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19/10/2022 | LUXEMBOURG | N°45616

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 octobre 2022, 45616


Tribunal administratif N° 45616 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:45616 3e chambre Inscrit le 8 février 2021 Audience publique du 19 octobre 2022 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45616 du rôle et déposée le 8 février 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no

m de Madame …, déclarant être née le … à … (Côté d’Ivoire) et être de nationalité ivo...

Tribunal administratif N° 45616 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:45616 3e chambre Inscrit le 8 février 2021 Audience publique du 19 octobre 2022 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45616 du rôle et déposée le 8 février 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, déclarant être née le … à … (Côté d’Ivoire) et être de nationalité ivoirienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 janvier 2021 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 avril 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les communications de Maître Louis TINTI et de Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER du 25 avril 2022 suivant lesquelles ceux-ci marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 26 avril 2022.

__________________________________________________________________________________

Le 24 octobre 2019, Madame …, accompagnée de son enfant mineur …, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section …, du même jour.

Il s’avéra à cette occasion, suite à des recherches effectuées dans le système EURODAC que Madame … avait franchi irrégulièrement la frontière italienne le 14 septembre 2019.

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1 Toujours le 24 octobre 2019, Madame … fut entendue par un agent du ministère, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date des 4 novembre et 18 décembre 2020, Madame … passa un entretien auprès du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 5 janvier 2021, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée expédiée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Madame … comme suit : « […] En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 24 octobre 2019, le rapport d’entretien Dublin III du 24 octobre 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 4 novembre 2020 et du 18 décembre 2020 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que des copies de convocations à des rendez-vous médicaux au Centre Hospitalier d’Avignon.

Madame, vous avez déclaré lors de l’entretien auprès de la police grand-ducale vous appeler … et être née le …. Or, une photo de votre passeport ainsi qu’une photo de l’extrait du registre de l’état civil enregistrées sur votre téléphone portable ont permis d’infirmer vos déclarations alors que ces documents montrent que votre réelle identité est … et que vous êtes née le ….

Madame, il résulte de vos déclarations que vous seriez d’ethnie Bété et de confession chrétienne. Vous seriez née à …, une ville du centre-ouest de la Côte d’Ivoire et vous auriez fréquenté l’école de 1994 jusqu’en 2005 avant d’arrêter en raison d’un manque de moyens financiers. Vous auriez ensuite travaillé dans un restaurant.

Vous déclarez avoir deux enfants … et … que vous auriez eus avec un homme qui serait décédé en 2015 des suites de la fièvre typhoïde et une enfant … … que vous auriez eue avec un dénommé … dont vous déclarez ne pas connaître le nom de famille.

Quant à votre trajet, vous évoquez que vous auriez quitté la Côte d’Ivoire fin 2016 pour le Mali. Vous y auriez travaillé dans l’agriculture pendant deux ans et en raison « des troubles », vous auriez décidé de continuer votre chemin en direction de la Libye via le Niger.

En Libye, vous auriez travaillé en tant que femme de ménage pendant neuf mois avant de rejoindre l’Italie à bord d’un bateau. Après un séjour de trois semaines en Sicile, vous auriez quitté l’Italie parce que « J’ai suivi des amis que voyageaient vers la France et Belgique » (p.5/9 du rapport d’entretien Dublin III) et seriez allée en France où vous auriez séjourné pendant une semaine avant de rejoindre le Luxembourg le 23 octobre 2019. Vous indiquez ne pas avoir introduit une demande ni en Italie, ni en France et ce parce que « Je ne savais pas où aller pour demander l’asile » (p.6/9 du rapport d’entretien Dublin III).

Madame, vous déclarez avoir quitté votre pays d’origine à cause des violences domestiques subies de la part de votre époux. Dans ce contexte vous expliquez qu’après le 2 décès de votre père en 2010, votre oncle vous aurait mariée de force au frère de feu votre mari, à un dénommé … qui aurait été « très violent, très jaloux » (p.6/15 du rapport d’entretien) et qui vous aurait frappée régulièrement. Vous seriez tombée enceinte mais votre époux aurait refusé de payer pour des soins médicaux et il aurait continué à vous frapper, raison pour laquelle vous auriez fait une fausse couche en février 2016. Après un séjour d’une journée à l’hôpital, vous seriez retournée dans la maison de votre époux et deux semaines plus tard vous auriez commencé à « extraire un peu d’or dans les mines [pour] m’acheter des petits trucs pour manger » (p.9,10/15 du rapport d’entretien). Après avoir été violée par vote époux et accusée d’avoir brûlé ses parcelles, vous seriez allée demander une aide financière auprès de la police fin mars 2016 et vous auriez déposé une plainte contre votre époux qui « ne s’occupait ni des enfants, ni de moi. Il ne nous donnait pas d’argent pour subvenir à nos besoins » (p.10/15 du rapport d’entretien) mais les policiers vous auraient renvoyée. Vous n’auriez pas porté plainte pour les violences physiques dont vous auriez été victime, mais que contre le manque de soutien financier, parce que « c’était inutile de le faire car même si je l’avais fait je n’aurais pas obtenu gain de cause » (p.8/15 du rapport d’entretien). Après de nouvelles violences de votre époux à votre égard, vous auriez pris la décision de quitter votre village et votre époux. Vous seriez allée avec vos enfants chez votre sœur à Man. Après un séjour de quelques jours, vous auriez laissé vos enfants avec votre sœur et vous auriez accompagné une femme au Mali en novembre 2016. […] ».

Le ministre informa ensuite Madame … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 février 2021, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision, précitée, du ministre du 5 janvier 2021 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 5 janvier 2021, telle que déférée.

A l’appui de son recours et en fait, Madame … explique être de nationalité ivoirienne et avoir quitté son pays d’origine fin 2016 en raison des violences conjugales dont elle aurait été victime de la part du frère de son époux décédé en 2015 à qui elle aurait été mariée de force par son oncle. Elle donne à considérer que les violences qu’elle aurait régulièrement subies de la part de son époux auraient été d’une brutalité accrue mettant non seulement sa vie en danger, mais également celle de son enfant à naître lequel aurait finalement succombé à sa naissance et cela certainement à cause des coups portés sur elle. En se référant à ses déclarations lors de son entretien auprès du ministère, elle met en avant qu’elle se serait adressée à la police, mais que celle-ci ne l’aurait pas prise au sérieux, de sorte qu’elle aurait décidé de quitter la Côte d’Ivoire afin de s’éloigner de la menace de son époux et cela après avoir constaté qu’aucune aide ne lui serait accessible dans son pays d’origine à défaut d’association susceptible de la soutenir.

3En droit et à titre de « préambule », la demanderesse soutient que les violences basées sur le genre pourraient être définies comme des actes préjudiciables commis contre le gré d’une personne et se fondant sur les différences établies par la société entre les hommes et les femmes, à savoir tous les actes causant un préjudice ou des souffrances physiques, psychologiques ou sexuelles, la menace de tels actes, la contrainte et d’autres privations de liberté, que ce soit dans la sphère publique ou dans la sphère privée. Ainsi, et dans la mesure où suite au décès de son époux, elle se serait vue contrainte d’épouser un homme choisi par son oncle qu’elle n’aurait pas pu quitter malgré le comportement violent de celui-ci dès lors que la société environnante et les autorités en place ne protègeraient pas les femmes victimes de violences domestiques, elle pourrait valablement se prévaloir de violences fondées sur le genre.

Elle s’empare à cet égard de l’article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015 pour faire valoir que le tribunal devrait prendre en considération la problématique des violences domestiques subies par les femmes ivoiriennes. Elle se prévaut, à ce sujet, d’un rapport du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, intitulé « Quatrième rapport périodique soumis par la Côte d’Ivoire en application de l’article 18 de la Convention, attendu en 2015 », du 25 avril 2018, et d’un rapport du United States Department of State, intitulé « 2019 Country Reports on Human Rights Practices : Côte d’Ivoire », mettant en exergue les problèmes quant au respect des droits des femmes en Côte d’Ivoire, d’un rapport du Réseau International des Droits de l’Homme (RIDH), intitulé « Rapport alternatif pour l’évaluation de la République de la Côte d’Ivoire : Les violences conjugales, la précarité des travailleuses domestique et le droit à la terre des femmes rurales en Côte d’Ivoire », de juin 2019, faisant état de l’impossibilité pour les femmes ivoiriennes de bénéficier de l’aide de la part de centres d’hébergement pour femmes en détresse et de l’inexistence des violences et viols conjugaux dans le Code pénal ivoirien, d’un article intitulé « 2017 Chiffres - Côte d’Ivoire », relatif à l’impunité des violences sexuelles et sexistes à l’égard des femmes, ainsi que d’un rapport du Fonds des Nations Unies Pour la Population (UNFPA), intitulé « Rapport d’analyse statistique 2018 sur les violences basées sur le genre (VBG) », confirmant que les victimes de violence en Côte d’Ivoire sont majoritairement des femmes.

Quant à sa demande d’octroi du statut de réfugié, la demanderesse estime en remplir les conditions. Ainsi, elle fait valoir que les faits qu’elle aurait subis seraient notamment d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, alors qu’elle aurait été exposée à des violences physiques régulières de la part de celui qui, contre sa volonté, serait devenu son époux et dont le comportement particulièrement violent aurait notamment provoqué sa fausse couche alors qu’elle aurait été enceinte de 9 mois. Les violences domestiques qu’elle aurait subies s’inscriraient de même dans un contexte de violences généralisées et récurrentes dont son époux serait seul responsable alors qu’il aurait, du fait de ses violences, également provoqué la mort de son ex-épouse. Ces faits seraient encore à qualifier de persécutions au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, alors qu’elle risquerait de faire l’objet de violences physiques et psychiques en cas de retour dans son pays d’origine de la part de son époux. Elle se prévaut dans ce contexte des dispositions de l’article 43, point d), de la loi du 18 décembre 2015 pour soutenir qu’elle ferait l’objet de persécutions de genre dans la mesure où ces mêmes faits seraient étroitement liés aux violences dont seraient particulièrement victimes les femmes ivoiriennes et plus spécialement celles qui auraient fait l’objet d’un mariage forcé. Elle avance qu’à cause de la persécution de genre dont elle aurait été victime, elle serait regardée par la population environnante comme appartenant à un certain groupe social, à savoir celui composé par les personnes qui refusent de suivre les règles 4coutumières de la société ivoirienne imposant à une femme veuve de se remarier aussitôt la période de deuil terminée.

Elle donne dans ce contexte à considérer que le Haut Commissariat aux réfugiés, chargé de veiller à l’application de la notion de « genre » et cherchant à promouvoir, depuis la moitié des années 1980, notamment la protection des femmes victimes de violences dans leur pays d’origine, considérerait que la « dimension de genre » devrait être prise en compte pour interpréter correctement tous les motifs de persécution définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». Il en serait de même de l’Union européenne qui aurait adopté, en 2004, la Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, disposant notamment, aux fins de la définition d’un « certain groupe social », que devraient être prises en considération les questions liées à certaines « […] traditions juridiques et coutumes, résultant par exemple dans des mutilations génitales, des stérilisations forcées ou des avortements forcés - dans la mesure où elle se rapporte à la crainte fondée du demandeur d’être persécuté. […] ». Ainsi, devraient être regardées comme constitutives d’une persécution « de genre » toutes celles infligées en raison du sexe mais encore celles qui, comme en l’espèce, seraient infligées à l’encontre de personnes qui refuseraient de se conformer aux critères sociaux attribués à l’individu en fonction de son genre, la demanderesse insistant à cet égard sur le fait qu’elle serait victime d’une persécution « de genre » dès lors que les problèmes dont elle ferait état seraient étroitement liés à son statut de femme et que, selon les règles traditionnelles ivoiriennes, ceux-ci l’obligeraient à obéir au « dictat » de son époux, sans avoir égard à sa volonté et sans considération quant à ses droits et libertés fondamentales attachés à sa qualité d’être humain.

En s’appuyant encore sur un commentaire d’un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belge du 20 décembre 2018, portant le numéro 214378 du rôle, la demanderesse donne à considérer que ce dernier aurait accordé le statut de réfugié à une Camerounaise, victime de violences domestiques, après avoir constaté que celle-ci s’était réellement efforcée d’étayer sa demande par des preuves documentaires, que ses déclarations étaient cohérentes et plausibles, que les femmes camerounaises constituaient un groupe social, qu’il n’y avait pas de bonnes raisons de penser qu’elle ne subirait pas de représailles en cas de retour au domicile conjugal, et qu’elle n’a pas pu accéder à une protection dans son pays d’origine, étant donné que cet accès serait difficile, que les autorités camerounaises considéreraient les violences domestiques comme relevant du domaine familial et que son époux aurait eu des amis dans la police.

La demanderesse en conclut que cette affaire serait similaire à la sienne, même si les auteurs des persécutions qu’elle aurait subies étaient des personnes privées. Elle avance à cet égard que les auteurs de ces actes seraient à qualifier d’acteurs de persécution, conformément aux dispositions des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, tout en insistant sur le fait qu’elle aurait démontré à suffisance de droit par son récit personnel et les pièces versées en cause que les autorités en place ne seraient pas susceptibles de lui assurer une protection suffisante dès lors que les violences occasionnées aux femmes seraient avant tout regardées par les autorités ivoiriennes comme une affaire privée ne donnant lieu à aucune sanction dissuasive ni à une protection suffisante de la victime. Elle fait dans ce contexte valoir qu’il n’existerait dans son pays d’origine aucune protection suffisante au sens de l’article 40, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où le système judiciaire et policier ivoirien ne 5protégerait pas suffisamment les femmes victimes de violences domestiques et spécialement lorsqu’elles sont réalisées dans le cadre d’un mariage forcé, en considérant, en effet, qu’il s’agirait d’un problème d’ordre privé dans lequel les autorités en place refuseraient souvent d’intervenir.

Elle estime que dans ces conditions, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir formellement déposé plainte contre son époux, tout en soulignant qu’à l’occasion de son déplacement auprès des services de police pour dénoncer sa situation personnelle, il lui aurait été conseillé de retourner vivre auprès de son époux.

Madame … affirme par ailleurs qu’elle ne pourrait bénéficier d’une fuite interne dans son pays d’origine au sens de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015, laquelle s’appliquerait, selon les lignes directrices de l’UNHCR, lorsque la zone de réinstallation serait accessible sur les plans pratique et juridique, ainsi qu’en termes de sécurité, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce eu égard à son état de dénuement matériel complet. Elle fait à cet égard valoir que la charge de la preuve quant à la possibilité pour elle de vivre en toute sécurité dans une autre région de son pays d’origine pèserait sur la partie étatique et que seule une appréciation in concreto de sa demande tenant compte des particularités d’espèce permettrait le cas échéant au ministre de retenir l’existence dans son chef d’une possible fuite interne, sans que cette appréciation in concreto exclut a priori la prise en considération de certains éléments dont notamment sa situation financière. Or, en l’espèce, sa situation personnelle permettrait raisonnablement d’exclure qu’elle puisse s’établir dans une autre région de son pays d’origine dès lors qu’une telle réinstallation présuppose des moyens financiers dont elle serait dépourvue.

Elle ajoute dans ce contexte encore qu’il ne lui serait pas possible de trouver une protection auprès de l’un de ses proches alors que ces derniers auraient eux-mêmes été menacés par son oncle et son époux, de sorte à rendre cette protection non viable.

En se prévalant encore de la présomption inscrite à l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, elle souligne qu’il n’existerait pas de bonnes raisons de croire que les faits qu’elle aurait subis ne se reproduiraient pas en cas de retour en Côte d’Ivoire, dès lors que depuis son récent départ, la situation ne pourrait raisonnablement avoir évolué de manière suffisante pour retenir le contraire.

A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, la demanderesse invoque, en substance, les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié. Plus particulièrement, elle fait valoir qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015. Elle invoque à cet effet l’« affaire grecque » par laquelle la « Commission européenne » aurait retenu que les traitements considérés comme dégradants seraient ceux qui humilient gravement la personne aux yeux d’autrui ou l’incitent à agir contre sa volonté ou sa conscience. Dans l’affaire Irlande c. Royaume Uni, la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « la CJUE », aurait retenu qu’un traitement infligé devrait, pour pouvoir être qualifié de torture, causer de « forts graves et cruelles souffrances » au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH ». Dans l’affaire Selmouni c. France, la CJUE se serait réservée une certaine souplesse dans l’examen des actes illicites en fonction du niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Ainsi, les menaces et violences qu’elle aurait subies constitueraient un traitement inhumain ou dégradant dès lors qu’elles se traduiraient par des souffrances mentales et physiques particulièrement intenses dans son chef.

6 Elle fait à cet égard valoir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle risquerait de subir des actes d’une extrême violence de la part de son époux qui, par représailles, pourrait se montrer encore plus violent que par le passé, actes qui seraient à assimiler à des traitements inhumains tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH ». S’agissant du traitement dégradant, elle met en avant sa crainte de subir, en cas de retour dans son pays d’origine, des abus sexuels et d’autres actes de nature à porter atteinte à sa dignité en l’humiliant et l’avilissant, tout en soulignant que le fait de l’obliger à partager sa vie avec une personne n’ayant aucun respect pour elle au point de mettre en péril son existence constituerait une atteinte insupportable à sa dignité.

Elle en conclut qu’elle remplirait toutes les conditions prévues par la loi du 18 décembre 2015 et que le statut relatif à une protection subsidiaire devrait lui être accordé.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours en tous ses moyens.

Aux termes de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 :

« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) 7et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

l’Etat, ou des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les 8acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Il s’ensuit également que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. L’article 2, point g), précité, définit également la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les persécutions et les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Force est de constater que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire est la preuve, à rapporter par la demanderesse, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou ne sont pas disposées à lui fournir une protection.

En l’espèce, indépendamment de la qualification des faits invoqués à l’appui de la demande de protection internationale de Madame …, le tribunal constate que la demanderesse n’a jamais tenté de requérir une protection auprès des autorités ivoiriennes contre les violences qu’elle a subies de la part de son époux.

Dans la mesure où l’auteur des violences est en l’espèce sans lien avec l’Etat ivoirien, ladite personne n’est susceptible d’être qualifiée d’auteur de persécution ou d’atteintes graves que si les autorités ivoiriennes ne sont pas capables, respectivement disposées à la protéger, étant rappelé, dans ce cadre, qu’une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection. La disponibilité d’une protection nationale exige par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection 9disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou atteintes graves. Cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

Il faut relever, à cet égard, que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

A cet égard, il convient encore de souligner l’importance de rechercher la protection des autorités du pays d’origine puisqu’à défaut d’avoir au moins tenté de solliciter une forme quelconque d’aide, les demandeurs de protection internationale ne sauraient reprocher aux autorités étatiques une inaction volontaire ou un refus de les aider. En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection. En effet, il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut2. Or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de violences, communément la forme d’une plainte.

Ainsi, il aurait appartenu à la demanderesse de déposer officiellement plainte contre les agissements de son époux, ce qu’elle n’a pourtant pas fait. Si Madame … a certes affirmé lors de son entretien qu’elle se serait adressée à la police ivoirienne fin mars 2016 afin de déposer plainte contre son mari, force est de constater qu’elle n’a dans ce cadre pas dénoncé les violences domestiques de son époux, mais s’est limitée à solliciter une aide financière en déclarant aux agents de police en charge que son mari « [ne s’]occupait ni des enfants, ni de moi. Il ne nous donnait pas d’argent pour subvenir à nos besoins »3. Par ailleurs, hormis le fait de soutenir que le système judiciaire et policier ivoirien ne protégerait pas suffisamment les femmes victimes de violences domestiques lorsque celles-ci sont perpétrées dans le cadre d’un mariage forcé, il échet de constater que la demanderesse reste en défaut d’apporter des éléments concrets qui pourraient permettre d’établir que dans son cas précis, il aurait été vain de s’adresser aux forces de l’ordre de son pays d’origine. En effet, la seule affirmation suivant laquelle elle n’aurait pas eu gain de cause4 si elle avait déposé une plainte contre son mari pour les violences qu’elle a subies de la part de ce dernier ne saurait en tout état de cause suffire, à défaut d’éléments concrets tirés de son vécu personnel, pour convaincre le tribunal que les autorités de son pays d’origine n’auraient pas pu ou pas voulu la protéger contre les agissements de son époux violent.

2 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

3 Page 10/15 du rapport d’entretien.

4 Page 8/15 du rapport dêntretien.

10Par conséquent, et à défaut d’avoir concrètement recherché de l’aide auprès des forces de l’ordre ou une autre autorité de son pays d’origine, mettant ces dernières dans l’incapacité d’accomplir leurs missions, aucune défaillance ou inefficacité ne saurait leur être reprochée.

Cette conclusion n’est pas énervée par les rapports et article internationaux, prémentionnés, dont se prévaut la demanderesse pour faire valoir une absence, voire une insuffisance de protection de la part des autorités ivoiriennes à l’égard de femmes victimes de violences domestiques et spécialement lorsque ces violences sont réalisées dans le cadre d’un mariage forcé. En effet, force est de constater que si ces publications générales témoignent certes de violences contre les femmes, elles ne sont toutefois pas de nature à établir un défaut de protection de la part de l’Etat ivoirien contre de tels agissements, voire une incapacité des autorités en place de protéger les victimes de violences domestiques.

Il échet en outre de relever que la partie étatique a précisé, source internationale à l’appui, qu’il existe en Côte d’Ivoire un cadre légal interdisant et sanctionnant le mariage forcé, de sorte qu’il serait possible pour la demanderesse d’entamer des démarches concrètes dans ce contexte en vue d’une annulation de son mariage.

Par ailleurs, il ressort des explications circonstanciées de la partie étatique que l’Etat ivoirien a pris diverses mesures afin de contrer les violences conjugales en mettant en place deux types de services à destination des victimes de violences basées sur le genre, à savoir des « gender desks » et des « plates-formes VBG », existant sur une majeure partie du territoire ivoirien. De même, la demanderesse aurait pu faire part de ses doléances auprès du médiateur de la Côte d’Ivoire qui a pour rôle de régler par la médiation les différends de toutes natures.

A cela s’ajoute encore, tel que l’a également mis en avant la partie étatique, sources internationales à l’appui, qu’il existe en Côte d’Ivoire plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) qui se battent contre les violences physiques dans le pays et qui ont pour objectifs notamment l’amélioration de la situation des femmes et la lutte contre la discrimination et les inégalités sociales et contre les violences en général et, en particulier, celles dirigées contre les femmes. Il existe de même un projet d’appui à l’amélioration de l’accès aux droits et à la justice en Côte d’Ivoire de l’Association des femmes juristes de Côte d’Ivoire (AFJCI) ayant pour objectif général le rapprochement de la justice et des justiciables et, en particulier, l’amélioration de l’accès à la justice pour les groupes vulnérables, tels les femmes et les enfants. Enfin, un centre de transit pour victimes de violences sexuelles a été ouvert à Abidjan, la capitale du pays.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à conclure que la demanderesse n’a pas fait état de raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte justifiée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, respectivement qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’elle encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, compte tenu du fait qu’elle reste en défaut d’établir qu’elle ne pourrait pas compter sur une protection adéquate de la part des autorités ivoiriennes.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est partant à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

2) Quant au recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire 11 Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

A cet égard, la demanderesse invoque une violation du principe de non-refoulement, tel qu’inscrit à l’article 33, paragraphe (1) de la Convention de Genève et à l’article 54, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q), de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de non-refoulement, tel qu’invoqué par la demanderesse.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 5 janvier 2021 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Madame … ;

au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 5 janvier 2021 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 octobre 2022 par :

12Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 octobre 2022 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 45616
Date de la décision : 19/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-10-19;45616 ?

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