La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/10/2022 | LUXEMBOURG | N°45718

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 octobre 2022, 45718


Tribunal administratif N° 45718 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:45718 3e chambre Inscrit le 1er mars 2021 Audience publique du 18 octobre 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en matière d’inscription au registre des titres

______________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45718 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2021 par Maître Ardavan FATHOLAHZ

ADEH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d...

Tribunal administratif N° 45718 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:45718 3e chambre Inscrit le 1er mars 2021 Audience publique du 18 octobre 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en matière d’inscription au registre des titres

______________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45718 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2021 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 28 août 2020 portant refus d’inscription au registre des titres prévu à l’article 66 de la loi modifiée du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles de son titre de « Bachelor of Science (B.SC.) ; department : Petroleum and Natural Gas Engineering », lui délivré en date du 22 juin 2020 par l’établissement de formation « Near East University » à Chypre, ainsi que de la décision confirmative de refus du même ministre du 27 novembre 2020 intervenue sur recours gracieux introduit le 6 novembre 2020 ;

Vu la requête rectificative déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2022 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au nom de Monsieur …, préqualifié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2021 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2021 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au nom et pour le compte de Monsieur …, préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juin 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley FREYERMUTH, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves HUBERTY en sa plaidoirie à l’audience publique du 27 septembre 2022.

___________________________________________________________________________

1 En date du 22 juin 2020, Monsieur … se vit délivrer le titre de « Bachelor of Science (B.Sc.) ; department : Petroleum ans Natural Gas Engineering » par l’établissement de formation « Near East University » de Chypre.

Le 19 août 2020, Monsieur … introduisit, auprès du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après désigné par « le ministre », une demande d’inscription de son titre prévisé de « Bachelor of Science (B.Sc.) ; department : Petroleum ans Natural Gas Engineering » au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, tel que prévu à l’article 66 de la loi modifiée du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, ci-après désignée par « la loi du 28 octobre 2016 ».

Par arrêté du 28 août 2020, le ministre refusa de faire droit à la demande lui ainsi soumise par Monsieur …, sur base des motifs et considérations suivantes :

« Vu la loi du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, et notamment ses articles 66 à 69 ;

Vu le règlement grand-ducal du 17 février 2017 relatif à la reconnaissance des qualifications professionnelles, et notamment ses articles 9 et 10 ;

Vu la demande présentée par Monsieur …, né le … à … (IRAQ), et les pièces produites à l’appui de cette demande ;

Vu le titre de formation délivré au requérant par l’établissement de formation Near East University" (CHYPRE) en juin 2020 et lui conférant le titre de "Bachelor of Science (B.Sc.) ; department : Petroleum ans Natural Gas Engineering" ;

Considérant que le titre de formation susvisé n’est pas délivré conformément aux lois et règlements régissant l’enseignement supérieur à Chypre, au sens des dispositions de l’article 68, paragraphe 2 de la loi du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, étant donné que l’institution ayant délivré le titre de formation susvisé ne possède pas le statut d’un établissement d’enseignement supérieur reconnu à Chypre ;

Arrête :

Art. 1er. L’inscription au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, du titre de formation "Bachelor of Science (B.Sc.) ; department : Petroleum ans Natural Gas Engineering" de Monsieur … est refusée […] ».

Par courrier de son mandataire du 6 novembre 2020, Monsieur … fit introduire un recours gracieux contre la prédite décision ministérielle du 28 août 2020.

Le 27 novembre 2020, le ministre rejeta le recours gracieux introduit par Monsieur … et confirma sa décision du 28 août 2020 dans les termes suivants :

« […] En réponse à votre courrier du 6 novembre 2020 concernant l’inscription au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, des titres de formation de «Bachelor of Science (B.Sc.) ; department : Petroleum ans Natural Gas Engineering » 2 délivré en juin 2020 par la « Near East University », je suis au regret de vous informer qu’il n’y a pas d’élément nouveau permettant une réouverture du dossier.

Tout d’abord, je tiens à préciser que les procédures d’inscriptions au registre des titres de formation et d’octroi de l’aide financière pour études supérieures sont réglementées par des bases légales différentes. Le fait qu’une aide financière pour études supérieures a été accordée ne donne pas droit d’office à une inscription au registre des titres de formation, et vice versa.

Concernant les critères devant être replis pour qu’un titre d’enseignement supérieur étranger puisse être inscrit au registre des titres de formation, c’est-à-dire qu’il doit s’agir d’un titre final sanctionnant un cycle complet d’études et délivré conformément aux lois et règlements régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre a été conféré, il y a lieu de constater que l’Etat en question est la République de Chypre. En effet aussi bien l’ONU que le Conseil de l’Europe reconnaissent à la République de Chypre, Etat-membre de l’Union européenne, la souveraineté sur l’entièreté de l’île de Chypre, nonobstant l’auto-proclamation de l’ainsi-dite République turque de Chypre du Nord – position à laquelle adhère le Luxembourg. Considérant dès lors l’absence de toute forme de reconnaissance formelle de l’ainsi-dite République Turque de Chypre du Nord par le Luxembourg, un établissement de formation sis sur l’île de Chypre doit bénéficier de la reconnaissance pertinente de la part de la République de Chypre afin qu’il puisse délivrer des titres de formation pouvant être considérés au Luxembourg comme étant délivrés « conformément aux lois et règlements régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre a été conféré ». Considérant ce qui précède, force est de constater que l’établissement de formation « Near East University » ne bénéficie pas de la reconnaissance par les autorités compétentes à Chypre.

Par conséquent, il n’y a pas lieu de revenir sur la décision du 28 août 2020 refusant l’inscription au registre des titres du titre de formation de Monsieur … […] ».

Par requête déposée en date du 1er mars 2021 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du ministre du 28 août 2020 portant refus d’inscription au registre des titres prévu à l’article 66 de la du 28 octobre 2016 de son titre de « Bachelor of Science (B.SC.) ; department :

Petroleum and Natural Gas Engineering », lui délivré en date du 22 juin 2020 par l’établissement de formation « Near East University » à Chypre, ainsi que de la décision confirmative de refus précitée du 27 novembre 2020, Monsieur … ayant encore déposé une « requête rectificative » en date du 2 mars 2021.

Etant donné que l’article 68, paragraphe (4) de la loi du 28 octobre 2016 prévoit un recours en annulation contre les décisions d’inscription au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, le tribunal administratif est compétent pour statuer sur le recours en annulation sous analyse.

Le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours sous analyse en donnant à considérer que l’identité du demandeur n’aurait pas été indiquée dans la requête introductive d’instance déposée le 1er mars 2021 mais uniquement dans la requête rectifiée déposée le 2 mars 2021, à savoir hors du délai de recours légal, lequel aurait pris fin le 1er mars 2021.

3 Dans son mémoire en réplique, le demandeur entend résister au moyen d’irrecevabilité lui ainsi opposé en arguant que la partie étatique n’aurait pas pu se méprendre sur son identité, alors que celle-ci aurait été indiquée dans les décisions ministérielles litigieuses qui auraient été annexées au recours. Il ajoute que la requête rectificative déposée le 2 mars 2021 n’aurait eu comme seul but de régulariser la procédure. Dans la mesure où la partie étatique resterait par ailleurs en défaut de démonter une quelconque violation de ses droits de la défense, le recours sous analyse devrait être déclaré recevable.

L’article 1er, deuxième alinéa de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives dispose que : « la requête, qui porte date, contient : - les noms, prénoms et domicile du requérant, […] ».

Cette même disposition légale a pour finalité de permettre à la partie défenderesse, en l’occurrence l’Etat, de pouvoir utilement identifier le demandeur, afin d’être en mesure d’assurer sa défense de façon valable et complète1.

Il échet toutefois de relever que l’article 29 de la même loi précise, quant à lui, que « L’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense. ».

En l’espèce, force est de constater que si le lieu de résidence du demandeur n’a certes pas figuré dans la requête introductive d’instance, telle que déposée le 1er mars 2021 au greffe du tribunal administratif, il n’en reste pas moins que les nom et prénom du concerné y avaient été indiqués à plusieurs reprises. Par ailleurs, et tel que relevé à juste titre par le demandeur, les décisions attaquées contenant son nom, son prénom, sa date de naissance et son adresse avaient été jointes audit recours.

Force est, en outre de constater que la partie étatique reste en défaut de démontrer, voire même d’alléguer que les indications manquantes dans la requête introductive d’instance en ce qui concerne l’identité du demandeur, lui auraient causé un grief dans la mesure où elle n’aurait, de ce fait, pas pu l’identifier.

Etant donné que le délégué du gouvernement a, en l’espèce, été en mesure de prendre position quant au fond du litige, et n’a pas pu se méprendre sur l’identité du demandeur compte tenu des éléments figurant dans la requête introductive d’instance et compte tenu des pièces jointes à celle-ci, le tribunal ne saurait constater une quelconque violation de ses droits de la défense.

Dès lors, le seul fait que la requête introductive d’instance ne contient pas toutes les indications prévues à l’article 1er précité de la loi du 21 juin 1999 en ce qui concerne l’identité du demandeur ne saurait entraîner l’irrecevabilité du recours sous analyse.

Quant à la « requête rectificative » introduite le 2 mars 2021, celle-ci est à écarter des débats dans la mesure où il ne peut, conformément à l’article 5 de la loi modifiée du 21 juin 1 Trib. adm., 9 juillet 2015, n° 35177 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 437 et les autres références y citées.

4 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, y avoir plus de deux mémoires de la part de chaque partie y compris la requête introductive2.

A défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité, le recours en annulation sous analyse est à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur … rappelle en premier lieu les faits et rétroactes tels que retranscrits ci-avant.

En droit, il se prévaut en premier lieu d’une violation du principe de confiance légitime. A l’appui de ses conclusions, et en se basant sur l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, ci-après désignée par « la loi du 24 juillet 2014 », conditionnant l’octroi d’une telle aide financière, le demandeur fait valoir que le Centre de Documentation et d’Information sur l’Enseignement Supérieur auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après désignés respectivement par le « CEDIES » et le « ministère », lui aurait, en tout connaissance de cause, toujours attribué les aides financières et n’aurait jamais contesté la validité de ses études, de sorte qu’il aurait légitimement pu s’attendre à ce que son diplôme soit reconnu par le Grand-Duché de Luxembourg. Il reproche ainsi un changement brusque et imprévisible au ministère, lequel l’aurait induit en erreur en lui accordant, d’un côté les aides financières pour études supérieures et en lui refusant, de l’autre côté, la reconnaissance de son diplôme. Le demandeur ajoute que l’administration luxembourgeoise aurait méconnu « son droit acquis », en ce sens qu’il n’aurait pas pu se douter d’un tel changement de situation.

Il y aurait partant lieu d’annuler les décisions litigieuses pour violation du principe de confiance légitime.

Dans un deuxième temps, il conclut à l’annulation des décisions litigieuses pour violation du principe de proportionnalité et pour excès de pouvoir.

A cet égard, il fait valoir que le titre lui conféré serait conforme aux lois et règlements de la République Turque de Chypre du Nord, laquelle aurait proclamé son indépendance en date du 15 novembre 1983 et disposerait de sa propre autonomie, se considérerait comme une démocratie au sens littéral pour être dirigée par un président et être dotée de députés et serait, en outre, reconnue par la Turquie. Il ajoute que les diplômes délivrés par la « Near East University » seraient reconnus par les autorités turques. Après s’être encore basé sur des données figurant sur le site internet allemand « anabin » pour soutenir que la « Near East University » serait reconnue dans « son pays d’origine », le demandeur ajoute que cette reconnaissance lui aurait permis d’accéder à un programme de Master à l’Université de Technologie de Clausthal en Allemagne.

En se prévalant ensuite d’une jurisprudence du Conseil d’Etat belge, le demandeur fait plaider que la liberté d’appréciation dont disposerait le ministre pour évaluer une situation ne devrait pas tomber dans l’arbitraire, tel que ce serait le cas en l’espèce.

2 Trib. adm. 4 février 2009, n° 24641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse n°911 et les autres références y citées.

5 Il donne ainsi à considérer qu’il aurait choisi la « Near East University » sur base de critères qui lui seraient propres, à savoir (i) sa qualité de réfugié, le demandeur expliquant avoir voulu valider ses études iraquiennes par un diplôme reconnu au Luxembourg, (ii) la langue dans laquelle les cours y sont proposés, en l’occurrence l’anglais, et (iii) les aides financières lui accordées par le CEDIES qui lui auraient permis de couvrir ses frais de scolarité. Compte tenu de ces circonstances, le refus lui apposé de voir inscrire son diplôme au registre de formation section de l’enseignement supérieur aurait une portée disproportionnée par rapport au but poursuivi par l’autorité compétente, le demandeur ajoutant que ledit refus entraînerait un préjudice difficilement supportable tant d’un point de vue professionnel que d’un point de vue « humain ».

Dans son mémoire en réplique, le demandeur, tout en mettant en exergue la similitude qui existerait entre l’article 66 de la loi du 28 octobre 2016 et l’article 2 de la loi du 24 juillet 2014, fait encore valoir que la décision d’octroi d’une aide financière telle que prévue par la loi du 24 juillet 2014 aurait influencé sa décision de suivre ses études à la « Near East University ».

Il insiste ensuite sur le fait que la « Near East University » serait une université reconnue par la République Turque de Chypre du Nord et que le titre qu’il y a obtenu lui aurait permis d’intégrer un cycle de master à l’université de Technologie de Clausthal, pour conclure que contrairement aux conclusions ministérielles, ledit titre lui aurait été délivré selon les lois et règlements régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre est conféré.

Quant à la violation alléguée du principe de confiance légitime, le demandeur réitère ses développements figurant dans la requête introductive d’instance, tout en mettant plus particulièrement en exergue que si l’octroi d’une aide financière pour études supérieures et l’inscription au registre des titres de formation basaient certes sur deux lois différentes, il n’en resterait pas moins que ces deux lois seraient appliquées par le même ministre. En se référant encore à un jugement du tribunal administratif3 ayant eu trait au principe de confiance légitime, il donne à considérer qu’il aurait informé le CEDIES en septembre 2018 du nom de l’établissement où il allait faire ses études, ainsi que du pays dans lequel celui-ci se trouve. Il estime partant que le CEDIES n’aurait pas pu ignorer que son diplôme n’allait pas être reconnu et il conclut à une violation du principe de confiance légitime en arguant que la « même autorité ministérielle » n’aurait pas pu, d’un côté, le faire bénéficier de l’aide financière prévue par la loi du 24 juillet 2014 et, de l’autre côté, lui refuser la reconnaissance de son diplôme.

La partie étatique conclut, quant à elle, au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, et en ce qui concerne la demande de communication du dossier administratif formulée au dispositif de la requête introductive d’instance, force est de constater que concomitamment à son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a versé au greffe du tribunal administratif une copie du dossier administratif et que le demandeur n’a pas fait état d’éléments qui lui feraient défaut ni d’éléments qui lui permettraient d’affirmer qu’il n’aura pas eu communication de l’intégralité du dossier 3 Trib. adm. 20 mai 2021, n°43853 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

6 administratif à la base du présent litige, de sorte que cette demande est à rejeter pour défaut d’objet.

Le tribunal relève ensuite que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, il vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés, étant précisé qu’il ne peut prendre en considération que les éléments se rapportant à la situation de fait telle qu’elle existait au jour de la décision attaquée à laquelle le tribunal doit limiter son analyse dans le cadre du recours en annulation dont il est saisi.

Aux termes de l’article 68 de la loi du 28 octobre 2016 « (1) Nul ne peut publiquement porter le titre d’un grade d’enseignement supérieur, si le diplôme suivi du nom de l’établissement d’enseignement supérieur ainsi que l’appellation du titre conféré n’ont pas été inscrits au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur.

(2) Pour être inscrits au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, les diplômes, titres et grades de l’enseignement supérieur doivent sanctionner un cycle complet d’études et correspondre aux lois et règlements régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre a été conféré. […] ».

Il résulte de cette disposition que l’inscription au registre des titres d’enseignement supérieur est subordonnée à la double condition que le titre en question sanctionne un cycle complet d’études et qu’il corresponde aux lois et règlements du pays régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre a été conféré. Il ressort de la jurisprudence des juridictions administratives, qu’à cette fin, le ministre compétent est appelé à constater si le diplôme, dont l’inscription au registre est demandée, représente un titre d’enseignement supérieur légalement conféré, en prenant exclusivement en considération la législation régissant l’enseignement supérieur de l’Etat de délivrance dudit diplôme4, sans cependant que sa compétence implique une appréciation des études accomplies.

Ainsi, le pouvoir du ministre n’est pas discrétionnaire, mais il doit examiner si le document qui lui est soumis remplit les conditions requises pour être inscrit au registre des titres d’enseignement supérieur, ce qui implique qu’il doit contrôler le niveau des études et la qualité du document qui les sanctionne.

En l’espèce, le ministre n’a pas remis en cause le fait que le diplôme en question sanctionne un cycle complet d’études. La question litigieuse entre les parties est celle de savoir si le diplôme de Monsieur … correspond « aux lois et règlements régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre a été conféré », tel que prescrit par l’article 68, paragraphe (2), de la loi du 28 octobre 2016.

Il convient encore de relever que dans la mesure où les actes administratifs individuels bénéficient d’une présomption de légalité, il appartient au demandeur de justifier que son diplôme a été délivré conformément aux lois et règlements en matière d’enseignement supérieur du pays de délivrance.

4 Trib. adm., 6 avril 2000, n° 11570, confirmé par arrêt du 24 octobre 2000, n° 11984C, Pas. adm. 2021, V° Autorisation d’établissement, n° 89 et les autres références y citées.

7 Force est de constater que le demandeur entend rapporter une telle justification en se basant sur les informations figurant sur le site internet allemand « anabin »5. Or, et s’il est certes vrai que sur ledit site, la « Near East University » est désignée par le « statut H + », statut visant les établissements reconnus comme université dans leur pays d’origine, force est toutefois également de constater qu’il ressort d’une capture d’écran du même site telle que versée en cause par la partie étatique que les renseignements relatifs aux établissements de formation situés sur le territoire de l’ainsi-dite République Turque de Chypre du Nord sont sujets à caution6.

A cet égard, il convient de rappeler, tel que mis en exergue par le ministre dans sa décision confirmative de refus du 27 novembre 2020, que l’ainsi-dite République Turque de Chypre du Nord n’est reconnue que par la seule Turquie, tandis que l’ONU et le Conseil de l’Europe, de même que le Luxembourg, reconnaissent à la République de Chypre, Etat-membre de l’Union européenne, la souveraineté sur la totalité de l’île. Il s’ensuit que pour statuer sur la question de savoir si le diplôme dont se prévaut le demandeur a été délivré conformément aux lois et règlements du pays de délivrance, il convient de prendre en considération la seule législation de la République Chypre.

Or, d’après les renseignements fournis par les autorités chypriotes à leurs homologues luxembourgeois, les « universités » situées sur l’ainsi-dite République Turque de Chypre du Nord, telle que la « Near East University », ne sont pas reconnues par les autorités chypriotes.

Ainsi et dans la mesure où il est constant en cause que la « Near East University » se trouve sur le territoire de l’ainsi-dite République Turque de Chypre du Nord, et que les autorités chypriotes ne reconnaissent pas les établissements de formations situés sur cette partie de leur territoire, et a fortiori les titres délivrés par ces mêmes établissements de formation, c’est à tort que le demandeur soutient que le titre lui délivré par ce même établissement lui aurait été délivré conformément aux lois et règlements du pays de délivrance.

A défaut de tout autre élément de preuve pertinente, force est de retenir que Monsieur … n’a pas renversé la présomption de légalité dont est affecté l’arrêté ministériel litigieux, de sorte qu’il y a lieu de retenir que le ministre pouvait valablement refuser l’inscription du diplôme du concerné au registre des titres d’enseignement supérieur au motif que ledit diplôme n’a pas été délivré conformément aux lois et règlements chypriotes au sens de l’article 68, paragraphe (2), de la loi du 28 octobre 2016.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par les affirmations du demandeur selon lesquelles il aurait été admis, sur base du diplôme lui délivré par la « Near East University », auprès de l’université de Technologie de Clausthal en Allemagne, alors que tel que relevé à juste titre par la partie étatique, une telle admission n’est, compte tenu de l’autonomie académique dont 5 Datenbank der Zentralstelle für ausländisches Bildungswesen.

6 « NORDZYPERN Die Herrschaftsgewalt der Regierung der Republik Zypern erstreckt sich seit 1974 de facto nicht auf den Norden der Insel. Dort hat sich unter dem Namen „Türkische Republik Nordzypern/Turk Kuzey Kibris Cumhuriyeti“ ein von der Staatengemeinschaft mit Ausnahme der Türkei nicht anerkanntes Gebilde mit eigener „Reigierung“ etabliert. ».

8 disposent les établissements universitaires, pas nécessairement soumise à la condition que son diplôme de base ait été préalablement reconnu.

Elle n’est pas non plus énervée par les développements du demandeur relatifs à une prétendue violation du principe de confiance légitime, du principe de proportionnalité et à un prétendu excès de pouvoir de la part du ministre.

En effet, et indépendamment de la question de savoir si c’est à bon droit que le concerné a bénéficié des aides financières de l’Etat pour études supérieures - la partie étatique soutenant dans le cadre de la présente procédure, que l’octroi de ces aides financières au demandeur serait dû à une erreur administrative - il convient de souligner que le principe général de la confiance légitime s’apparente au principe de la sécurité juridique et a été consacré tant par la jurisprudence européenne en tant que principe du droit européen, que par la jurisprudence nationale en tant que principe général du droit.

Ce principe général du droit tend à ce que les règles juridiques ainsi que l’activité administrative soient empreintes de clarté et de prévisibilité, de manière à ce qu’un administré puisse s’attendre à un comportement cohérent et constant de la part de l’administration dans l’application d’un même texte de l’ordonnancement juridique par rapport à une même situation administrative qui est la sienne.

Il y a lieu de rappeler, d’une manière générale, qu’un administré ne peut prétendre au respect d’un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives, justifiées ou non, l’autorité administrative a créé à son profit une situation administrative acquise et réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef. Ce n’est qu’à cette condition que peut naître dans le chef d’un administré la confiance légitime que l’administration respectera la situation par elle créée, les deux notions de droits acquis et de légitime confiance étant voisines.

C’est ainsi que lorsqu’un particulier diligent est surpris du fait qu’il s’est raisonnablement fié au « pré-comportement » objectif de la personne publique, et n’est dès lors pas en mesure de prévoir l’adoption - ou la modification - soudaine d’une disposition de nature à affecter ses intérêts, la « légitimité » de sa confiance subjective peut être présumée, et ce avec d’autant plus de force lorsqu’existent des dispositions concrètes et objectives indéniablement prises dans la confiance. Cette dernière condition en particulier - l’existence de dispositions concrètes et objectives prises dans la confiance - présuppose plus précisément l’existence d’une relation étroitement personnelle entre l’administré et l’administration tel que notamment un acte administratif individuel créateur de droits ou encore une décision individuelle d’ordre pécuniaire.

Ainsi, ce principe général s’entend comme étant la confiance que les destinataires de règles et de décisions sont normalement en droit de porter envers la stabilité, au moins pour un certain temps, inhérente à la situation dont s’agit sur la base de ces règles et de ces décisions. La constance des rapports entre l’administration et l’administré se dégageant de la sorte ne vaut cependant que rebus sic stantibus, c’est-à-dire toutes choses restant égales par ailleurs, tant que le cadre juridique et factuel reste le même7. Le principe général du droit de la confiance légitime qui protège l’administré contre les changements brusques et 7 Cour adm., 2 avril 2015, n° 35541C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Lois et règlements, n° 53 et les autres références y citées.

9 imprévisibles de l’administration ne joue cependant pas au cas où la pratique antérieure suivie par l’administration n’était pas conforme à la loi8.

Force est tout d’abord de constater que dans la mesure où l’autorité administrative luxembourgeoise ne dispose pas d’une véritable marge d’appréciation quant à la question de la qualification des études supérieures pertinentes, laquelle relève des autorités compétentes étatiques en matière d’enseignement supérieur du pays où les études sont effectuées, par hypothèse en dehors du Grand-Duché, le principe général de confiance légitime ne trouve pas une assiette utile dans le cas d’espèce9.

Il convient par ailleurs de relever que les décisions accordant à Monsieur … l’aide financière de l’Etat pour études supérieures ont été prises en vertu de la loi du 24 juillet 2014, tandis que la décision actuellement litigieuse se base sur les dispositions de la loi du 28 octobre 2016, de sorte que, s’agissant de deux textes légaux différents, ayant un objet différent, le demandeur n’est pas fondé à invoquer le principe de confiance légitime dans son chef, ledit principe visant, tel que précisé ci-avant, le comportement cohérent de l’administration dans l’application d’un même texte de l’ordonnancement juridique par rapport à une même situation administrative.

Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur quant à la similitude des deux législations, alors que même à admettre que les législations concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures et l’inscription au registre des titres sont similaires dans la mesure où l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 24 juillet 2014 dispose, dans sa version au moment de la délivrance du diplôme litigieux à Monsieur …, que : « Pour être éligible à l’aide financière dans le cadre de la présente loi, l’étudiant doit être inscrit à temps plein ou à temps partiel dans un cycle d’études supérieures dont la réussite confère un diplôme, titre, certificat ou grade de l’enseignement supérieur correspondant aux lois et règlements régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre est conféré. Le cycle d’études doit être reconnu par l’autorité compétente de cet Etat comme relevant de son système d’enseignement supérieur. » et prévoit partant des conditions quasi identiques à celles prévues à l’article 68, paragraphe (2), précité, de la loi du 28 octobre 2016, il n’en reste pas moins que les procédures d’octroi d’une étude financière et celle de l’inscription au registre des titres sont différentes tant de par leur objet que de par leur base légale.

Il s’ensuit que les développements du demandeur relatifs à une violation du principe de proportionnalité sont à rejeter pour ne pas être fondés.

Quant aux développements du demandeur, relatifs à une violation du principe de proportionnalité, ceux-ci sont également à rejeter dans la mesure où, tel que retenu ci-avant, le ministre ne dispose pas de marge d’appréciation quant à la question de la qualification des études supérieures pertinentes, le législateur ayant, à travers l’article 68 de la loi du 28 octobre 2016, expressément prévu que cette qualification relève des autorités compétentes étatiques en matière d’enseignement supérieur du pays où les études sont effectuées.

8 Trib. adm., 9 juin 1997, n° 9781 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 428 et les autres références y citées.

9 Cour adm., 16 février 2017, n° 38392C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Enseignement, n° 100 et l’autre référence y citée.

10 En effet, pour qu’une décision puisse être qualifiée de disproportionnée, il faut que le ministre ait une certaine marge d’appréciation dans la prise de décision, étant en effet rappelé à cet égard que lorsqu’une disposition légale ou règlementaire comporte des conditions objectives ne laissant aucune marge d’appréciation à l’administration quant à la décision à prendre, cette dernière agit dans le cadre d’une compétence liée. Dans pareil cas de figure, l’intervention de l’administration s’opère de manière mécanique voire automatique en ce qu’elle se limite à entériner une situation de fait ou de droit objective10.

Ainsi et dans la mesure où le ministre est dépourvu de tout pouvoir d’appréciation en la matière, le demandeur ne saurait se prévaloir d’une quelconque violation du principe de proportionnalité, voire d’un prétendu excès de pouvoir de la part du ministre.

Il suit des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

écarte la « requête rectificative » déposée le 2 mars 2021 des débats ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’arrêté du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 24 juin 2020 portant refus d’inscription au registre des titres prévu à l’article 66 de la loi modifiée du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles du titre de «« Bachelor of Science (B.SC.) ;

department : Petroleum and Natural Gas Engineering », délivré à Monsieur … en date du 22 juin 2020 par l’établissement de formation « Near East University » à Chypre », ainsi que contre la décision confirmative de refus du 27 novembre 2020 intervenue sur recours gracieux introduit le 6 novembre 2020 ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 octobre 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn 10 Trib. adm., 20 avril 2015, n° 33808 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 10 et l’autre référence y citée.

11 Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 octobre 2022 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 45718
Date de la décision : 18/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-10-18;45718 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award