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24/08/2022 | LUXEMBOURG | N°47833

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 août 2022, 47833


Tribunal administratif N° 47833 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 août 2022 chambre de vacation Audience publique de vacation du 24 août 2022 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47833 du rôle et déposée au greff du tribunal administratif le 18 août 2022 par Maître Patrice Rudatinya Mbonyumutwa, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembour

g, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Guinée) et être de nationalité g...

Tribunal administratif N° 47833 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 août 2022 chambre de vacation Audience publique de vacation du 24 août 2022 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47833 du rôle et déposée au greff du tribunal administratif le 18 août 2022 par Maître Patrice Rudatinya Mbonyumutwa, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Guinée) et être de nationalité guinéenne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 juillet 2022 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 août 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Abou Ba, en remplacement de Maître Patrice Rudatinya Mbonyumutwa, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 24 août 2022.

Le 14 février 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dont il fut définitivement débouté par un arrêt de la Cour administrative du 13 octobre 2020, inscrit sous le numéro 44626C du rôle.

Le 23 novembre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », convoqua Monsieur … pour le 3 décembre 2020 au ministère en vue de l’organisation de son retour vers son pays d’origine, entretien auquel celui-ci ne se présenta pas.

Par courrier du 10 décembre 2020, le ministre convoqua à nouveau Monsieur … à un entretien fixé au 17 décembre 2020 en vue de l’organisation de son retour dans son pays d’origine.

1Le 17 décembre 2020, le litismandataire de l’époque de Monsieur … informa le ministère que ce dernier ne se présentera pas à l’entretien, tout en précisant qu’il n’avait plus de ses nouvelles.

Le 6 juillet 2021, les autorités néerlandaises contactèrent les autorités luxembourgeoises en vue de la reprise en charge de Monsieur …, demande qui fut acceptée par ces dernières en date du 8 juillet 2021 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé « le règlement Dublin III ». Le transfert de Monsieur … eut lieu le 28 juillet 2021.

Par un arrêté du 27 juillet 2021, erronément daté au 28 juillet 2021, notifié à l’intéressé le 28 juillet 2021, le ministre déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, la Guinée, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner, le même arrêté contenant encore une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans prononcée à son encontre.

Le même jour, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois. Par jugement du tribunal administratif du 18 août 2021, inscrit sous le numéro 46357 du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux à l’encontre de l’arrêté ministériel, précité, du 27 juillet 2021.

Par arrêté du 25 août 2021, notifié le surlendemain, le ministre prorogea ladite mesure de placement en rétention pour une durée d’un mois avec effet au 28 août 2021. Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre dudit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 15 septembre 2021, inscrit sous le numéro 46436 du rôle.

Par arrêté du 28 septembre 2021, notifié le jour même, le ministre décida de prolonger une nouvelle fois la mesure de placement du requérant pour une durée d'un mois. Le recours contentieux introduit contre ledit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 21 octobre 2021, inscrit sous le numéro 46556 du rôle.

Par arrêté du 26 octobre 2021, notifié le 28 octobre 2021, le ministre décida de prolonger une nouvelle fois la mesure de placement du requérant pour une durée d'un mois. Le recours contentieux introduit contre ledit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 15 novembre 2021, inscrit sous le numéro 46643 du rôle.

Par arrêté du 17 novembre 2021, notifié le 26 novembre 2021, le ministre décida de prolonger la mesure de placement du requérant pour une nouvelle durée d'un mois. Par jugement du 8 décembre 2021, inscrit sous numéro 46751 du rôle, le premier vice-président du tribunal administratif confirma ledit arrêté ministériel du 17 novembre 2021.

Par arrêté du 24 décembre 2021, notifié le 28 décembre 2021, le ministre décida de prolonger une nouvelle fois la mesure de placement de Monsieur … pour une durée d'un mois.

Ledit arrêté fut confirmé par un jugement du 10 janvier 2022 du président du tribunal administratif, inscrit sous le numéro 46859 du rôle.

2 Par courriel du 18 février 2022, les autorités belges demandèrent aux autorités luxembourgeoises de reprendre en charge Monsieur … sur base de l'article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée le 23 février 2022 par les autorités luxembourgeoises sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Par courriel du 11 mai 2022, les autorités françaises demandèrent aux autorités luxembourgeoises de reprendre en charge le requérant sur base de l'article 18, paragraphe (1) point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée le 12 mai 2022 par les autorités luxembourgeoises sur base de l'article 18, paragraphe (1) point d) du même règlement.

Par arrêté du 27 mai 2022, notifié à Monsieur … lors de son arrivée sur le territoire luxembourgeois en date du 31 mai 2022 suite à son éloignement vers la France, le ministre décida de placer ce dernier au Centre de rétention pour une durée d'un mois à partir de la notification afin de préparer son éloignement vers son pays d'origine, ledit arrêté étant basé sur les motifs et considérations suivantes :

« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2018 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu ma décision de retour du 28 juillet 2021 ;

Vu ma décision d’interdiction d’entrée sur le territoire du 28 juillet 2021 ;

Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Attendu que l’intéressé ne s’est pas présenté au Ministère des Affaires étrangères et européennes en vue de l’organisation de son retour volontaire dans son pays d’origine ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2018 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches (…) ».

Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre dudit arrêté fut rejeté par un jugement du 14 juin 2022, inscrit sous le numéro 47526 du rôle.

Par décision du 28 juin 2022, notifiée à l’intéressé le 30 juin 2022, le ministre décida de prolonger la mesure de placement de Monsieur … au Centre de rétention d'une nouvelle durée d'un mois à partir de sa notification. Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre dudit arrêté fut rejeté par un jugement du 27 juillet 2022, inscrit sous le numéro 47732 du rôle.

Par décision du 27 juillet 2022, notifiée à l’intéressé le 29 juillet 2022, le ministre décida de prolonger la mesure de placement de Monsieur … au Centre de rétention d'une nouvelle durée d'un mois à partir de sa notification. Ledit arrêté est libellé comme suit :

3« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 27 mai 2022, notifié en date du 31 mai 2022 et mon arrêté du 28 juin, notifié en date du 30 juin 2022, décidant de soumettre l'Intéressé à une mesure de placement ;

Attendu que les motifs la base de la mesure de placement du 27 mai 2022 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que les démarches en vue de l’éloignement ont été engagées ;

Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l’éloignement ; (…) ».

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 août 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté de prorogation de son placement du 27 juillet 2022.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reprend en substance les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus.

En droit, il se prévaut de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 et fait valoir que le placement au Centre de rétention ne serait pas une obligation, mais une simple faculté pour le ministre, utilisée en dernier ressort dans la mesure où il s’agirait d’une mesure portant une atteinte grave à sa liberté.

En tout état de cause, le demandeur est d’avis que les conditions d’une décision de prorogation d'un placement en rétention ne seraient pas remplies, en ce que la mesure serait disproportionnée, étant donné qu’il serait, de fait, apatride, ce qui signifierait qu'il ne serait ressortissant d’aucun pays, tout en soulignant que le ministre aurait connaissance de la difficulté de sa situation en faisant allusion à ses passages antérieurs au Centre de rétention, en l’occurrence entre juillet 2021 et janvier 2022, qui se seraient soldés par sa mise en liberté au motif que son éloignement était impossible dans la mesure où aucun pays ne l’aurait reconnu comme son ressortissant.

Ainsi, au vu de sa situation particulière et inextricable, la mesure de prolongation litigieuse serait disproportionnée car elle le priverait de liberté sans raison, alors qu’il n’existerait toujours aucune garantie que l’éloignement puisse être mené à bien.

En second lieu, le demandeur fait valoir qu’il n’existerait aucun dispositif d'éloignement vers un quelconque pays, ni même une perspective d'éloignement. Dans ce contexte, il conteste un rapport d’une mission d’évaluation familiale qui l’aurait identifié, selon le ministre, en tant que ressortissant guinéen, le demandeur contestant plus particulièrement 4l’identification par le rapport de prétendus membres de famille, la fréquentation de sa part d’une certaine école, ainsi que d’être originaire d’un certain village guinéen.

Alors qu’il serait de jurisprudence que les autorités se devraient d’être diligentes, une mesure de placement ne saurait avoir pour but de palier l’inertie des autorités administratives qui devraient mettre en œuvre tous les moyens pour réduire autant que possible la privation de liberté inhérente à toute mesure de placement. Il en conclut que les diligences employées par le ministre devraient être considérées, dans les circonstances de l’espèce, comme inexistantes de sorte que son placement en rétention ne se justifierait plus.

Enfin, le demandeur estime que le ministre aurait dû prendre des mesures moins coercitives, en se référant à l’article 125 de la loi du 29 août 2008, tout en soulignant que, pour prouver sa bonne foi, il serait disposé à se soumettre à la mesure prévue à l’article 125, paragraphe (1), point a), sinon point b) de la loi précitée.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement (…) ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de 5placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, il est constant, et tel que cela a d’ailleurs été retenu dans les divers jugements précités, que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, celui-ci ayant notamment fait l’objet, en date du 27 juillet 2021, d’une décision de retour et d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans, qu’il n’est pas en possession de documents d’identité et de voyage valables, ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni encore d’une autorisation de travail et qu’il ne justifie ni l’objet, ni les conditions de son séjour envisagé, ni des ressources personnelles suffisantes, de sorte qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, respectivement s’il ne peut pas justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage valables, le risque de fuite est présumé dans son chef. Dès lors, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir le demandeur en rétention.

Alors que le demandeur conteste, en substance, l’absence de démarches effectives entreprises par le ministre pour procéder à son éloignement dans les meilleurs délais, le tribunal relève que par jugements du 14 juin 2022 et 27 juillet 2022, précités, le tribunal a considéré comme étant suffisantes les démarches entreprises jusqu’au moment où il a été amené à statuer, en ce que par courrier électronique du 9 juin 2022, le ministre a contacté l’ambassade de Guinée auprès des pays Benelux afin d’organiser un entretien en vue de l’identification de l’intéressé, le tribunal ayant encore relevé un manque de collaboration manifeste du demandeur, par référence à son jugement prémentionné du 15 novembre 2021 ayant retenu à cet égard que l’intéressé était lui-même responsable des difficultés rencontrées par les autorités luxembourgeoises afin de procéder à son identification, en ce qu’il avait tenté d’induire ces dernières en erreur quant à son identité, en déclarant, dans un premier temps, être de nationalité guinéenne, pour ensuite évoquer des origines sierra-léonaises, au cours de son audition en date du 26 août 2021, lors de laquelle il avait, par ailleurs, répondu de manière évasive et laconique aux questions lui posées. Le tribunal a ainsi conclu qu’au regard du défaut de coopération de Monsieur … dans le cadre de son précédent placement en rétention et compte tenu des démarches à ce moment entreprises par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, laquelle est 6tributaire de la collaboration des autorités guinéennes, les diligences du ministre devaient être considérées comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008.

Force est encore de constater que le tribunal dans son jugement du 27 juillet 2022, précité a conclu que les démarches employées jusque-là par le ministre étaient à considérer comme suffisantes en ce qu’il a contacté le 28 juin 2022 la représentante de l'ambassade de Guinée auprès des pays Benelux pour la relancer au sujet de l’entrevue d’identification du demandeur, en ce que par courriel du 5 juillet 2022, l’agent en charge du dossier a confirmé une entrevue d’identification planifiée pour le 7 juillet 2022, en ce qu’il ressort encore d’une note au dossier datée du 15 juillet 2022, rapportant ladite entrevue d’identification du 7 juillet 2022, que la représentante de l’ambassade de Guinée a, sur base du rapport de la mission d’évaluation familiale querellé par le demandeur à ce jour, confirmé la nationalité guinéenne du demandeur et en ce que par courrier du 11 juillet 2022, le ministre a contacté les autorités guinéennes en vue de la délivrance d’un laissez-passer dans le chef du demandeur en vue de son éloignement vers son pays d'origine, ces démarches ayant par ailleurs abouti à un résultat concret, à savoir l’identification du demandeur qui, à défaut d’éléments concrets apportés par lui, ne saurait être remise en question par le tribunal.

Quant aux démarches entreprises par le ministre depuis lors, force est au tribunal de constater que le ministre a, en date des 12 et 23 août 2022, envoyé un courriel de rappel de son courrier du 11 juillet 2022 à l’ambassade de Guinée auprès des pays du Benelux, de sorte que le tribunal est amené à conclure que les diligences du ministre sont à considérer comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, étant relevé que le ministre ne saurait nuire aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes.

Quant à l’argumentation du demandeur ayant trait à l’absence de chances raisonnables de croire que son éloignement puisse être mené à bien, le tribunal constate qu’il ne se dégage d’aucun élément soumis à son appréciation que les susdites démarches de la part de l’autorité ministérielle luxembourgeoise seraient d’ores et déjà vouées à l’échec, un résultat concret étant d’ores et déjà atteint, à savoir l’identification du demandeur.

Les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises et quant aux perspectives de son éloignement sont dès lors à rejeter. Au regard de l’identification du demandeur, son affirmation suivant laquelle il serait de facto apatride est également à rejeter.

Pour les mêmes considérations, le demandeur n’est pas non plus fondé à affirmer que son placement en rétention serait disproportionné, le demandeur fondant ce moyen en effet en substance sur une absence de perspective de son éloignement au motif qu’aucun pays le reconnaîtrait comme l’un de ses ressortissants. Or, ce reproche est à rejeter, tel que cela a été retenu ci-avant, au regard de l’identification du demandeur par les autorités guinéennes.

Finalement, en ce qui concerne l’argumentation du demandeur ayant trait à l’application d’une mesure moins coercitive, telle que l’obligation de se présenter régulièrement, sinon une assignation à résidence, le tribunal précise que l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit :

« Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution 7de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 935 et les autres références y citées.

8L’article 125, paragraphe 1er, de la loi du 29 août 2008 prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3), de la même loi, tout en relevant qu’il s’agit d’une simple prérogative pour le ministre et qu’au vu de la présomption légale d’un risque de fuite dans le chef du concerné, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment des garanties de représentation suffisantes En l’espèce, le tribunal est amené à constater que le demandeur ne conteste pas l’existence d’un risque de fuite dans son chef, ni, a fortiori, ne lui a-t-il fourni le moindre élément de nature à renverser la présomption de risque de fuite pesant sur lui. Plus particulièrement, le demandeur est resté en défaut de fournir des éléments concluants quant à des attaches particulières au Luxembourg, respectivement quant à une possibilité concrète de résidence ou d’hébergement au Luxembourg, éléments qui seraient susceptibles d’établir dans son chef l’existence de garanties de représentation effective propres à prévenir un risque de fuite conformément à l’article 125 de la loi du 29 août 2008, risque de fuite, qui, tel que relevé ci-avant, est présumé dans son chef.

Ainsi, les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, et plus particulièrement celle visée au point b) dudit article, ne sauraient être efficacement appliquées et le moyen afférent est à rejeter.

Pour ce qui est de la demande d’appliquer la mesure prévue au point a) du même article, celle-ci ne saurait pas non plus être appliquée à défaut pour le demandeur de disposer de passeport ou de documents d’identité à la remise desquels l’application de cette mesure est subordonnée.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que contrairement à l’argumentation du demandeur, la mesure de prorogation du placement en rétention litigieuse n’est ni injustifiée, ni inappropriée, ni disproportionnée.

En l’absence d’autres moyens et au vu des développements faits ci-avant, le recours sous analyse est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

9Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 24 août 2022 par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Laura Urbany, juge, Benoît Hupperich, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana Poiani.

s.Luana Poiani s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 août 2022 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 47833
Date de la décision : 24/08/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 31/08/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-08-24;47833 ?

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