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05/08/2022 | LUXEMBOURG | N°47676

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 août 2022, 47676


Tribunal administratif N° 47676 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2022 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire de vacation du 5 août 2022 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47676 du rôle et déposée le 8 juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maîtr

e Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,...

Tribunal administratif N° 47676 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2022 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire de vacation du 5 août 2022 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47676 du rôle et déposée le 8 juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Mali) et être de nationalité malienne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence Findel (« SHUF »), sise à L-1751 Findel, 12a, Beim Haff, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 juin 2022 de le transférer vers Malte comme étant l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jeff Reckinger en sa plaidoirie à l’audience publique de vacation du 3 août 2022.

Le 28 mars 2022, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, ainsi que sur base de la comparaison des empreintes digitales de Monsieur … dans la base de données EURODAC, qu’il avait déposé une première demande de protection internationale à Malte en date du 27 mars 2019.

Toujours le 28 mars 2022, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres 1par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 29 mars 2022, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités maltaises aux fins de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Par courrier du 1er avril 2022, les autorités maltaises acceptèrent la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point c) du règlement Dublin III.

Par arrêté du 7 avril 2022, notifié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à la SHUF pour une durée de trois mois.

Par décision du 22 juin 2022, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 24 juin 2022, le ministre informa Monsieur … du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers Malte sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point c) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 28 mars 2022 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1) c du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers Malte qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 28 mars 2022.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 28 mars 2022, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale à Malte en date du 27 mars 2019.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 28 mars 2022.

2Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 29 mars 2022 une demande de reprise en charge aux autorités maltaises sur base de l'article 18(1)b du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités maltaises en date du 1er avril 2022, sur base de l'article 18(1)c.

2.

Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette compétence revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point c) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le ressortissant de pays tiers ou l'apatride qui a retiré sa demande en cours d'examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre.

Un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3.

Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 28 mars 2022 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale à Malte en date du 27 mars 2019.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Mali en juillet 2016. Vous auriez traversé le Niger en voiture afin de vous rendre en Algérie où vous seriez resté jusqu'en novembre 2017.

Vous auriez ensuite passé environ un an en Libye avant de monter sur un bateau en direction de Malte en janvier 2019. Selon vos dires, vous auriez eu un entretien dans le cadre de votre demande de protection internationale à Malte, mais vous auriez décidé de quitter le pays en avril 2021 sans avoir reçu une décision concernant votre demande. Vous auriez pris un ferry pour vous rendre en Italie. Vous y auriez séjourné pendant environ un an sans introduire une demande de protection internationale. Vous auriez ensuite traversé la France pour arriver au Luxembourg en date du 24 mars 2022.

3 Monsieur, lors de votre entretien Dublin III en date du 28 mars 2022, vous avez mentionné avoir une tension au niveau du cœur depuis 2019. Il y a cependant lieu de signaler que vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers Malte qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Vous déclarez avoir quitté Malte parce que vous n'auriez pas eu de réponse à votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que Malte est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que Malte est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que Malte profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. Par conséquent, Malte est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers Malte sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires maltaises.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que Malte ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence à Malte revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

4Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers Malte, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers Malte, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers Malte en informant les autorités maltaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités maltaises n'ont pas été constatées. […] ».

Par arrêté du 6 juillet 2022, notifié à l’intéressé en mains propres le 7 juillet 2022, le ministre prorogea l’assignation à résidence de Monsieur … à la SHUF pour une durée de trois mois.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2022, inscrite sous le numéro 47676 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre la décision ministérielle, précitée, du 22 juin 2022 décidant de le transférer vers Malte comme étant l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit en l’espèce, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur retrace les faits et rétroactes ayant mené à la décision déférée du 22 juin 2022, tout en expliquant qu’il aurait quitté son pays d’origine en juillet 2016 à cause de la situation de sécurité qui y règnerait.

5Il aurait traversé le Niger, l’Algérie et la Libye. En janvier 2019, ensemble avec une quarantaine de personnes, il serait monté à bord d'un petit bateau pour traverser la Méditerranée en direction de Malte.

Après une année et quelques mois à Malte, Monsieur … se serait rendu par le biais d'un navire en Italie, plus précisément à Naples. Il y aurait vécu dans la rue pendant plus au moins un an pour ensuite traverser la France, et se rendre en train au Luxembourg en date du 24 mars 2022.

En droit, le demandeur cite tout d’abord les dispositions de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III.

Il donne, dans ce contexte, à considérer que les autorités maltaises n’auraient pas respecté les dispositions de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par la « directive Accueil », ni celles de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », Monsieur … précisant encore à cet égard ne pas contester la compétence de principe de Malte pour connaître de sa demande de protection internationale.

Dans ce contexte, il cite un rapport de l’organisation Asylum Information Database (AIDA), intitulé « Country Report : Malta, 2021 Update », mis à jour au 31 décembre 2021, duquel il ressortirait que les demandeurs de protection internationale ayant quitté Malte sans l’accord des autorités maltaises, risqueraient de voir leur demande être considérée comme implicitement retirée. Aussi, ce rapport indiquerait que des demandeurs d’asile ayant fui Malte et qui auraient été transférés sur base du règlement Dublin III auraient été placés en rétention après leur retour à Malte, dans la mesure où les autorités maltaises considéreraient que les éléments sur lesquels se fonderait leur demande de protection internationale ne pourraient être obtenus sans un placement en rétention, en raison du risque de fuite dans leur chef.

Il en conclut qu’il serait « indéniable » qu’il serait, suite à son transfert à Malte, placé en rétention et ceci dans des conditions déplorables.

Quant à ces conditions d’accueil, il se prévaut d’un rapport du Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe, ci-après le « CPT », publié le 10 mars 2021, intitulé « Report to the Maltese Government on the visit to Malta carried out by the European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Treatment of Punishment from 17 to 22 September 2020 », concernant une visite effectuée à Malte du 17 au 22 septembre 2020, ainsi que d’un communiqué de presse du CPT du même jour y relatif selon lequel il constaterait que « le système d'accueil des migrants [serait] au bord de la rupture [dans la mesure où il] se [contenterait] de maintenir des migrants qui [auraient] purement et simplement été abandonnés, dans des conditions et bénéficiant de régimes de rétention déplorables frôlant la négligence institutionnelle de masse de la part des autorités ». Selon ce même communiqué « les conditions de vie, les régimes proposés, l'absence de garanties de procédures légales, la façon de traiter les groupes de personnes vulnérables […] se [seraient] révélés si problématiques qu'elles pouvaient s'apparenter à des traitements inhumains et dégradants incompatibles avec l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. » 6Ce rapport aurait mis en évidence, suite à 6 affaires ayant été jugées par les autorités maltaises, des conditions de détention illégales dans des centres pénitentiaires dans lesquels auraient été détenus des demandeurs de protection internationale.

Le CPT aurait encore souligné dans ce rapport que Malte devrait d'urgence revoir sa politique en matière de rétention des migrants en privilégiant une politique davantage orientée vers son devoir de prise en charge de toutes les personnes privées de leur liberté afin de les traiter avec dignité.

Le demandeur en conclut que contrairement aux dires du ministre, il existerait des indices et preuves que Malte ne respecterait pas l'article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après « la CEDH ».

Il renvoie ensuite à un rapport du commissaire aux droits de l’Homme du 15 février 2022 suite à une visite à Malte du 11 au 16 octobre 2021 selon lequel les demandeurs d’asile de sexe masculin seraient souvent mis à la porte des centres d’accueil au bout de six mois malgré le fait que leur demande de protection internationale n’aurait pas encore été traitée et qu’aucune évaluation quant à leur état de vulnérabilité ne serait effectuée avant leur départ dudit centre. Le commissaire recommanderait ensuite dans ce rapport de cesser toute détention d’enfants et que des garde-fous plus importants devraient être mis en place afin d’éviter la détention de personnes vulnérables, de prévenir les détentions arbitraires et de s’assurer que la détention serait uniquement utilisée comme mesure de dernier ressort et pour la période la plus courte possible.

Il renvoie ensuite aux articles 2, point h), 8 et 9 point 1, de la directive Accueil, en faisant valoir que selon les rapports précités de l’AIDA, du CPT et du Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, les demandeurs d’asile seraient systématiquement placés « en détention » sans que les autorités maltaises n’aient procédé à un examen individualisé de la situation personnelle de ceux-ci, ni envisagé de mesures de substitution à la détention, ce qui constituerait, selon le demandeur, une violation manifeste de la directive Accueil.

Le demandeur se base à cet égard encore sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », du 17 décembre 20201 et plus particulièrement sur son considérant numéro 226, qui aurait retenu que le système de placement systématique en rétention des demandeurs de protection internationale en Hongrie serait contraire au droit européen, tout en insistant sur le fait que la pratique maltaise s'apparenterait à celle de la Hongrie, à savoir une privation de liberté systématique des demandeurs de protection internationale.

A ces violations manifestes de la directive Accueil s'ajouteraient, selon le rapport de l’AIDA, précité, des problèmes d'accès à l'assistance juridique et de contrôle juridique de ces détentions pour les demandeurs de protection internationale.

Il cite ensuite l’article 9, points 3 et 6 de la directive Accueil et conclutqu’au vu des rapports susmentionnés, il résulterait que le droits prévus auxdites dispositions de la directive Accueil ne seraient pas garanties à Malte.

1 CJUE, 17 décembre 2020, Commission européenne c/ Hongrie, n° C-808/18.

7Il se prévaut ensuite à nouveau du rapport du CPT, précité, selon lequel les conditions de détention dans les centres pénitentiaires dans lesquels seraient détenus les demandeurs de protection internationale ne respecteraient pas les exigences minimales définies par ses soins et que ce dernier aurait critiqué la taille des cellules, les conditions d’hygiène, l’accès restreint à l’eau potable, l’impossibilité d’obtenir des vêtements de rechange, les conditions de détention des mineurs et des personnes vulnérables, le manque d’informations communiquées aux personnes retenues et le contact très limité de ceux-ci avec le monde extérieur, voir même avec le personnel des centres d’accueil.

Le rédacteur du rapport AIDA dénoncerait encore le manque d’accès à des espaces extérieurs ou d’espaces de prières, les longues périodes pendant lesquelles les demandeurs seraient enfermés au cours d’une journée, l’accès limité à des téléphones, ainsi que le manque de ventilation, de lumière ou de chauffage des pièces dans lesquelles les personnes seraient retenues. Il critique de même les conditions d’hygiène et l’absence d’accès à des soins de santé.

Le demandeur cite ensuite l’article 17, points 1 et 2 de la directive Accueil et fait valoir que les rapports susmentionnés témoigneraient à suffisance que Malte ne pourrait pas assurer un accès à des conditions matérielles d’accueil lui assurant un niveau de vie adéquat, garantissant sa subsistance et protégeant sa santé physique et mentale.

Finalement, il soulève que le Conseil d'Etat néerlandais aurait statué le 15 décembre 2021 que les autorités néerlandaises chargées de l'immigration ne pourraient plus se fonder sur le principe de confiance mutuelle pour les transferts Dublin vers Malte. Si les autorités d'immigration néerlandaises souhaitent procéder à des transferts Dublin vers Malte, elles seraient tenues de prouver au préalable que le transfert n'entraînera pas dans le chef de la personne concernée une violation de l'article 3 de la CEDH. La Cour mentionnerait spécifiquement la détention structurelle des « rapatriés » de Dublin et estimerait que ces conditions de détention constitueraient une violation de l'article 3 de la CEDH et de l'article 4 de la Charte.

En outre, le Conseil d'Etat néerlandais mentionnerait aussi spécifiquement l'absence de recours effectif contre la détention en raison du manque d'accès à la justice, ce qui serait considéré comme une violation de l'article 5 de la CEDH.

Le demandeur reproche ensuite au ministre que bien que tous ces éléments aient été à sa connaissance au moment de la prise de sa décision en date du 22 juin 2022, il ne les aurait pas pris en compte et n’aurait pas recherché auprès des autorités maltaises des garanties individuelles, ainsi que l’accès aux besoins les plus élémentaires et ce malgré son obligation d'écarter un risque concret de le voir exposé à des traitements inhumains et dégradants pour le cas où les autorités maltaises ne seraient pas aptes à fournir un accès aux besoins les plus élémentaires.

Le demandeur estime que l’obligation de rechercher des garanties individuelles auprès des autorités maltaises incomberait également au ministre au regard de l’article 3 de la CEDH et de la jurisprudence y afférente de la CourEDH, qui aurait précisé dans son arrêt « Tarakhel contre Suisse » du 4 novembre 2014, n°29217/12, que l’expulsion d’un demandeur d’asile par un Etat contractant pourrait soulever un problème au regard de l’article 3 de la CEDH, et donc engager la responsabilité de l’Etat en cause, ce qui impliquerait, le cas échéant, l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays.

8Dans ces circonstances, prises ensemble avec les informations objectives au sujet des défaillances du système maltais en ce qui concerne l’accueil des demandeurs de protection internationale, il ne suffirait, dès lors, pas de se retrancher derrière le fait que Malte est liée à la Charte et à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-

après désignée par « la Convention de Genève ».

Il y aurait donc lieu de retenir qu’il serait exposé à un risque de subir un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 4 de la Charte et de l’article 3 de la CEDH.

Il en résulterait que les conditions d’application de l’article 3 du règlement Dublin III seraient remplies et que la décision entreprise serait à réformer pour violation de l’article 3 précité, sinon pour cause d’erreur manifeste d’appréciation.

Le demandeur fait finalement valoir que le ministre aurait violé l’article 17 du règlement Dublin III. A cet égard, il cite les dispositions de l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que celles de l’article 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III et reproche aux autorités luxembourgeoises d’avoir pris la décision de le transférer vers Malte, alors même qu’elles auraient été au courant du risque de traitement dégradant et inhumain dans ce cas.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

En ce qui concerne la procédure de détermination de l’Etat membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale, il y a tout d’abord lieu de relever qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015: « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale. ».

Aux termes de l’article 18, paragraphe (1), point c) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a été prise, « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] c) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25, et 29 le ressortissant de pays tiers ou l’apatride qui a retiré sa demande en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre ».

Si, ainsi, le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers Malte et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application des articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 18, paragraphe (1), point c), du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale est Malte, en ce 9qu’il y a introduit une demande de protection internationale en date du 27 mars 2019 et que les autorités maltaises ont accepté sa reprise en charge par courrier du 1er avril 2022, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner la demande de protection internationale déposée par Monsieur … au Luxembourg et de le transférer vers Malte.

Le tribunal constate ensuite que le demandeur ne conteste ni la compétence de principe des autorités maltaises, ni, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises pour connaître de sa demande de protection internationale et de ses suites, mais qu’il soutient, en substance, que son transfert vers Malte serait contraire à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, en combinaison avec les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, et à l’article 17 du règlement Dublin III.

Il y a tout d’abord lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre de ce faire.

L’article 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III dispose que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte.

Le tribunal est amené à constater que dans le cadre de son argumentation ayant trait à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, le demandeur, tout en dénonçant de manière générale l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale à Malte, invoque surtout la violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en soutenant que les autorités maltaises seraient à l’origine de traitements inhumains et dégradants envers les demandeurs de protection internationale et que Malte agirait en violation du droit européen.

10A cet égard, le tribunal relève tout d’abord que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le Protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3 4.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE8, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20179.

2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

3 Ibidem, point. 79.

4 Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, point. 95.

7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

8 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

11Le tribunal relève encore que la CJUE a, dans un arrêt du 19 mars 201910, confirmé ce principe selon lequel le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment aux articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève ainsi que de la CEDH.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage de l’arrêt de la CJUE du 19 mars 201911, précité, que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine12. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant13: le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable de l’examen de la demande de protection internationale n’est ainsi pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.

En l’espèce, le demandeur remettant en question cette présomption du respect des droits fondamentaux, puisqu’il fait état de défaillances systémiques à Malte, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser en présentant des éléments permettant de retenir que la situation à Malte telle que décrite par lui atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et des principes dégagés ci-avant. Force est de constater qu’à l’appui de ses affirmations, il se prévaut d’un rapport de l’AIDA, intitulé « Country Report : Malta, 2021 Update », mis à jour au 31 décembre 2021, d’un rapport du CPT, publié le 10 mars 2021, intitulé « Report to the Maltese Government on the visit to Malta carried out by the European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Treatment of Punishment from 17 to 22 September 2020 », concernant une visite 10 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17.

11 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point. 91.

12 Ibid., pt. 92.

13 Ibid., pt. 93.

12effectuée à Malte du 17 au 22 septembre 2020, ainsi que de du communiqué de presse du CPT du même jour y relatif et d’un rapport du commissaire aux droits de l’Homme du 15 février 2022 suite à une visite à Malte du 11 au 16 octobre 2021. Il se réfère encore à un arrêt de la CJUE du 17 décembre 2020, C-808/18, à un arrêt de la CourEDH du 4 novembre 2014 rendu dans l'affaire Tarakhel c. Suisse, et à un arrêt du Conseil d'Etat néerlandais du 15 décembre 2021.

Or, il ne résulte ni théoriquement, ni concrètement des documents ainsi soumis au tribunal que des défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité caractériseraient la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale à Malte.

En effet, force est d’abord de relever que le demandeur n’a fait état d’aucun élément concret de son vécu personnel permettant de conclure à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale à Malte, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte dans son chef, empêchant son transfert vers ce pays, son affirmation non autrement étayée selon laquelle il aurait « une tension au niveau du cœur depuis 2019 » n’étant, en l’absence de tout développement à cet égard dans sa requête introductive d’instance ou de preuve matérielle y relative, en tout état de cause pas suffisante à cet égard. Au contraire, lorsqu’il a été questionné sur les raisons pour lesquelles il a quitté Malte, le demandeur n’a indiqué aucune raison particulière, indiquant même avoir eu un entretien dans le cadre de sa demande de protection internationale à Malte, mais qu’il aurait décidé de quitter le pays en avril 2021 sans attendre une décision concernant sa demande. Or, si les conditions de son séjour à Malte avaient été aussi difficiles qu’il semble le suggérer actuellement, il en aurait certainement fait état lors de son entretien.

Il ressort ensuite, certes, des pièces versées en cause par le demandeur, et notamment du rapport de l’AIDA, qui fait état, inter alia, de la situation des dublinés retournés à Malte, que si un demandeur d'asile quitte Malte sans la permission des autorités de l'immigration, soit en s'échappant d'une rétention, soit en quittant le pays de manière irrégulière, les autorités maltaises considéreront généralement que la demande d'asile a été implicitement retirée, ce qui le rend susceptible d'être renvoyé et placé en rétention par les autorités chargées de l'immigration à son retour à Malte. Il ressort de ce même rapport qu’en effet, en 2019 et 2020, des ONG venant en aide aux migrants, telles que l’aditus Foundation et JRS, ont signalé que la plupart des rapatriés en vertu du règlement Dublin III qui avaient fui Malte étaient placés en rétention à leur retour. Néanmoins, il ressort de ce même rapport que concernant l’année 2021, il n'existerait pas de politique claire concernant les dublinés à Malte et que les ONG ne seraient actuellement pas en mesure de faire des commentaires sur la rétention des dublinés après leur retour à Malte en raison de leur incapacité à surveiller la situation des centres de détention, en raison de sévères restrictions d'accès aux centres. Par conséquent, le demandeur reste en défaut d'établir que toute personne transférée à Malte en application du règlement Dublin III serait automatiquement et illégalement placée en rétention.

Ensuite, ce rapport indique que si un dubliné est placé en rétention à son retour, cette décision serait susceptible d'être fondée sur le motif que les éléments justifiant la demande de protection internationale ne pourraient pas être déterminés sans un placement en rétention, en raison du risque de fuite qui existerait dès lors dans le chef du demandeur.

13Dans ce contexte, force est de constater que les Etats membres sont autorisés, suivant les dispositions de l'article 28 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale (« directive Procédure »), à présumer qu'un demandeur a implicitement retiré sa demande de protection internationale ou y a implicitement renoncé, notamment lorsqu'il est établi: « b) qu'il a fui ou quitté sans autorisation le lieu où il vivait ou était placé en rétention, sans contacter l'autorité compétente dans un délai raisonnable ou qu'il n'a pas, dans un délai raisonnable, respecté l'obligation de se présenter régulièrement aux autorités ou d'autres obligations de communication, à moins que le demandeur ne démontre que cela était dû à des circonstances qui ne lui sont pas imputables ». En effet, ladite directive prévoit donc expressément la possibilité de considérer que le demandeur a renoncé à sa demande de protection internationale, notamment lorsqu’un demandeur abandonne son lieu de résidence sans en avoir informé l’autorité compétente.

Force est encore de relever que le placement en rétention d'un demandeur « pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu'il y a risque de fuite du demandeur » est également explicitement autorisé par la législation européenne, à savoir par l'article 8, paragraphe 3, point b), de la directive Accueil et qu’une telle possibilité existe d'ailleurs également dans la législation luxembourgeoise à l'article 22, paragraphe (2), point b) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que de telles décisions ne peuvent être considérées per se comme illégales ou constituant une violation aux droits fondamentaux.

Il ressort certes des pièces versées en cause par le demandeur, et notamment des rapports de l’AIDA et du CPT, que les autorités maltaises connaissent certains problèmes quant à leur capacité d’accueil due à des vagues successives d'arrivées de demandeurs d’asile, impliquant que ceux-ci risquent, suivant les situations, de se voir confrontés à des lenteurs dans la procédure de dépôt de leur demande de protection internationale, ainsi qu’à des difficultés en termes d’hébergement, de conditions de vie et d’accès aux soins, le délégué du gouvernement admettant lui-même dans son mémoire en réponse qu’il ressort « également que la politique et les conditions de rétention des migrants à Malte sont hautement critiquables, dans la mesure où elles impliquent, outre le placement en rétention des primo-arrivants, que les demandeurs d'asile et les migrants en voie d'expulsion risquent de se voir confrontés à des difficultés plus ou moins importantes au niveau de l'hébergement et de l'accès aux soins, ainsi que des conditions de vie en général dans les centres de rétention, et que la situation régnant à Malte, à l'image de celle dans certains autres Etats membres situés aux frontières extérieures, semble inquiétante. ». Il ne s’en dégage néanmoins pas que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale à Malte soient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets pour tout demandeur de protection internationale d’être systématiquement exposé à une situation de dénuement matériel extrême au sens de la jurisprudence précité de la CJUE, et ce, au point que son transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte.

S’agissant ensuite plus précisément des critiques avancées par le demandeur par rapport aux conditions d’accueil, force est tout d’abord de constater que celles-ci concernent principalement les demandeurs de protection internationale et ressortissants tiers qui ont dépassé la validité de leur visa, sinon les primo-arrivants, et non pas les demandeurs de protection internationale transférés à Malte en vertu du règlement Dublin III, tel que c’est le cas du demandeur, les autorités maltaises ayant, en effet, accepté sa reprise en charge sur base 14de l’article 18, paragraphe (1), point c) du règlement Dublin III, tel que cela a été retenu ci-

avant. Il échet de préciser à cet égard, que l’article 18, paragraphe (2) du règlement Dublin III dispose que « Dans les cas relevant du champ d’application du paragraphe 1, point c), lorsque l’État membre responsable avait interrompu l’examen d’une demande à la suite de son retrait par le demandeur avant qu’une décision ait été prise sur le fond en première instance, cet État membre veille à ce que le demandeur ait le droit de demander que l’examen de sa demande soit mené à terme ou d’introduire une nouvelle demande de protection internationale, qui ne doit pas être considérée comme une demande ultérieure prévue par la directive 2013/32/UE.

Dans ces cas, les États membres veillent à ce que l’examen de la demande soit mené à terme. », de sorte qu’à son retour à Malte le demandeur aura le droit de demander que l’examen de sa demande soit mené à terme ou d’introduire une nouvelle demande de protection internationale.

Il ne sera ainsi, contrairement aux allégations de son mandataire, pas traité comme un demandeur de protection internationale débouté ou comme une personne sans titre de séjour, dont la mise en rétention pourrait s’avérer nécessaire dans le but d’organiser un retour vers son pays d’origine. Il ne sera pas non plus traité comme un primo-arrivant.

Il ressort également du rapport du CPT, qu’en ce qui concerne les conditions sanitaires et de vie dans les centres de rétention mises en cause par le CPT, que des mesures nécessaires pour remédier à la situation critiquée semblent avoir été prises par les autorités maltaises afin d’améliorer les conditions de vie des demandeurs de protection internationale dans les centres de rétention14, notamment que des travaux de maintenance seraient effectués sur les sanitaires, que des sondages auraient été réalisés dans le but d’améliorer les conditions de vie et d’hygiène dans les différents blocs des centres de rétentions et que des travaux d’ameublement y seraient effectués. S’y ajoute que des lignes téléphoniques et des systèmes de télévision auraient été installés et qu’en attendant que les lignes fixes soient fonctionnelles la compagnie de téléphone local aurait mis à disposition du service de rétention un nombre considérable de cartes Sim avec un crédit de 10 euros pouvant recevoir gratuitement des appels entrants.

En ce qui concerne ensuite l'affirmation du demandeur que l'assistance juridique et le contrôle juridique seraient problématiques, il y a lieu de constater qu'il résulte du rapport de l'AIDA précité que les personnes placées en rétention ont accès à la justice pour contester la légalité de leur rétention et que les juridictions maltaises ont retenu, dans plusieurs affaires, que la rétention était irrégulière et elles ont prononcé la mise en liberté de la personne concernée, de sorte que si la procédure prémentionnée des autorités maltaises était de nature à violer les articles 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, il appartiendra au demandeur de faire valoir ses droits directement auprès des autorités maltaises en usant des voies de droit national, respectivement devant les instances européennes compétentes, étant relevé que le demandeur ne fournit pas d'éléments mettant valablement en cause le fait que l'Etat maltais est un Etat de droit où une personne, estimant être privée de ses droits, dispose de voies de recours adéquates. Par ailleurs, force est au tribunal de constater que la CourEDH15 a dans un autre cas, notamment dans un arrêt du 2 avril 2019 conclu à la non-violation de l'article 5, paragraphes 1) et 4) dans une affaire concernant la rétention d'un demandeur d'asile à Malte.

Quant au reproche du demandeur relatif à l'accès aux soins et l'encadrement dans les centres de rétention, les autorités maltaises ont précisé dans leur réponse du 2 novembre 202016 qu’une nouvelle clinique médicale était en cours de création à Safi, avec des nouveaux équipements médicaux qui seront opérationnels en 2021 et qu’elles auraient investi dans des ressources 14 Voir page 18, point 45 et page 2, point 56 du rapport du CPT 15 CourEDH, 2 avril 2019, Aboya Boa Jean c/ Malte, n°62676/16 16 Voir page 29, point 69 et page 31, point 73 du rapport CPT 15humaines, y compris des professionnels du domaine social et que le nombre de professionnels travaillant avec AWAS aurait été augmenté de 89 en janvier 2018 à 211 en octobre 2020, en l’occurrence par une augmentation d'agents de soutien, d'agents pour les structures d'accueil, d'agents psychologiques, de conseillers et de psychologues.

Enfin, l’invocation d’un arrêt de la CJUE du 17 décembre 2020, C-808/18, aux termes duquel celle-ci a retenu que la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union européenne en instaurant un système de rétention généralisé des demandeurs de protection internationale dans les zones de transit de Röszke et de Tompa, sans respecter les garanties prévues par les dispositions du droit de l’Union européenne, n’est en tout état de cause pas pertinente en l’espèce, dans la mesure où le demandeur reste en défaut d’expliquer en quoi le système de rétention à Malte serait identique à celui existant en Hongrie.

Au vu de ce qui précède, il y a dès lors lieu de conclure que si des problèmes affectant le système d’accueil à Malte en raison du nombre important de demandeurs de protection internationale sont certes décelables compte tenu des pièces versées en cause, il n’apparaît toutefois pas que la procédure de demande d’asile ou les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale à Malte soient affectées par des défaillances systémiques atteignant le seuil de gravité défini par la CJUE dans son arrêt du 19 mars 2019 cité ci-dessus, à savoir que ces conditions exposeraient le demandeur, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humain.

Par ailleurs, il convient de relever que le demandeur n’invoque pas non plus de jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers Malte, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou d’un avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers Malte dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile maltaise qui exposerait tout demandeur de protection internationale à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

Quant au vécu personnel du demandeur, force est de constater qu’il ne ressort ni de la requête introductive d’instance ni des déclarations faites auprès du ministère lors de son entretien du 28 mars 2022 qu’il aurait personnellement fait l’objet de traitements de la part des autorités maltaises susceptibles de constituer des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH ou à l’article 4 de la Charte ni qu’il risque un tel traitement en cas de retour à Malte. Cette conclusion n’est pas énervée par le rapport AIDA dont se prévaut le demandeur, dans la mesure où au-delà du constat que l’intéressé reste en défaut de prouver qu'il risque lui-même d'être placé en rétention une fois qu'il aura été transféré à Malte, il ne ressort pas de ce rapport, que toute personne ayant fui Malte avant la fin du traitement de sa demande de protection internationale et retournant à Malte sous le règlement Dublin III soit systématiquement placé en rétention.

En tout état de cause, il ressort des éléments en cause et notamment des renseignements précités de la base de données EURODAC que le demandeur a bien été en mesure de procéder au dépôt d’une demande de protection internationale à Malte, qu’il a été entendu dans le cadre de cette demande, mais qu’il n’a pas attendu la fin de l’instruction de celle-ci.

16Il s’ensuit qu’il ne se dégage pas à suffisance des éléments du dossier que le vécu personnel du demandeur puisse constituer un indice de nature à conforter sa thèse fondée sur l’existence de défaillances systémiques dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale à Malte, de sorte que le moyen visant la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III est à rejeter pour être non-fondé.

En ce qui concerne enfin le moyen tiré d’une violation autonome de l’article 3 de la CEDH, ensemble le reproche au ministre de ne pas avoir davantage analysé le risque pour le demandeur d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour à Malte, il convient de rappeler que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable17.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte18, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant19.

Or, hormis les défaillances systémiques qui existeraient dans la procédure d’accueil des demandeurs de protection internationale à Malte, le demandeur n’avance aucun autre argument à la base de ce moyen, de sorte que le tribunal ne saurait se départir, à ce stade, de son analyse effectuée précédemment et conclut à l’absence de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III à Malte. Etant précisé qu’en ce qui concerne la crainte du demandeur qu’en cas de retour à Malte il serait placé en rétention en raison de son retrait implicite de sa demande de protection internationale et de son séjour irrégulier, force est de rappeler que les autorités maltaises ont accepté la reprise en charge du demandeur sur base de l’article 18, paragraphe (1), point c) du règlement Dublin III, et que, tel que déjà indiqué ci-

dessus, le demandeur a en vertu de l’article 18, paragraphe (2) du même règlement, à son retour à Malte, le droit de demander que l’examen de sa demande soit mené à terme ou d’introduire une nouvelle demande de protection internationale.

Par ailleurs, si le demandeur était amené à vivre à Malte dans des conditions qui seraient de nature à violer les articles 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, il lui appartiendra de faire valoir ses droits directement auprès des autorités maltaises en usant des voies de droit adéquates, étant relevé que le demandeur ne fournit pas d’éléments mettant valablement en cause le fait que 17 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

18 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

19 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88.

17l’Etat maltais est a priori un Etat de droit où une personne, estimant être privée de ses droits, dispose de voies de recours idoines, Malte étant censée, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de la CEDH, du Pacte international des droits civils et politiques ou de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que de la Convention de Genève, respecter les droits et libertés prévus par ces textes internationaux et disposer d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

Dans ces circonstances et dans la mesure où le demandeur n’a pas fait état d’autres éléments dont il se dégagerait que compte tenu de sa situation personnelle, il serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH et 4 de la Charte, le tribunal retient que le moyen afférent encourt le rejet.

En ce qui concerne la référence à la jurisprudence du Conseil d’Etat néerlandais du 15 décembre 2015, le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport à celle-ci dans la mesure où les parties n’ont pas fourni au tribunal une traduction de cet arrêt, mettant ainsi le tribunal dans l’impossibilité d’en analyser le contenu, une simple référence indirecte à celui-ci par le biais du rapport AIDA n’étant pas suffisante à cet égard.

En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.(…) », le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201720. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge21, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration22.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision entreprise par rapport aux articles 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III, 3 de la CEDH et 4 de la Charte, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté discrétionnaire, il y a lieu de conclure que les problèmes mis en avant ne sauraient pas davantage s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe 20 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n°C-578/16, pts 88 et 97.

21 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

22 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citée.

18(1), du règlement Dublin III. Le moyen afférent est dès lors rejeté.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Hélène Steichen, premier juge, Alexandra Bochet, juge, Laura Urbany, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 5 août 2022 par le premier juge, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Hélène Steichen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 août 2022 Le greffier du tribunal administratif 19


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 47676
Date de la décision : 05/08/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 17/08/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-08-05;47676 ?

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