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29/11/2022 | LUXEMBOURG | N°45485

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 novembre 2022, 45485


Tribunal administratif N° 45485 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:45485 3e chambre Inscrit le 8 janvier 2021 Audience publique du 29 novembre 2022 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45485 du rôle et déposée le 8 janvier 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour,

inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à ...

Tribunal administratif N° 45485 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:45485 3e chambre Inscrit le 8 janvier 2021 Audience publique du 29 novembre 2022 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45485 du rôle et déposée le 8 janvier 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une « décision du 01 juillet 2020 du Ministre de l’Immigration et de l’Asile […] portant refus de faire droit à sa demande de regroupement familial d’application en faveur de son frère mineur …, né le … à …, de nationalité somalienne », ainsi que d’une « décision confirmative de refus du 06 octobre 2020 du Ministre, intervenue suite au recours gracieux du 01 octobre 2020 » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 avril 2021 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2021 au nom de Monsieur …, préqualifié ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1;

Vu la communication de Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI du 17 mai 2022, suivant laquelle elle marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Christiane MARTIN en sa plaidoirie à l’audience publique du 17 mai 2022.

En date du 6 décembre 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 6 décembre 2019, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », accorda à Monsieur … le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 5 décembre 2024.

Par courrier de son litismandataire du 4 mars 2020, Monsieur … introduisit une demande de regroupement familial au sens de l’article 69 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », dans le chef de son frère mineur, …, tout en y joignant une copie de l’attestation de réfugié du 27 août 2019 de l’UNHCR au Niger, une copie de la décision, prémentionnée, du 6 décembre 2019 lui accordant le statut de réfugié, une copie de son titre de séjour valable jusqu’au 5 décembre 2024, ainsi que l’original du certificat de naissance du mineur ….

Par courrier de son litismandataire du 12 mars 2020, Monsieur … communiqua au ministre une copie de la déclaration officielle des relations de famille entre lui et son frère mineur …, ainsi qu’une copie du transfert officiel de responsabilité du mineur concerné à son égard, effectué par sa tante et ancienne gardienne du mineur, Madame ….

Le 1er juillet 2020, le ministre s’adressa au litismandataire de Monsieur … dans les termes suivants :

« […] J’accuse bonne réception de vos courriers reprenant l’objet sous rubrique qui me sont parvenus en date des 6 et 13 mars 2020.

Tout d’abord, je tiens à vous informer que l’article 69, paragraphe (3) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration n’est plus applicable étant donné que le lien familial n’a pas pu être établi endéans le délai des trois mois suivant la notification du statut de réfugié à Monsieur ….

Force est de constater que votre demande initiale du 6 mars ne comporte aucun document qui prouve que Monsieur … est le frère de votre mandant et je n’étais pas en mesure d’établir le lien familial entre eux. Un document concernant le lien familial m’est parvenu que le 13 mars.

Par conséquent, votre mandant doit remplir les conditions de l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 précitée.

Avant tout progrès en cause et sans préjudice du fait que toutes les conditions en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour doivent être remplies au moment de la prise de décision, je vous prie de bien vouloir me faire parvenir les documents suivants:

 une preuve récente des ressources stables, régulières et suffisantes de votre mandant;

 la preuve d’un logement approprié sur le territoire luxembourgeois ainsi que l’accord écrit du propriétaire, accompagné d’une pièce d’identité, à y loger une personne supplémentaire;

2 la preuve que Monsieur … dispose d’une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire luxembourgeois, p.ex. une assurance de voyage ;

 une copie de toutes les pages du titre de voyage en cours de validité de Monsieur …;

 l’original ou une copie certifiée conforme d’un jugement de droit de garde octroyant la garde de son frère mineur à votre mandant, authentifié par une autorité compétente dans la pays d’origine et légalisé par l’ambassade représentant les intérêts luxembourgeois.

Je donne encore à considérer que lors de son entretien qui a eu lieu à … en octobre 2019, votre mandant a mentionné qu’il voudrait trouver son frère âgé d’environ … ans. Selon le document d’identité joint à votre demande, la personne pour laquelle le regroupement familial est demandée est âgé de … ans.

Si les documents ne sont pas rédigés dans les langues allemande, française ou anglaise, une traduction certifiée conforme par un traducteur assermenté doit être jointe.

Veuillez nous adresser les documents demandés en un seul envoi, conjointement avec la présente. […] ».

Suite au recours gracieux introduit le 30 septembre 2020 à l’encontre de l’acte ministériel, précité, du 1er juillet 2020, le ministre s’adressa le 6 octobre 2020 au litismandataire de Monsieur … dans les termes suivants :

« […] J’accuse bonne réception de votre courrier reprenant l’objet sous rubrique qui m’est parvenu par courriel en date du 1er octobre 2020.

Tout d’abord, je tiens à vous informer que le regroupement familial n’a pas été refusé à votre mandant. Il a tout simplement été refusé d’appliquer l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation et l’immigration étant donné que le lien familial entre votre mandant et son frère n’a pas été établi endéans le délai de trois mois suivant la notification du statut de réfugié.

Par ailleurs, je tiens à vous rappeler, que, conformément à l’article 73, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 précitée, la demande en obtention d’une autorisation de séjour en tant que membre de famille est accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille.

Par conséquent, je ne saurais faire droit à votre requête et je maintiens ma décision de traiter la demande de regroupement familial sous l’angle de l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 précitée. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 janvier 2021, inscrite sous le numéro 45485 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la « décision du 01 juillet 2020 du Ministre de l’Immigration et de l’Asile […] portant refus de faire droit à sa demande de regroupement familial d’application en faveur de son frère mineur …, né le … à …, de nationalité somalienne », ainsi que de la « décision confirmative de refus du 06 octobre 2020 du Ministre, intervenue suite au recours gracieux du 01 octobre 2020 ».

3 Il y a de prime abord lieu de relever que si le demandeur a certes entendu exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision2.

Dans ce contexte, il échet encore de relever que si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours3.

Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de regroupement familial, respectivement d’autorisations de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire contre les actes ministériels précités des 1er juillet et 6 octobre 2020.

Il est, en revanche, compétent pour connaître du recours en annulation introduit à titre principal contre ces mêmes actes.

1) Quant à la recevabilité du recours Arguments des parties Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève, à titre principal, l’irrecevabilité du recours dirigé contre les actes ministériels des 1er juillet et 6 octobre 2020 pour défaut de caractère décisionnel.

En ce qui concerne l’acte ministériel du 1er juillet 2020, il fait valoir que celui-ci ne rejetterait pas la demande de regroupement familial introduite par le demandeur en date du 6 mars 2020 et complétée par un courrier du 13 mars 2020, mais l’informerait qu’au vu du dépassement du délai de trois mois inscrit à l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, il devrait dorénavant rapporter la preuve suivant laquelle il dispose de ressources personnelles et suffisantes pour subvenir à ses besoins et à celles de son frère, d’un logement approprié et d’une assurance maladie. Il fait valoir que par ledit acte, le ministre aurait encore demandé une copie de toutes les pages du titre de voyage en cours de validité de son frère ainsi que l’original ou une copie certifiée conforme d’un jugement de droit de garde octroyant au demandeur la garde de son frère mineur, tout en précisant que cet acte devrait par ailleurs être authentifié par une autorité compétente dans le pays d’origine et légalisé par l’ambassade représentant les intérêts luxembourgeois en Somalie.

Il soutient que le dépassement du délai légal de trois mois pour l’introduction d’une demande de regroupement familial, demande dont le contenu devrait répondre aux exigences posées par l’article 73, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, n’aurait pas d’implication directe sur l’autorisation d’entrée ou de séjour des membres de la famille du regroupant bénéficiant d’une protection internationale, mais permettrait seulement de déterminer le cadre dans lequel cette demande doit être examinée.

2 Trib. adm., 4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n° 4 et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 28 mai 1997, n° 9667 du rôle, confirmé par Cour adm., 16 octobre 1997, n ° 10082C du rôle, Pas.

adm. 2021, V° Recours en réformation, n° 9 et les autres références y citées.

4 Il s’ensuivrait que ledit acte, même s’il imposait au demandeur de rapporter des preuves supplémentaires et indique que le délai de trois mois inscrit à l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 a expiré, constituerait une simple mesure d’instruction destinée à permettre au ministre de recueillir les éléments d’information en vue de sa décision ultérieure.

Il conclut que ledit acte ne constituerait pas la décision définitive dans la procédure engagée par le demandeur dans la mesure où aucune décision de refus de la demande de regroupement familial introduite en faveur du mineur … n’aurait été prise par le ministre, tout en soulignant que cette circonstance aurait été explicitement relevée par le ministre dans son acte confirmatif du 6 octobre 2020.

Il ajoute que cette conclusion ne serait pas ébranlée par l’indication des voies de recours, alors que la simple indication erronée dans un courrier d’une autorité administrative de voies de recours ne serait pas de nature de créer un droit et de conférer un quelconque caractère décisionnel à l’acte en question.

En ce qui concerne ensuite la recevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre l’acte ministériel du 6 octobre 2020, le délégué du gouvernement fait valoir que ledit acte ne ferait que confirmer la position de l’autorité ministérielle telle que manifestée dans son acte précédent du 1er juillet 2020, à savoir que l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 ne serait plus applicable en raison du fait que le lien familial entre les intéressés n’aurait pas pu être établi endéans le délai légal de trois mois. Cet acte ne constituerait dès lors pas non plus une décision définitive dans la procédure engagée par le demandeur.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur rétorque que contrairement aux conclusions du délégué du gouvernement, les actes déférés constitueraient des décisions administratives définitives susceptibles d’un recours.

Il soutient à cet égard qu’un acte adopté unilatéralement par une autorité administrative qui modifierait ou refuserait de modifier les droits et obligations de son bénéficiaire, indépendamment de son consentement, serait qualifié, de façon constante, de décisoire, encore que tel ne serait pas le cas en principe des actes préparatoires, des actes de gouvernement, des « lignes directrices » et des circulaires. Le demandeur estime qu’en l’espèce, l’acte pris par le ministre au sujet de sa demande de regroupement familial et ayant notamment porté sur l’inapplicabilité de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, n’appartiendrait à aucune de ces catégories d’actes qui ne revêtent aucun caractère décisionnel. Au contraire, ce même acte, confirmé par celui du 6 octobre 2020 pris sur recours gracieux, modifierait ses droits et obligations et ce indépendamment de son consentement. Il souligne que l’acte du ministre du 6 octobre 2020 préciserait, par ailleurs, de façon claire qu’il aurait été refusé d’appliquer l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, de sorte que le refus du ministre devrait être interprété comme une prise de décision définitive et non comme « une opinion destinée à éclairer l’administré ».

Le demandeur poursuit en indiquant qu’en tant que bénéficiaire du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, il bénéficierait des conditions posées par l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, tout en soulignant qu’il aurait introduit une demande de regroupement familial le 4 mars 2020, soit endéans le délai légal de trois mois. Il estime qu’en l’invitant à présenter une demande en obtention d’une autorisation de séjour en tant que 5membre de la famille, le ministre aurait bel et bien pris une décision lui faisant grief qui serait à qualifier de décision définitive.

Le demandeur fait encore valoir que le caractère décisionnel des actes entrepris serait confirmé par l’indication des voies de recours « dans la réponse ministérielle du 5 juin 2020 », tout en insistant sur le fait que si le tribunal devait considérer que cette indication était le fruit d’une erreur, alors celle-ci devrait lui bénéficier puisqu’il s’y serait légitiment fié.

Il ajoute que (i) le ministre n’aurait pas donné de qualificatif autre à l’acte administratif qui lui aurait été notifié, (ii) le ministre aurait « clairement exprimé le caractère décisionnel du courrier », (iii) le silence du ministre quant à une éventuelle autre qualification juridique démontrerait à suffisance qu’il aurait pris une décision sur sa demande de regroupement familial au bénéfice de ses « frères et sœurs mineurs » et (iv) les conditions à remplir pour bénéficier de l’autorisation de séjour en tant que membre de famille seraient plus restrictives que celles prévues à l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur considérant que de ce fait, il verrait de façon très nette ses droits modifiés. A cela s’ajouterait que les obligations à son égard seraient également modifiées en ce sens qu’il devrait remplir de nouvelles conditions plus restrictives pour bénéficier du regroupement de « ses enfants mineurs ».

Le demandeur ajoute encore que l’acte pris par le ministre serait définitif, dès lors que ce dernier n’entendrait pas revenir sur ce qui aurait été décidé. A titre de preuve, il conviendrait de se référer à l’acte du 6 octobre 2020 dans lequel le ministre aurait précisé qu’il maintiendrait sa décision du 1er juillet 2020, de même qu’il aurait rappelé qu’il s’agirait bien d’une décision de refus. Comme le ministre l’aurait, par ailleurs, dans son acte du 1er juillet 2020, invité à introduire une demande de séjour, il devrait être conclu que le ministre aurait ainsi « clôt le regroupement familial » et l’aurait invité à entamer une nouvelle procédure, à savoir une demande d’autorisation de séjour, de sorte que l’acte ministériel serait définitif, puisqu’il ne pourrait plus bénéficier du regroupement familial et de ses conditions. Le demandeur estime que les « seules décisions » que le ministre pourrait encore prendre concerneraient « une demande d’autorisation de séjour, soit une autre procédure ».

Il considère qu’il ne saurait être admis que le ministre qualifie de façon unilatérale une décision individuelle et préjudiciable d’acte non attaquable, au risque de lui permettre d’émettre des actes illégaux échappant ainsi au contrôle juridictionnel et au risque de porter atteinte au droit d’accès à la justice et aux principes de loyauté de l’administration, de bonne administration et de proportionnalité.

Le demandeur soutient que les actes du ministre seraient constitutifs d’un abus sinon d’un excès de pouvoir et affecteraient ses droits tels que protégés par les articles 9, 10 et 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par la « CEDH ».

Il précise, par ailleurs, qu’il serait constant que la recevabilité du recours dépendrait de la contrainte résultant de l’acte attaqué et qu’en l’espèce, l’acte pris par le ministre exercerait une contrainte manifeste sur sa situation et lui causerait partant grief. Sur ce point particulier, le demandeur renvoie à un arrêt la Cour administrative du 12 mars 1998, inscrit sous le numéro 10497C du rôle.

6A titre subsidiaire, le demandeur fait valoir que si l’acte émanant du ministre devait être considéré comme n’étant pas décisoire, il serait pour le moins susceptible d’un recours en annulation. Dans cette hypothèse, l’acte « appartiendrait alors au « soft law » (ou droit souple), notion dégagée par le Droit de l’Union européenne » dont il conviendrait de déduire qu’un acte non décisoire pourrait faire l’objet d’un recours en annulation dès lors qu’il comporterait des éléments impératifs. Le demandeur avance qu’il serait indéniable que l’acte querellé comporterait des éléments impératifs en ce qu’il l’obligerait à remplir des conditions plus restrictives quant à la possibilité de faire venir son frère au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte qu’il emporterait des effets juridiques en sa défaveur, si bien qu’il pourrait être contesté.

Analyse du tribunal L’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose que « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements ».

Force est de constater que cette disposition limite l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit avoir une force décisionnelle en ce sens qu’il doit non seulement constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés, mais qu’il doit également s’agir, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, d’une véritable décision affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste4.

Si le caractère décisoire de l’acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n’est pas pour autant une condition suffisante. En effet, pour être susceptible de faire l’objet d’un recours la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief5.

Plus particulièrement, n’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision6. Pareillement, une lettre qui ne porte aucune décision et qui n’est que l’expression d’une opinion destinée à éclairer l’administré sur les droits qu’il peut faire valoir ou plus généralement sur la situation juridique, de même qu’un avis sur l’interprétation à donner à un texte légal ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation7.

Dans cet ordre d’idées, il s’agit encore de rappeler que pour valoir décision administrative, un acte doit constituer la décision définitive dans la procédure engagée et non 4 Trib. adm., 6 octobre 2004, n° 16533 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 4 et les autres références y citées.

5 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 43 et les autres références y citées.

6 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 66 et les autres références y citées.

7 Trib. adm., 7 mars 2007, n° 21708 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 78 et les autres références y citées.

7pas une simple mesure d’instruction destinée à permettre à l’autorité compétente de recueillir les éléments d’information en vue de sa décision ultérieure8.

Enfin, il échet de préciser que l’indication erronée des voies de recours dans un acte ne saurait créer un droit et conférer un quelconque caractère décisionnel à l’acte en question9.

En l’espèce, il échet d’abord de relever que bien que la demande introduite par le demandeur tend au regroupement familial de son frère mineur au sens de l’article 69, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008, il doit être retenu qu’il a invoqué le bénéfice du régime de l’article 69, paragraphe (3) de la même loi, l’ancien article 69, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 ayant, en effet, eu un contenu identique avant la renumérotation des paragraphes dudit article 69 par la loi modificative du 8 mars 2017.

Force est ensuite de constater que le courrier de réponse du ministre du 1er juillet 2020, cité in extenso ci-avant, comporte un premier volet par lequel celui-ci a informé le demandeur que l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 ne serait plus applicable étant donné que le lien de famille n’aurait pas pu être établi endéans le délai de trois mois suivant la notification du statut de réfugié, de sorte qu’il devrait remplir les conditions de l’article 69, paragraphe (1) de la même loi. Dans un deuxième volet, le ministre a encore invité le demandeur à lui faire parvenir un certain nombre de documents en vue d’une éventuelle autorisation de séjour dans le chef de Monsieur ….

Or, et tel que retenu par la Cour administrative dans son arrêt du 5 octobre 202110, force est de constater que le ministre a par-là opposé une fin de non-recevoir à la demande de regroupement familial fondée sur l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, qui s’analyse, en effet, comme un arrêt du volet de la procédure de regroupement familial engagée sur base de cette disposition dérogatoire et une continuation de la procédure en vertu du régime de droit commun de l’article 69, paragraphe (1) de la même loi à travers l’invitation adressée au demandeur de fournir les pièces supplémentaires requises par le ministre. Une telle prise de position doit donc être qualifiée de décision dans cette mesure. En outre, cette prise de position est de nature à faire grief au demandeur en ce qu’il est contraint de remplir davantage de conditions sous le régime de droit commun que sous le régime favorable de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008.

Il s’ensuit que le courrier ministériel du 1er juillet 2020 doit être qualifié sous ce premier volet de décision de nature à faire grief pour avoir rejeté la demande de regroupement familial du demandeur en ce qu’elle était fondée sur la disposition dérogatoire de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 et pour avoir admis, implicitement mais nécessairement, la continuation de la procédure sur la seule base du régime de droit commun découlant de l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, de sorte à soumettre l’examen au fond d’une telle demande à la condition préalable que le demandeur fournisse les preuves requises par cette dernière disposition.

8 Trib. adm., 6 janvier 1998, n° 10138 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 91 et les autres références y citées.

9 Trib. adm., 19 juin 2018, n° 39513 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 67 et l’autre référence y citée.

10 Cour adm., 5 octobre 2021, n° 45914C du rôle; voir également Trib. adm., 28 mars 2022, n° 45295 du rôle ;

Trib. adm., 30 mars 2022, n° 45035 du rôle, Trib. adm., 5 mai 2022, n° 45495 du rôle, disponibles sur le site www.jurad.etat.lu.

8La même conclusion s’impose en ce qui concerne le courrier du 6 octobre 2020, également cité in extenso ci-avant, étant donné que le ministre y confirme le refus d’appliquer l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 et de traiter la demande de regroupement familial litigieuse sous l’angle de l’article 69, paragraphe (1) de la même loi.

Il s’ensuit que le recours principal en annulation introduit par le demandeur contre les courriers des 1er juillet et 6 octobre 2020, dans la seule mesure où ils portent refus du ministre de faire bénéficier le demandeur du régime plus favorable de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, de sorte que le moyen d’irrecevabilité afférent du délégué du gouvernement est à rejeter.

En revanche, le recours principal en annulation dirigé contre les deux courriers précités est à déclarer irrecevable pour autant qu’il vise le bien-fondé du regroupement familial, alors que sous ce volet, lesdits courriers ne constituent pas la décision définitive en réponse à la demande introduite dans la procédure engagée par le demandeur.

2) Quant au fond Remarque préliminaire A titre liminaire, il échet de préciser qu’étant donné que le tribunal se trouve uniquement saisi du refus du ministre de faire bénéficier le demandeur du bénéfice du régime dérogatoire de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 20008, il y a d’ores et déjà lieu de rejeter les moyens dirigés contre un refus d’octroi d’une autorisation de séjour quant au fond, à savoir ceux relatifs à une violation, d’une part, de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte », et de l’article 8 de la CEDH, invoqués par rapport à un refus de regroupement familial, et, d’autre part, de l’article 3, paragraphe (1) de la Convention internationale des droits de l’enfant et de l’article 24, paragraphe (2) de la Charte, invoqués quant à eux par rapport à une violation de l’intérêt supérieur de l’enfant sur la toile de fond de la volonté du demandeur de voir sa fratrie le rejoindre au Grand-Duché de Luxembourg. Ces derniers moyens de fond sont, en effet, dépourvus de toute pertinence dans le contexte d’un recours dirigé contre la décision de refus de faire bénéficier le demandeur de la procédure favorable prévue par l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008.

Force est ensuite de constater qu’à l’appui de son recours et en fait, Monsieur … reprend en substance les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus, tout en précisant que dans le cadre de sa demande de regroupement familial, il aurait attiré l’attention du ministre sur sa situation particulière en indiquant qu’il serait, avec son petit frère, les seuls descendants de leurs parents.

Or, les deux parents auraient été tués lors d’une explosion d’une bombe sur un marché de … en Somalie, ville qui aurait été le dernier grand bastion des rebelles islamistes d’Al Chabaab. Il explique que depuis le décès de leurs parents, son frère mineur se serait trouvé seul dans une situation d’extrême vulnérabilité, face à la précarité et à la dégradation continues de la situation sécuritaire et humanitaire générale en Somalie. Il estime que dans ces conditions de vie extrêmement difficiles et inhumaines pour un enfant en Somalie, dont lui-même serait le seul parent en vie, il n’aurait eu aucune alternative que de solliciter le regroupement familial au bénéfice de son frère mineur.

Concernant les documents utiles à l’examen de sa demande, il donne à considérer qu’il aurait informé le ministre qu’en raison de la dégradation de la situation sécuritaire en Somalie, paralysant le fonctionnement effectif des services de l’administration publique, il ferait face à 9des difficultés pour les obtenir dans un bref délai. Il aurait ainsi demandé au ministre de bien vouloir prendre acte qu’en raison des circonstances indépendantes de sa volonté, le reste des documents utiles pour l’examen de sa demande lui seraient transmis dès qu’ils seront à sa disposition.

En droit, et après avoir cité les termes des articles 69, paragraphe (3) et 73, paragraphes (1) à (3) de la loi du 29 août 2008, il fait valoir que le ministre ne serait pas fondé à déduire une exclusion automatique du bénéfice du régime exceptionnel prévu au paragraphe (3) de l’article 69 de la loi du 29 août 2008 au seul motif d’une absence de pièces justificatives prouvant les liens familiaux lors du dépôt d’une demande de regroupement familial par un bénéficiaire de protection internationale endéans le délai de trois mois suivant notification du statut de réfugié. Une telle exclusion autonome ne résulterait, par ailleurs, pas d’une lecture combinée des paragraphes (1), (2) et (3) de l’article 73 de la même loi dès lors que le demandeur du regroupement familial serait autorisé à rapporter la preuve de l’existence de liens familiaux par tout moyen et que le ministre pourrait également en obtenir la preuve dans le cadre d’un entretien individuel avec le demandeur ou en procédant à toute enquête qu’il jugerait utile.

Il donne à cet égard à considérer qu’après avoir obtenu le statut de réfugié par décision ministérielle du 6 décembre 2019, il aurait introduit sa demande de regroupement familial au bénéfice de son frère mineur … le 6 mars 2020, soit endéans le délai légal de trois mois suivant notification du statut de réfugié, tout en indiquant au ministre que d’autres pièces lui seront communiquées à une date ultérieure en vue d’une prise de décision. Il ajoute que la preuve des liens familiaux entre lui et son frère mineur se dégagerait à suffisance tant de la copie de la déclaration officielle de la Cour de justice du district de …, certifiant le lien familial entre eux, que de la copie de la décision de la Cour de justice du district de … portant, sur demande de Madame …, tante et ancienne gardienne du mineur, transfert officiel de la responsabilité de son frère à son égard, et que ces documents auraient tous été transmis au ministre le 13 mars 2020.

Il conclut que ce serait à tort que le ministre a retenu que l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 ne serait pas applicable au motif que la preuve des liens familiaux n’aurait pas été immédiatement rapportée à l’appui de la demande de regroupement familial introduite endéans le délai de trois mois suivant notification du statut de réfugié, tout en avançant que pour profiter du régime exceptionnel de l’article 69, paragraphe (3) en question, le bénéficiaire de la protection internationale devrait simplement déposer sa demande de regroupement familial endéans le délai de trois mois suivant notification du statut de réfugié sans qu’il n’ait nécessairement besoin de produire immédiatement à l’appui de sa demande la preuve des liens familiaux. Le défaut des pièces justificatives des liens familiaux n’aurait, en effet, selon lui, aucune influence sur le bénéfice de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, dans la mesure où le regroupant pourrait apporter la preuve desdits liens à une date ultérieure, le demandeur soulignant encore à cet égard que le ministre aurait également la possibilité de ne pas procéder à l’examen définitif de la demande du regroupant et de prendre sa décision seulement lorsqu’il ressortirait des éléments du dossier que le regroupant n’a plus aucun document à produire.

Au vu de ce qui précède, il incomberait au tribunal de constater qu’il aurait valablement déposé sa demande de regroupement familial dans les délais légaux pour bénéficier du régime exceptionnel instauré par l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, de sorte que les décisions déférées encourraient l’annulation.

10Monsieur … reproche encore au ministre un détournement de pouvoir et un excès de pouvoir pour avoir refusé d’appliquer à sa demande de regroupement familial l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, et ce alors même qu’il aurait valablement introduit sa demande endéans le délai légal de trois mois suivant l’octroi du statut de réfugié.

Il estime que le but poursuivi en l’espèce par le ministre ne serait aucun autre que celui de durcir les conditions des migrations familiales des bénéficiaires de protection internationale afin de limiter et de réduire leur nombre en sachant pertinemment qu’ils auraient des difficultés pour réunir les conditions de l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, à savoir celles de rapporter la preuve qu’ils disposent (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à leurs propres besoins et ceux des membres de leur famille qui sont à leur charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le membre de leur famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour eux-mêmes et pour les membres de leur famille.

En se référant aux dispositions des articles 7, paragraphe (1) et 12, paragraphe (1) de la directive 2003/86/CE du Conseil de l’Union européenne du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, ci-après désignée par « la directive 2003/86/CE », il estime que l’exigence pour lui de disposer de ressources régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins ainsi qu’à ceux de son frère mineur, celle de disposer d’un logement approprié sur le territoire luxembourgeois ainsi que d’un accord écrit du propriétaire, accompagné d’une pièce d’identité, à y loger une personne supplémentaire, de même que celle de disposer d’une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire luxembourgeois (assurance de voyage), ne serait qu’une simple mesure restrictive visant à empêcher le regroupement familial en faveur de son frère mineur.

Il s’appuie, enfin, sur une publication de l’UNHCR, intitulée « Refugee Family Reunification », de février 2012, ayant relevé que « le rôle de la famille est particulièrement important dans la situation des réfugiés. […] », ainsi que sur la jurisprudence de la Cour européenne de droit de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », ayant retenu que les personnes ayant le statut de réfugié seraient, en raison notamment de leur parcours personnel, particulièrement vulnérables et qu’une attention toute particulière devrait être portée à leur demande de regroupement familial, tout en soutenant que le fait de le priver de son droit de regroupement familial en faveur de son frère mineur ne rendrait que sa vie plus « pénible » et son intégration encore plus « difficile ».

Il conclut que les décisions déférées seraient manifestement incompatibles avec le but poursuivi par la directive 2003/86/CE et par l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, de sorte qu’il y aurait lieu de les annuler pour détournement et abus de pouvoir.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement, après avoir rappelé les faits à la base des décisions ministérielles déférées tels que mentionnés ci-avant, se prévaut, d’abord, des dispositions des articles 69, paragraphes (1) et (3), et 73, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008.

Il fait à cet égard valoir que même si les pièces justificatives au sens de l’article 73, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, ne devaient pas nécessairement être des pièces de nature officielle, celles-ci devraient toutefois impérativement prouver tant les liens familiaux entre le regroupant et la personne à regrouper que l’identité de la personne à regrouper et être 11rapportés par la personne intéressée endéans le délai de trois mois à partir de l’octroi de la protection internationale.

Il soutient que comme, en l’espèce, un commencement de preuve destiné à attester le lien familial entre le demandeur et Monsieur … n’aurait été fourni au ministre qu’en date du 13 mars 2020 par la transmission d’une copie d’une déclaration officielle des relations familiales entre le regroupant et Monsieur … ainsi que d’une copie du transfert de responsabilité de Monsieur …, effectué par Madame …, au profit du demandeur, ce serait à bon droit que le ministre a retenu que la demande de regroupement familial ne pourrait être analysée dans le cadre du régime de faveur prévu par l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008.

Ce constat serait d’autant plus vrai compte tenu du fait que le ministre serait exceptionnellement disposé à accorder à un bénéficiaire de protection internationale le bénéfice d’un regroupement familial avec un frère mineur, alors même que le regroupement familial avec la fratrie ne serait pas prévu par l’article 70 de la loi du 29 août 2008. Il s’ensuivrait que, s’agissant d’une procédure d’exception, les conditions d’octroi du regroupement familial devraient être appliquées avec d’autant plus de rigueur, de sorte que le fait de ne pas soumettre au ministre endéans le délai légal de trois mois les documents prouvant le lien familial entre les personnes intéressées conduirait inévitablement à l’exclusion du régime de faveur institué par l’article 69, paragraphe (3) de la prédite loi.

Le délégué du gouvernement réfute ensuite l’affirmation du demandeur suivant laquelle la preuve des liens familiaux entre lui et Monsieur … se dégagerait à suffisance de la copie de la déclaration officielle de la Cour de justice du district de … certifiant les relations familiales entre lui et Monsieur …, ainsi que de la copie de la décision de la Cour de justice du district de … portant transfert de responsabilité de Monsieur … à son profit, en argumentant qu’il existerait un sérieux doute quant au lien de parenté entre les intéressés. Ce serait pour cette raison que le ministre aurait, dans son courrier du 1er juillet 2020, d’une part, attiré l’attention du litismandataire du demandeur sur le fait que « lors de son entretien qui a eu lieu à … en octobre 2019, votre mandant a mentionné qu’il voudrait trouver son frère âgé d’environ … ans » et que « Selon le document d’identité joint à votre demande, la personne pour laquelle le regroupement familial est demandé est âgé[e] de … ans », et, d’autre part, sollicité de la part du demandeur la transmission d’un jugement de droit de garde octroyant la garde de l’enfant … à son égard, tout en précisant que cet acte devrait encore être authentifié par une autorité compétente dans le pays d’origine et légalisé par l’ambassade représentant les intérêts luxembourgeois.

Il met dans ce contexte en exergue que si lors de son entretien tenu le 9 octobre 2019 au Niger en vue d’une réinstallation au Luxembourg, le demandeur avait indiqué que son frère serait âgé de … ans, la personne avec qui il sollicite actuellement le regroupement serait née le …. Il considère que le fait de se tromper de 7 ans sur l’âge d’un frère qu’il aurait vu pour la dernière fois en 2017, soit deux ans avant l’entretien en question, serait de nature à interpeller la partie étatique et à soulever de très sérieux doutes quant à la véracité du récit de l’intéressé par rapport à son frère.

A cela s’ajouterait encore que le demandeur aurait déclaré lors de son entretien du 9 octobre 2019 au Niger portant sur sa situation personnelle et familiale qu’il aurait vécu jusqu’au 28 mai 2017 auprès de sa tante et la famille de cette dernière, et que le même jour, dans le cadre de son entretien en vue d’une réinstallation au Luxembourg, il aurait modifié sa version antérieure en indiquant qu’il aurait vécu chez sa tante, ensemble avec son frère, pour déclarer 12encore plus tard vouloir retrouver son frère disparu, lequel serait âgé d’environ … ans et lequel il aurait vu pour la dernière fois en 2017.

Or, il ressortirait du document intitulé « Transference of Responsibility », établi par les autorités somaliennes en date du 7 février 2020, que le frère prétendument disparu depuis 2017 résiderait auprès de sa tante à … en Somalie, laquelle disposerait, en outre, d’un droit de garde sur ce dernier, le délégué du gouvernement mettant plus particulièrement en cause le fait que le frère dont le demandeur n’aurait pas connu le lieu de séjour lors de son entretien en octobre 2019, résiderait « comme par hasard » cinq mois plus tard, en février 2020, auprès de sa tante à … qui serait a priori la même tante auprès de laquelle il aurait résidé jusqu’à son départ de la Somalie.

Il estime qu’au vu des déclarations fluctuantes et en partie invraisemblables au sujet de son frère, tant en ce qui concerne l’âge de ce dernier que son parcours, respectivement son lieu de résidence, le récit du demandeur à cet égard serait sujet à caution, de sorte que ce serait à bon droit que le ministre a sollicité un jugement de droit de garde authentifié et légalisé, octroyant la garde de l’enfant … au demandeur.

Il s’ensuivrait que le moyen tiré d’une erreur de droit sinon d’une violation de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 serait à rejeter.

Quant à la violation alléguée des articles 7, paragraphe (1) et 12, paragraphe (1) de la directive 2003/86, il fait valoir que dans la mesure où l’Etat luxembourgeois aurait correctement transposé en droit national les dispositions européennes en question en prévoyant à l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 un régime plus favorable pour le regroupement des bénéficiaires de la protection internationale, sous réserve que la demande de regroupement soit introduite endéans le délai de trois mois suivant l’octroi de la protection internationale, et que le ministre aurait procédé à une application correcte du prédit article 69, paragraphe (3), le reproche suivant lequel le ministre tenterait de durcir les conditions du regroupement familial des bénéficiaires de protection internationale en agissant contrairement à la lettre de l’article 12, paragraphe (1) de la directive 2003/86 tomberait également à faux.

Au vu de tout ce qui précède, le recours sous analyse serait à rejeter pour ne pas être fondé.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur rejette l’argumentation du ministre suivant laquelle il devrait impérativement remplir les conditions de l’article 73, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008. Il précise que cette disposition ferait référence aux demandes d’autorisation de séjour en tant que membre de famille alors que sa demande concernerait un regroupement familial et que bien que cette disposition prévoie que la seule absence de pièces justificatives ne pourrait pas motiver une décision de rejet de la demande de regroupement familial, le ministre aurait bel et bien refusé la demande de regroupement familial pour absence de pièces. Il estime par ailleurs que les pièces versées à l’appui de sa demande démontreraient à suffisance le lien l’unissant avec son frère.

Analyse du tribunal 13Le tribunal relève à titre liminaire qu’en présence de plusieurs moyens, il n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant11.

Il échet ensuite de relever que dans la mesure où il a été retenu ci-avant que le seul élément décisionnel contenu dans les courriers des 1er juillet et 6 octobre 2020 est la décision du ministre de ne pas, respectivement de ne plus appliquer au demandeur le régime favorable de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, en raison de l’expiration du délai instauré par cette disposition, il convient de déterminer si le demandeur a introduit sa demande de regroupement familial endéans le délai prévu par l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, étant précisé que l’analyse du tribunal se limite à cette question sans qu’il n’y ait lieu de se prononcer sur le bien-fondé de ladite demande.

A cet égard, il y a lieu de relever que l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 dispose comme suit :

« Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée et qui séjourne depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille. » L’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, dans sa version applicable au litige, prévoit que : « Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale ».

Quant à l’article 70, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, il énonce que : « Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants:

a) le conjoint du regroupant ;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

11 Trib. adm., 27 octobre 1999, nos 11231 et 11232 du rôle confirmés par Cour adm., 18 mai 2000, n° 11707C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 955 et autres références y citées.

14c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord. ».

Enfin, en vertu de l’article 73, paragraphes (1) à (3), de la loi du 29 août 2008 :

« (1) La demande en obtention d’une autorisation de séjour en tant que membre de la famille est accompagnée de preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille.

(2) Pour obtenir la preuve de l’existence de liens familiaux, le ministre ou l’agent du poste diplomatique ou consulaire représentant les intérêts du Grand-Duché de Luxembourg dans le pays d’origine ou de provenance du membre de la famille, peuvent procéder à des entretiens avec le regroupant ou les membres de famille, ainsi qu’à tout examen et toute enquête jugés utiles.

(3) Lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux, il peut prouver l’existence de ces liens par tout moyen de preuve. La seule absence de pièces justificatives ne peut motiver une décision de rejet de la demande de regroupement familial ».

Ainsi, en vertu de l’article 73, précité, la demande en obtention d’une autorisation de séjour en tant que membre de la famille doit être accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille, sans toutefois que la seule absence de pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux, dont l’existence peut d’ailleurs être établie par tout moyen de preuve, ne puisse motiver le rejet.

En l’espèce, s’il n’est pas contesté que le demandeur a adressé le 6 mars 2020 au ministère un courrier à travers lequel il demande le regroupement familial dans le chef de son frère mineur, force est toutefois de constater que les parties sont en désaccord sur la question de savoir dans quelle mesure des pièces complémentaires peuvent être produites ex post, soit après le dépôt de ladite demande, le ministre reprochant, en effet, au demandeur de ne pas avoir accompagné sa demande de pièces justificatives prouvant le lien familial avec son frère mineur dans le délai prévu par l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, mais d’avoir uniquement déposé un document « concernant le lien de famille » le 13 mars 2020, soit en dehors dudit délai.

Force est de constater que ni la loi du 29 août 2008, ni la directive 2003/86/CE ne définissent la notion de « demande ».

Le demandeur plaide en substance en faveur d’une interprétation large de cette notion en affirmant que la seule absence de pièces justificatives des liens familiaux lors du dépôt de la demande de regroupement familial par un bénéficiaire de la protection internationale n’écarterait pas d’office le bénéfice du régime instauré par l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, de sorte qu’une demande incomplète vaudrait demande.

15Dans ce contexte, il échet tout d’abord de rejeter l’affirmation du demandeur selon laquelle un demandeur d’un regroupement familial ne serait pas obligé de produire immédiatement à l’appui de sa demande la preuve des liens familiaux, alors qu’il résulte du paragraphe (1) de l’article 73 de la loi du 29 août 2008 que la demande « est » accompagnée des preuves, de sorte qu’un tel demandeur n’est pas fondé à décider, de son propre chef, de produire des pièces justificatives par la suite, une telle façon de faire ayant, au contraire, pour conséquence de prolonger artificiellement le délai de trois mois endéans lequel des pièces justificatives doivent être fournies à l’appui d’une demande de regroupement familial pour bénéficier du régime favorable de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 dont le demandeur réclame justement l’application12.

En effet, il est vrai que l’article 73, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 prévoit qu’une décision de rejet de la demande de regroupement familial ne peut pas être motivée par la seule absence de pièces justificatives, de sorte que l’on ne saurait interpréter trop restrictivement la notion de « demande » en ce sens que pour apprécier si le délai de trois mois prévu à l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 est respecté, seule une « demande complète » - à savoir la requête de bénéficier du regroupement familial accompagnée de tous les éléments justificatifs nécessaires - vaudrait « demande » au sens de la loi précitée. Néanmoins, cette disposition ne saurait être interprétée comme permettant, à défaut de toutes pièces justificatives, au demandeur d’un regroupement familial de se voir accorder d’office le bénéfice des dispositions de l’article 69, paragraphe (3) de la même loi à partir du seul fait que le bénéficiaire d’une protection internationale se soit manifesté auprès du ministre.

Dans un arrêt du 7 novembre 201813, la CJUE a d’ailleurs jugé que retenir pareille interprétation « priverait de son efficacité et de sa clarté la règle de délimitation des champs d’application respectifs des régimes applicables aux demandes de regroupement familial […] que les États membres ont la faculté d’instaurer sur la base du délai fixé à l’article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, de la [directive 2003/86/CE] »14.

Le tribunal constate qu’à l’appui de son courrier du 4 mars 2020, le demandeur a rappelé avoir obtenu le statut de réfugié par décision ministérielle du 6 décembre 2019, y a joint ladite décision avec une copie de son titre de séjour valable jusqu’au 5 décembre 2024 et une copie de l’attestation de réfugié du 27 août 2019 de l’UNHCR au Niger, et y a indiqué qu’il sollicite le regroupement familial dans le chef de son frère mineur … avec qui il aurait vécu dans le même ménage en Somalie, en se prévalant des dispositions de l’article 56 de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 69, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008, de même que celles de l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatifs aux droits des enfants, de l’article 3 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant concernant le respect de l’intérêt supérieur des enfants, de l’article 8 de la CEDH, de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, de la recommandation 1686 (2004) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relative à la mobilité humaine et le droit au regroupement familial, ainsi que de « tout autre élément de l’ordre juridique luxembourgeois européen et international » lui permettant d’accéder à une vie privée et familiale au Luxembourg, tout en y joignant l’original du certificat de naissance du mineur concerné.

12 Trib. adm., 22 septembre 2022, n° 45614, disponible sous www.jurad.etat.lu.

13 CJUE, 7 novembre 2018, K et B contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, C-380/178, considérant 49.

14 Trib. adm., 22 septembre 2022, n° 45614, précité.

16Si le ministre reproche plus particulièrement au demandeur de ne pas avoir appuyé sa demande de regroupement familial en faveur de son frère mineur par des pièces justificatives prouvant le lien familial conformément à l’article 73, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, de sorte que la demande litigieuse ne pourrait faire l’objet d’un examen en application des conditions plus favorables prévues à l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, force est toutefois de rappeler que l’article 73, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 ne permet pas de rejeter une demande de regroupement familial au seul motif d’une absence de pièces justificatives prouvant les liens familiaux. A fortiori, une telle demande ne saurait pas non plus être considérée comme incomplète et partant comme non introduite au regard du respect de la condition de délai inscrite au paragraphe (3) de l’article 69. Il échet, à cet égard, de relever que les dispositions relatives à l’autorisation de séjour du membre de famille d’un ressortissant de pays tiers telles que prévues aux articles 68 et suivants de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être interprétées trop restrictivement dans le sens que seule une demande complète, c’est-à-dire accompagnée de tous les éléments justificatifs nécessaires, pourrait être prise en considération, ceci plus particulièrement au regard du délai relativement court prévu à l’article 69, paragraphe (3) de la même loi afin de pouvoir profiter des conditions plus favorables en vue d’un regroupement familial15, d’une part, et des difficultés auxquelles peuvent être confrontés les membres de famille d’un bénéficiaire de protection internationale afin de prouver leur identité et/ou les liens familiaux en raison de situations instables au pays d’origine, de pratiques administratives divergentes ou encore d’un manque de coopération des institutions dans le pays d’origine, d’autre part16.

En l’espèce, il se dégage du certificat de naissance du dénommé … que le demandeur a joint à sa demande de regroupement familial, que le père du concerné s’appelle … et sa mère …. A cet égard, force est de constater que lors de son entretien17 qui a lieu en octobre 2019 à … dans le cadre d’une « ressetlement mission », le demandeur a indiqué des noms pratiquement identiques en ce qui concerne ses parents, à savoir …, s’agissant de son père, et …18, s’agissant de sa mère. Force est ensuite de constater qu’à l’appui de son courrier du 12 mars 2020 adressé au ministre à bref échéance, c’est-à-dire uniquement quelques jours après l’écoulement du délai de trois mois prévu par l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur a complété sa demande par une copie de la déclaration officielle des relations de famille établie par le « Federal Government of Somalia Republic, Ministry of Justice and the judiciairy … District Court » le 7 février 2020, confirmant a priori le lien de fraternité entre lui et le mineur …, ainsi qu’une copie du transfert officiel de responsabilité du mineur concerné par la tante du demandeur et ancienne gardienne du mineur, Madame …, à son égard, établi par la même autorité à la même date.

Au vu de tous les documents communiqués au ministère, dont l’authenticité n’a pas été remise en cause par la partie étatique, le tribunal est amené à retenir que la demande ainsi introduite vaut d’un point de vue formel demande au sens de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, introduite dans le délai requis, étant relevé que le document litigieux joint à la demande, à savoir le certificat de naissance du dénommé …, doit être considéré comme un commencement ou un indice de preuve de l’existence d’un lien de famille entre le demandeur et la personne à regrouper, lui permettant de compléter sa demande même après l’expiration du délai de trois mois, ce à quoi il s’ajoute que le demandeur a valablement expliqué dans son 15 Cour adm., 5 octobre 2021, n° 45914C, disponible sous www.jurad.etat.lu.

16 Cour adm., 29 mars 2022, n° 46863C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

17 Personal Data - family situation, Resettlement mission, October 2019 Niamey.

18 Sous point 4. Children, Parents of the applicant, rapport d’entretien « Personal Data - family situation, Resettlement mission, October 2019 Niamey ».

17courrier du 4 mars 2020 qu’en raison de la dégradation de la situation sécuritaire en Somalie, paralysant le fonctionnement effectif des services de l’administration publique, et donc pour des raisons indépendantes de sa volonté, il se trouverait dans l’impossibilité de fournir, à l’appui de sa demande, « le reste des documents ».

Dans la mesure où, d’un point de vue formel, la demande de regroupement familial litigieuse a été valablement introduite dans le délai de trois mois suivant l’octroi du statut de réfugié, c’est à tort que le ministre est venu à la conclusion que l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 ne serait plus applicable.

Quant à la véracité du récit du demandeur par rapport à son frère et les doutes y relatifs du délégué du gouvernement, ceux-ci sont à examiner dans le cadre du bien-fondé du regroupement familial sollicité, le tribunal n’étant saisi en l’espèce que de la question de savoir si la demande de regroupement familial litigieuse a été introduite d’un point de vue formel endéans le délai de trois mois suivant l’octroi de la protection internationale, question qui vient d’être tranchée ci-avant.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les décisions entreprises sont à annuler pour violation de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 et que le dossier est à envoyer en prosécution de cause au ministre, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant sur les autres moyens invoqués.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;

reçoit le recours principal en annulation en la forme dans la seule mesure où il porte sur le refus du ministre de faire bénéficier Monsieur … de la disposition dérogatoire de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, tel que se dégageant des décisions du ministre du 1er juillet et 6 octobre 2020 ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, annule la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er juillet 2020 en ce qu’il a refusé d’appliquer la procédure prévue par l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 en vue d’examiner la demande de regroupement familial de Monsieur …, ainsi que la décision confirmative du même ministre du 6 octobre 2020, intervenue sur recours gracieux, et renvoie le dossier au ministre de l’Immigration et de l’Asile ;

le déclare irrecevable pour le surplus ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 novembre 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, 18en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 novembre 2022 Le greffier du tribunal administratif 19


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 45485
Date de la décision : 29/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 03/12/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-11-29;45485 ?

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