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18/10/2022 | LUXEMBOURG | N°45475

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 octobre 2022, 45475


Tribunal administratif N° 45475 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:45475 3e chambre Inscrit le 6 janvier 2021 Audience publique du 18 octobre 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45475 du rôle et déposée le 6 janvier 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au t

ableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Nigéria), d...

Tribunal administratif N° 45475 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:45475 3e chambre Inscrit le 6 janvier 2021 Audience publique du 18 octobre 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45475 du rôle et déposée le 6 janvier 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, ayant élu domicile en l’étude de Maître Eric SAYS, préqualifé, sise à L-2668 Luxembourg, 24, rue Julien Vesque, tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 octobre 2020 prononçant à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de trois ans ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 avril 2021 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Eric SAYS du 28 avril 2022 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en sa plaidoirie à l’audience publique du 10 mai 2022.

Il ressort d’un rapport de la Police Grand-Ducale, Région …, … n° … du 10 août 2020 qu’à cette même date, Monsieur … fut appréhendé par les forces de l’ordre à la suite d’un comportement suspect lors d’un contrôle dans le quartier de …. Il ressort dudit rapport de police, que deux boules de poudre blanches furent retrouvées sur le lieu d’arrestation, dont Monsieur … aurait prétendument été le propriétaire, et qu’un sachet contenant de la marijuana avait également été trouvé lors de la fouille menée sur sa personne au poste de police. Il ressort encore du rapport de police en question que Monsieur … était en possession d’un passeport nigérian, d’une carte d’identité italienne et d’un titre de séjour italien nommé « Permesso di Soggiorno ». A cette occasion, Monsieur … expliqua avoir rejoint l’Italie en bateau depuis la Libye, qu’il 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1aurait déposé une demande de protection internationale en Italie en 2014 qui lui aurait été refusée et qu’il serait arrivé au Luxembourg en train depuis …. Il indiqua encore avoir dû quitter le Nigéria parce qu’il aurait été pourchassé par l’Etat et que la police aurait voulu le tuer, que sa situation familiale au Nigéria serait mauvaise, qu’il n’aurait plus de parents, mais uniquement une sœur, qu’aucun visa ne lui aurait été délivré, qu’il vivrait à … où il travaillerait pour une entreprise de nettoyage et qu’il serait venu au Grand-Duché de Luxembourg pour voyager et faire du tourisme.

Il ressort d’un deuxième rapport de la Police Grand-Ducale, Région …, commissariat … n° … du 16 août 2020 qu’à cette même date, Monsieur … fit l’objet d’un contrôle de police à la suite d’une dispute impliquant des stupéfiants. Il ressort dudit rapport de police, que Monsieur … était signalé par les autorités suisses pour une mesure de refus d’entrée sur le territoire.

Monsieur … expliqua qu’il serait arrivé en Europe en passant par l’Italie quelques années auparavant, qu’il y aurait déposé une demande de protection internationale, que les autorités italiennes lui auraient délivré un visa, qu’il serait arrivé au Luxembourg la veille et qu’il aurait raté son train pour rentrer chez lui en France, et s’il passerait certes ses nuits en France, il ne pourrait toutefois pas donner l’adresse exacte de son lieu de séjour en France. Il indiqua encore que sa famille vivrait encore au Nigéria et qu’il serait venu au Grand-Duché de Luxembourg pour faire du tourisme.

Il ressort d’un troisième rapport de la Police Grand-Ducale, Région …, … n° … du 7 octobre 2020 qu’à cette même date Monsieur … fit l’objet d’un contrôle de police en raison de son comportement suspicieux et de sa tentative de fuite, contrôle lors duquel il ressortit que Monsieur … était signalé pour une mesure de refus d’entrée sur le territoire. Monsieur … expliqua qu’il serait parti du Nigéria en 2014 pour rejoindre l’Italie en bateau depuis la Libye, où il aurait déposé une demande de protection internationale, mais qu’aucun visa ne lui aurait été délivré et que sa situation familiale au Nigéria serait mauvaise à cause de la situation politique y régnant, raison pour laquelle il aurait dû quitter son pays d’origine. Il indiqua encore être arrivé au Grand-Duché de Luxembourg en train en date du 3 août 2020, qu’il ne vivrait pas au Grand-Duché de Luxembourg mais en France, qu’il ne pourrait pas donner d’adresse exacte, qu’il serait venu au Grand-Duché de Luxembourg pour passer des vacances et qu’il disposerait d’un peu d’argent.

Il ressort d’un quatrième rapport de la Police Grand-Ducale, Région …, Commissariat … n° … du 14 octobre 2020 qu’à cette même date Monsieur … fit de nouveau l’objet d’un contrôle d’identité en raison de son comportement suspicieux, contrôle lors duquel il ressortit qu’il était signalé par les autorités norvégiennes pour une mesure de refus d’entrée sur le territoire. Il expliqua avoir pris le bateau en Libye en 2014 pour rejoindre l’Italie, que les autorités italiennes lui auraient délivré un visa et qu’il aurait déposé des demandes de protection internationale en Allemagne et en Suisse en 2016. Il indiqua encore être arrivé à Luxembourg en train depuis … où il dormirait de temps en temps chez une connaissance, qu’il n’aurait plus de contact avec sa famille dans son pays d’origine, qu’il disposerait de quelques économies qu’il aurait gagnées en tant qu’aide dans un bar en Italie, et qu’il serait venu au Grand-Duché de Luxembourg pour travailler et pour lancer des paris sportifs.

Il ressort d’un cinquième rapport de la Police Grand-Ducale, Région …, Commissariat … n° … du 18 octobre 2020 qu’à cette même date Monsieur … fut appréhendé par les forces de l’ordre lors d’une tentative de vendre des stupéfiants. Il s’avéra à cette occasion qu’il était signalé pour une mesure de refus d’entrée sur le territoire et l’intéressé expliqua encore être arrivé le jour même au Luxembourg en train afin d’y passer le weekend, qu’il ne disposait pas 2de moyens financiers, qu’il n’aurait pas de famille et qu’il vivrait en France, sans pour autant être en mesure de donner d’adresse. A la question de savoir s’il était prêt à quitter le Grand-

Duché de Luxembourg de manière volontaire dans le cas où un ordre de quitter le territoire devait être prononcé à son encontre, il répondit par la négative.

Par arrêté du 18 octobre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-

après par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, tout en lui enjoignant de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, le Nigéria, ou de tout autre pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou dans lequel il est autorisé à séjourner, ladite décision comportant encore une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans. Ledit arrêté est libellé comme suit :

« […] Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu le procès-verbal n° … du 18 octobre 2020 établi par la Police, Région … Commissariat … ;

Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;

Attendu que l’intéressé n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail ;

Attendu que l’intéressé ne justifie pas l’objet et les conditions du séjour envisagé ;

Attendu que l’intéressé ne justifie pas de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie ;

Que par conséquent il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;

Arrête :

Art. 1er.- La personne se nommant …, être née le … à … (Nigéria) et être de nationalité nigérienne, est en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.

Art. 2.- L’intéressé devra quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, le Nigéria, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.

Art. 4.- Une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans est prononcée à l’égard de l’intéressé à partir de la sortie du territoire luxembourgeois ou à partir de la sortie de l’Espace Schengen. […] ».

Il ressort d’un sixième rapport de la Police Grand-Ducale, Région …, Commissariat … … n° … du 19 octobre 2020 qu’à cette même date Monsieur … fit l’objet d’un contrôle par les forces de l’ordre, contrôle lors duquel il ressortit qu’il était signalé pour une mesure de refus d’entrée sur le territoire. Il expliqua avoir quitté le Grand-Duché de Luxembourg le 18 octobre 2020, mais être revenu le lendemain afin de prendre contact avec son avocat et indiqua encore avoir rejoint l’Italie en bateau au départ de la Libye en 2014, que les autorités italiennes lui auraient délivré un visa, qu’il travaillerait en Italie et qu’il serait venu au Grand-Duché de Luxembourg pour trouver du travail.

Il ressort d’un septième rapport de la Police Grand-Ducale, Région …, Commissariat … n° … du 11 novembre 2020 qu’à cette même date Monsieur … fit l’objet d’un contrôle par les 3forces de l’ordre en raison de son comportement suspicieux, contrôle lors duquel il ressortit qu’il était signalé par les autorités suisses pour une mesure de refus d’entrée sur le territoire.

Monsieur … expliqua à cette occasion avoir rejoint l’Italie par bateau, que les autorités italiennes lui auraient délivré un visa et qu’il aurait déposé des demandes de protection internationale en Italie en 2014 ainsi qu’en Allemagne et en Suisse en 2016. Il indiqua encore avoir quitté le Nigéria parce qu’il n’y aurait pas apprécié la politique, que son frère et sa sœur vivraient au Nigéria, qu’il aurait une femme vivant à …, qu’il aurait rejoint la ville de Luxembourg en train depuis l’Allemagne, qu’il vivrait dans la rue, qu’il ne disposerait pas de moyens financiers et qu’il serait venu au Grand-Duché de Luxembourg pour jouer au casino.

Il ressort d’un huitième rapport de la Police Grand-Ducale, Région …, Commissariat … … n° … du 6 décembre 2020 qu’à cette même date Monsieur … fit l’objet d’un contrôle par les forces de l’ordre en raison de son comportement suspicieux, contrôle lors duquel il s’avéra qu’il était signalé pour une mesure de refus d’entrée sur le territoire. Monsieur … expliqua à cette occasion avoir quitté le Grand-Duché de Luxembourg le 18 octobre 2020, mais être revenu le lendemain afin de prendre contact avec son avocat. Il indiqua encore avoir rejoint l’Italie par bateau depuis la Libye en 2014, que les autorités italiennes lui auraient délivré un visa, qu’il vivrait à … et qu’il aurait rejoint le jour même Luxembourg afin de rendre visite à sa petite amie. Il expliqua travailler en Italie et qu’il serait finalement venu au Grand-Duché de Luxembourg pour trouver du travail.

Il ressort d’un neuvième rapport de la Police Grand-Ducale, Région …, … n° … du 15 décembre 2020 qu’à cette même date Monsieur … fit l’objet d’un contrôle par les forces de l’ordre en raison de son comportement suspicieux, contrôle lors duquel il s’avéra qu’il était signalé pour une mesure de refus d’entrée sur le territoire, mais que le signalement en question expirait le 18 décembre 2020. Il ressort encore dudit rapport de police, que Monsieur … présenta plusieurs documents, dont un courrier de son mandataire daté du 21 octobre 2020 et adressé au Ministère des Affaires étrangères et européennes par lequel ce dernier indiqua que son mandant était en possession d’un titre de séjour italien valable et par lequel il pria le ministre de bien vouloir annuler l’arrêté ministériel du 18 octobre 2020 prononçant une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans à l’encontre de son mandant. Monsieur … expliqua encore à cette occasion avoir rejoint l’Italie par bateau le 9 juin 2014 et que les autorités italiennes lui auraient délivré un visa valable jusqu’au 30 mai 2023. Il indiqua encore avoir rejoint le Luxembourg la veille en train depuis l’Allemagne, qu’il aurait de la famille au Nigéria, que ses parents ainsi que son frère et sa sœur y vivraient, qu’il vivrait chez une connaissance à …, qu’il serait momentanément sans emploi à cause de la pandémie, qu’il aurait travaillé auparavant dans un café à … et qu’il serait venu au Grand-Duché de Luxembourg pour voir sa petite amie.

Il ressort d’un dixième rapport de la Police Grand-Ducale, Région …, … n° … du 4 mars 2021 qu’à cette même date Monsieur … fit l’objet d’un contrôle par les forces de l’ordre. Lors de son audition du même jour, il indiqua être en possession d’un passeport nigérian valable jusqu’au 26 mai 2024, ainsi que d’une autorisation de séjour émise par les autorités italiennes valable jusqu’au 30 mai 2023. Il expliqua encore à cette occasion qu’il serait être arrivé en Italie par bateau en 2014, qu’il serait arrivé le jour-même en train à Luxembourg, qu’il aurait précédemment déposé des demandes de protection internationale en Allemagne et en Italie, et que son père, sa mère, ses deux frères et ses trois sœurs vivraient dans son pays d’origine. Il indiqua encore ne pas avoir de travail à cause de la pandémie, qu’il aurait travaillé auparavant dans un bar en Italie, qu’il n’aurait jamais travaillé au Grand-Duché de Luxembourg, qu’il n’y vivrait pas et qu’il y serait venu pour voir sa petite amie.

4 Il ressort finalement d’un relevé journalier émis par le Centre pénitentiaire de Luxembourg daté du 5 mars 2021, que Monsieur … y fut placé et libéré le même jour pour un délit relatif au libre exercice des cultes.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 janvier 2021, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel du 18 octobre 2020, précité, lui interdisant l’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.

Etant donné que l’article 124, paragraphe (2) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 », sur base duquel l’arrêté litigieux du 18 octobre 2020 a été pris dispose que « […] Les recours prévus aux articles 113 et 114 sont applicables », et que l’article 113 de cette même loi prévoit un recours en annulation à exercer devant le tribunal administratif dans les formes et délais ordinaires, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Il est, en revanche, compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation qui est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur … se rapporte tout d’abord à prudence de justice quant à la compétence du ministre pour prendre la décision litigieuse.

Ensuite, et après avoir cité l’article 112 de la loi du 29 août 2008, il fait valoir qu’il ne constituerait pas de danger pour l’ordre, la sécurité et la santé publique.

Il conteste ensuite se trouver en séjour irrégulier au Luxembourg en se prévalant de son titre de séjour italien valable jusqu’au 30 mai 2023, lequel lui permettrait de circuler librement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et à l’intérieur de l’espace Schengen.

Il conclut que l’interdiction d’entrée sur le territoire prononcée à son encontre ne serait pas justifiée, de sorte que la décision ministérielle du 18 octobre 2020 devrait être annulée.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision litigieuse, et plus particulièrement de la compétence du ministre pour prendre ladite décision, il échet de relever que même si le fait de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, encore faut-il que le demandeur développe le moyen à la base de sa contestation. Or, dans la mesure où, en l’espèce, le demandeur n’a pas autrement développé sa contestation et où le tribunal n’a pas à répondre à un moyen simplement suggéré sans être développé, le moyen afférent est rejeté.

En ce qui concerne ensuite la légalité interne de la décision litigieuse, le tribunal relève que, lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de 5vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée2 et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés3.

En l’espèce, le tribunal est amené à constater que l’arrêté ministériel litigieux, s’il constitue un acte unique, comporte cependant un double volet, à savoir, premièrement, une décision de retour prise sur le fondement de l’article 100 de la loi du 29 août 2008, soit une « décision du ministre déclarant illégal le séjour d’un ressortissant de pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de quitter le territoire », conformément à l’article 3, point h) de la même loi, et, deuxièmement, une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans prise sur base de l’article 112 de la même loi.

Il échet à cet égard de constater que si le recours semble a priori limité au volet d’une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois, le demandeur conteste toutefois également le caractère irrégulier de son séjour en affirmant que son titre de séjour italien valable jusqu’au 30 mai 2023 lui permettrait de séjourner sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, de sorte que le tribunal est amené à statuer tant sur la légalité de la décision de retour, que sur la légalité de la décision portant interdiction d’entrés sur le territoire En ce qui concerne tout d’abord la décision de retour, l’article 100 de la loi du 29 août 2008, sur lequel ladite décision est, entre autres, basée, dispose que :

« (2) Les étrangers en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois qui sont titulaires d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre Etat membre sont tenus de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre Etat membre. En cas de non-respect de cette obligation ou lorsque le départ immédiat est requis pour des motifs relevant de l’ordre public ou de la sécurité nationale, une décision de retour est prise. […] ».

Il se dégage de la disposition légale précitée que les étrangers, titulaires d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre Etat membre, sont tenus de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre Etat membre lorsqu’ils se trouvent en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, et qu’à défaut, une décision de retour est prise à leur encontre, de sorte qu’il y a d’ores et déjà lieu de rejeter l’affirmation non autrement soutenue par le demandeur, suivant laquelle son titre de séjour italien serait à lui seul suffisant pour constater son séjour régulier sur le territoire luxembourgeois, le demandeur devant, en effet, également justifier les conditions relatives au séjour régulier sur le territoire luxembourgeois.

L’article 100 de la loi du 29 août 2008 dispose à cet égard que :

« (1) Est considéré comme séjour irrégulier sur le territoire donnant lieu à une décision de retour, la présence d’un ressortissant de pays tiers:

a) qui ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l’article 34; […] ».

2 Cour adm., 17 juin 1997, n°9481C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 38 (1er tiret) et les autres références y citées.

3 Cour adm., 4 mars 1997, n° 9517C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 38 (2e tiret) et les autres références y citées.

6 L’article 34 de la loi du 29 août 2008 prévoit quant à lui :

« (1) Pour entrer sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et pour le quitter, le ressortissant de pays tiers doit être muni d’un document de voyage valable et le cas échéant du visa requis, tels que prévus par les conventions internationales et la réglementation communautaire.

(2) Il a le droit d’entrer sur le territoire et d’y séjourner pour une période allant jusqu’à trois mois sur une période de six mois, s’il remplit les conditions suivantes:

1. être en possession d’un passeport en cours de validité et d’un visa en cours de validité si celui-ci est requis;

2. ne pas faire l’objet d’un signalement aux fins de non-admission sur base de l’article 96 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 et être signalé à cette fin dans le Système d’Information Schengen (SIS);

3. ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire;

4. ne pas être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales du Grand-Duché de Luxembourg ou de l’un des Etats parties à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant le Grand-Duché de Luxembourg;

5. justifier l’objet et les conditions du séjour envisagé, et justifier de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie, ou justifier de la possibilité d’acquérir légalement ces moyens et disposer d’une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire. Un règlement grand-ducal définit les ressources exigées et précise les conditions et les modalités selon lesquelles la preuve peut être rapportée.

(3) Si le ressortissant de pays tiers déclare vouloir séjourner sur le territoire pour une période allant jusqu’à trois mois dans le cadre d’une visite familiale ou privée, la preuve du caractère suffisant des ressources personnelles peut être rapportée par la production d’une attestation de prise en charge ou par des lettres de garantie émises par un institut bancaire. ».

Les conditions prévues à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 29 août 2008 devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisante pour conclure que le demandeur se trouve en séjour irrégulier.

En l’espèce, il résulte des éléments du dossier administratif qu’au jour de la décision déférée, le demandeur n’était pas en possession d’un visa en cours de validité et ne justifiait, par ailleurs, ni l’objet ni les conditions de son séjour envisagé, de même qu’il ne justifiait pas de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays dans lequel son admission est garantie, ou justifierait de la possibilité d’acquérir légalement ces moyens et disposerait d’une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire. Il en résulte que les conditions prévues à l’article 34, paragraphe (2), points 1 et 5 de la loi du 29 août 2008 n’étaient pas remplies par le demandeur au jour de la décision déférée, étant rappelé à cet égard que le fait de ne pas remplir une des conditions prévues au paragraphe (2) de l’article 34 de la loi du 29 août 2008 entraîne de plano l’irrégularité du séjour d’un ressortissant d’un pays tiers.

Dès lors, le ministre a, en application de l’article 100 de la loi 29 août 2008, valablement pu prendre une décision de retour à l’encontre de Monsieur …, de sorte que les contestations afférentes de l’intéressé encourent le rejet.

7 En ce qui concerne ensuite l’interdiction d’entrée sur le territoire prise à l’encontre du demandeur, l’article 112, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 dispose que : « (1) Les décisions de retour peuvent être assorties d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée maximale de cinq ans prononcée soit simultanément à la décision de retour, soit par décision séparée postérieure. Le ministre prend en considération les circonstances propres à chaque cas. Le délai de l’interdiction d’entrée sur le territoire peut être supérieur à cinq ans si l’étranger constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale. […] ».

Le tribunal est amené à retenir, dans ce contexte, que selon la jurisprudence de la Cour administrative4, l’article 112 de la loi du 29 août 2008 est à interpréter en ce sens que le ministre est obligé d’assortir automatiquement une décision de retour ne comportant pour l’intéressé aucun délai de départ d’une décision d’interdiction d’entrée, que le terme « peuvent », utilisé dans ledit article 112, vise le seul choix à effectuer par le ministre de prendre une telle décision simultanément avec la décision de retour ou par un acte séparé, conformément à l’article 6, paragraphe (6) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, et que l’obligation faite par le même article 112 de prendre en considération les circonstances propres à chaque cas se rapporte essentiellement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre dans la fixation de la durée de l’interdiction d’entrée.

L’article 112, paragraphe (1), précité, au regard de l’interprétation retenue par la Cour administrative, oblige donc le ministre à assortir une décision de retour d’une interdiction d’entrée sur le territoire dont la durée ne peut, en principe, pas excéder cinq ans, sauf dans l’hypothèse où l’intéressé constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale, de sorte que le ministre devait, en l’espèce, au regard de l’irrégularité de la situation du demandeur sur le territoire luxembourgeois et de l’ordre de quitter ledit territoire sans délai, obligatoirement prononcer une interdiction d’entrée sur le territoire à son encontre.

Il s’ensuit que le principe d’une interdiction d’entrée sur le territoire prise à l’égard de Monsieur … n’est a priori pas sujet à critique.

Si le demandeur entend contester la légalité de l’interdiction d’entrée prononcée à son encontre en affirmant qu’il ne constituerait pas une menace pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, c’est encore à bon droit que le délégué du gouvernement souligne que l’existence dans le chef du demandeur d’une telle menace n’est à prendre en considération que dans le cas où le ministre envisage de prononcer une interdiction d’entrée pour une durée supérieure à cinq ans, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, de sorte que le moyen du demandeur est à rejeter pour ne pas être fondé.

En l’absence d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, 4 Cour adm., 11 octobre 2018, n° 40795C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 727 et les autres références y citées.

8le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 18 octobre 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 octobre 2022 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 45475
Date de la décision : 18/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-10-18;45475 ?

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