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27/09/2022 | LUXEMBOURG | N°47885

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 septembre 2022, 47885


Tribunal administratif N° 47885 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:47885 3e chambre Inscrit le 31 août 2022 Audience publique du 27 septembre 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47885 du rôle et déposée le 31 août 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FA

THOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au ...

Tribunal administratif N° 47885 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:47885 3e chambre Inscrit le 31 août 2022 Audience publique du 27 septembre 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47885 du rôle et déposée le 31 août 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Pakistan), de nationalité afghane, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Findel (SHUF), sise à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 août 2022 de le transférer vers l’Italie, comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley FREYERMUTH, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 septembre 2022.

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Le 26 avril 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant été appréhendé en Italie en date du 31 janvier 2022.

Le 27 avril 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères 1et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du 2 mai 2022, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à la structure d’hébergement d’urgence du Findel (SHUF), pour une durée de trois mois, mesure qui fut prorogée pour une nouvelle durée de trois mois par arrêté du ministre du 2 août 2022, notifié le même jour.

Le 30 mai 2022, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues italiens une demande de prise en charge de Monsieur …, sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Le 3 août 2022, les autorités luxembourgeoises informèrent leurs homologues italiens, qu’elles considéraient l’Italie comme ayant tacitement accepté la prise en charge de Monsieur … en date du 31 juillet 2022, en application de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III.

Par décision du 23 août 2022, notifiée le 24 août 2022, le ministre informa l’intéressé du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions des articles 13, paragraphe (1) et 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 26 avril 2022 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 13(1) et 22(7) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 26 avril 2022 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 27 avril 2022.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 26 avril 2022, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 31 janvier 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 27 avril 2022.

2 Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 30 mai 2022 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l’article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut tacitement acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 31 juillet 2022, conformément à l’article 22(7) du règlement DIII.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un Etat membre dans lequel il est entré en venant d’un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, conformément à l’article 13(1) du règlement DIII.

La responsabilité de l’Italie est acquise suivant l’article 22(7) du règlement DIII en ce que l’absence de réponse à l’expiration d’un délai de deux mois équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée.

En application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d’analyser s’il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d’entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n’est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 26 avril 2022 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 31 janvier 2021.

3 Selon vos déclarations, vous auriez quitté l’Afghanistan en août 2021. Vous seriez resté à Téhéran/lran pendant quatre mois avant de partir en Turquie. Après un séjour de deux mois à Istanbul, vous seriez monté à bord d’une embarcation en direction de l’Italie et vous auriez été déposé en Sicile. Vous auriez quitté l’Italie après une semaine sans introduire une demande de protection internationale et vous vous seriez rendu au Luxembourg en train en passant par la France.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 27 avril 2022, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous déclarez avoir quitté l’Italie sans introduire une demande de protection internationale parce qu’il n’y aurait pas de travail et parce que vous n’auriez personne en Italie.

Rappelons à cet égard que l’Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S’il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d’importantes difficultés sur le plan de l’hébergement et des conditions de vie, il n’y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu’il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte UE.

Notons dans ce contexte que l’Italie a adopté en date du 21 octobre 2020 le décret n°130/2020 qui remplace la loi n° 132/2018 du 1er décembre 2018 et met en place le SAI (Sistema di accoglienza e integrazione). Ce nouveau système en matière d’accueil et d’intégration a réformé le système établi en 2018 et permet depuis lors d’améliorer l’accueil pour les demandeurs de protection internationale.

Par conséquent, en l’absence d’une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l’Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d’accueil fixées dans la directive Accueil.

4Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de I’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l’application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers l’Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Italie, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devait s’avérer nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n’ont pas été constatées. […] ».

5 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 août 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance auquel le tribunal est seul tenu, à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 23 août 2022.

L’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, introduit par la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, publiée au Mémorial en date du 1er juillet 2021, prévoit dorénavant un recours en réformation, suspensif de plein droit, contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi.

Or, tel que retenu ci-avant et relevé à juste titre par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, Monsieur … a introduit un recours tendant à la seule annulation de la décision ministérielle du 23 août 2022.

L’introduction d’un recours en annulation dans une matière prévoyant un recours au fond n’est pas de nature à entraîner l’irrecevabilité du recours, alors qu’il est de jurisprudence constante que si, dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité et à condition d’observer les règles de procédure spéciales pouvant être prévues et des délais dans lesquels le recours doit être introduit1.

Le recours en annulation est partant recevable dans la mesure des moyens d’annulation soulevés, ledit recours ayant été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et après avoir rappelé les faits et rétroactes de l’affaire, Monsieur … fait valoir qu’il n’aurait pas pu effectivement déposer une demande de protection internationale en Italie, en raison des conditions d’accueil extrêmement précaires qui existeraient dans ce même pays. Il aurait, en effet, été abandonné par les autorités italiennes sans avoir été entendu sur les motifs de sa demande de protection internationale, voire les procédures à suivre, de sorte qu’il aurait été contraint de quitter l’Italie.

Il invoque dans ce contexte en premier lieu une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et des articles 3 et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ». Il reproche plus particulièrement au ministre de ne pas avoir procédé à une vérification préalable à la prise de la décision litigieuse afin qu’il ne courait aucun risque d’être exposé à des conditions matérielles contraires aux exigences de la directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte], ci-après désignée par « directive Accueil », le demandeur exposant craindre de subir un stress important en raison de son transfert eu égard aux conditions d’accueil en Italie. Ce défaut de vérification l’exposerait à un risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH et aux articles 3 et 4 de la Charte. En s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, 1 Trib. adm., 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n° 2 et les autres références y citées.

6ci-après la « CJUE »2,3 et de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après « la CourEDH »4, le demandeur souligne que lesdites juridictions s’opposeraient à l’application d’une présomption irréfragable selon laquelle l’Etat membre désigné comme responsable sur base du règlement Dublin III respecterait les droits fondamentaux de l’Union européenne. Ainsi, son transfert ne pourrait être effectué que s’il lui est garanti que ledit transfert n’entraînerait aucun risque réel de préjudice grave dans son chef. Il estime dans ce contexte subir incontestablement un tel préjudice grave et irrémédiable alors que, d’un côté, il se serait entretemps adapté au Luxembourg, et, de l’autre côté, il serait renvoyé dans son pays d’origine par les autorités italiennes.

Le demandeur se prévaut ensuite d’une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, et cite un article publié sur le site Internet « Libération » le 5 juillet 2017, intitulé « Réfugiés : le SOS de l’Italie à l’Europe » sur la situation migratoire sur les côtes siciliennes, un article publié sur le site Internet « asile.ch » le 12 février 2018, intitulé « Italie :

des réfugiés laissés-pour-compte » relatif au manque de structures d’accueil, un article publié sur le même site Internet le 29 mars 2018, intitulé « La justice refuse l’expulsion d’un migrant vers l’Italie au nom de ses droits fondamentaux », un article publié toujours sur le même site Internet le 7 juin 2018, intitulé « Asile : le retour de bâton italien ? » concernant la politique de Matteo Salvini, un article publié sur le site Internet « rtbf.be » le 21 juillet 2022, intitulé « L’Italie condamnée pour avoir interné un migrant mineur dans un centre pour majeurs » sur la condamnation de l’Italie par la CourEDH pour avoir interné un migrant mineur dans un camp pour adultes, un communiqué de presse de la CourEDH du 21 octobre 2014, intitulé « Expulsion collective indiscriminée de migrants afghans par les autorités italiennes, privés ensuite d’accès à la procédure d’asile en Grèce » et la page 25 des recommandations de la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe de mars 2022, intitulé « Repoussés au-delà des limites Quatre domaines d’action urgente pour faire cesser les violations des droits de l’homme aux frontières de l’Europe », pour indiquer qu’il serait « très inquiet du sort qui lui sera réservé » en Italie, le demandeur mettant particulièrement en avant sa crainte d’être renvoyé par les autorités italiennes dans son pays d’origine, où il risquerait de subir des traitements inhumains et dégradants. Selon le demandeur, il ne ferait aucun doute qu’au vu du grand nombre de réfugiés en Italie, il devrait faire face à des conditions déplorables d’examen de sa demande de protection internationale et que, compte tenu de la situation du système d’accueil et en l’absence d’informations détaillées et fiables quant à la structure d’accueil de destination, les autorités luxembourgeoises ne disposeraient pas d’éléments suffisants pour être assurées qu’en cas de renvoi en Italie, il pourrait bénéficier d’une prise en charge effective.

En se référant de nouveau aux documents versés en cause, le demandeur reproche finalement au ministre de ne pas avoir fait application de la clause de souveraineté inscrite à l’article 17 du règlement Dublin III, en avançant toujours le risque d’être renvoyé dans son pays d’origine, ce qui mettrait sa vie en danger.

Finalement, au dispositif de la requête introductive d’instance, le demandeur sollicite l’instauration d’une mesure d’instruction complémentaire afin de déterminer s’il y a « de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable 2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department.

3 CJUE, 16 février 2017, affaire C-578/16, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija.

4 CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

7poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ».

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités italiennes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n°603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui dont le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière en provenance d’un pays tiers, cette responsabilité prenant fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.

Enfin, l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III prévoit que « L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois [à compter de la date de réception de la requête de prise en charge] et du délai d’un mois [lorsque l’Etat membre requérant a invoqué l’urgence] équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. ».

Il est constant en l’espèce que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, de l’article 13, paragraphe (1) et de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Monsieur …, mais l’Italie, qui a accepté tacitement de le prendre en charge en date du 31 juillet 2022, en raison de l’absence de réponse à la demande luxembourgeoise envoyée le 30 mai 2022, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.

8Force est ensuite de relever que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Italie, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais il soutient, en substance, qu’un transfert en Italie l’exposerait à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants en violation des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, respectivement des articles 3 de la CEDH et 3 et 4 de la Charte, en raison des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions matérielles d’accueil telles qu’elles résulteraient des rapports versés en cause.

Il convient, à cet égard, de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Tel que relevé ci-avant, la décision déférée du 23 août 2022 a été prise en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, cette dernière disposition visant une hypothèse distincte du cas d’un demandeur ayant introduit une demande de protection internationale dans un premier Etat membre, hypothèse plus particulièrement visée à l’article 18 du règlement Dublin III, étant, à cet égard, relevé qu’il est constant en cause pour résulter également des propres déclarations du demandeur auprès de la police grand-ducale le 26 avril 2022, ainsi qu’auprès d’un agent ministériel lors de son entretien le lendemain, qu’il a quitté l’Italie sans y avoir introduit une demande de protection internationale.

Dans la mesure où le demandeur n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour en Italie, un premier constat s’impose au tribunal, à savoir que Monsieur … n’est, en tout état de cause, pas en mesure de se prévaloir de défaillances systémiques dans le système d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qu’il aurait personnellement pu y rencontrer.

D’autre part, même si, conformément au principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only »), le demandeur sera dorénavant considéré par les autorités italiennes comme demandeur de protection internationale, le tribunal se doit de constater qu’il ne fournit aucun élément pertinent permettant de conclure qu’il craint avec raison qu’en tant que tel il ne pourrait voir assurées la procédure d’asile et les conditions minimales d’accueil en raison de défaillances systémiques.

Force est, en effet, de constater que les éléments produits en cause ne permettent pas au tribunal de dégager, ni dans le cas particulier du demandeur, ni d’une manière générale, l’existence de défaillances systémiques en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qui prévoit ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de 9traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Cette disposition impose dès lors à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé5.

A cet égard, le tribunal relève, à l’instar du ministre, que l’Italie est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève » et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner que le système européen commun d’asile a justement été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard6. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants7. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées8. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen 5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

6 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

7 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.

8 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

10commun d’asile9, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte.

En effet, suivant la jurisprudence des juridictions administratives10, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE11, des défaillances systémiques au sens de l’article 3 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201712.

Il y a ensuite lieu de préciser qu’il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201913 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine14. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant15.

Dans la mesure où le demandeur remet en question cette présomption du respect par l’Italie des droits fondamentaux, puisqu’il affirme y risquer des traitements inhumains et dégradants, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

Or, pareilles défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent ni théoriquement, ni concrètement, des éléments soumis au tribunal.

9 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

10 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.ja.etat.lu.

11 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

12 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

13 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91.

14 Ibid., pt. 92.

15 Ibid., pt. 93.

11 Ainsi, le tribunal est tout d’abord amené à insister sur le fait, tel que relevé ci-avant, que faute d’avoir eu la qualité de demandeur de protection internationale pendant son séjour en Italie, le demandeur ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir de son vécu personnel pour conclure à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans ce pays, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte dans son chef, empêchant son transfert vers ce pays. Il convient, par ailleurs, de constater que ses affirmations contenues pour la première fois dans la requête introductive d’instance et laissant suggérer un refus, par les autorités italiennes, de procéder à un enregistrement de sa demande de protection internationale sont contredites par les propres déclarations du demandeur lors de ses entretiens auprès de la police grand-ducale du 26 avril 2022 suivant lesquelles « J’ai donné mes empreintes en Italie mais je n’ai pas demandé asile. Je n’ai pas demandé asile parce que les conditions de vie y sont très mauvaises. Mon but était toujours d’arriver chez ma tante et mon oncle au Luxembourg16 » et auprès d’un agent du ministère en date du 27 avril 2022, lors duquel il a déclaré ne pas avoir déposé de demande de protection internationale en Italie car « Il n’y avait pas de travail en Italie et je n’avais personne en Italie17 », le demandeur y a manifestement vécu en tant que migrant en situation irrégulière, de sorte que ses expériences personnelles et les craintes qu’il en déduit ne reflètent nécessairement pas les conditions de vie d’un demandeur de protection internationale.

Ensuite, et de manière plus générale en ce qui concerne les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie, le tribunal se doit de relever que le demandeur se limite à citer de manière générale et abstraite les dispositions des articles 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, 4 de la Charte et 3 de la CEDH, de même qu’à se référer à la jurisprudence de la CJUE et de la CourEDH, ainsi qu’à des articles de presse sans mise en relation de leur contenu avec sa situation particulière.

Force est en outre de constater que les articles versés par le demandeur ne témoignent pas de la situation actuelle en Italie, dans la mesure où les articles intitulés « Réfugiés : le SOS de l’Italie à l’Europe » sur la situation migratoire sur les côtes siciliennes, « Italie : des réfugiés laissés-pour-compte » relatif au manque de structures d’accueil, « La justice refuse l’expulsion d’un migrant vers l’Italie au nom de ses droits fondamentaux », « Asile : le retour de bâton italien ? » sur la politique de Matteo Salvini, et le communiqué de presse intitulé « Expulsion collective indiscriminée de migrants afghans par les autorités italiennes, privés ensuite d’accès à la procédure d’asile en Grèce », datent essentiellement des années 2014 à 2018.

Par ailleurs, les articles récents auxquels le demandeur renvoie, à savoir un article publié sur le site Internet « rtbf.be » le 21 juillet 2022, et un extrait de la page 25 des recommandations de la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe de mars 2022 intitulé « Repoussés au-delà des limites Quatre domaines d’action urgente pour faire cesser les violations des droits de l’homme aux frontières de l’Europe », ne sont pas pertinents en l’espèce pour être étrangers à la situation individuelle du demandeur dans la mesure où lesdits article et extrait traitent de la condamnation de l’Italie par la CourEDH pour avoir interné un migrant mineur dans un camp pour adultes, respectivement du refoulement par l’Italie des migrants vers la Slovénie, la Grèce, la Croatie, l’Albanie, la Libye et la Suisse, alors que le demandeur n’est ni un mineur ni un ressortissant d’un des pays énumérés ci-avant.

Il échet dès lors de retenir que les documents invoqués par le demandeur sont insuffisants 16 Entretien auprès de la police grand-ducale du 26 avril 2022, page 2.

17 Entretien Dublin III du 27 avril 2022, page 5.

12pour permettre de retenir, de manière générale, l’existence de défaillances systémiques en Italie, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4 de la Charte.

Par ailleurs, il convient de relever que le demandeur n’invoque pas non plus de jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Italie, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou d’un avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Italie dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile italienne qui exposerait tout demandeur de protection internationale à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, c’est à bon droit que le ministre a conclu que, dans le cas d’espèce, l’application de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III ne se justifiait pas.

Nonobstant les conclusions retenues ci-avant, le tribunal se doit néanmoins de relever que même si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable18.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte19, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant20.

En l’espèce, si le demandeur explique ne pas avoir introduit de demande de protection 18 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09 19 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96 20 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 88 13internationale en Italie, au motif que « […] les conditions de vie y sont très mauvaises21 » et « Il n’y avait pas de travail en Italie et je n’avais personne en Italie22 », il ne fournit néanmoins pas la moindre explication quant à d’éventuelles démarches qu’il aurait concrètement entreprises en vue de l’introduction d’une demande de protection internationale et de l’obtention d’un travail et quant aux obstacles qu’il aurait rencontrés à cet égard. Au contraire, il se dégage des affirmations du demandeur tant lors de son entretien auprès de la police grand-ducale que lors de son entretien Dublin III qu’il n’était qu’une semaine en Italie pendant la durée de la quarantaine23 et que « Mon but était toujours d’arriver chez ma tante et mon oncle au Luxembourg24 ». Il n’est partant pas établi que les droits du demandeur n’auraient pas été respectés lors de son séjour en Italie.

Par ailleurs, le demandeur n’apporte pas la preuve que, de manière générale, les droits des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates25, étant encore rappelé que l’Italie est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est censée en appliquer les dispositions.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide italien serait à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si le demandeur devait estimer que le système italien ne serait pas conforme aux normes européennes ; dans ce cas, il appartiendrait au demandeur de faire valoir ses droits sur base de la directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte], ci-après désignée par « directive Procédure », ainsi que de la directive Accueil, directement auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates.

La même conclusion s’impose quant aux craintes du demandeur d’être expulsé vers son pays d’origine, alors qu’il reste en défaut d’étayer concrètement l’existence d’un tel risque dans son chef. En effet, le demandeur ne fournit pas d’éléments susceptibles de démontrer que l’Italie ne respecterait pas le principe de non-refoulement et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement en danger. A cela s’ajoute que même dans l’hypothèse où les autorités italiennes pourraient hypothétiquement envisager de rapatrier le demandeur vers son pays d’origine en violation des articles 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, il ne se dégage pas des éléments soumis au tribunal qu’il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités italiennes.

Dans ces circonstances et dans la mesure où le demandeur n’a pas fait état d’autres 21 Entretien auprès de la police grand-ducale du 26 avril 2022, page 2.

22 Entretien Dublin III du 27 avril 2022, page 5.

23 Entretien Dublin III du 27 avril 2022, page 5.

24 Entretien auprès de la police grand-ducale du 26 avril 2022, page 2.

25 Voir, pour les demandeurs de protection internationale : article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

14éléments dont il se dégagerait que compte tenu de sa situation personnelle, il serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, en Italie, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation desdits articles 3 de la CEDH et 3 et 4 de la Charte encourt à son tour le rejet.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, le tribunal relève que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ». A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres26, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201727. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge28, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée29, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.

En l’espèce, le demandeur invoque sa crainte d’être renvoyé dans son pays d’origine pour soutenir qu’il existerait des motifs humanitaires valables de prise en charge de sa demande de protection internationale par le Luxembourg.

Etant donné que le tribunal vient de rejeter les moyens tirés d’une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III et des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte au motif que le demandeur est resté en défaut d’établir qu’il risquerait d’être refoulé dans son pays d’origine en violation desdites dispositions légale, le tribunal n’entrevoit pas d’éléments de nature à justifier dans le cas du demandeur le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III.

Au vu des développements qui précèdent, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation par le ministre de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III est à son tour à rejeter.

Au vu des considérations qui précèdent, et de la solution retenue, il échet de rejeter la demande de Monsieur … formulée au dispositif de sa requête introductive d’instance tendant à l’instauration d’une mesure d’instruction complémentaire.

26 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

27 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

28 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

29 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

15Partant, et à défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme dans la limite des moyens de légalité y invoqués ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 septembre 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 septembre 2022 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 47885
Date de la décision : 27/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-09-27;47885 ?

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