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04/10/2022 | LUXEMBOURG | N°45523

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 octobre 2022, 45523


Tribunal administratif N° 45523 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:45523 3e chambre Inscrit le 18 janvier 2021 Audience publique du 4 octobre 2022 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en matière d’inscription au registre des titres

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45523 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2021 par Maître Laura MAY, avoca

t à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …,...

Tribunal administratif N° 45523 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:45523 3e chambre Inscrit le 18 janvier 2021 Audience publique du 4 octobre 2022 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en matière d’inscription au registre des titres

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45523 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2021 par Maître Laura MAY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’un arrêté du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 24 juillet 2020 portant refus d’inscription au registre des titres prévu à l’article 66 de la loi modifiée du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles de son titre de « Master of Business Administration (MBA) ; major : International Hospitality and Luxury Brand Management », lui délivré en date du 19 avril 2019 par l’établissement de formation « CMH European Center of International Hotel Management », ainsi que de la décision confirmative de refus du même ministre du 27 octobre 2020 intervenue sur recours gracieux introduit le 18 septembre 2020 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 avril 2021 ;

Vu le mémoire en réplique, erronément intitulé « mémoire en réponse », déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2021 par Maître Laura MAY au nom et pour le compte de Madame …, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en sa plaidoirie à l’audience publique du 7 juin 2022.

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En date du 19 avril 2019, Madame … se vit délivrer le titre de « Master of Business Administration (MBA) ; major : International Hospitality and Luxury Brand Management », par l’établissement de formation « CMH European Center of International Hotel Management » de Paris, ci-après désigné par « le CMH ».

Le 19 juin 2020, Madame … introduisit, auprès du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après désigné par « le ministre », une demande d’inscription de son titre prévisé de « Master of Business Administration (MBA) ; major : International Hospitality and Luxury Brand Management» au registre des titres de formation, section de 1 l’enseignement supérieur, tel que prévu à l’article 66 de la loi modifiée du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, ci-après désignée par « la loi du 28 octobre 2016 ».

Par arrêté du 24 juillet 2020, le ministre refusa de faire droit à la demande lui ainsi soumise par Madame …, sur base des motifs et considérations suivantes :

« Vu la loi du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, et notamment ses articles 66 à 69 ;

Vu le règlement grand-ducal du 17 février 2017 relatif à la reconnaissance des qualifications professionnelles, et notamment ses articles 9 et 10 ;

Vu la demande présentée par Madame …, née le … à …, et les pièces produites à l’appui de cette demande ;

Vu le titre de formation délivré au requérant par l’établissement de formation ʺCMH European Center of International Hotel Management" (FRANCE) en avril 2019 et lui conférant le titre de "Master of Business Administration (MBA) ; major : International Hospitality and Luxury Brand Management" ;

Considérant que le titre de formation susvisé n’est pas reconnu en France comme relevant de l’enseignement supérieur ;

Arrête :

Art. 1er. L’inscription au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, du titre de formation "Master of Business Administration (MBA) ; major :

International Hospitality and Luxury Brand Management " de Madame … est refusée […] ».

Par courrier de son mandataire du 18 septembre 2020, Madame … fit introduire un recours gracieux contre la prédite décision ministérielle du 24 juin 2020.

Le 27 octobre 2020, le ministre rejeta le recours gracieux introduit par Madame … et confirma sa décision du 24 juin 2020 dans les termes suivants :

« […] En réponse à votre courrier du 18 septembre 2020 concernant l’inscription au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, des titres de formation de « Bachelor of Science in International Hospitalité Management » délivré en avril 2018, et de « Master of Business Administration (MBA) ; major : International Hospitalité and Luxury Brand Management », à Madame …, je suis au regret de vous informer qu’il n’y a pas d’élément nouveau permettant une réouverture du dossier de Madame ….

Tout d’abord, je tiens à préciser que les procédures d’inscriptions au registre des titres de formation et d’octroi de l’aide financière pour études supérieures sont réglementées par des bases légales différentes. Le fait qu’une aide financière pour études supérieures a été accordée ne donne pas droit d’office à une inscription au registre des titres de formation, et vice versa. Le principe de la légitime confiance, auquel vous faites référence dans votre 2 argumentaire, a été certes appliqué en relation avec l’attribution de l’aide financière à Madame …, mais n’a aucune incidence sur l’inscription au registre de formation.

S’il est certes vrai que le titre de formation de « Master of Business Admnistration (MBA) in International Hospitality and Luxury Brand Management » est un diplôme certifié par l’Etat niveau I (bac + 5) et inscrit au RNCP publié au Journal Officiel du 14 avril 2012 sous le titre de "Directeur/Directrice d’établissement de luxe dans le secteur de l’hôtellerie", toujours est-il que la procédure d’inscription au Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP) est une classification, par niveaux et spécialités, des titres délivrés par des organismes qui en font la demande. Le fait qu’un diplôme soit homologué, respectivement inscrit au RNCP, n’équivaut donc aucunement à un visa par l’Etat français.

Dès lors l’inscription au RNCP n’équivaut pas à une reconnaissance académique du programme d’études comme diplôme national conférant un grade ou titre universitaire de niveau bachelor et master, mais équivaut à une reconnaissance du niveau de qualification professionnelle qui est certifié par l’Etat français.

Les titres de formation de Madame …, cités au premier alinéa de la présente sont des certificats d’établissement qui sont délivrés sous la responsabilité de l’établissement en question contrairement aux diplômes nationaux qui sont délivrés au nom de l’Etat, et qui confèrent des grades ou titres universitaires.

Lesdits titres ne peuvent de ce fait pas être considérés comme étant délivrés conformément aux lois et règlements régissant l’enseignement supérieur en France, au sens des dispositions de la loi du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, et notamment ses articles 66 à 69 (voir dans ce sens, décision du Tribunal administratif du 20 juin 2017, n° du rôle 38.372 et arrêt de la Cour administrative du 27 février 2018, n° du rôle 39.954C ; décision du Tribunal administratif du 14 décembre 2015, n° du rôle 35.733 et décision du Tribunal administratif du 2 mars 2011, n° du rôle 27.000).

Par conséquent, il n’y a pas lieu de revenir sur mes décisions du 24 juin 2020 et du 24 juillet 2020 refusant l’inscription au registre des titres de formation de Madame …. […] ».

Par requête déposée en date du 18 janvier 2021 au greffe du tribunal administratif, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre du 24 juin 2020 portant refus d’inscription au registre des titres prévu à l’article 66 de la du 28 octobre 2016 de son titre de « Master of Business Administration (MBA) ; major : International Hospitality and Luxury Brand Management », lui délivré en date du 19 avril 2019 par l’établissement de formation CMH, ainsi que de la décision confirmative de refus précitée du 27 octobre 2020.

Etant donné que l’article 68, paragraphe (4) de la loi du 28 octobre 2016 prévoit un recours en annulation contre les décisions d’inscription au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, le tribunal administratif est incompétent pour statuer sur le recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est, quant à lui, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Madame … rappelle les faits et rétroactes tels que retranscrits ci-avant, tout en soulignant que pendant toute la durée de ses études auprès de 3 l’établissement de formation CMH, à savoir de 2013 à 2019, elle se serait vue octroyer une aide financière pour études supérieures par l’Etat luxembourgeois.

En droit, Madame … se prévaut en premier lieu d’une violation de l’article 66 de la loi du 28 octobre 2016 en arguant que son diplôme remplirait la condition d’éligibilité prévue par l’article 68 de la même loi, de sorte que le ministre n’aurait pas valablement pu refuser son inscription au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur.

A l’appui de ses conclusions, la demanderesse explique que la directrice de l’établissement de formation CMH aurait certifié dans une attestation établie le 8 janvier 2018 que (i) le programme d’enseignement supérieur en question serait sanctionné par un diplôme de Niveau 1 (Bac +5), inscrit au Répertoire National des Certifications Professionnelles, ci-

après désigné par « le RNCP », sous le titre de « Directeur/Directrice d’établissement de luxe dans le secteur de l’hôtellerie », lequel correspondrait à une certification professionnelle de l’Etat français et qui ferait l’objet d’un arrêté ministériel français, (ii) l’établissement de formation en question serait est placé sous l’autorité du ministère de l’Education nationale français et du ministère du Travail et de l’Emploi français, (iii) appliquerait les normes européennes conformément à l’accord de Bologne depuis 2002 et serait référencée au « Datadock » et (iv) le programme de formation serait accrédité au niveau international par le « European Council for Business Administration (ECBE) » et le « Accrediting Council for Business Schools and Programs (ACBSP) ».

Il s’ensuivrait que le diplôme de Master litigieux serait reconnu par l’Etat français, de sorte que les décisions entreprises seraient illégales et devraient encourir l’annulation.

Dans un deuxième temps, la demanderesse conclut à l’annulation des décisions litigeuses pour excès de pouvoir et violation des principes de confiance légitime et de cohérence.

A cet égard, elle précise que l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, ci-après désignée par « la loi du 24 juillet 2014 », ainsi que l’article 68 de la loi du 28 octobre 2016, appliqueraient le même critère, à savoir celui du respect des lois et règlements régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre est conféré.

Elle donne encore à considérer que ce même critère légal aurait déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de l’administration luxembourgeoise dans le cadre de l’attribution des aides financières de l’Etat pour aides supérieures, la demanderesse se référant à cet égard à une question parlementaire du 18 novembre 20141, de sorte que d’après la jurisprudence en la matière2, le principe de confiance légitime serait appelé à s’appliquer en l’espèce.

Dans la mesure où elle aurait accompli ses études auprès du même établissement d’enseignement supérieur depuis l’année académique 2013/2014 et aurait bénéficié d’une aide financière pour études supérieures durant toutes ces années, l’Etat luxembourgeois aurait créé une situation de fait constante et apparente, qui lui aurait laissé croire qu’elle remplirait le critère prévu par les prédites dispositions légales.

1 Question parlementaire n°713 du 18 novembre 2014, de Madame ANDRICH-DUVAL.

2 Cour adm., 2 avril 2015, n°35541C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

4 Elle aurait dès lors eu une confiance légitime dans le maintien de cette appréciation par l’Etat et le refus soudain de l’inscription de son diplôme sur le registre des titres de formation constituerait un revirement brusque et imprévisible de la part de l’Etat lequel lui serait préjudiciable.

Madame … ajoute que si l’Etat lui avait, dès le début, refusé une aide financière pour études supérieures, elle aurait pu prendre ses dispositions et, le cas échéant, changer d’établissement de formation.

En donnant encore à considérer que les décisions ministérielles sous analyse porteraient atteinte à son avenir professionnel dans la mesure où elles l’empêcheraient de postuler pour un grand nombre de postes, la demanderesse conclut au caractère fondé de son recours.

Dans son mémoire en réplique, erronément intitulé mémoire en réponse, la demanderesse donne encore à considérer que mêmes l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 24 juillet 2014 et l’article 66 de la loi du 28 octobre 2016 ne seraient pas libellés de façon identique, il n’en resterait pas moins que la ratio legis de ces deux dispositions légales serait la même à savoir faire bénéficier les administrés, dont la formation fait partie de l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre a été conféré, des aides financières pour études supérieures, respectivement de l’inscription de leurs diplômes dans le registre des titres de formation.

Elle ajoute que si dans le cadre du présent recours la partie étatique aurait conclu que le fait qu’elle aurait bénéficié d’une aide financière serait dû à une erreur administrative basée sur une interprétation erronnée de la loi du 24 juillet 2014, une telle affirmation serait toutefois contraire à la réponse donnée par le ministre à prédite question parlementaire, réponse dans le cadre de laquelle celui-ci aurait soutenu que le changement d’attitude de son administration face aux aides financières n’aurait été dû qu’au simple fait que celle-ci avait désormais opté pour une interprétation plus stricte de la loi. La demanderesse en conclut que la partie étatique manquerait de cohérence dans ses propos ainsi que dans l’application des principes généraux de droit et des lois.

En ce qui concerne ses conclusions relatives à l’illégalité des décisions ministérielles litigieuse et un excès de pouvoir du ministre, la demanderesse insiste sur l’application du principe de confiance légitime lequel serait le corolaire du principe de la sécurité juridique et dont la finalité serait de protéger l’administré contre un département brusque de la part de l’administration dans l’application d’une certaine règle de droit.

A cet égard, elle fait encore plaider que si la partie étatique lui opposait actuellement qu’aucune croyance légitime ne saurait exister si le comportement antérieur de l’administration publique était, comme en l’espèce, illégal, il résulterait toutefois des propos du ministre dans le cadre de la prédite question parlementaire que l’administration avait tout simplement adopté une interprétation plus large, mais légale de la prédite loi. Or, en vertu du principe de l’estoppel qui constituerait une application du concept de confiance légitime, personne ne pourrait se contredire au détriment d’autrui, la demanderesse se référant à cet égard encore à un jugement du tribunal administratif du 26 mai 2014, n° 32374 du rôle.

5 En affirmant encore que tant le principe de confiance légitime que celui de l’estoppel continueraient à s’appliquer dans des situations contra legem, la demanderesse conclut que le ministre aurait violé ces mêmes principes, de sorte qu’il y aurait lieu de prononcer l’annulation des décisions litigieuses.

La partie étatique conclut, quant à elle, au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.

Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés, étant précisé que le tribunal ne peut prendre en considération que les éléments se rapportant à la situation de fait telle qu’elle existait au jour de la décision attaquée à laquelle le tribunal doit limiter son analyse dans le cadre du recours en annulation dont il est saisi.

Aux termes de l’article 68 de la loi du 28 octobre 2016 « (1) Nul ne peut publiquement porter le titre d’un grade d’enseignement supérieur, si le diplôme suivi du nom de l’établissement d’enseignement supérieur ainsi que l’appellation du titre conféré n’ont pas été inscrits au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur.

(2) Pour être inscrits au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, les diplômes, titres et grades de l’enseignement supérieur doivent sanctionner un cycle complet d’études et correspondre aux lois et règlements régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre a été conféré. […] ».

Il résulte de cette disposition que l’inscription au registre des titres d’enseignement supérieur est subordonnée à la double condition que le titre en question sanctionne un cycle complet d’études et qu’il corresponde aux lois et règlements du pays régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre a été conféré. Il ressort de la jurisprudence des juridictions administratives, qu’à cette fin, le ministre compétent est appelé à constater si le diplôme, dont l’inscription au registre est demandée, représente un titre d’enseignement supérieur légalement conféré, en prenant exclusivement en considération la législation régissant l’enseignement supérieur de l’Etat de délivrance dudit diplôme3, sans cependant que sa compétence implique une appréciation des études accomplies.

Ainsi, le pouvoir du ministre n’est pas discrétionnaire, mais il doit examiner si le document qui lui est soumis remplit les conditions requises pour être inscrit au registre des titres d’enseignement supérieur, ce qui implique qu’il doit contrôler le niveau des études et la qualité du document qui les sanctionne.

En l’espèce, le ministre n’a pas remis en cause le fait que le diplôme en question sanctionne un cycle complet d’études. La question litigieuse entre les parties est celle de savoir si le diplôme de Madame … correspond « aux lois et règlements régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre a été conféré », tel que prescrit par l’article 68, paragraphe (2), de la loi du 28 octobre 2016.

3 Trib. adm., 6 avril 2000, n° 11570, confirmé par arrêt du 24 octobre 2000, n° 11984C, Pas. adm. 2021, V° Autorisation d’établissement, n° 89 et les autres références y citées.

6 Il convient encore de relever que dans la mesure où les actes administratifs individuels bénéficient d’une présomption de légalité, il appartient à la demanderesse de justifier, au regard de la législation française, applicable au moment de la délivrance de son diplôme, que son diplôme a été délivré conformément aux lois et règlements français en matière d’enseignement supérieur, notamment à travers un certificat des autorités compétentes françaises relativement à la reconnaissance de la formation qu’elle a suivie en tant que cycle d’études relevant du système d’enseignement supérieur.

Force est de constater, qu’à cette fin, Madame … se prévaut d’une attestation établie par la directrice de l’établissement de formation CMH.

S’il résulte certes dans un premier temps de ladite attestation que ledit diplôme de Master était inscrit au RNCP, cette circonstance ne saurait en tout état de cause justifier son inscription au registre des titres de formation.

En effet, il y a lieu de relever qu’à côté des diplômes qui sont inscrits de plein droit au RNCP, tels que les diplômes nationaux, délivrés au nom de l’Etat, à vocation professionnelle, les titres ou certificats d’écoles délivrés par un établissement privé, reconnu ou non par l’Etat français, en son nom peuvent également être inscrits, sur demande et après examen par une commission, au RNCP. Les inscriptions sur demande de formations dans ce répertoire sont effectuées suite à une évaluation par la commission nationale des certifications professionnelles, ci-après désignée par « la CNCP », des titres et des certificats d’écoles menant à un métier, étant relevé que la CNCP, évalue non pas la qualité de la formation mais s’intéresse aux compétences nécessaires pour exercer un métier et à l’insertion professionnelle. Les titres privés enregistrés au répertoire national, bien que certifiés à un niveau de qualification, ne sont toutefois pas, du seul fait de leur inscription, académiquement équivalents à des diplômes délivrés par les ministères de l’Education nationale ou de l’Enseignement supérieur. Ainsi, une inscription au RNCP confère seulement à un titre une valeur professionnelle et son niveau de qualification, sans que cette inscription n’entraîne la délivrance par l’Etat d’un grade universitaire, l’inscription au RNCP ne garantissant que le niveau de la qualification professionnelle, mais non son niveau académique4.

Il ressort ainsi des informations disponibles sur le site d’internet de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (ONISEP), établissement public sous tutelle du ministère de l’Education nationale français, que « Les diplômes nationaux sont délivrés le plus souvent au nom du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, mais aussi d’autres ministères » et qu’ils ne sont pas à confondre avec un « diplôme d’université » qui « est un diplôme d’établissement (non national) dont l’université est la seule initiatrice. Il en existe à différents niveaux et de différentes durées mais ne bénéficient d’aucune reconnaissance nationale. Cependant, ils peuvent être enregistrés, à la demande de l’université, au RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) »5.

Il convient, par ailleurs, de souligner qu’il ressort de l’article L613-2 du code de l’éducation français que « Les établissements peuvent aussi organiser, sous leur 4 Trib. adm. 18 décembre 2019, n° 42090 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

5 Trib. adm. 17 mars 2021, n° 43013 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

7 responsabilité, des formations conduisant à des diplômes qui leur sont propres ou préparant à des examens ou des concours », la CNCP précisant quant à elle à cet égard que « le niveau mentionné pour une certification permet de positionner celle-ci par rapport à l’emploi ; il ne signifie pas pour autant qu’il y a équivalence avec le diplôme de l’éducation nationale utilisé comme référent. »6.

Au vu de ces éléments, il n’est pas établi en cause que l’inscription au RNCP, au-delà d’une simple classification des diplômes aux fins d’accessibilité aux personnes et aux entreprises, conférerait une quelconque reconnaissance académique officielle à un diplôme en France.

Force est ensuite de constater qu’il résulte encore de l’attestation dont se prévaut la demanderesse que le CMH se trouve sous l’autorité du ministère de l’Education nationale français ainsi que du ministère du Travail et de l’Emploi français, qu’il applique les normes européennes suite à l’accord de Bologne et que le « MBA in International and Luxury Brand Management » est accrédité au niveau international par l’« European Council for Business Admnistration », ainsi que par l’« Accrediting Council for Business Schools and Programs ».

Ces précisions, outre de ne laisser conclure à l’existence d’une reconnaissance académique par les autorités françaises du titre litigieux, manquent en tout état de cause de valeur probante pour ne pas émaner d’une autorité administrative compétente, mais d’une responsable de l’établissement de formation CMH même, de sorte à constituer de simples « auto certifications ».

Ainsi, et même à admettre que le diplôme de Master litigieux bénéficie d’une inscription au RNCP, quod non, il ne ressort pas des pièces soumises au tribunal qu’il soit lui-même considéré comme un diplôme relevant de l’enseignement supérieur français et conférant à son titulaire un des titres, grades et diplômes définis à l’article 69 du cadre luxembourgeois des qualifications de la loi du 28 octobre 2016, étant encore relevé à cet égard que ce même diplôme ne comporte aucun visa de l’Etat français.

Au vu des considérations qui précèdent, la demanderesse n’a pas renversé la présomption de légalité dont est affecté l’arrêté ministériel litigieux, de sorte qu’il y a lieu de retenir que le ministre pouvait valablement refuser l’inscription dudit diplôme au registre des titres d’enseignement supérieur au motif que ledit diplôme n’a pas été délivré conformément aux lois et règlements français au sens de l’article 68, paragraphe (2), de la loi du 28 octobre 2016.

Cette conclusion n’est pas énervée par les développements de la demanderesse relatifs à une prétendue violation du principe de confiance légitime, respectivement du principe de l’estoppel et un excès de pouvoir de la part du ministre.

En effet, et indépendamment de la question de savoir si c’est à bon droit que la concernée a bénéficié des aides financières de l’Etat pour études supérieures, il convient de souligner que le principe général de la confiance légitime s’apparente au principe de la sécurité juridique et a été consacré tant par la jurisprudence européenne en tant que principe du droit européen, que par la jurisprudence nationale en tant que principe général du droit.

6 Trib. adm., 14 décembre 2015, n° 35733 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

8 Ce principe général du droit tend à ce que les règles juridiques ainsi que l’activité administrative soient empreintes de clarté et de prévisibilité, de manière à ce qu’un administré puisse s’attendre à un comportement cohérent et constant de la part de l’administration dans l’application d’un même texte de l’ordonnancement juridique par rapport à une même situation administrative qui est la sienne.

Il y a lieu de rappeler, d’une manière générale, qu’un administré ne peut prétendre au respect d’un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives, justifiées ou non, l’autorité administrative a créé à son profit une situation administrative acquise et réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef. Ce n’est qu’à cette condition que peut naître dans le chef d’un administré la confiance légitime que l’administration respectera la situation par elle créée, les deux notions de droits acquis et de légitime confiance étant voisines.

C’est ainsi que lorsqu’un particulier diligent est surpris du fait qu’il s’est raisonnablement fié au « pré-comportement » objectif de la personne publique, et n’est dès lors pas en mesure de prévoir l’adoption - ou la modification - soudaine d’une disposition de nature à affecter ses intérêts, la « légitimité » de sa confiance subjective peut être présumée, et ce avec d’autant plus de force lorsqu’existent des dispositions concrètes et objectives indéniablement prises dans la confiance. Cette dernière condition en particulier - l’existence de dispositions concrètes et objectives prises dans la confiance - présuppose plus précisément l’existence d’une relation étroitement personnelle entre l’administré et l’administration tel que notamment un acte administratif individuel créateur de droits ou encore une décision individuelle d’ordre pécuniaire.

Ainsi, ce principe général s’entend comme étant la confiance que les destinataires de règles et de décisions sont normalement en droit de porter envers la stabilité, au moins pour un certain temps, inhérente à la situation dont s’agit sur la base de ces règles et de ces décisions. La constance des rapports entre l’administration et l’administré se dégageant de la sorte ne vaut cependant que rebus sic stantibus, c’est-à-dire toutes choses restant égales par ailleurs, tant que le cadre juridique et factuel reste le même7. Le principe général du droit de la confiance légitime qui protège l’administré contre les changements brusques et imprévisibles de l’administration ne joue cependant pas au cas où la pratique antérieure suivie par l’administration n’était pas conforme à la loi8.

Force est tout d’abord de constater que dans la mesure où l’autorité administrative luxembourgeoise ne dispose pas d’une véritable marge d’appréciation quant à la question de la qualification des études supérieures pertinentes, laquelle relève des autorités compétentes étatiques en matière d’enseignement supérieur du pays où les études sont effectuées, par hypothèse en dehors du Grand-Duché, le principe général de confiance légitime ne trouve pas une assiette utile dans le cas d’espèce9.

Il convient par ailleurs de relever que les décisions accordant à Madame … l’aide financière de l’Etat pour études supérieures ont été prises en vertu de la loi modifiée du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, entretemps abrogée, 7 Cour adm., 2 avril 2015, n° 35541C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Lois et règlements, n° 53 et les autres références y citées.

8 Trib. adm., 9 juin 1997, n° 9781 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 428 et les autres références y citées.

9 Cour adm., 16 février 2017, n° 38392C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Enseignement, n° 100 et l’autre référence y citée.

9 respectivement, de la loi modifiée du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, tandis que la décision actuellement litigieuse se base sur les dispositions de la loi du 28 octobre 2016, de sorte que, s’agissant de deux textes légaux différents, ayant un objet différent, la demanderesse n’est pas fondée à invoquer le principe de confiance légitime dans son chef, ledit principe vise, tel que précisé ci-avant, le comportement cohérent de l’administration dans l’application d’un même texte de l’ordonnancement juridique par rapport à une même situation administrative.

Même à admettre, tel que soutenu par la demanderesse, que les législations concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures et l’inscription au registre des titres sont analogues dans la mesure où l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures dispose, dans sa version au moment de la délivrance du diplôme litigieux à Madame …, que : « Pour être éligible à l’aide financière dans le cadre de la présente loi, l’étudiant doit être inscrit à temps plein ou à temps partiel dans un cycle d’études supérieures dont la réussite confère un diplôme, titre, certificat ou grade de l’enseignement supérieur correspondant aux lois et règlements régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre est conféré. Le cycle d’études doit être reconnu par l’autorité compétente de cet Etat comme relevant de son système d’enseignement supérieur. » et prévoit partant des conditions quasi identiques à celles prévues à l’article 68, paragraphe (2), précité, de la loi du 28 octobre 2016, il n’en reste pas moins que les procédures d’octroi d’une étude financière et celle de l’inscription au registre des titres sont différents tant de par leur objet que de par leur base légale, de sorte que la demanderesse ne saurait conclure à une l’application et a fortiori à une violation du principe de confiance légitime, voire du principe de l’estoppel.

Il s’ensuit que les développements de la demanderesse relatifs à un excès de pouvoir du ministre sont à rejeter pour ne pas être fondés.

Il suit des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Eu égard à l’issue du litige, la demande en paiement d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives d’un montant de 3.000 euros est rejetée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit à titre subsidiaire contre l’arrêté du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 24 juin 2020 portant refus d’inscription au registre des titres prévu à l’article 66 de la loi modifiée du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles du titre de « Master of Business Administration (MBA) ; major : International Hospitality and Luxury Brand Management», délivré à Madame … en date du 19 avril 2019 par l’établissement de formation « CMH European Center of International Hotel Management », ainsi que contre la décision 10 confirmative de refus du 27 octobre 2020 intervenue sur recours gracieux introduit le 18 septembre 2020 ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 octobre 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 octobre 2022 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 45523
Date de la décision : 04/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-10-04;45523 ?

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