de se réfugier chez un ami dans l’Etat du Delta mais qu’en mars-avril 2017, il aurait été retrouvé et serait allé chez un autre ami, avant de quitter le Nigéria pour la Libye le 21 juin 2017.
Force est dès lors de constater que les raisons qui, selon le demandeur, justifieraient dans son chef un report à l’éloignement, à savoir le fait qu’il risquerait des traitements 5inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d’origine de la part de groupes cultistes qu’il aurait intégrés par le passé et qui risqueraient de le retrouver sont exactement les mêmes que celles invoquées par-devant le ministre lors du dépôt de sa demande de protection internationale.
Or, dans le jugement précité du 11 mars 2021 ayant définitivement débouté le demandeur de sa demande de protection internationale, le tribunal administratif a toutefois retenu que la crédibilité du récit du demandeur était irrémédiablement compromise de sorte que ses déclarations en relation avec ses craintes de faire l’objet de mauvais traitements de la part de groupes cultistes ne permettraient, à l’évidence, de justifier ni l’octroi du statut de réfugié ni l’octroi de la protection subsidiaire.
Il y a, à cet égard, lieu de relever que le tribunal est venu à cette conclusion après avoir comparé les déclarations faites par le demandeur lors de son audition au Luxembourg par un agent de la direction de l’Immigration, où il a pour la première fois affirmé avoir appartenu au groupe « AIYE », avec, d’une part, celles qu’il avait faites antérieurement lors de son entretien dans le cadre du dépôt de sa demande de protection internationale en Italie et, d’autre part, celles qu’il avait faites lors de son entretien par un agent de la direction de l’Immigration en vue de sa relocalisation vers le Luxembourg et celles indiquées sur la fiche de motifs remplie au moment du dépôt de sa demande de protection internationale au Luxembourg, déclarations dont il se serait dégagé que le seul motif l’ayant poussé à quitter le Nigéria aurait été son désir de sortir de la précarité financière dans laquelle il se serait trouvé dans ce pays, de même que sa seule crainte aurait été celle de se retrouver à nouveau dans la pauvreté. Le tribunal a, par ailleurs, relevé que les explications avancées par le demandeur pour justifier les contradictions entre ses déclarations antérieures et celles faites lors de son entretien avec un agent de la direction de l’Immigration, n’auraient pas été convaincantes dans la mesure où Monsieur … aurait à trois reprises répété avoir déposé une demande de protection internationale en raison de la pauvreté régnant au Nigéria et pour pouvoir trouver un emploi en Europe. Le tribunal a encore constaté qu’alors même que dans sa décision du 26 janvier 2021, le ministre avait émis des doutes sérieux sur la crédibilité de son récit, le demandeur n’avait, d’une part, pas pris position y relativement ni plus particulièrement expliqué les raisons pour lesquelles il n’avait jamais mentionné le groupe « AIYE » lors de ses différentes auditons, respectivement au moment du dépôt de sa demande de protection internationale et, d’autre part, pas non plus essayé de combler le manque de précision de ses déclarations concernant son appartenance au groupe en question qui seraient dès lors restées vagues et lacunaires.
Encore que le jugement précité du tribunal administratif ne bénéficie, par rapport à la demande de Monsieur … tendant à l’octroi d’un report à l’éloignement, pas de l’autorité de la chose jugée conformément à l’article 1351 du Code Civil lequel dispose que : « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. », le tribunal ne saurait toutefois se départir des conclusions y retenues alors que le demandeur tente d’obtenir un report à l’éloignement en se fondant, pour ce qui est des traitements inhumains et dégradants trouvant prétendument leur origine dans son implication dans des groupes cultistes au Nigéria, sur un récit ayant une toile de fond identique à celui qui a d’ores et déjà été jugé non crédible par le tribunal et ce, sans pour autant fournir un quelconque nouvel élément probant. Il ne saurait dès lors s’appuyer sur ces mêmes faits pour tenter d’établir son impossibilité de regagner son pays d’origine parce que sa vie et/ou sa liberté y seraient gravement menacées, 6respectivement parce qu’il risquerait d’y être exposé à des traitements contraires à l’article 3 CEDH.
Le tribunal statuant en l’espèce en tant que juge de l’annulation, appelé à procéder à l’analyse de la décision déférée par rapport à la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, la vérification de la matérialité des faits s’effectuant à cet égard, en principe, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, respectivement en fonction des éléments dont l’autorité a connaissance ou aurait dû avoir connaissance au moment où elle statue2, il lui appartient encore de vérifier les nouveaux éléments lui soumis, n’ayant pas encore été auparavant déférés aux juridictions administratives et ayant été soumis au ministre, respectivement n’ayant pu échapper à la connaissance de ce dernier à la date à laquelle celui-
ci a pris la décision actuellement attaquée, à savoir le 4 mai 2021.
Or, à ce sujet, le tribunal constate de prime abord que le mandataire de Monsieur … a, à l’appui de sa demande en obtention d’un report à l’éloignement du 30 avril 2021 invoqué une communication publiée sur le site internet du Service public fédéral des Affaires étrangères belge contenant des informations générales à destination des voyageurs sur la situation sécuritaire se présentant dans les différentes régions du Nigéria. A l’appui du recours sous analyse et pour insister sur la situation sécuritaire précaire qui régnerait au Nigéria, il s’est de nouveau référé à cette publication tout en renvoyant, par ailleurs, à des informations générales sur ledit pays trouvées sur le site internet « www.diplomatie.gouv.fr ».
Au-delà de la question de savoir si les publications invoquées concernent des faits antérieurs à la prise de la décision attaquée, il convient, en tout état de cause, de conclure que le simple renvoi à des informations à destination de personnes souhaitant voyager au Nigéria, faisant état, de manière générale, de la situation sécuritaire et sanitaire dans ce pays ne suffit pas à établir que toute personne soit du seul fait de sa présence sur le territoire nigérian exposée à des menaces graves pour sa vie ou sa liberté, respectivement à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH. Il incombe, en effet, au demandeur de démontrer in concreto qu’il a personnellement des raisons de craindre qu’il encourt un risque réel d’être exposé à des traitements inhumains et dégradants3, ce que le demandeur reste en défaut de faire, puisqu’il n’invoque aucun élément relatif à sa situation personnelle, particulière et individuelle permettant d’établir in concreto que sa liberté ou sa vie seraient gravement menacées sinon qu’il risquerait de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants contraires notamment à l’article 3 de la CEDH en cas de retour au Nigéria.
Au vu de ce qui précède et compte tenu toutefois du seuil élevé fixé par l’article 3 CEDH, le tribunal n’estime pas que le renvoi du demandeur au Nigéria soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH et constitue une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
2 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 1996, n° 276.
3 Trib. adm. 16 décembre 2013, n°31582 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
7reçoit en la forme le recours en annulation dirigé à l’encontre de la décision ministérielle du 4 mai 2021 portant refus d’accorder au demandeur un report à l’éloignement ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande en communication du dossier administratif comme étant devenue sans objet ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, juge, et lu à l’audience publique du 5 décembre 2022 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.
s.Lejila Adrovic s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 décembre 2022 Le greffier du tribunal administratif 8