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24/08/2022 | LUXEMBOURG | N°47758

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 août 2022, 47758


Tribunal administratif N° 47758 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2022 chambre de vacation Audience publique de vacation du 24 août 2022 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47758 du rôle et déposée le 28 juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Sarah Moineaux,

avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mad...

Tribunal administratif N° 47758 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2022 chambre de vacation Audience publique de vacation du 24 août 2022 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47758 du rôle et déposée le 28 juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Sarah Moineaux, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, demeurant actuellement à L-…, tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 juillet 2022 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Italie, Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 août 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sarah Moineaux et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 24 août 2022.

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Le 20 janvier 2022, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, elle fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche dans la base de données EURODAC, que Madame … avait préalablement franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 26 novembre 2021 et que ses empreintes digitales y avaient été prélevées le lendemain.

Toujours le 20 janvier 2022, elle fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 31 janvier 2022, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues italiens en vue de la prise en charge de Madame … sur le fondement de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Par courrier du 28 mars 2022, les autorités italiennes adressèrent une « information » à leurs homologues luxembourgeois dans les termes suivants :

« […] Chers Messieurs, NOUS VOUS INFORMONS QUE LA JEUNE EN QUESTION N EST L OBJET QUE d une entrée illègale À Siracuse à la date 17.1.2022.

Elle restait en Italie une période de moins de deux mois et le 17.1.2022 la jeune se déplaca chez vous au Luxembourg.

Au moment de son entrée en Italie sa date de naissance était 1.1.2004. d après la réponse de la police .

En considération de l age de la jeune. du temps bref qu elle est restée dans notre pays ,presque de passage ,nous ne donnons notre accord officiel au transfert de la personne en objet en Italie. […] ».

Par courrier du 1er avril 2022, les autorités italiennes furent invitées par le ministre à faire parvenir une acceptation formelle quant à la requête de prise en charge leur transmise le 31 janvier 2022, ledit courrier étant libellé comme suit :

« […] En mains votre courrier du 28/03/2022, par lequel vous nous informez que la personne sous rubrique fait l’objet d’une entrée illégale en Italie à Siracuse en date du 17/01/2022, qu’elle n’a pas introduit de demande de protection internationale, qu’elle n’est pas titulaire d’un titre de séjour et qu’elle est restée sur le territoire italien moins de deux mois.

En effet, nous avons bien eu ces informations à notre disposition, tel qu’il ressort de notre requête de prise en charge, basée sur l’article 13§1.

Merci de bien vouloir nous faire parvenir votre acceptation formelle quant à notre requête. […] ».

Par courrier du 5 mai 2022, les autorités italiennes furent informées par le ministre qu’à défaut de réponse de leur part dans le délai leur imparti, elles seraient dorénavant considérées comme ayant tacitement accepté en date du 1er avril 2022 la prise en charge de Madame … sur le fondement de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Par décision du 14 juillet 2022, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre informa Madame … de sa décision de la transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles des articles 13, paragraphe (1) et 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III. Ladite décision est libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 20 janvier 2022 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 13(1) et 22(7) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférée vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 20 janvier 2022.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 20 janvier 2022, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 26 novembre 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 20 janvier 2022.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 31 janvier 2022 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 13(1) du règlement DIII.

En date du 28 mars 2022, les autorités italiennes nous ont fait parvenir un courrier intitulé « Information mineur 5.4 », confirmant que vous avez franchi illégalement la frontière italienne. Cependant, ce courrier d'information ne comprend ni un accord formel, ni un refus formel, tel que les articles 5 et 6 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présenté dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, modifié par le Règlement Dublin III et le Règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, le prévoient. En effet, il ne peut être déduit ni de ce courrier ni d'aucun autre élément du dossier administratif que l'Italie aurait expressément refusé la demande de prise en charge au sens de l'article 5 du règlement d'exécution qui prévoit qu'une réponse négative est pleinement motivée et explique en détail les raisons du refus. Même si les informations reçues en date du 28 mars 2022 confirment que l'article 13(1) du règlement Dublin III s'applique clairement dans votre cas, la Direction de l'immigration a demandé aux autorités italiennes de lui faire parvenir une acceptation formelle quant à sa requête du 31 janvier 2022. Ce courrier est cependant resté sans réponse.

Or, l'absence de réponse à la demande de prise en charge équivaut, conformément à l'article 22(7) du règlement DIII, à l'acceptation de la demande par lesdites autorités italiennes en date du ter avril 2022.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, conformément à l'article 13(1) du règlement DIII.

La responsabilité de l'Italie est acquise suivant l'article 22(7) du règlement DIII en ce que l'absence de réponse à l'expiration d'un délai de deux mois équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou des conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 20 janvier 2022 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 26 novembre 2021.

Par ailleurs, il y a lieu de souligner que, même si vous avez déclaré avoir été mineure au moment de votre entrée irrégulière en Italie, la date de naissance du 1er janvier 2004, indiquée en Italie, implique que vous étiez majeure au moment de votre demande de protection internationale au Luxembourg. Par conséquent, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application de l'article 8 du règlement DIII.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté l'Erythrée en mars 2017 afin de vous rendre au Soudan où vous seriez restée pendant un deux ans. Vous seriez ensuite partie en voiture en Libye et vous racontez que les passeurs vous auraient frappée avec un tuyau en caoutchouc pendant votre séjour de deux ans. En date du 11 novembre 2021, vous auriez réussi à monter à bord d'une embarcation en direction de l'Italie et vous auriez été déposée en Sicile.

Vous seriez ensuite restée en Italie pendant deux mois avant de partir en camion vers le Luxembourg où vous seriez arrivée en date du 17 janvier 2022.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 20 janvier 2022, vous avez fait mention d'avoir mal à l'oreille et vous avez indiqué avoir des règles abondantes depuis deux mois. Il y a cependant lieu de soulever que vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Italie qui est l'Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Madame, vous déclarez ne pas avoir introduit une demande de protection internationale en Italie parce que votre but aurait été de venir au Luxembourg.

Rappelons à cet égard que l'Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S'il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d'accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d'importantes difficultés sur le plan de l'hébergement et des conditions de vie, il n'y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.

Notons dans ce contexte que l'Italie a adopté en date du 21 octobre 2020 le décret n° 130/2020 qui remplace la loi n° 132/2018 du 1er décembre 2018 et met en place le SAI (Sistema di accoglienza e integrazione). Ce nouveau système en matière d'accueil et d'intégration a réformé le système établi en 2018 et permet depuis lors d'améliorer l'accueil pour les demandeurs de protection internationale.

Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Madame, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles-seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Italie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transférée. Par ailleurs, si cela devait s'avérer nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n'ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2022, Madame … a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, à l’annulation, sinon à la réformation de la décision ministérielle précitée du 14 juillet 2022.

Encore qu’un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité entraînant qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit contre la même décision.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telle que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre principal.

A l’appui de son recours, la demanderesse, tout en exposant les faits et rétroactes de l’affaire, fait préciser qu’elle aurait quitté l’Erythrée pour débarquer en Italie à l’issue d’un parcours migratoire éprouvant avant d’arriver au Luxembourg où elle aurait introduit sa première demande de protection internationale.

En droit, elle conclut principalement à un manquement à la procédure de prise en charge, telle que prévue par le règlement Dublin III, en ce que les autorités luxembourgeoises auraient erronément et illégalement fait application de l’article 22, paragraphe (7) dudit règlement. Elle soutient, après avoir cité le considérant 5, ainsi que les articles 3, paragraphe (1), 13, 18, 21, paragraphe (1), 22, paragraphes (1) et (7) et 26, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de même que les articles 3 et 51 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présenté dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, tel que modifiée par le règlement d’exécution (UE) n° 118/2004 de la 1 Article 5 du règlement d’exécution : « 1. Lorsque, après vérification, l'État membre requis estime que les éléments soumis ne permettent pas de conclure à sa responsabilité, la réponse négative qu'il envoie à l'État membre requérant est pleinement motivée et explique en détail les raisons du refus.

2. Lorsque l'État membre requérant estime que le refus qui lui est opposé repose sur une erreur d'appréciation ou lorsqu'il dispose d'éléments complémentaires à faire valoir, il lui est possible de solliciter un réexamen de sa requête. Cette faculté doit être exercée dans les trois semaines qui suivent la réception de la réponse négative.

L'État membre requis s'efforce de répondre dans les deux semaines. En tout état de cause, cette procédure additionnelle ne rouvre pas les délais prévus à l'article 18, paragraphes 1 et 6, et à l'article 20, paragraphe 1, point b), du règlement (CE) no 343/2003. » Commission du 30 janvier 2013 modifiant le règlement (CE) n° 1560/2003 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ci-après désigné par « le règlement d’exécution », que, contrairement à l’affirmation du ministre, les autorités italiennes auraient bien répondu à la requête aux fins de prise en charge leur adressée en date du 28 mars 2022, de sorte qu’il serait illégal de considérer que les autorités italiennes seraient restées silencieuses suite à la réception de ladite requête. La demanderesse fait encore valoir que les autorités italiennes auraient officiellement, sans aucune approximation ni confusion liée notamment à la langue française, refusé de donner leur accord officiel au transfert, donc refusé sa prise en charge, ainsi que leur responsabilité de connaître de sa demande de protection internationale. Elle fait encore plaider que les autorités italiennes n’auraient, par ailleurs, conformément à leur refus exprès et officiel, fourni aucune indication quant à une potentielle exécution de son transfert. La demanderesse continue en soulignant que les autorités italiennes auraient motivé leur refus par le fait qu’elles la considéraient comme étant une mineure non accompagnée et qu’il devrait en conséquence être admis qu’elles auraient fait application de l’article 8, paragraphe (4) du règlement Dublin III pour motiver leur refus de la prendre en charge. Dans le même ordre d’idées, elle fait plaider que le seul fait pour les autorités italiennes d’avoir intitulé leur réponse du 28 mars 2022 à la requête aux fins de prise en charge leur adressée d’« INFORMATION MINEUR 5.4 », n’ôterait pas à leur réponse la qualification de réponse négative, alors qu’aucune disposition légale n’imposerait aux Etats membres d’intituler formellement leur acceptation ou leur refus de prise en charge par ces mêmes termes.

Elle fait encore valoir que dans l’intitulé de leur réponse, les autorités italiennes auraient également fait référence au fait qu’elle serait considérée comme étant une mineure non accompagnée. A cet égard, la demanderesse soutient que le partage d’informations entre Etats membres serait strictement encadré par l’article 34 du règlement Dublin III, de sorte que les autorités nationales n’ayant adressé aux autorités italiennes qu’une requête aux fins de prise en charge et aucune demande d’informations, il serait incontestable que la réponse des autorités italiennes du 28 mars 2022 ne saurait être autre chose que leur réponse à ladite requête, à savoir en l’occurrence un refus d’acceptation explicite et formel en raison de la date de naissance sous laquelle elle a été enregistrée en Italie.

Ainsi, au vu de la réponse négative expresse et formelle des autorités italiennes, il aurait appartenu aux autorités luxembourgeoises, soit de se déclarer responsable de l’examen de la demande de protection internationale de la demanderesse, soit de mettre en œuvre la procédure additionnelle facultative de réexamen de l’article 5, paragraphe (2) du règlement d’exécution, dans les trois semaines suivant la réception de la réponse négative des autorités italiennes en invoquant notamment le fait que la date de naissance de la demanderesse enregistrée en Italie serait erronée et qu’elle n’était pas une mineure non accompagnée pour être née le …. Au vu de ces considérations, il serait impossible de retenir que les autorités italiennes seraient restées silencieuses suite à la réception de la requête aux fins de prise en charge et tout aussi impossible de retenir une « absence de réponse » des autorités requises permettant l’application de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III. En effet, la demanderesse est d’avis que les autorités luxembourgeoises auraient vainement tenté, en date du 1er avril 2022, de faire réexaminer leur requête aux fins de prise en charge en sollicitant des autorités italiennes que celles-ci leur adressent une acceptation formelle à leur requête. Or, le fait que les autorités italiennes n’auraient réservé aucune suite à cette demande dans le délai légal de deux semaines prévu par l’article 5, paragraphe (2) du règlement d’exécution, aurait entraîné la clôture de la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, de même que celle de la procédure additionnelle de réexamen de la requête aux fins de prise en charge, tout en confirmant que la responsabilité d’examiner la demande de protection internationale incomberait aux autorités luxembourgeoises suite au refus expresse et formel des autorités italiennes du 28 mars 2022.

Elle ajoute que le refus officiel des autorités italiennes serait intervenu dans le délai de deux mois prévu par l’article 22, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte à ainsi faire obstacle à l’application de l’article 22, paragraphe (7) dudit règlement. Il s’ensuivrait qu’en refusant d’accepter sa prise en charge, les autorités italiennes auraient impulsé un transfert de la responsabilité de la demanderesse aux autorités luxembourgeoise, lequel serait devenu définitif deux semaines après la notification de la demande de réexamen adressée par les autorités nationales le 1er avril 2022, demande à laquelle aucune suite n’aurait été réservée par les autorités italiennes.

La demanderesse fait encore préciser dans ce contexte que la déloyauté et le détournement des objectifs du règlement Dublin III par les autorités italiennes ne changeraient rien au fait que face au refus opposé par les autorités requises et en l’absence de réponse de la part de celles-ci à la demande de réexamen initiée par l’autorité requérante, la responsabilité de l’examen de sa demande de protection internationale serait légalement et définitivement transférée aux autorités luxembourgeoises.

A cet égard, elle insiste encore une fois sur le fait que l’intitulé « INFORMATION » donné à leur réponse du 28 mars 2022 serait sans conséquence quant à la qualification de réponse négative à accorder à leur réponse. Le même constat serait à retenir quant à la motivation erronée, voire l’absence de motivation tangible du refus du 28 mars 2022 par les autorités italiennes, alors qu’il n’y aurait aucune place à l’interprétation ou au doute.

Dans ce contexte, la demanderesse entend encore souligner qu’une telle pratique ne semblerait pas isolée alors que le Parlement européen aurait déjà identifié le problème des « motifs souvent fantaisistes, avancés par les Etats membres pour refuser les transferts » dans sa « Résolution du Parlement européen du 17 décembre 2020 sur la mise en œuvre du règlement Dublin III (2019/2206(INI)) », en son point 35.

Par ailleurs, la demanderesse entend rappeler que l’article 26, paragraphe (1) du règlement Dublin III s’opposerait à ce que l’Etat membre ayant formulé une requête aux fins de prise ou reprise en charge d’une personne adopte une décision de transfert et la notifie à ladite personne avant que l’Etat membre requis ait donné son accord explicite ou implicite à cette requête.

Enfin, elle considère que l’examen de sa demande de protection internationale incomberait désormais aux autorités luxembourgeoises en vertu d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « la CJUE », du 13 novembre 2018, dans les affaires C-47/17 et C-48/17, de sorte qu’à l’écoulement des délais impératifs fixés par le législateur européen, la procédure de détermination de l’Etat membre responsable serait close, la demanderesse précisant qu’en l’espèce, à défaut pour les autorités italiennes d’avoir répondu dans le délai de deux semaines fixé à l’article 5, paragraphe (2) du règlement d’exécution à la demande de réexamen leur ayant été adressée en date du 1er avril 2022, la procédure additionnelle de réexamen devrait être considérée comme étant définitivement close, de sorte que les autorités luxembourgeoises devraient, à compter de l’expiration dudit délai, être considérées comme responsables de l’examen de sa demande de protection internationale. A cela s’ajouterait que comme aucune acceptation tacite suite à la notification de la requête aux fins de prise en charge initiale ne pourrait être retenue en l’espèce, le délai de deux mois à l’expiration duquel l’absence de réponse de l’Etat membre requis fixé à l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III ne trouverait pas à s’appliquer.

A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le tribunal n’adhérerait pas à son argumentation principale, la demanderesse sollicite la saisine de la CJUE de deux questions préjudicielles formulées en ces termes :

- « L’article 22 (7) du Règlement Dublin III trouve-t-il à s’appliquer malgré l’intervention, dans le délai de deux mois prescrit par l’article 22 (1) du règlement Dublin III, d’une réponse notifiée par l’Etat membre requis suite à la requête de prise en charge qui lui a été notifiée par l’Etat membre requérant ? » - « Une réponse de l’Etat membre requis dans le délai de deux mois prescrit par l’article 22 (1) du règlement Dublin III intervenant suite à une requête aux fins de reprise en charge, intitulée par l’Etat membre requis « Information » et contenant un refus formel de prise en charge du demandeur, peut-elle être ignorée par l’Etat membre requérant et permettre, malgré cette réponse de l’Etat membre requis, l’application de l’article 22 (7) du règlement Dublin III ? » Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse.

Le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent2.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu'un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu'à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l'Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte formellement ou tacitement, la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III sur le fondement duquel la décision litigieuse a également été prise dispose, quant à lui, que « Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière ».

2 trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 494 et les autres références y citées.

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui dont le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière en provenance d’un pays tiers, cette responsabilité prenant fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.

Le tribunal constate de prime abord qu’en l’espèce, à la lecture de la décision ministérielle déférée, celle-ci est motivée, d’une part, par le fait que la demanderesse a franchi illégalement la frontière italienne le 26 novembre 2021 et, d’autre part, par le fait que les autorités italiennes ont accepté tacitement, conformément à l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d’un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée », de prendre en charge Madame … sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

S’il n’est pas contesté en l’espèce, ni par la demanderesse, ni par les autorités italiennes, que cette dernière a irrégulièrement franchi la frontière italienne le 26 novembre 2021, de sorte à donner lieu à l’application de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, les parties, en l’espèce, sont en désaccord concernant la portée du courrier des autorités italiennes du 28 mars 2022, la demanderesse soutenant que par la dernière phrase dudit courrier, à savoir « En considération de l age de la jeune. du temps bref qu elle est restée dans notre pays ,presque de passage ,nous ne donnons notre accord officiel au transfert de la personne en objet en Italie », les autorités italiennes auraient refusé de donner leur accord officiel au transfert, donc refusé la prise en charge de la demanderesse et partant leur responsabilité, alors que le délégué du gouvernement estime que par l’absence d’acceptation expresse de la part des autorités italiennes à la demande de prise en charge leur adressée le 31 janvier 2022, tout en ayant informé et confirmé dans leur courrier du 28 mars 2022, référencé « EU REGULATION no.

604/2013/Dublin III – INFORMATION MINEUR 5.4 », que la demanderesse « N EST L OBJET QUE d une entrée illègale A Siracuse à la date du 17.1.2022 », devrait s’analyser en une acceptation implicite de faire droit à la demande de prise en charge en cause.

Force est au tribunal de retenir que c’est à bon droit que le délégué du gouvernement considère que les autorités italiennes n’ont pas donné de réponse formelle à la requête de prise en charge leur transmise le 31 janvier 2022. Il est vrai que la teneur du courrier litigieux des autorités italiennes du 28 mars 2022 peut, à première vue, prêter à confusion du fait qu’il semble ne pas vouloir donner d’« accord officiel » pour le transfert demandé, d’autant plus qu’il a été émis dans le délai de 2 mois, tel que prévu par l’article 22, paragraphe (1) du règlement Dublin III, fixant le délai pour l’Etat requis de répondre à la demande de prise en charge d’un demandeur de protection internationale sur base des règles de compétence dudit règlement. Il n’en reste pas moins que ledit courrier ne saurait néanmoins valoir refus exprès de prise en charge au sens de l’article 5 du règlement d’exécution, devant nécessairement être déclinatoire de responsabilité. En effet, au-delà du constat que du fait que le courrier du 28 mars 2022 porte en référence la mention expresse « INFORMATION MINEUR », il n’épouse pas la forme d’une décision formelle usuelle telle qu’elle ressort des décisions anonymisées, versées à titre de comparaison par le délégué du gouvernement, portant toutes, à ce même endroit du courrier, les mentions « ACCEPTATION », respectivement « REFUS » ou « REJECTION », force est au tribunal de constater que ledit courrier ne porte aucun argumentaire, ni aucune conclusion par rapport à la responsabilité pour le traitement de la demande de protection internationale litigieuse, respectivement pour justifier une éventuelle incompétence de l’Italie à cet égard, par référence à une quelconque disposition du règlement Dublin III, mais se limite à reprendre, sans les contester, les mêmes éléments factuels mis en avant par les autorités luxembourgeoises pour justement conclure à la responsabilité de l’Italie.

Ainsi, par le fait de préciser que « nous ne donnons notre accord officiel au transfert […] en Italie », les autorités italiennes n’ont pas donné de réponse négative, basée sur une analyse en fait et en droit des éléments de la cause, pour conclure à l’absence de responsabilité dans leur chef, mais ont simplement informé le ministre qu’aucun accord « officiel », partant explicite, ne lui sera adressé par leur soins, insinuant, au regard de la non-contestation des éléments factuels mis en avant pour conclure à leur responsabilité et au regard du fait qu’ils ne déclinent pas expressément leur responsabilité, que la prise en charge ne pourrait se faire que sur base d’un accord tacite, par opposition à l’accord exprès, soit « officiel ».

Il s’ensuit que le courrier précité du 28 mars 2022 ne saurait être interprété comme un refus pleinement motivé de la part des autorités italiennes d’accepter leur responsabilité, tel que prévu à l’article 5 du règlement d’exécution.

Ce constat n’est pas énervé par l’argumentaire de la demanderesse suivant lequel, eu égard à l’intitulé de la réponse des autorités italiennes du 28 mars 2022, et plus particulièrement de la référence « INFORMATION MINEUR 5.4 » y contenue, il devrait être admis que la demanderesse serait considérée comme étant une mineur non accompagnée par les autorités italiennes et qu’a fortiori celles-ci auraient fait application de l’article 8, paragraphe (4) du règlement Dublin III pour motiver leur refus de prise en charge.

En effet, il ne saurait être déduit de la seule mention « INFORMATION MINEUR 5.4 » que les autorités italiennes ont pris une décision négative basée sur la prétendue qualité de mineur non accompagnée de la demanderesse puisque, outre le fait que ledit courrier identifie, tout comme c’est le cas de la demande de prise en charge des autorités luxembourgeoises, la personne concernée par la demande comme étant « … née le …, alias …, née le … », tel que relevé ci-avant, le courrier du 28 mars 2022 ne comporte aucun argumentaire, ni aucune conclusion par rapport à la responsabilité pour le traitement de la demande de protection internationale litigieuse, respectivement pour justifier une éventuelle incompétence de l’Italie à cet égard, par référence à une quelconque disposition du règlement Dublin III, ni plus particulièrement par référence à l’article 8, paragraphe (4) du règlement Dublin III.

Au vu de ce qui précède, il doit être retenu que les autorités italiennes n’ont pas répondu expressément, par une acceptation ou par un refus, à la requête de prise en charge leur transmise le 31 janvier 2022 par les autorités luxembourgeoises, de sorte qu’elles sont à considérer comme ayant tacitement accepté la prise en charge de la demanderesse sur le fondement de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, en l’absence de réponse, négative ou affirmative, à l’expiration du délai de deux mois. Ainsi, c’est à bon droit que le ministre a décidé de transférer la demanderesse vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.

Il s’ensuit encore qu’en l’absence d’une décision de refus au sens de l’article 5 du règlement d’exécution, le ministre n’était pas en situation de solliciter un réexamen de sa requête de prise en charge, étant, à cet égard, relevé que, contrairement à ce que soutient la demanderesse, aucune demande de réexamen n’a d’ailleurs été adressée par l’autorité ministérielle aux autorités italiennes. En effet, le courrier du 1er avril 2022 adressé par l’autorité ministérielle aux autorités italiennes ne saurait s’analyser en une demande de réexamen au sens de l’article 5, paragraphe (2) du règlement d’exécution, ledit courrier n’évoquant nulle part un prétendu refus qui aurait été opposé par les autorités italiennes à la demande de prise en charge leur adressée, mais ne faisant que confirmer que les parties partagent la même analyse des éléments du dossier, en l’occurrence que (i) la demanderesse est entrée illégalement en Italie le « 17 janvier 2022 », (ii) qu’elle n’y a pas introduit de demande de protection internationale, (iii) qu’elle n’est pas titulaire d’un titre de séjour en Italie et (iv) qu’elle est restée sur le territoire italien pendant une courte durée, à savoir moins de deux mois.

Il s’ensuit que le moyen tenant au non-respect, par les autorités italiennes du délai de deux semaines fixé par l’article 5, paragraphe (2), précité, prévu pour répondre à une telle demande de réexamen est à rejeter pour manquer en fait. La même conclusion s’impose concernant le moyen ayant trait au manquement à la procédure de prise en charge, visant une violation du considérant 5, ainsi que des articles 3, paragraphe (1), 13, 18, 21, paragraphe (1), 22, paragraphes (1) et (7) et 26, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 et 5 du règlement d’exécution.

Pour les mêmes raisons, la demande tendant à saisir la CJUE de deux questions préjudicielles concernant le respect de l’article 22, paragraphe (7) du règlement est à rejeter pour également manquer en fait.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens, que le recours en réformation est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

se déclare compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;

reçoit ledit recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation ;

met les frais et dépens de l’instance à charge de la demanderesse.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Laura Urbany, juge, Benoît Hupperich, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique de vacation du 24 août 2022 en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 août 2022 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 47758
Date de la décision : 24/08/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 31/08/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-08-24;47758 ?

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