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27/07/2022 | LUXEMBOURG | N°47623

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juillet 2022, 47623


Tribunal administratif N° 47623 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2022 chambre de vacation Audience publique de vacation du 27 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, alias … …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47623 du rôle et déposée le 1er juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Ma

ître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Lu...

Tribunal administratif N° 47623 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2022 chambre de vacation Audience publique de vacation du 27 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, alias … …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47623 du rôle et déposée le 1er juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias … …, né le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Findel (SHUF), sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 juin 2022 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Alexandra Nankov Lalev, en remplacement de Maître Françoise Nsan-Nwet et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Le 7 avril 2022, Monsieur …, alias … …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. A cette occasion et suite à une recherche dans la base de données EURODAC, il s’avéra que Monsieur … avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 25 novembre 2015.

Le 11 avril 2022, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 13 avril 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Findel (SHUF) pour une durée de trois mois.

Le 4 mai 2022, les autorités allemandes acceptèrent la demande de reprise en charge de Monsieur … leur adressée par les autorités luxembourgeoises en date du 2 mai 2022 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Par décision du 22 juin 2022, notifiée le 24 juin 2022, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 7 avril 2022 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 7 avril 2022 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 11 avril 2022.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 7 avril 2022, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 25 novembre 2015.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 11 avril 2022.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 2 mai 2022 une demande de reprise en charge aux autorités allemandes sur base de l’article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 4 mai 2022.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 7 avril 2022 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 25 novembre 2015.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Nigeria en 2010 pour vous rendre au Maroc. Après quelques semaines, vous seriez monté à bord d’une embarcation en direction de l’Espagne. Vous seriez ensuite parti en Suisse où vous auriez introduit une demande de protection internationale qui aurait été rejetée. Vous auriez vécu en Suisse pendant plus de trois ans avant de vous rendre en Allemagne. Vous auriez habité et travaillé à Karlsruhe pendant environ sept ans, mais votre demande de protection internationale aurait été rejetée.

Vous auriez donc quitté l’Allemagne et vous seriez arrivé au Luxembourg en date du 4 avril 2022.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 11 avril 2022, vous avez indiqué que vous ne vous sentez pas bien mentalement. Cependant vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l’Allemagne est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, l’Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de I’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l’Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence l’Allemagne. Vous ne faites valoir aucun indice que l’Allemagne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions allemandes, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers l’Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Allemagne, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2022, inscrite sous le numéro 47623 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre la décision ministérielle précitée du 22 juin 2022.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation déposé contre la décision ministérielle déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose d’abord les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, tels que retranscrits ci-avant, tout en soulignant que le ministre, loin d’examiner si l’Allemagne respectait en pratique les droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale, se serait contentée d’énoncer des affirmations génériques, ce qui démontrerait l’absence de prise en compte des informations disponibles sur les dysfonctionnements en Allemagne.

A cet égard, il se prévaut plus particulièrement d’une violation, dans le chef du ministre, de l’article 2, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, en avançant que l’Allemagne serait le pays européen ayant accueilli le plus grand nombre de demandeurs de protection internationale depuis le début de la crise migratoire et que sur les 612.700 demandes de protection internationale formulées dans l’Union européenne en 2019, 142.400 auraient été introduites en Allemagne, ce qui représenterait 23,3% du total des demandes, le demandeur s’appuyant à cet égard sur les données établies par Eurostat. En 2015, l’Allemagne aurait encore accueilli plus de 1,1 millions de demandeurs de protection internationale, chiffres largement supérieurs à celles des autres Etats membres de l’Union européenne. Au vu d’un tel afflux de migrants, la pression pesant sur les services allemands compétents serait énorme et en conséquence, les demandeurs d’asile présents sur le territoire allemand verraient leurs conditions d’accueil se dégrader.

Le demandeur souligne ensuite qu’il aurait été en proie à des difficultés d’ordre psychologique au cours de son séjour en Allemagne, que lesdits troubles n’auraient jamais fait l’objet d’une prise en charge médicale et qu’ils se seraient aggravés en raison des conditions de vie en Allemagne. En raison du très fort nombre de demandeurs d’asile présents sur le territoire allemand, il serait encore exclu qu’il puisse bénéficier d’un traitement adapté en cas de retour en Allemagne.

En deuxième lieu, le demandeur estime que le ministre aurait dû faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, alors que les « conditions seraient réunies », à savoir l’existence de défaillances systémiques dans le régime d’asile de l’Allemagne. Il critique dans ce contexte également le ministre pour ne pas avoir tenu compte de son état de vulnérabilité particulière, qui nécessiterait une protection accrue en raison de sa fragilité psychologique.

Il y aurait dès lors lieu de réformer la décision ministérielle litigieuse.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours.

S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée et, pour autant que le demandeur ait entendu, par ses allégations suivant lesquelles le ministre se serait contenté d’énoncer des affirmations génériques sans vérifier si les droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale étaient en pratique respectés en Allemagne, reprocher un défaut de motivation, voire une motivation insuffisante au ministre, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 34, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, « […] Toute décision négative est motivée en fait et en droit […] ».

Force est au tribunal de constater qu’en l’espèce, la décision déférée est motivée tant en fait qu’en droit, en ce qu’elle indique, en se basant sur les articles 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, les raisons ayant amené le ministre à prendre la décision de ne pas examiner la demande de protection internationale de Monsieur … et de le transférer en Allemagne, à savoir que le demandeur a introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 25 novembre 2015 et que l’Allemagne a accepté sa reprise en charge le 4 mai 2022 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III. Le ministre a, en outre, retracé l’itinéraire du demandeur suivi pour venir au Luxembourg et retenu que si le demandeur a fait mention lors de son entretien Dublin III de ne pas se sentir bien mentalement, il n’a cependant fourni aucun élément concret sur son état de santé ou fait mention d’autres problèmes généraux qui pourraient empêcher son transfert en Allemagne. Par ailleurs, le ministre a relevé que le demandeur ne lui a soumis des raisons particulières ou humanitaires permettant l’application de l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, voire d’autres raisons individuelles qui pourraient empêcher sa remise aux autorités allemandes. Le ministre a également retenu que l’application de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III ne se justifie pas, alors qu’en l’absence d’une pratique actuelle avérée en Allemagne de violations systématiques des normes minimales de l’Union européenne et en l’absence, par le demandeur, d’avoir démontré que, dans son cas concret, les conditions d’existence en Allemagne seraient contraires aux articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH » et 3 de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, ci-après désignée par « Convention « torture » », l’Allemagne est présumée respecter l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », concernant le principe de non-refoulement, l’article 3 de la CEDH et l’article 3 de la Convention « torture ». Le ministre a également exclu l’application de l’article 16, paragraphe (1) du règlement Dublin III pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de la demande de protection internationale du demandeur.

Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à retenir que cette motivation suffit à l’exigence de motivation inscrite à l’article 34, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, étant encore souligné qu’il ne résulte d’aucun élément soumis en cause que le ministre n’aurait pas procédé à un examen complet, rigoureux et actualisé des informations sur lesquelles il s’est fondé pour prendre la décision litigieuse, tel que le fait plaider le demandeur.

Il s’ensuit que le moyen afférent du demandeur est rejeté.

Quant au fond, l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit ce qui suit : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que « 1. L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre. ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide, d’un côté, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et, de l’autre côté, de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est motivée par les considérations que Monsieur … a déposé une demande de protection internationale en Allemagne en date du 25 novembre 2015 et que les autorités allemandes ont accepté de le reprendre en charge le 4 mai 2022 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Il échet ensuite de constater que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Etat allemand, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais se prévaut d’une violation, par le ministre, des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Il convient à cet égard de souligner que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-après par « la Charte », auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En ce qui concerne tout d’abord l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, celui-ci prévoit ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable.

Lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable devient l’État membre responsable. ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.

A cet égard, le tribunal relève tout d’abord que l’Etat allemand est tenu en tant que membre de l’Union européenne et signataire de la CEDH, au respect des dispositions de celle-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques et de la Convention « torture » ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2.

C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.

Dans son arrêt du 19 mars 2019, la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE », a confirmé ce principe selon lequel le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée5. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S, c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

3 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

5 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17.

ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment par les articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève ainsi que de la CEDH.

Il résulte, par ailleurs, de l’arrêt, précité, du 19 mars 2019, que pour relever de l’article 4 de la Charte auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine6.

Partant, ce seuil de gravité ne saurait couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant : le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable de l’examen de la demande de protection internationale n’est ainsi pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.

En l’espèce, il échet de prime abord de relever que les autorités allemandes ont accepté la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, de sorte qu’en cas de transfert en Allemagne, il devrait soit y être considéré comme migrant en situation irrégulière, à défaut d’y réintroduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeur ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne.

A cet égard, force est d’abord de constater qu’il ne ressort d’aucun document soumis au tribunal que les demandeurs de protection internationale en Allemagne n’auraient pas d’accès aux soins médicaux, voire que les conditions d’accueil y ne seraient plus garanties.

En effet, les affirmations du demandeur quant aux conditions de vie en Allemagne ne sont appuyées par aucun élément probant versé en cause, de sorte qu’elles restent en l’état de pures allégations, étant précisé, à cet égard, que le seul fait que l’Allemagne a accueilli 1,1 millions de demandeurs d’asile en 2015 et qu’en 2019, 142.400 demandes d’asiles y ont été introduites, ne saurait laisser conclure ipso facto à l’existence des défaillances systémiques 6 Idem, point 92.

dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne.

Ainsi, le demandeur ne fournit aucun élément objectif tangible permettant de retenir que les droits des demandeurs de protection internationale ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en Allemagne, ou encore que ceux-ci n’auraient en Allemagne aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités allemandes, étant rappelé, tel que retenu ci-avant, que l’Allemagne est signataire de la Charte et de la CEDH et qu’elle est en tant que membre de l’Union européenne tenue au respect des dispositions de celles-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques de la Convention « torture » et de la Convention de Genève.

De plus, en l’absence d’une jurisprudence révisée par la Cour européenne des droits de l’Homme ou d’un rapport actuel d’une institution supranationale déconseillant des transferts vers l’Allemagne en raison de défaillances systémiques qui auraient pu être constatées dans cet Etat, le tribunal n’est pas en mesure, en l’état actuel du dossier, de retenir de telles déficiences systématiques pour l’Allemagne.

Pour ce qui est ensuite des affirmations du demandeur relatives à son état de santé et aux conditions d’accueil vécus en Allemagne, force est de constater que lors de son entretien en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale du 11 avril 2022, le demandeur n’a pas fait pas état de mauvaises expériences qu’il aurait vécues en Allemagne en tant que demandeur de protection internationale, respectivement n’a pas expliqué en quoi ses droits en tant que demandeur de protection internationale n’y auraient pas été respectés, le demandeur s’étant, en effet, limité à indiquer avoir quitté l’Allemagne car « They stopped me from working. They refused my asylum request. […] They told me that my asylum is finished. So I left.7».

Si le demandeur affirme certes pour la première fois dans sa requête introductive d’instance de ne pas avoir fait l’objet d’une prise en charge médicale en Allemagne, et que ses troubles psychologiques se seraient aggravés en raison des conditions de vie en Allemagne, force est cependant de constater que ces simples affirmations non autrement circonstanciées sont, à défaut de toute pièce versée en cause quant à la nature et à la gravité des troubles psychologiques mis en avant par le demandeur et à défaut, par celui-ci, d’avancer concrètement les circonstances et les faits à la base de ses affirmations, insuffisantes pour être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte.

Le demandeur n’a pas non plus fourni au tribunal des indices concordants permettant de retenir qu’en tant que demandeur de protection internationale débouté il risquerait, en cas de transfert en Allemagne, d’être confronté à des difficultés d’accueil et d’accès aux soins médicaux atteignant un degré de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte.

Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale, au système de santé allemand, quod non, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droits internes, voire devant les instances européennes adéquates.

7 Entretien Dublin III du 11 avril 2022, p. 5.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1) premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne par le biais de la communication aux autorités allemandes des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à conclure que le moyen du demandeur ayant trait à une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III encourt le rejet pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] », le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 20178. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge9, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration10.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble l’article 4 de la Charte, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur semble estimer que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté 8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n°C-578/16, pts 88 et 97.

9 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

10 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

discrétionnaire lui offerte par l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale de Monsieur … alors même que cet examen incombe aux autorités allemandes.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur en Allemagne, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, sans faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen fondé sur une violation de cette disposition est également rejeté.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 27 juillet 2022 par :

Annick Braun, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s.Judith Tagliaferri s.Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 juillet 2022 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 47623
Date de la décision : 27/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 04/08/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-07-27;47623 ?

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