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24/08/2022 | LUXEMBOURG | N°47829

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 août 2022, 47829


Tribunal administratif Numéro 47829 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2022 chambre de vacation Audience publique de vacation du 24 août 2022 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47829 du rôle et déposée le 17 août 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsie...

Tribunal administratif Numéro 47829 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2022 chambre de vacation Audience publique de vacation du 24 août 2022 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47829 du rôle et déposée le 17 août 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Tunisie), de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 août 2022 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de sa notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 août 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour, Maître Louis Tinti s’étant excusé et ayant informé le tribunal qu’il se rapportait à ses écrits.

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Il ressort d’un procès-verbal de la police grand-ducale, région Capitale, commissariat Luxembourg Gare, du 13 août 2022, référencé sous le n°…, que le même jour, Monsieur … fit l’objet d’un contrôle d’identité lors duquel il s’avéra qu’il était en possession d’une carte d'identité italienne portant la mention « non valida per l’espatrio ». Il s’avéra encore à cette occasion, suite à une recherche effectuée dans le Système d’Information Schengen II (SIS), que l’intéressé y était signalé avec la mention « Refuser l'entrée sur le territoire. Interpeller et interroger la personne. Prendre contact avec le bureau SIRENE national. Prendre contact avec l'autorité compétente en vue du renvoi de la personne ».

Par arrêté du 13 août 2022, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », déclara comme irrégulier le séjour de ce dernier sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre ordonna le placement en rétention du requérant pour la durée d’un mois, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

1« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport N°… du 13 août 2022 établi par la Police Grand-Ducale, Région Capitale, Commissariat Luxembourg, Groupe Gare;

Vu ma décision de retour du 13 août 2022 ;

Attendu que l'intéressé n'est pas en possession d'un document de voyage valable ;

Attendu qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 août 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 13 août 2022.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en relevant être titulaire d’un titre de séjour lui ayant été délivré par les autorités italiennes, valable jusqu’au 19 août 2022, tout en expliquant qu’il y a environ six mois, il aurait été informé par sa concubine actuelle, Madame …, résidente à …, qu’il était le père de l’enfant …, née le … à … et de nationalité luxembourgeoise. Il continue en précisant qu’au cours du mois d’avril 2022, il se serait déplacé au Luxembourg pour reconnaître son enfant, reconnaissance qui aurait été officiellement enregistrée le 22 avril 2022 par l’officier de l’état civil d’…. Il ajoute que le 12 août 2022, sa concubine et lui se seraient déplacés à l’office de l’état civil de la Ville d’Esch-sur-Alzette pour y commencer une procédure de mariage. Il aurait par la suite été arrêté en date du 13 août 2022 par les services de police aux abords du centre d’aide pour personnes toxicomanes … situé à Luxembourg-Ville où il se serait trouvé pour y rencontrer une connaissance et où les policiers auraient constaté qu’il n’était pas en possession de documents d’identité valables. A cette occasion, il n’aurait pu présenter que la copie de son titre de séjour délivré par les autorités italiennes qui se serait trouvée sous forme de photographie dans son téléphone portable, tout en ayant essayé en vain d’expliquer que ses documents d’identité se trouveraient dans l’appartement de sa concubine. Il continue en affirmant que le même jour, sa concubine aurait dû se déplacer auprès des policiers afin de leur remettre l’original de sa carte d’identité mais que cette remise aurait été refusée au motif que l’intéressé faisait dorénavant l’objet d’une mesure de placement et qu’il serait conduit au Centre de rétention.

Il explique que le 16 août 2022, sa concubine aurait dû se déplacer au Centre de rétention afin de remettre à l’assistante sociale l’original de sa carte d’identité, tout en 2soulignant qu’à l’heure actuelle et du fait de la mesure de rétention administrative dont il fait l’objet, il ne pourrait pas solliciter la prorogation du titre de séjour lui délivré par les autorités italiennes, l’intéressé précisant que son retour en Italie pour solliciter la prorogation en question aurait été prévu pour le 16 août 2022.

Monsieur … insiste ensuite sur le fait qu’il n’aurait jamais troublé l’ordre public et qu’il verserait en cause une attestation testimoniale émise par sa concubine laquelle confirmerait les faits exposés ci-avant, tout en marquant son accord à le voir assigné à résidence chez elle le temps que sa situation administrative soit régularisée sinon jusqu’à ce qu’il soit procédé à son éloignement du Luxembourg vers la Tunisie, voire vers l’Italie.

En droit, le demandeur, après avoir retracé le cadre juridique autorisant le ministre à prendre une mesure de placement au Centre de rétention, par citation dans ce contexte des articles 120 et 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, conclut, tout d’abord, à la réformation de la décision ministérielle déférée du 13 août 2022 en contestant, sur base de l’article 111, paragraphe (3), c) et de l’article 34 de la loi du 29 août 2008, l’existence d’un risque de fuite dans son chef. Il soutient, dans ce cadre, que le risque de fuite, tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3), c) de la loi du 29 août 2008, ne constituerait qu’une présomption réfragable et devrait être apprécié au cas par cas, pour en conclure qu’au regard de sa situation, marquée par l’existence dans son chef d’un titre de séjour valable délivré par les autorités italiennes et par le fait qu’il serait le père d’un enfant de nationalité luxembourgeoise dont la mère aurait réitéré aux termes d’une attestation testimoniale l’intention de l’épouser, il devrait être exclu qu’il existe un risque de fuite suffisamment établi dans son chef, respectivement retenu qu’il aurait renversé à suffisance de droit une éventuelle présomption d’un risque de fuite dans son chef.

Il continue en affirmant qu’en considération du caractère subsidiaire de la privation de liberté dont il ferait l’objet en exécution de la mesure de rétention critiquée, ce serait à tort que le ministre n’aurait pas recouru à des mesures moins coercitives qu’un placement en rétention, conformément à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, Monsieur … estimant plus particulièrement que le ministre aurait dû, au lieu d’ordonner son placement en rétention, ordonner qu’il se présente régulièrement, à des intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original de son titre de séjour délivré par les autorités italiennes et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité et/ou l’assigner à résidence pour une durée de six mois dans le lieux fixés par le ministre et plus précisément au domicile de Madame …, L-….

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 ou d’une demande de transit par voie aérienne en vertu de l’article 127 ou lorsque le maintien en zone d’attente dépasse la durée de quarante-huit heures prévue à l’article 119, l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il 3existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement (…) ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

S’agissant d’abord des contestations du demandeur quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’il est constant en cause que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour a été prise à son encontre le 13 août 2022, décision qui ne fait pas l’objet de la présente instance contentieuse, et ce, sur base de la considération non contestée qu’il ne dispose ni d’un passeport en cours de validité, ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail et qu’il ne justifie pas de ressources personnelles suffisantes, de sorte qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

Il appartient dès lors à celui-ci de soumettre au tribunal des éléments permettant de 4renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite.

Force est toutefois de constater que le demandeur n’a fourni aucun élément permettant de renverser la présomption du risque de fuite dans son chef. En effet, il échet de relever que si certes il se dégage des éléments du dossier que le demandeur a reconnu officiellement être le père de l’enfant…, née le … au Luxembourg, il ne découle d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal qu’il entretiendrait avec la mère de l’enfant, Madame …, une relation amoureuse stable, voire avec son enfant une quelconque relation personnelle étroite, de même qu’il n’est aucunement établi qu’il aurait à un moment donné habité avec ceux-ci, ou bien disposé d’un quelconque autre domicile légal ou stable au Luxembourg. Le demandeur a, au contraire, déclaré lui-même, tel qu’il ressort du procès-verbal de la police grand-ducale du 13 août 2022, qu’il n’a passé que quelques fois ses vacances au Luxembourg et ce, pour la dernière fois en 2019, avant d’être revenu au pays environ 2 semaines avant son interpellation par la police près du Centre d’aide pour personnes toxicomanes …. Au vu de ces considérations, il ne saurait dès lors être considéré comme présentant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentations effectives de nature à renverser la présomption de risque de fuite.

Le moyen du demandeur visant à contester l’existence dans son chef d’un risque de fuite et à exiger sa libération immédiate sur base du constat de l’inexistence d’un tel risque dans son chef est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

Le demandeur estime encore que le ministre aurait dû choisir une option moins coercitive que son placement en rétention, notamment en l’assignant à résidence auprès de sa concubine demeurant à ….

A cet égard il échet de relever qu’aux termes de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) [de la loi du 29 août 2008] […].

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur.

5Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe (1) de sorte que pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité, aucune des autres mesures moins coercitives ne doit entrer en compte au vu des circonstances du cas particulier.

L’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, s’il se dégage certes d’une attestation testimoniale de Madame … que celle-ci s’engage à héberger le demandeur « jusqu’à ce que son problème de séjour au Luxembourg soit réglé, le cas échéant jusqu’à son retour en Tunisie si cela s’avère indispensable », le contenu de cette attestation ne permet par contre pas de conclure dans le chef du demandeur à des attaches particulières au Luxembourg susceptibles d’établir l’existence de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de fuite conformément à l’article 125 de la loi du 29 août 2008, étant encore précisé que, tel que le 1 trib. adm. 6 mai 2016, n° 37829 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

6tribunal vient de le retenir, le demandeur n’avance aucun élément concret témoignant d’un domicile légal ni d’un domicile stable au Luxembourg, voire même d’une relation stable et durable avec Madame ….

En effet, s’il se dégage certes de l’attestation testimoniale versée par Madame … que celle-ci serait en couple avec le demandeur et qu’ils ont un enfant ensemble, et si certes encore Madame … affirme que le demandeur aurait habité dans son appartement à … avec elle et son enfant, le tribunal se doit toutefois de relever que cette dernière affirmation quant à une cohabitation de Madame … et le demandeur n’est corroborée par aucun élément tangible.

L’affirmation en question se trouve, au contraire, contredite par les déclarations faites par le demandeur lui-même par devant les agents de la police grand-ducale lors de son interpellation le 13 août 2022 devant la structure … puisqu’à cette occasion, il a déclaré ne pas avoir de domicile fixe au Luxembourg, tandis qu’il a répondu à la question de savoir quand et où il était entré sur le territoire luxembourgeois que « Ich war ab und zu in Luxemburg in Urlaub. Zuletzt 2019 für 1 Woche und nun vor 2 Wochen. Ich kam immer aus Italien mit dem Zug. », de même qu’il a répondu à la question de savoir où et chez qui il aurait habité au Luxembourg « Ich wohne in Hotels. Immer verschiedene Hotels », sans faire la moindre allusion à une prétendue relation stable dans laquelle il se trouverait avec une résidente luxembourgeoise, ni à une cohabitation avec sa concubine dans l’appartement de celle-ci à …. Au vu de ces considérations, le tribunal se doit de retenir qu’il ne se dégage d’aucun élément soumis à sa disposition que le demandeur ait habité de manière stable et durable avec Madame … à l’adresse indiquée à … ni a fortiori qu’il s’agit d’une adresse stable à laquelle il pourrait être considéré comme étant à la disposition des autorités luxembourgeoises pour les besoins de son éloignement. La seule indication d’une adresse auprès de Madame … ne saurait dès lors être considérée comme valant garantie de représentation effective propre à prévenir le risque de fuite qui, tel que relevé ci-

avant, est présumé dans son chef.

En ce qui concerne la mesure moins coercitive consistant dans l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à des intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, il ne saurait être reproché au ministre de ne pas l’avoir appliquée au demandeur puisque celle-ci est conditionnée par la remise préalable, par l’intéressé, de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité. Or, il n’est pas contesté que le demandeur ne dispose pas d’un passeport dont il pourrait remettre l’original aux autorités luxembourgeoises, de sorte que la mesure moins coercitive en question ne saurait trouver à s’appliquer.

Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à retenir que le demandeur ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de fuite conformément à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 - risque qui est, tel que relevé ci-dessus, présumé dans son chef -, de sorte que le constat du ministre qu’il n’existe pas de mesure moins coercitive qu’une mesure de placement n’encourt aucune critique.

Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, 7 le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par:

Alexandra Castegnaro, vice-président, Laura Urbany, juge, Benoît Hupperich, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique de vacation du 24 août 2022 par le vice-président, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 août 2022 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 47829
Date de la décision : 24/08/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 31/08/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-08-24;47829 ?

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