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18/08/2022 | LUXEMBOURG | N°47737

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 août 2022, 47737


Tribunal administratif Numéro 47737 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2022 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 18 août 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47737 du rôle et déposée le 25 juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardava

n FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg...

Tribunal administratif Numéro 47737 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2022 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 18 août 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47737 du rôle et déposée le 25 juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …, … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant à L…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 juin 2022 ayant déclaré irrecevable sa demande de protection internationale sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 août 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Charline RADEMECKER en sa plaidoirie à l’audience publique de vacation du 17 août 2022.

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Le 15 février 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Par une décision du 3 juin 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur … comme non fondée et lui enjoignit de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par arrêt de la Cour administrative du 22 juin 2021, portant le numéro 45915C du rôle, Monsieur … fut définitivement débouté de son recours contentieux introduit à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 3 juin 2020.

1Monsieur … introduisit ensuite une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 d’abord par courrier daté du 30 août 2021, puis par déclaration déposée entre les mains du compétent du ministère en date du 15 septembre 2021.

Le 9 décembre 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa nouvelle demande de protection internationale.

Par décision du 24 juin 2022, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 29 juin 2022, le ministre informa Monsieur … que sa nouvelle demande de protection internationale avait été déclarée irrecevable sur base de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre deuxième demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite en date du 15 septembre 2021, auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes.

Il ressort des éléments de votre dossier que vous avez introduit une première demande de protection internationale au Luxembourg en date du 15 février 2019 qui a été refusée par décision ministérielle du 3 juin 2020. Vous avez invoqué à la base de cette demande que vous auriez quitté l’Afghanistan à cause de menaces proférées à votre égard par des personnes non autrement identifiées que vous supposez être des Talibans. Dans le cadre de votre travail, vous vous seriez rendu dans la province de Paktia pour installer internet dans la ville de Gardez.

Le directeur des opérations, le manager technique et vous-même auriez rencontré les Talibans, afin de les payer « pour qu’ils ne détruisent pas les antennes de l’internet » (p.4/10 du rapport d’entretien). Il s’agirait là d’une procédure normale dans les endroits où les Talibans seraient présents. Quelques mois plus tard, votre directeur vous aurait contacté en vous accusant d’avoir dévoilé aux autorités le lieu de séjour des Talibans dans la ville de Gardez, étant donné que « l’état Afghan et des militaires étrangers avaient interpelés les Talibans auxquels nous avions donnés l’argent » (p.5/10 du rapport d’entretien) et qu’« ils en ont tués quelques-uns ».

Vous supposez que le directeur, dans une tentative de se sauver soi-même, vous aurait faussement accusé de cet acte. Vous auriez immédiatement arrêté votre travail étant donné que les Talibans auraient eu l’adresse de votre lieu de travail. Vous auriez en outre déposé une plainte alors que votre vie serait en danger, mais les policiers n’auraient rien fait pour vous protéger. En novembre 2018, lorsque vous auriez passé la soirée chez des amis, votre tante vous aurait contacté afin de vous avertir de ne pas rentrer, alors que des personnes non autrement identifiées que vous supposez être des Talibans se seraient rendues chez votre oncle en étant à votre recherche et auraient fouillé la maison.

Le 22 juin 2021, vous avez été débouté de votre demande de protection internationale par arrêt de la Cour administrative (numéro 45915C du rôle) au motif que « la Cour se rallie et se fait sienne l’analyse des premiers juges qui les a amenés à la conclusion que les craintes invoquées par l’appelant de faire l’objet de représailles de la part des Talibans qui lui reprocheraient d’avoir dévoilé l’endroit où ils se trouvaient à … aux autorités qui y auraient par la suite mené une attaque, ne repose que sur de simples conjectures. Quant à la pièce versée par l’appelant, intitulée « PV de la Police de …D… du 11/06/2019 et sa traduction », en rapport avec la susdite visite des Talibans à son domicile venus pour l’arrêter, la Cour, à l’instar des premiers juges, considère qu’elle est dénuée de force probante, étant donné qu’il ne s’agit pas d’un procès-verbal de police, mais des déclarations manuscrites d’un prétendu avocat et qu’elle comporte en plus une contradiction avec les déclarations de l’appelant, en ce qu’il est indiqué que les Talibans seraient venus le 10 juin 2019, tandis que l’appelant a indiqué 2au cours de son audition la date de novembre 2018. Les premiers juges ont ainsi valablement pu retenir que la crainte de Monsieur A de subir des représailles de la part des Talibans est trop hypothétique pour pouvoir être qualifiée de crainte fondée de subir des actes de persécution. C’est partant à bon droit que le ministre, puis les premiers juges ont rejeté comme non fondée la demande en reconnaissance du statut de réfugié de Monsieur A. » Le 20 juillet 2021, sur décision du Ministre, vous avez bénéficié d’un report à l’éloignement valable jusqu’au 20 janvier 2022.

Le 3 août 2021, la Direction de l’immigration vous a proposé de vous accorder exceptionnellement une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié sous condition de compléter votre dossier avec les pièces requises à cet effet.

Le 8 septembre 2021, vous avez informé la Direction de l’immigration que vous compteriez introduire une nouvelle demande de protection internationale, ce que vous avez fait en date du 15 septembre 2021.

Monsieur, vous signalez avoir introduit cette nouvelle demande de protection internationale parce que les Talibans auraient pris le pouvoir en Afghanistan et que votre vie y serait toujours en danger, « c’est toujours actuel » (p. 2 du rapport d’entretien). Désormais, les Talibans pourraient interpeller et assassiner les gens plus facilement, ce qu’ils feraient avec les habitants du Panjshir, votre région d’origine et la dernière province à leur avoir fait la guerre. Les Talibans auraient pris la maison où aurait habité votre frère et en auraient fait un poste de sécurité, une démarche qu’ils auraient répétée avec beaucoup d’autres maisons dans la région. La majorité des habitants de cette région aurait été forcée à quitter leurs domiciles et seraient partis pour l’Iran ou le Pakistan. En cas d’un retour en Afghanistan, vous auriez peur d’être tué par les Talibans, d’autant plus qu’ils considéreraient les émigrants vers l’Europe comme des mécréants.

Je suis au regret de vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28 (2) d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après la « Loi de 2015 »), votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n’avez présenté aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si vous remplissez les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.

Je note dans ce contexte, que selon l’article 32 (4) « Si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, l’examen de la demande est poursuivi, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse ».

Conformément à l’article précité, je constate que vous ne faites manifestement pas état de tels éléments nouveaux qui augmenteraient de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour pouvoir prétendre à une protection internationale alors que vous confirmez baser votre nouvelle demande sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre première demande. En effet, vous expliquez toujours craindre que votre vie serait en danger en Afghanistan, « c’est toujours actuel » (p. 2 du rapport d’entretien) en parlant de votre crainte de vous faire tuer par les Talibans. Or, ces craintes ont déjà été traitées 3et toisées dans le cadre de votre première demande de protection internationale de sorte à ne plus pouvoir être perçues comme des éléments nouveaux tel que prévu par ledit article 28. A cela s’ajoute que, comme retenu dans l’arrêt précité, vos craintes dans ce contexte sauraient tout au plus être perçues comme étant hypothétiques et ne reposant sur aucun fait concret, constat qui vaut d’autant plus au vu de l’aspect manifestement douteux de la pièce versée dans le cadre de votre première demande de protection internationale, pièce, qui, contrairement à vos dires, ne constituait pas un procès-verbal de police mais des déclarations manuscrites d’un prétendu avocat comportant de surplus des contradictions avec vos propres dires.

Quant au fait que la région du Panjshir serait la dernière région d’Afghanistan à faire la guerre aux Talibans, que ces derniers s’empareraient des maisons d’habitants pour !es transformer en postes de contrôle, dont celle de votre frère, ou que la majorité de la population de Panjshir serait partie en Iran ou au Pakistan, force est de constater que la description de la prétendue situation générale régnant au Panjshir ne permet pas de conclure que vous seriez personnellement la victime de persécutions en cas d’un retour vers votre pays d’origine, respectivement, que les craintes que vous invoquez seraient à percevoir comme étant des craintes fondées de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015. De plus, il ressort de votre dossier administratif que vous n’auriez même pas vécu dans la province de Panjshir, mais bien à Kaboul, dans la maison de votre oncle et de votre tante.

Au vu de tout ce qui précède et du caractère totalement hypothétique de vos craintes, il doit être conclu au sens de l’article 32 précité, premièrement, que vous ne faites pas part de motifs de fuite nouveaux par rapport à votre première demande de protection internationale et deuxièmement, que la seule prise de pouvoir des Talibans en Afghanistan ne constitue pas un élément qui augmenterait de manière significative la probabilité de vous faire octroyer une protection internationale.

Enfin, rappelons à toutes fins utiles qu’il vous a déjà été proposé par la Direction de l’immigration de régulariser exceptionnellement votre situation au Luxembourg moyennant une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié.

Votre nouvelle demande en obtention d’une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable au sens de l’article 28 (2) d).

Conformément aux articles 35 (3) et 36 (2), la présente décision est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de quinze jours à partir de la notification de la présente. Le recours contre la présente décision d’irrecevabilité n’a pas d’effet suspensif.

Je vous informe par ailleurs que le recours gracieux n’interrompt pas les délais de la procédure et que la décision du Tribunal administratif n’est pas susceptible d’appel. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 juillet 2022, inscrite sous le numéro 47737 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 24 juin 2022.

Etant donné que la décision déférée déclare irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur … sur base de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 et que l’article 35 (3) de ladite loi prévoit un recours en annulation en matière de demandes de 4protection internationale déclarées irrecevables sur base de l’article 28 (2) de la même loi, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Lors de l’audience des plaidoiries, le tribunal a toutefois soulevé d’office la question de la recevabilité ratione temporis du recours sous analyse, conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

En effet, conformément à l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision d’irrecevabilité prise en vertu de l’article 28, paragraphe (2) […] un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification ».

Force est encore de constater qu’aux termes de l’article 10 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 » : « Toute partie à une procédure administrative a le droit de se faire assister par un avocat ou, dans des affaires 6 de nature technique, d'un conseil technique. (…). En cas de désignation d'un mandataire, l'autorité adresse ses communications à celui-ci. Toutefois, la décision finale est en outre notifiée à la partie elle-même », de sorte qu’en cas de désignation d’un mandataire, la décision finale doit également être notifiée à celui-ci.

Enfin, selon l’article 3 paragraphe 1er de la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle, le 16 mai 1972, approuvée par la loi du 30 mai 1984, les délais exprimés en jours, semaines, mois, années, courent à partir du dies a quo, minuit, jusqu’au dies ad quem, minuit.

Force est au tribunal de constater qu’en l’espèce la décision du 24 juin 2022 a été adressée au requérant par envoi recommandé remis à la poste en date du 29 juin 2022 et lui notifié en date du 30 juin 2022 ; le requérant n’ayant toutefois pas été présent à cette date, il a retiré l’envoi recommandé en date du 1er juillet 2022. La décision a encore été adressée au mandataire du requérant par courrier recommandé remis à la poste en date du 29 juin 2022 et lui notifié en date du 30 juin 2022.

Il est dès lors constant en cause que le mandataire du requérant s’est vu notifier la décision en date du jeudi 30 juin 2022, à savoir le dies a quo, de sorte que le délai contentieux a commencé à courir le lendemain, 1er juillet 2022.

Il appert dès lors que le délai de recours de 15 jours a expiré le vendredi 15 juillet 2022.

Il s’ensuit que le recours, introduit le 25 juillet 2022, est irrecevable pour avoir été déposé en dehors du délai de quinze jours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

déclare le recours irrecevable pour cause de tardiveté ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

5 Marc Sünnen, président, Olivier Poos, premier juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique extraordinaire du 18 août 2022 par le président, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 août 2022 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 47737
Date de la décision : 18/08/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 23/08/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-08-18;47737 ?

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