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18/10/2022 | LUXEMBOURG | N°47952

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 octobre 2022, 47952


Tribunal administratif N° 47952 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:47952 3e chambre Inscrit le 19 septembre 2022 Audience publique du 18 octobre 2022 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47952 du rôle et déposée le 19 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif pa

r Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lux...

Tribunal administratif N° 47952 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:47952 3e chambre Inscrit le 19 septembre 2022 Audience publique du 18 octobre 2022 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47952 du rôle et déposée le 19 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, né le … à … (Sénégal), de nationalité sénégalaise, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Findel (SHUF), sise à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 31 août 2022 de le transférer vers la Belgique, comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 octobre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elena FROLOVA, en remplacement de Maître Michel KARP, et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 octobre 2022.

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Le 4 juillet 2022, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion et lors d’une recherche effectuée dans la base de données EURODAC, que l’intéressé avait introduit des demandes de protection internationale aux Pays-Bas le 4 mai 2019 et le 25 juin 2021, en Belgique le 20 septembre 2019, en Allemagne le 9 mars 2021, et en France le 8 décembre 2021.

Toujours le 4 juillet 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une 1demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du 8 juillet 2022, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à la structure d’hébergement d’urgence du Findel (SHUF), pour une durée de trois mois.

Le 2 août 2022, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues belges une demande de reprise en charge de Monsieur …, sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée en date du 5 aout 2022 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du même règlement.

Par décision du 31 août 2022, notifiée par lettre recommandée envoyée à Monsieur … et à son mandataire en date des 31 août 2022, le ministre informa l’intéressé du fait que le Grand-

Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la Belgique sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 4 juillet 2022 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Belgique qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judicaire et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 4 juillet 2022.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 4 juillet 2022, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit deux demandes de protection internationale aux Pays-Bas en date des 4 mai 2019 et 25 juin 2021, une demande en Belgique en date du 20 septembre 2019, une demande en Allemagne en date du 9 mars 2021 et une demande en France en date du 8 décembre 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 4 juillet 2022.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 2 août 2022 une demande de reprise en charge aux autorités belges sur base de l’article 18(1)d du règlement 2DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités belges en date du 5 août 2022, sur base de l’article 18(1)b.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point b) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 4 juillet 2022 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit deux demandes de protection internationale aux Pays-Bas en date des 4 mai 2019 et 25 juin 2021, une demande en Belgique en date du 20 septembre 2019, une demande en Allemagne en date du 9 mars 2021 et une demande en France en date du 8 décembre 2021.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Sénégal en 2018 en avion en direction de Milan/Italie, muni d’un visa italien valable pour trois mois. Après un an passé auprès d’une connaissance, vous auriez quitté l’Italie pour vous rendre aux Pays-Bas. Comme les autorités néerlandaises vous auraient informé de la responsabilité italienne pour votre demande de protection internationale introduite en date du 4 mai 2019, vous seriez parti vers la Belgique après quatre mois. Après avoir attendu vainement une réponse des autorités belges quant à votre demande de protection internationale introduite en date du 20 septembre 2019, vous seriez parti vers l’Allemagne, où vous avez introduit une demande de protection internationale en date du 9 mars 2021. Les autorités allemandes vous auraient transféré en Belgique et vous vous seriez rendu aux Pays-Bas après quelques jours pour y introduire une nouvelle demande de protection 3internationale. Après avoir été transféré de nouveau en Belgique, vous auriez décidé de vous rendre en France et d’y introduire une demande de protection internationale date du 8 décembre 2021. Alors que les autorités françaises vous auraient également transféré en Belgique, vous auriez quitté la Belgique après cinq mois passés dans les rues de Bruxelles en train en direction du Luxembourg, où vous déclarez être arrivé en date du 1er juillet 2022.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 4 juillet 2022, vous avez mentionné avoir besoin d’un psychologue alors que vous auriez été menacé de mort au Sénégal à cause de votre homosexualité. Cependant, vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Belgique qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous indiquez ne pas vouloir retourner en Belgique parce que vous y étiez contraint de vivre dans la rue.

Rappelons à cet égard que la Belgique est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la Belgique est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la Belgique profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. Par conséquent, la Belgique est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de I’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Belgique sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires belges.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Belgique ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Belgique revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

4Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers la Belgique, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la Belgique, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la Belgique en informant les autorités belges conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités belges n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 septembre 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 31 août 2022.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation déposé contre la décision ministérielle déférée à titre principal, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

A l’appui de son recours, le demandeur expose d’abord les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en précisant qu’il aurait quitté le Sénégal en 2018 muni d’un visa italien, que les autorités italiennes auraient confisqué son passeport et qu’au bout d’une année, il aurait quitté l’Italie pour les Pays-Bas, où il aurait cependant été retransféré vers l’Italie. Il aurait ensuite de nouveau quitté l’Italie pour se rendre en Belgique, où il n’aurait pas reçu de réponse à sa demande de protection internationale y introduite, de sorte qu’il aurait introduit une nouvelle 5demande de protection internationale en Allemagne. Après avoir été transféré par les autorités allemandes vers la Belgique, il serait reparti pour les Pays-Bas afin d’y introduire une demande de protection internationale. Les autorités néerlandaises l’auraient cependant également transféré vers la Belgique, de sorte qu’il aurait de nouveau quitté la Belgique pour introduire cette fois une demande de protection internationale en France. Après un nouveau transfert vers la Belgique par les autorités françaises, et après s’être retrouvée dans les rues de Bruxelles pendant 5 mois « sans aucune aide », il serait venu au Luxembourg pour y introduire une demande de protection internationale.

Il souligne encore qu’il aurait été menacé de mort au Sénégal en raison de son homosexualité et qu’il craindrait d’être expulsé vers son pays d’origine suite à son transfert vers la Belgique, pays dans lequel il craindrait, par ailleurs, devoir vivre dans la rue.

En droit, le demandeur reproche au ministre d’avoir tiré des conclusions hâtives concernant sa situation, tout en soutenant que le ministre aurait violé l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », ainsi que l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ». Il estime que le ministre devrait lui garantir qu’il ne serait pas expulsé vers le Sénégal en cas de transfert en Belgique.

Dans ce contexte, il précise avoir quitté son pays d’origine en raison des persécutions et des menaces de mort qu’il y aurait subies, qui trouveraient leur origine dans son orientation sexuelle, tout en indiquant que le Sénégal serait un pays musulman où l’homosexualité serait considérée comme une déviance et punie par l’article 319 du Code pénal sénégalais par une peine de prison d’un à cinq ans. Afin de corroborer ses prétentions relatives à la situation des personnes homosexuelles au Sénégal, le demandeur cite des extraits d’un « rapport d’Amnesty International de 2022 des événements de 2021 » et d’un « rapport Human Rights Watch de 2022 sur les événements de 2021 » et verse deux articles publiés sur des sites Internet, à savoir un premier daté du 6 janvier 2022, intitulé « La proposition de loi sur la criminalisation de l’homosexualité au Sénégal rejettée », et un deuxième daté du 18 mai 2022, intitulé « Homophobie : le président sénégalais Macky Sall soutient le joueur PSG Idrissa Gueye ».

Le demandeur indique encore que le « Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides » considérerait que « lors de l’examen d’une crainte de persécution liée au genre, invoqué par le demande d’asile, plusieurs aspects doivent être pris en considération : […] - Le seul fait que les actes homosexuels ou l’homosexualité soient punissables dans le pays d’origine ne suffit pas. Le pays en question doit également appliquer concrètement les dispositions légales.

L’existence d’une loi interdisant les actes homosexuels ou l’homosexualité peut constituer une indication selon laquelle les autorités n’accorderont pas de protection à l’intéressé en cas de persécution. » et estime que cet « élément » justifierait son recours contre la décision litigieuse, de sorte que le ministre devrait lui garantir que les autorités belges ne tiendraient pas seulement compte d’une « indication selon laquelle les autorités n’accorderont pas de protection à l’intéressé en cas de persécution » mais des « faits réels dénoncés » par de nombreux médias et ONG.

Le demandeur estime ensuite que son état de santé n’aurait pas été pris en considération par le ministre. Il indique à cet égard avoir suivi, pendant 6 mois, un traitement contre la tuberculose au Sénégal et que le docteur … aurait demandé un scanner thoracique pour « déterminer les lésions », le demandeur soulignant encore, de manière générale, que le ministre devrait tenir compte du risque accru pour les homosexuels de contracter le VIH et ensuite la tuberculose, tout en soulignant que la tuberculose serait une des causes de décès principales chez 6les personnes vivant avec le VIH. Il devrait ainsi effectuer des examens médicaux complémentaires au Luxembourg « avant toute nouvelle décision ».

Finalement, Monsieur … soutient que « dans le cadre de la solidarité européenne », le ministre aurait dû faire application de la clause de souveraineté prévue par l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours.

A titre liminaire, le tribunal relève que le recours en réformation dans le cadre duquel il est amené à statuer en la présente matière depuis l’entrée en vigueur de la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, publiée au Mémorial en date du 1er juillet 2021, est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire -

indépendamment de la légalité - l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés1.

L’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit ce qui suit : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

L’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités belges pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre […] ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est 1 Trib. adm., 17 septembre 2018, n° 40026 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.

7motivée par les considérations que Monsieur … a déposé une demande de protection internationale en Belgique en date du 20 septembre 2019 et que les autorités belges ont accepté de le reprendre en charge le 5 août 2022 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers la Belgique et de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg, le demandeur ayant, par ailleurs, affirmé lui-même lors de son entretien en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale du 4 juillet 2022 que sa demande est toujours en cours d’examen en Belgique et qu’il a quitté le territoire belge à plusieurs reprises sans attendre une réponse2.

Il échet ensuite de constater que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Etat belge, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, et n’invoque pas non plus des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs en Belgique prévues par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, mais se prévaut d’une violation, par le ministre, des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH ainsi que de l’article 17 du règlement Dublin III.

En ce qui concerne la violation alléguée des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, le tribunal relève tout d’abord que l’Etat belge est tenu en tant que membre de l’Union européenne et signataire de la CEDH, au respect des dispositions de celle-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques et de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après dénommée « la Convention de Genève », et dispose d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5.

2 Entretien Dublin III du 4 juillet 2022, p. 6 et 9.

3 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S, c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

4 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

8Dans son arrêt du 19 mars 2019, la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE », a confirmé ce principe selon lequel le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée6. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment par les articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève ainsi que de la CEDH.

Il convient encore de relever dans ce cadre que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable7.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte8, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant9.

En l’espèce, le demandeur soutient qu’en cas de transfert vers la Belgique, il risquerait de subir des traitements inhumains et dégradants en se prévalant plus particulièrement de son état de santé précaire, d’un risque de se retrouver dans la rue, ainsi que d’être expulsé vers le Sénégal.

Or, force est d’abord de constater que le demandeur n’affirme pas que, personnellement et concrètement il aurait fait l’objet de traitements inhumains et dégradants lors de son séjour en Belgique. En effet, et si le demandeur a certes indiqué lors de son entretien en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale du 4 juillet 2022 qu’il se serait trouvé à la rue pendant plus ou moins cinq mois lors de son séjour en Belgique en 2022 en affirmant qu’« Ils ne m’ont pas aidé »10, il reste cependant en défaut d’avancer concrètement les circonstances à la base de cette situation, à savoir ses démarches concrètes pour trouver un logement et pour recevoir une « aide » de la part des autorités belges, et les circonstances exactes 6 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17.

7 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09 8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96 9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 88 10 Entretien Dublin III du 4 juillet 2022, p. 5.

9d’un refus « d’aide », étant encore souligné qu’il ne ressort pas des déclarations du demandeur, voire de son entretien auprès du ministère qu’aucun logement ne lui a été mis à disposition suite à l’introduction de sa demande de protection internationale en 2019. Le demandeur n’a pas non plus produit des rapports internationaux permettant de retenir qu’il existerait un risque de traitement inhumain et dégradants en Belgique ni n’a-t-il avancé d’éléments concrets et individuels susceptibles de démontrer qu’en cas de transfert en Belgique, il serait personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits, et ce de manière durable, sans perspective d’amélioration.

Il ne ressort dès lors pas des éléments soumis au tribunal que le transfert du demandeur vers la Belgique l’exposerait à un risque de se retrouver dans la rue en violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

En ce qui concerne ensuite le risque allégué d’une expulsion en cascade vers le Sénégal, le tribunal constate tout d’abord que la décision entreprise n’implique pas un retour vers le pays d’origine du demandeur, mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, étant relevé que ledit Etat membre, en l’occurrence la Belgique, a reconnu être compétent pour reprendre le demandeur en charge. Ensuite, Monsieur … n’est pas à considérer comme demandeur de protection internationale débouté, situation dans laquelle il pourrait exister un risque qu’il soit renvoyé vers le Sénégal, ce que semble suggérer le demandeur, mais il est transféré en vue de l’examen de sa demande de protection internationale par les autorités belges.

Force est ensuite de relever que, dans les affaires mettant en cause l’expulsion d’un demandeur d’asile, la CourEDH a précisé qu’elle se gardait d’examiner elle-même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les Etats remplissent leurs obligations découlant de la Convention de Genève, sa préoccupation essentielle étant de savoir s’il existe des garanties effectives qui protègent l’intéressé contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers le pays qu’il a fui, la CourEDH ayant encore retenu que l’effectivité d’un recours ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant.

Compte tenu de l’importance que la CourEDH attache à l’article 3 de la CEDH et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’effectivité d’un recours demande cependant impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale, c’est-à-dire un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 de la CEDH, la préoccupation essentielle de la CourEDH étant de savoir s’il existe en l’espèce des garanties effectives qui protègent le demandeur contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers son pays d’origine, la CourEDH ayant encore souligné que lorsqu’il y a eu une procédure interne, il n’entre pas dans les attributions de la CourEDH de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueilles par eux.

Il se dégage en conséquence de cette jurisprudence que le transfert d’un demandeur de protection internationale du Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH, respectivement 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre, soit qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat, soit qu’il ne bénéficierait pas d’une protection contre le refoulement vers son pays d’origine dans l’Etat intermédiaire responsable du traitement de sa demande de protection 10internationale, à savoir en l’occurrence la Belgique.

Cette jurisprudence impose dès lors la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce de l’intéressé.

Force est toutefois de constater qu’en l’espèce, le demandeur n’apporte aucun élément de nature à établir qu’il risquerait des mauvais traitements en cas de retour en Belgique. Il ne se dégage ainsi pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que, personnellement et concrètement, ses droits n’auraient pas été respectés en Belgique, ni que ses droits ne seraient pas garantis en Belgique, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale en Belgique ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale n’auraient en Belgique aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore relevé que la Belgique est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

C’est, à cet égard, en tout état de cause, en vain que le demandeur se réfère à une citation sans référence et non versée en cause, du « Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides », indiquant que « lors de l’examen d’une crainte de persécution liée au genre, invoqué par le demande d’asile, plusieurs aspects doivent être pris en considération : […] - Le seul fait que les actes homosexuels ou l’homosexualité soient punissables dans le pays d’origine ne suffit pas. Le pays en question doit également appliquer concrètement les dispositions légales.

L’existence d’une loi interdisant les actes homosexuels ou l’homosexualité peut constituer une indication selon laquelle les autorités n’accorderont pas de protection à l’intéressé en cas de persécution. », pour sous-tendre sa crainte d’un refoulement vers son pays d’origine, puisque, et mis à part le fait que le demandeur anticipe d’ores et déjà l’issue de sa demande de protection internationale déposée en Belgique, cette citation énumère uniquement certains aspects devant être pris en considération lors de l’examen d’une demande de protection internationale, dont la crainte de persécution liée au genre, et ne témoigne pas d’une pratique avérée des autorités belges d’expulser les demandeurs de protection internationale, déboutés vers leur pays d’origine en violation de leurs obligations internationales.

Le demandeur reste dès lors en défaut d’étayer concrètement l’existence dans son chef d’un risque de se voir renvoyer arbitrairement par les autorités belges vers son pays d’origine, le concerné ne fournissant pas d’éléments susceptibles de démontrer que la Belgique ne respecterait pas le principe du non-refoulement et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant, après l’examen de sa demande de protection internationale, dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient mises sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays.

Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments soumis au tribunal que si les autorités belges devaient néanmoins décider de rapatrier le demandeur dans son pays d’origine en violation de l’articles 3 de la CEDH, alors même qu’il y serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités belges en usant des voies de droit adéquates.

Il ne ressort dès lors pas des éléments soumis au tribunal que le transfert du demandeur vers la Belgique l’exposerait à un retour forcé au Sénégal, qui serait contraire au principe de 11non-refoulement découlant des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

En ce qui concerne ensuite l’état de santé avancé par le demandeur, force est de constater que si celui-ci a certes indiqué, lors de son entretien en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III en date du 4 juillet 2022, avoir besoin d’un psychologue en raison des menaces de mort dans son pays d’origine11 et qu’il résulte encore en substance d’un rapport médical du docteur … du 11 août 2022 et d’une ordonnance médicale du docteur … du 25 août 2022 qu’un bilan pneumologique est indiqué chez demandeur suite à une tuberculose traitée au Sénégal pendant 6 mois, il ne se dégage cependant d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que le demandeur devrait suivre un traitement au Luxembourg ni qu’il existerait une éventuelle contre-indication pour le transférer vers la Belgique.

Au vu de ces éléments et dans la mesure où le demandeur est resté en défaut de verser au tribunal une quelconque autre pièce de nature à justifier la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les allégations y afférentes sont rejetées.

En outre, il ne se dégage d’aucun élément soumis à son appréciation qu’il ne pourrait pas bénéficier en Belgique des soins médicaux dont il pourrait, le cas échéant, avoir besoin.

Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale, au système de santé belge, quod non, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités belges en usant des voies de droits internes, voire devant les instances européennes adéquates.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1) premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers la Belgique par le biais de la communication aux autorités belges des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

Dans ces circonstances et dans la mesure où le demandeur n’a pas fait état d’autres éléments dont il se dégagerait que compte tenu de sa situation personnelle, il serait, en cas de transfert vers la Belgique, exposé à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, voire l’article 4 de la Charte, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation desdits articles encourt le rejet.

En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque 11 Entretien Dublin III du 4 juillet 2022, p. 2.

12État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] », le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201712. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge13, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration14.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport aux articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur semble estimer que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale de Monsieur … alors même que cet examen incombe aux autorités belges.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers la Belgique, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, sans faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen fondé sur une violation de cette disposition est également rejeté.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

12 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n°C-578/16, pts 88 et 97.

13 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

14 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

13Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 octobre 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 octobre 2022 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 47952
Date de la décision : 18/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-10-18;47952 ?

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