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27/07/2022 | LUXEMBOURG | N°47663

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juillet 2022, 47663


Tribunal administratif N° 47663 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juillet 2022 chambre de vacation Audience publique de vacation du 27 juillet 2022 Recours formé par Monsieur … et consorts, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47663 du rôle et déposée 7 juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître A

rdavan Fatholazadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lux...

Tribunal administratif N° 47663 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juillet 2022 chambre de vacation Audience publique de vacation du 27 juillet 2022 Recours formé par Monsieur … et consorts, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47663 du rôle et déposée 7 juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholazadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … né le … à … (Turquie), et de son épouse, …, née … à … (Turquie), agissant en leur nom et au nom et pour compte de leur fille mineure …, née le …à … (Turquie), tous de nationalité turque, élisant domicile en l’étude de Maître Ardavan Fatholazadeh, préqualifié, sise à L-1867 Howald, 27, rue Fernand Kuhn, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 juin 2022 de les transférer vers la France, comme étant l’Etat membre responsable de l’examen de leur demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en sa plaidoirie à l’audience publique de vacation du 27 juillet 2022.

Le 11 février 2022, Monsieur … et son épouse, …, introduisirent en leur nom et au nom et pour compte de leur fille mineure …, ci-après désignés par « les consorts … », auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, service criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion et à la suite d’une recherche effectuée dans la base de données EURODAC et AE.VIS pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats 1membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », que les consorts … avaient obtenu un visa touristique délivré par les autorités allemandes en 2018, avaient introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 19 février 2018 ayant été refusée le 17 juin 2019 et avaient été éloignés le 22 juillet 2019.

Il s’avéra encore que les consorts … avaient obtenu un visa touristique délivré par les autorités françaises, valable du 6 octobre 2021 au 3 avril 2022.

Toujours le 11 février 2022, les consorts … passèrent chacun un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III.

En date du 1er mars 2022, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités françaises aux fins de la prise en charge des consorts … sur base de l’article 12, paragraphes (2) ou (3) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée le 28 avril 2022 par les autorités françaises sur base de l’article 12, paragraphe (2) du même règlement.

Par décision du 22 juin 2022, le ministre informa les consorts … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner leur demande de protection internationale et de les transférer vers la France sur base des dispositions des articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 11 février 2022 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection internationale (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 12(2) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférés vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police judiciaire et les rapports d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 11 février 2022.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 11 février 2022, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

Il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que la France vous a délivré un visa, valable du 6 octobre 2021 au 3 avril 2022.

2La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a également révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 19 février 2018.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, des entretiens Dublin III ont été menés en date du 11 février 2022 Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 1er mars 2022 une demande de prise en charge aux autorités françaises sur base de l'article 12(2) du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 28 avril 2022.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tien ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration prend une décision de transfert après que l'Etat requise a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur, Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

La responsabilité de la France est acquise suivant l'article 12(2) du règlement DIII en ce que les demandeurs sont titulaires d'un visa en cours de validité au moment de l'introduction de la demande de protection internationale au Luxembourg et que l'État membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, notamment dans la base de données AE.VIS, que la France vous a délivré un visa, valable du 6 octobre 2021 au 3 avril 2022.

3Selon vos déclarations vous auriez passé un an et demi en Allemagne à partir de février 2013 et vous seriez retournés volontairement en Turquie en 2019.

Madame, Monsieur, vous racontez que vous auriez ensuite utilisé vos visas pour visiter de la famille en France en octobre 2021.

Selon vos déclarations, vous seriez ensuite retournés en Turquie et vous vous seriez cachés dans un camion à Istanbul en date du 28 janvier 2022 afin de vous rendre au Luxembourg. Le trajet aurait duré 5 jours et vous seriez arrivés au Luxembourg en date du 2 février 2022.

Madame, lors de votre entretien Dublin III en date du 11 février 2022, vous avez fait mention de souffrir de troubles obsessionnels compulsifs depuis l'âge de sept ans. Cependant vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après a la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 Juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant ta protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de I'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Madame, Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

4 Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en France, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités françaises ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes françaises, notamment judiciaires.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la France, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau aptes à être transférés. Par ailleurs, si cela s'avère être nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n'ont pas été constatées (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2022, les consorts … ont fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance auquel le tribunal est en principe seul tenu, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 22 juin 2022 décidant de leur transfert vers la France, l’Etat membre 5responsable du traitement de leur demande de protection internationale et contre un « ordre d’expulsion sous-jacente à la décision ministérielle attaquée ».

A l’audience des plaidoiries, le tribunal a soulevé la question de l’existence d’une décision d’expulsion sous-jacente à la décision de transfert du 22 juin 2022 que les demandeurs semblent voir dans une démarche du ministre de charger la police judiciaire de l’organisation matérielle du transfert.

Le litismandataire des consorts … ne s’est pas présenté, tandis que le délégué du gouvernent a conclu qu’il n’existerait pas de telle décision à défaut de mesure d’exécution prises.

Force est de constater que le courrier du 22 juin 2022, précité, renferme exclusivement une décision du ministre de ne pas examiner la demande de protection internationale des consorts … et celle de les transférer vers la France. En revanche, il ne contient aucune décision d’expulsion, tel que cela est avancé par les consorts …, le ministre n’ayant d’ailleurs pas entrepris des mesures d’exécution, le recours introduit par les consorts … ayant conformément à l’article 36, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 un effet suspensif. Le recours dirigé contre une telle décision d’expulsion est dès lors à déclarer irrecevable.

Par ailleurs, les consorts … ne sont pas non plus fondés à chercher une décision de transfert qui serait sous-jacente à des mesures qui auraient été prises par le ministre pour charger la police judiciaire d’organiser le transfert - non prises en l’espèce au regard de l’effet suspensif découlant du recours introduit par eux -, de sorte que la demande afférente, reprise au demeurant exclusivement en introduction de la requête introductive sans être reprise au dispositif, est irrecevable.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) introduit par la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation en ce qu’il est dirigé contre la décision de transfert du 22 juin 2022.

Ledit recours en réformation est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs font valoir que la demanderesse serait particulièrement vulnérable, alors qu’elle souffrirait depuis son enfance de troubles obsessionnels compulsifs sévères, tel que cela serait attesté par un certificat médical. De même, le frère de la demanderesse, bénéficiaire du statut de réfugié au Luxembourg, attesterait des besoins de sa sœur, qui, en raison de sa maladie, ne mangerait pas, ne se laverait pas dans le camp où elle est logée, mais se rendrait régulièrement chez lui ou un autre membre de sa famille, afin de subvenir à ses besoins élémentaires.

L’état de santé psychologique fragile et vulnérable de la demanderesse serait également rapporté par un cousin paternel.

6 De plus, le médecin traitant, médecin spécialiste en psychiatrie, aurait suggéré de faire hospitaliser la demanderesse en raison de ses crises.

Actuellement, il serait toutefois impossible pour la demanderesse de se faire hospitaliser, et ce en raison de l'état de santé de sa fille mineure, qui aurait développé une tumeur dans la région du cou, de sorte qu'elle devrait « certainement se faire opérer à plus ou moins long terme ».

Celle-ci serait en cours d'examen auprès de différents médecins afin de lui administrer les meilleurs soins, le dernier entretien avec le médecin traitant ayant été le 4 juillet 2022 et le prochain rendez-vous avec un spécialiste ORL « pour des infections possibles et/ou pour un autre avis médical » étant prévu le 12 septembre 2022 au CHL.

Ainsi, le demandeur se retrouverait seul face aux états de santé de son épouse et de sa fille, de sorte qu'il serait d'autant plus inquiet du sort qui les attendrait en cas de transfert vers la France, où ils n’auraient aucun soutien, ni assistance, alors que plusieurs membres de la famille de la demanderesse, au courant des troubles obsessionnels compulsifs de celle-ci, particulièrement handicapants pour elle comme pour son mari, se trouveraient au Luxembourg et seraient à même de leur porter l’assistance et le soutien nécessaires, lorsque la prise en charge médicale resterait insuffisante.

En droit, les demandeurs reprochent au ministre d'avoir fait une appréciation erronée des faits d'espèce, en ce sens qu'il n'aurait pas pris en considération leur vulnérabilité.

A cet égard, les demandeurs soulignent qu’ils auraient adressé un courrier à l'autorité ministérielle en date du 14 mars 2022, accompagné d'un courrier personnel du demandeur et sa traduction libre, qui exposerait l'état de santé de son épouse, et des difficultés et le « handicap » en découlant.

Ils font valoir qu’au Luxembourg, ils bénéficieraient d'ores et déjà de soutiens psychologiques et psychiatriques, et ce de la part des membres de famille aptes à les aider, de personnel soignant et social ainsi que d'amis qui les assisteraient dans leurs démarches et les soutiendraient eu égard à leurs états de santé mentale vulnérables.

Pour autant que nécessaire, les demandeurs expliquent les raisons pour lesquelles ils ont quitté leur pays d’origine, à savoir en raison de publications sur les réseaux sociaux faites par la demanderesse, qui serait recherchée dans leur pays d’origine.

Ils se prévalent en second lieu de l’article 17 du règlement Dublin III et estiment que pour des motifs humanitaires, en l’occurrence au regard de la vulnérabilité de la demanderesse et de sa fille, la demanderesse ayant besoin de soins de santé permanents, et le traitement de sa fille n’étant pas encore déterminé, ils ne pourraient être transférés en France.

Le ministre aurait ainsi commis une erreur d'appréciation manifeste pour ne pas avoir fait application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 du règlement Dublin III.

7Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités françaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale des demandeurs, prévoit que : « Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d’un autre État membre en vertu d’un accord de représentation prévu à l’article 8 du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas (14). Dans ce cas, l’État membre représenté est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est en principe celui ayant délivré un visa en cours de validité.

Il est constant en cause que la décision de transférer les demandeurs vers la France et de ne pas examiner leur demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application des prédits articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale est la France ayant délivré un visa valable du 6 octobre 2021 au 3 avril 2022, constat non contesté par les demandeurs, les autorités françaises ayant d’ailleurs accepté la prise en charge des demandeurs sur le fondement de cette même disposition.

Dès lors, c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de les transférer vers ledit Etat et de ne pas examiner leur demande de protection internationale.

Force est de constater que les demandeurs ne contestent pas la compétence de principe de la France, respectivement l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais estiment en substance que les états de santé de la demanderesse et de sa fille n’aurait pas été pris en considération à sa juste mesure.

8A cet égard, le tribunal relève que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (la Charte), auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ainsi que dans la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants2. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient aux demandeurs de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées3.

Le tribunal est encore amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il y existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte4.

1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 79 ; trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

3 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

4 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

9 Dans ce contexte, dans un arrêt du 19 mars 2019, portant le numéro C-163/17 du rôle, la CJUE a retenu que des défaillances ne sont contraires à l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants que lorsqu’elles atteignent un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause, ce seuil étant atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine5, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant6.

Les demandeurs invoquant non pas des défaillances systémiques en France, mais se prévalant de l’état de santé de la demanderesse et de sa fille, le tribunal relève encore qu’il se dégage des enseignements d’un arrêt de Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) du 16 février 20177, que l’article 4 de la Charte doit être interprété en ce sens que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques dans l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile, le transfert d'un demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert a pour conséquence un risque réel et avéré que les intéressées subissent des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article, étant précisé qu'il ressort encore d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20198, qu'il est indifférent, aux fins de l'application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d'asile ou à l'issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l'Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant.

La CJUE a retenu, tel que l’Etat l’admet d’ailleurs lui-même, qu’en ce qui concerne les conditions d'accueil et les soins disponibles dans l'Etat membre responsable, que les Etats membres liés par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d'asile les soins médicaux et l'assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves. La CJUE a encore relevé que conformément à la confiance mutuelle que s'accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d'asile dans les États membres seront adéquats.

Elle a retenu ensuite que « (…) dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un 5 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland., C-163/17, point 92.

6 Ibidem, point 93.

7 Affaire C-578/160 8 Affaire C-163/17 10demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens dudit article.

En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments », mais sont au contraire « tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci »9.

La CJUE a souligné que dans une telle situation il appartient alors à ces autorités « d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé » et qu’en particulier « lorsqu’il s’agit d’une affection grave d’ordre psychiatrique, de ne pas s’arrêter aux seules conséquences du transport physique de la personne concernée d’un État membre à un autre, mais de prendre en considération l’ensemble des conséquences significatives et irrémédiables qui résulteraient du transfert » et que dans ce cadre, « les autorités de l’État membre concerné doivent vérifier si l’état de santé de la personne en cause pourra être sauvegardé de manière appropriée et suffisante en prenant les précautions envisagées par le règlement Dublin III et, dans l’affirmative, mettre en œuvre ces précautions »10, tout en relevant que suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) « l’article 3 de la CEDH n’oblige, en principe, pas un État contractant à s’abstenir de procéder à l’éloignement ou à l’expulsion d’une personne lorsque celle-ci est apte à voyager et à condition que les mesures nécessaires, appropriées et adaptées à l’état de la personne soient prises à cet égard ».

La CJUE s’est, par ailleurs, référée à la jurisprudence de la CourEDH suivant laquelle, s’agissant de circonstances dans lesquelles les difficultés d’ordre psychiatrique que connaît un demandeur d’asile révèlent chez celui-ci des tendances suicidaires, le fait qu’une personne dont l’éloignement a été ordonné fait des menaces de suicide n’astreint pas l’Etat contractant à s’abstenir d’exécuter la mesure envisagée s’il prend des mesures concrètes pour en prévenir la réalisation La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable, les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposent à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.

9 Considérants numéros 74 et 75.

10 Considérants numéros 76 à 77 11Autrement dit, le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée.

Ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de l’affection du demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état ne la rend pas apte à un tel transfert.

En l’espèce, s’il est vrai que les demandeurs ont fait état dès leur demande de protection internationale de l’état de santé de la demanderesse, s’il est vrai qu’au cours de la présente procédure, ils ont encore produit un certificat médical du 27 juin 2022 - n’ayant pas été à la disposition du ministre au moment de la prise de la décision mais susceptible d’être pris en compte par le tribunal en tant que juge de réformation - et s’il est encore vrai qu’au cours de la présente procédure ils font état de problèmes de santé de leur fille, le tribunal est toutefois amené à constater que les demandeurs restent en défaut de verser une quelconque pièce objective, voire un quelconque indice concret susceptible de laisser conclure que la demanderesse ou sa fille ne pourraient pas bénéficier en France de soins médicaux dont elles seraient susceptibles d’avoir besoin, voire que leurs états de santé respectifs soient d’une gravité telle ou comportent des risques tels qu’ils répondent aux conditions fixées par la jurisprudence précitée de la CJUE et en l’occurrence qu’un transfert risquerait d’avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur leurs états de santé et ce nonobstant toutes précautions prises par l’Etat procédant au transfert, précautions d’ailleurs envisagées par le ministre dans sa décision et qui au demeurant ne sont pas remises en question par les demandeurs, ceux-ci s’opposant par principe à leur transfert vers la France.

A cet égard, le tribunal relève que s’il se dégage certes du certificat médical du 27 juin 2022 que la demanderesse souffre de troubles obsessionnels, il n’en reste pas moins que suivant les déclarations des demandeurs, elle en souffre depuis son enfance et que ces troubles ne l’ont pas empêché de voyager, les demandeurs ayant en l’occurrence disposé de visas touristiques délivrés par les autorités allemandes pour la période du 26 janvier 2018 au 27 juillet 2018 et par les autorités françaises pour la période du 6 octobre 2021 au 3 avril 2022.

Par ailleurs, si le médecin traitant de la demanderesse atteste que l’état de santé de celle-ci serait actuellement instable et qu’elle ne pourrait pas voyager, il ressort toutefois du même certificat ainsi que des explications fournies par les demandeurs à l’appui du présent recours que ce n’est pas le voyage en tant que tel vers la France qui poserait problème, mais le principe même de vivre dans un foyer d’accueil en France où la demanderesse ne disposerait pas du soutien des membres de sa famille se trouvant au Luxembourg. Or, à défaut d’éléments objectifs permettant de conclure que l’état de santé de la demanderesse subirait des conséquences significatives et irrémédiables au sens de la jurisprudence précitée de la CJUE du seul fait qu’elle serait éloignée de son frère et de son cousin vivant au Luxembourg, le tribunal ne peut que rejeter l’argumentation 12afférente des demandeurs en ce qu’elle est fondée sur l’état de santé de la demanderesse, étant relevé que les seules affirmations des demandeurs sont insuffisantes à ce égard.

En ce qui concerne ensuite de l’état de santé de la fille mineure des demandeurs, le tribunal relève que si ceux-ci font état d’une tumeur au niveau du cou de leur fille, ils restent toutefois en défaut de verser un quelconque certificat médical témoignant de l’affectation de celle-ci voire des traitements en cours ou envisagés, étant relevé que si les demandeurs affirment à l’appui de leur recours que le traitement à envisager n’était pas encore défini, l’attestation du docteur C.G., médecin traitant de la demanderesse, du 27 juin 2022 fait état d’une opération ayant déjà eu lieu.

A défaut de verser une quelconque pièce permettant d’identifier tant la nature que la gravité de la maladie dont souffrirait la fille des demandeurs, de même que la nature du traitement envisagé et des soins dont elle a besoin, le moyen afférent est encore rejeté en ce qu’il est basé sur l’état de santé de la fille des demandeurs, étant relevé qu’en tout état de cause l’invocation d’un simple courrier confirmant un rendez-vous en septembre 2022 chez un médecin spécialiste ORL est largement insuffisant à cet égard.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen fondé sur une erreur d’appréciation au niveau de la prise en compte de l’état de santé de la demanderesse ou de celui de sa fille est rejeté.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…) ». A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres11, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201712. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge13, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée14, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu de réformer la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant que les prétentions des demandeurs 11 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

12 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

13 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

14 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

13sur base de l’état de santé de la demanderesse ou de sa fille ne sont pas fondées à défaut de preuve de conséquences d’une particulière gravité d’un transfert et que c’est sur base de cette même argumentation qu’ils estiment que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale des demandeurs alors même que cet examen incombe aux autorités françaises.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme pour autant qu’il est dirigé contre la décision du 22 juin 2022 de ne pas statuer sur la demande de protection internationale des demandeurs et de les transférer vers la France ;

déclare le recours principal en réformation irrecevable pour le surplus ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 27 juillet 2022 par :

Annick Braun, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 juillet 2022 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 47663
Date de la décision : 27/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 04/08/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-07-27;47663 ?

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