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27/07/2022 | LUXEMBOURG | N°47619

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juillet 2022, 47619


Tribunal administratif N° 47619 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2022 chambre de vacation Audience publique de vacation du 27 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, Findel contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47619 du rôle et déposée le 1er juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel

Marigo, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au ...

Tribunal administratif N° 47619 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2022 chambre de vacation Audience publique de vacation du 27 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, Findel contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47619 du rôle et déposée le 1er juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel Marigo, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (République Démocratique du Congo), de nationalité congolaise, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence au Findel (« SHUF »), sise à L-1751 Findel, 12a, Beim Haff, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 16 juin 2022 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la Belgique, comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement du 21 juillet 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en sa plaidoiries à l’audience publique de vacation du 27 juillet 2022.

Le 18 mars 2022, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion et à la suite d’une recherche effectuée dans la base de données EURODAC pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », que Monsieur … avait introduit une demande de protection internationale en Belgique le 26 février 2021.

1Toujours le 18 mars 2022, Monsieur … passa encore un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III.

En date du 24 mars 2022, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités belges aux fins de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par celles-ci le 1er avril 2022.

Par décision du 16 juin 2022, notifiée à l’intéressé le par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers la Belgique sur base des dispositions des articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 18 mars 2022 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1) d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Belgique qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 18 mars 2022.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 18 mars 2022, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Belgique en date du 26 février 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 18 mars 2022.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 24 mars 2022 une demande de reprise en charge aux autorités belges sur base de l'article 18 (1) d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités belges en date du 1er avril 2022 2 2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, la comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Belgique en date du 26 février 2021.

Selon vos déclarations, vous seriez parti du Congo en date du 24 février 2021 en prenant un vol direct vers Bruxelles/Belgique. Vous confirmez que vous étiez muni d'un faux passeport.

Vous seriez resté en Belgique jusqu'à votre départ vers le Luxembourg en date du 16 mars 2022.

Selon vos dires, les autorités belges vous auraient dit de quitter leur territoire.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 1er mars 2022, vous avez mentionné avoir mal à la jambe droite. Vous racontez que vous auriez été touché par une balle au Congo. Vous évoquez également que vous souffrez de tension artérielle et qu'en conséquence vous prenez des médicaments. Il y a cependant lieu de soulever que vous n'avez fourni aucun élément concret sur 3votre état de santé actuel ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Belgique qui est l'Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que la Belgique est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la Belgique est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la Belgique profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la Belgique est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Belgique sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires belges.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Belgique ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence la Belgique. Vous ne faites valoir aucun indice que la Belgique ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions belges, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

4Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Belgique revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers la Belgique, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance auquel le tribunal est en principe seul tenu, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 16 juin 2022 décidant de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers la Belgique, l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) introduit par la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation en ce qu’il est dirigé contre la décision du 16 juin 2022.

Ledit recours en réformation est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose qu’il aurait été contraint de quitter son pays d’origine après y avoir subi des actes de tortures ayant occasionné de graves blessures 5corporelles, précisément au niveau de sa jambe droite. Par ailleurs, il souffrirait d’hypertension artérielle, de sorte que son état de santé resterait très fragile pour subir un transfert vers la Belgique mais surtout de se voir éloigné par les autorités belges vers son pays d'origine.

Le demandeur affirme encore que lors de son séjour en Belgique, il aurait été livré à lui-

même et que toutes ses demandes de prise en charge médicales auraient été ignorées.

En droit, le demandeur fait état d’une violation de l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (la Charte), des articles 3 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et de l'article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (la Convention de Genève).

Quant à la violation alléguée des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, le demandeur fait valoir que la référence faite par le ministre au fait que la Belgique est liée par un certain nombre d’instruments internationaux énumérés dans la décision ministérielle déférée, ne signifierait pas ipso facto que les actions ou actes posés par cet Etat membre cité dans le cadre, notamment en ce qui concerne l'accueil des demandeurs de protection internationale, soient en phase avec les exigences desdits instruments juridiques.

Il est d’avis que l’Etat belge ne saurait raisonnablement et utilement profiter de la confiance mutuelle découlant du droit international ainsi que du droit européen et ce contrairement aux affirmations de la partie gouvernementale.

Par ailleurs, l’absence de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), respectivement d’une prise de position de l'UNHCR recommandant la suspension des transferts vers la Belgique sur base du règlement Dublin III ne prouverait pas non plus de façon certaine que cet Etat membre respecte ses obligations en matière d'accueil des demandeurs de protection internationale conformément à ses obligations découlant du droit international et du droit européen.

Le demandeur souligne encore qu’il aurait été livré à lui-même par les autorités belges, bien qu’il ait eu besoin d'une prise en charge médicale, les autorités belges s’étant bornées à lui interdire le territoire belge sans tenir compte de son état de santé. Par ailleurs, il affirme qu’il se trouverait toujours sous traitement médical, de sorte que son transfert vers la Belgique resterait matériellement impossible.

Dès lors, les autorités belges n’auraient pas respecté les prescriptions de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (« la directive Accueil »), au motif qu’elles ne lui auraient fourni aucune assistance médicale adéquate et effective, alors que son état de santé aurait nécessité une prise en charge médicale urgente, tout en se prévalant des articles 17, 19 et 21 de la directive Accueil.

6Tandis qu’en l’espèce, les autorités luxembourgeoises lui auraient apporté une assistance médicale appropriée après l'introduction de sa demande de protection internationale, les demandes de prise en charge médicale soumises aux autorités belges n’auraient jamais été prises en compte.

Ainsi, son transfert vers la Belgique sans aucune perspective d'une prise en charge médicale appropriée constituerait une violation manifeste des dispositions des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, prises en combinaison avec l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

Dès lors, la décision litigieuse résulterait d’une appréciation erronée de sa situation individuelle et réelle, de même que d’une méconnaissance des instruments juridiques cités par lui.

Le demandeur s’empare ensuite de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et reproche au ministre de ne pas avoir appliqué la clause discrétionnaire y prévue nonobstant la connaissance de sa situation de particulière vulnérabilité, respectivement de son état de santé, le demandeur rappelant dans ce contexte qu’il aurait fui son pays d'origine après avoir subi de violences physiques ayant entraîné de graves conséquences dans son chef.

Enfin, le demandeur se prévaut du principe du non-refoulement découlant de l'article 33 de la Convention de Genève, en affirmant qu’il résulterait à suffisance du dossier administratif que les autorités luxembourgeoises ne disposeraient pas de garanties de la part des autorités belges au sujet de la prise dans son chef d’une décision de refoulement vers son pays d'origine, à savoir la République de Congo. A cet égard, le demandeur se réfère à des jurisprudences de la CourEDH du 21 janvier 2011 et du 23 février 2012 et de la CJUE du 21 décembre 2011, à une note du HCR sur la protection internationale du 13 septembre 2001 ayant rappelé l'importance fondamentale du principe du non-refoulement.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers la Belgique et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III aux termes duquel :

7« L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre. », au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale est la Belgique.

Dans la mesure où il se dégage du dossier soumis à l’appréciation du tribunal que le demandeur a introduit en Belgique une demande de protection internationale en date du 26 février 2021 et qu’il n’est pas contesté qu’il en a été débouté et que par ailleurs les autorités belges ont accepté de le reprendre en charge le 1er avril 2022 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers la Belgique et de ne pas examiner sa demande de protection internationale, étant relevé que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de la Belgique, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour connaître de sa demande de protection internationale, mais soutient que la décision déférée serait contraire aux articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte, 3 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et 33 de la Convention de Genève.

A cet égard, le tribunal relève que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants2. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 79 ; trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

8Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient aux demandeurs de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées3.

Le tribunal est encore amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il y existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte4.

Dans ce contexte, dans un arrêt du 19 mars 2019, portant le numéro C-163/17 du rôle, la CJUE a retenu que des défaillances ne sont contraires à l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants que lorsqu’elles atteignent un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause, ce seuil étant atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine5, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant6.

Il se dégage encore des enseignements d’un arrêt de la CJUE du 16 février 20177, que l’article 4 de la Charte doit être interprété en ce sens que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques dans l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile, le transfert d'un demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert a pour conséquence un risque réel et avéré que les intéressées subissent des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article, étant précisé qu'il ressort encore d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20198, qu'il est indifférent, aux fins de l'application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d'asile ou à l'issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l'Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant.

3 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

4 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

5 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland., C-163/17, point 92.

6 Ibidem, point 93.

7 Affaire C-578/160 8 Affaire C-163/17 9La CJUE a retenu qu’en ce qui concerne les conditions d'accueil et les soins disponibles dans l'Etat membre responsable, que les Etats membres liés par la directive Accueil sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d'asile les soins médicaux et l'assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves. La CJUE a encore relevé que conformément à la confiance mutuelle que s'accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d'asile dans les États membres seront adéquats.

En l’espèce, le demandeur se prévalant de défaillances systémiques en Belgique, il lui appartient de les prouver.

Force est toutefois de constater que le demandeur se limite à affirmer de manière péremptoire qu’il existerait des défaillances systémiques en Belgique, voire que le principe de confiance mutuelle ne pourrait pas jouer, sans autre précision en quoi consisteraient concrètement ces défaillances, respectivement pour quelle raison le principe de confiance mutuelle ne pourrait pas jouer dans le chef de la Belgique, si ce n’est qu’il affirme tout aussi péremptoirement qu’il n’aurait pas reçu les soins de santé nécessaires en Belgique. Or, le demandeur n’explique pas de quelle manière ses droits n’auraient concrètement pas été respectés en Belgique lors du traitement de sa demande de protection internationale et le tribunal ne s’est vu communiquer aucun élément pertinent permettant de retenir qu’il existerait en Belgique des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant, le demandeur se limitant, en effet, à affirmer que les soins de santé lui auraient été refusés, cette affirmation étant toutefois contredite par ses propres déclarations lors de son entretien Dublin III, en ce qu’il y a fait état d’un certificat médical établi par un médecin belge ce qui permet de conclure qu’il a bien bénéficié de soins médicaux dans ce pays.

Le tribunal constate encore que le demandeur, qui est un demandeur de protection internationale débouté en Belgique, ne rapporte pas non plus la preuve que ses droits ne seraient pas garantis en Belgique, que les droits des demandeurs de protection internationale déboutés en Belgique ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir.

Il ne se dégage pas non plus des éléments à la disposition du tribunal que la Belgique ait refusé ou omis de traiter la demande de protection internationale du demandeur. Au contraire, celui-ci a bien vu sa demande de protection internationale examinée, puisque les autorités belges ont explicitement accepté de le reprendre en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, disposition qui vise justement le cas d’un demandeur de protection internationale « dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Par ailleurs, le demandeur n’a pas fourni la preuve d’un état de santé d’une gravité telle que son transfert vers la Belgique aurait des conséquences significatives et irrémédiables sur lui, 10le demandeur ne fournissant aucun élément concret qui permettrait de conclure que son état de santé rendrait le transfert impossible tel qu’il l’affirme.

A cet égard, le tribunal relève que dans son arrêt du 16 février 20179, la CJUE a retenu que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens dudit article.

En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments », mais sont au contraire « tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci »10.

La CJUE a souligné que dans une telle situation il appartient alors à ces autorités « d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé » et qu’en particulier « lorsqu’il s’agit d’une affection grave d’ordre psychiatrique, de ne pas s’arrêter aux seules conséquences du transport physique de la personne concernée d’un État membre à un autre, mais de prendre en considération l’ensemble des conséquences significatives et irrémédiables qui résulteraient du transfert » et que dans ce cadre, « les autorités de l’État membre concerné doivent vérifier si l’état de santé de la personne en cause pourra être sauvegardé de manière appropriée et suffisante en prenant les précautions envisagées par le règlement Dublin III et, dans l’affirmative, mettre en œuvre ces précautions »11, tout en relevant que suivant la jurisprudence de la CourEDH « l’article 3 de la CEDH n’oblige, en principe, pas un État contractant à s’abstenir de procéder à l’éloignement ou à l’expulsion d’une personne lorsque celle-ci est apte à voyager et à condition que les mesures nécessaires, appropriées et adaptées à l’état de la personne soient prises à cet égard ».

La CJUE s’est, par ailleurs, référée à la jurisprudence de la CourEDH suivant laquelle, s’agissant de circonstances dans lesquelles les difficultés d’ordre psychiatrique que connaît un demandeur d’asile révèlent chez celui-ci des tendances suicidaires, le fait qu’une personne dont l’éloignement a été ordonné fait des menaces de suicide, d’ailleurs non alléguées en l’espèce, n’astreint pas l’Etat contractant à s’abstenir d’exécuter la mesure envisagée s’il prend des mesures concrètes pour en prévenir la réalisation La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer 9 Affaire C-578/160 10 Considérants numéros 74 et 75.

11 Considérants numéros 76 à 77 11que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable, les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposent à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.

Autrement dit, le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée.

Ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de l’affection du demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état ne la rend pas apte à un tel transfert.

Or, tel que retenu ci-avant, le demandeur n’a pas établi que son état de santé répondrait aux critères retenus par la jurisprudence de la CJUE.

Il s’ensuit que le demandeur n’est pas fondé à faire état d’une violation de l’article 3 du règlement Dublin III, ni d’une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, de sorte que les moyens afférents sont rejetés.

En ce qui concerne ensuite la crainte mise en avant par le demandeur que les autorités belges puissent l’expulser vers son pays d’origine, force est de relever qu’il ne ressort d’aucune pièce du dossier que celles-ci n’auraient pas évalué les risques réels de mauvais traitements qui naîtraient dans le chef du demandeur du seul fait de son éventuel retour dans son pays d’origine.

De même, le demandeur n’a fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Belgique ne respecterait pas le principe de non-refoulement prévu, notamment, par la Convention de Genève et qu’elle faillirait donc à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient menacées, ou encore qu’il risquerait d’être astreint à se rendre dans un tel pays.

Dans ce contexte, le tribunal souligne que la décision entreprise n’implique pas un retour au pays d’origine mais désigne a priori uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande d’asile, respectivement de ses suites, soit en l’espèce la Belgique, ce pays ayant, comme relevé ci-dessus, reconnu sa compétence pour reprendre en charge l’intéressé, ce point n’étant d’ailleurs pas contesté.

Toutefois, il ressort, notamment, de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH - similaire à l’article 4 de la Charte -, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la 12CEDH n’étant en effet pas irréfragable12. Dans ces conditions, l’article 3 de la CEDH implique l’obligation de ne pas éloigner la personne en question vers ce pays13.

Afin d’apprécier s’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé encourt un risque réel de traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH, la CourEDH a jugé que pour vérifier l’existence d’un risque de mauvais traitements, il y a lieu d’examiner les conséquences prévisibles de l’éloignement du requérant dans le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres au cas de la partie requérante14.

Dans les affaires mettant en cause l’expulsion d’un demandeur d’asile, la CourEDH15 a toutefois précisé qu’elle se gardait d’examiner elle-même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les Etats remplissent leurs obligations découlant de la Convention de Genève. Sa préoccupation essentielle est de savoir s’il existe des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers le pays qu’il a fui, la CourEDH ayant encore retenu que l’effectivité d’un recours ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant16, et que lorsqu’il y a eu une procédure interne, il n’entre pas dans ses attributions de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies par eux17.

Il résulte dès lors de cette jurisprudence que le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, en application du règlement Dublin III, ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH qu’à la condition que l’intéressé démontre, soit, qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat, soit, qu’il ne bénéficierait pas d’une protection contre le non-refoulement vers son pays d’origine dans l’Etat intermédiaire responsable de l’examen de sa demande d’asile, à savoir en l’espèce la Belgique.

Cette jurisprudence impose dès lors la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de la santé de l’intéressé.

D’autre part, lorsque le risque n’est pas inhérent à la situation dans l’Etat membre responsable de la prise en charge de la demande de protection internationale, mais résulte d’un refoulement par ricochet vers le pays d’origine, tel que le demandeur le soutient en l’espèce - à côté du reproche qu’il ne pourrait bénéficier en Belgique de soins médicaux, reproche que le tribunal vient de rejeter -, il convient de vérifier l’existence d’une protection effective dans l’Etat 12 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

13 CEDH, 4 décembre 2008, Y./Russie, n° 20113/07, point 75.

14 CEDH 4 décembre 2008, Y./Russie, n° 20113/07, point 78 ; CEDH 28 février 2008, Saadi/Italie, n° 37201/06 points 128-129 ; CEDH 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres/Royaume-Uni, n° 13448/87, point 108 in fine.

15 CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09, point 286.

16 Ibidem, point 289.

17 CEDH, grande chambre, 23 mars 2016, F.G. c. Suède, n° 43611/11, point 118.

13intermédiaire de transfert contre le non-refoulement vers le pays d’origine de l’intéressé où il serait exposé à un risque de traitement inhumain ou dégradant.

Force est de constater qu’en l’espèce, tel que cela a été retenu ci-avant, il ne se dégage pas des éléments à la disposition du tribunal que la Belgique ait refusé ou omis de traiter la demande de protection internationale du demandeur et il ne se dégage pas non plus des éléments de la cause que les autorités belges compétentes auraient violé le droit du demandeur à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou qu’elles auraient refusé de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, notamment et en particulier au vu des risques éventuellement encourus par lui dans son pays d’origine, le demandeur n’ayant, en effet, avancé aucun élément concret permettant de conclure que sa procédure d’asile n’y aurait pas été conduite conformément aux normes imposées par la directive 2013/32 UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.

Il y a ensuite lieu de relever qu’il ne se dégage pas des éléments à la disposition du tribunal que la mise en œuvre d’une décision définitive de refus de protection internationale et de renvoi vers son pays d’origine constituerait en soi une violation du principe de non-refoulement, le règlement Dublin III visant précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples (« asylum shopping »), en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only »), étant, en effet, relevé que le règlement Dublin III cherche justement à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent, pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat membre de leur choix.

Dans ces circonstances, la conclusion s’impose que le demandeur reste en défaut de prouver que son transfert vers la Belgique l’exposerait à un refoulement en cascade qui serait contraire au principe du non-refoulement.

A cela s’ajoute que si par impossible les autorités belges devaient quand même décider de rapatrier le demandeur dans son pays d’origine en violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’il y serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités belges compétentes en usant des voies de droit adéquates18. Par ailleurs, même si toutes les voies de recours devaient être épuisées, il serait possible au demandeur de saisir la CourEDH pour lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de demander aux autorités belges de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.

Le tribunal relève encore, à cet égard, que dans la mesure où le demandeur reste en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités belges responsables du traitement de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner, n’ont pas analysé correctement sa demande de protection internationale avant de l’en débouter ou qu’en tant que demandeur de protection internationale débouté, il n’aurait pas ou n’aurait pas eu accès à la justice de cet Etat pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, que ce soit en relation avec la 18 Voir article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

14décision de rejet de sa demande de protection internationale ou avec une éventuelle mesure d’éloignement vers son pays d’origine, il n’appartient pas au ministre de mettre en doute les décisions de rejet des autorités de l’Etat membre responsable, le contraire aboutissant, en effet, à ce que le ministre procède à une nouvelle analyse d’une demande d’ores et déjà rejetée dans un Etat membre, façon de procéder qui relèverait toutefois du « forum shopping» que le règlement Dublin III vise justement à éviter19.

Il s’ensuit que le moyen fondé sur une violation du principe de non-refoulement est rejeté.

Enfin, quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…) ». A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres20, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201721. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge22, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée23, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu de réformer la décision en question, encore faut-

il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.

Le demandeur affirme en substance que le ministre aurait dû faire application de l’article 17 du règlement Dublin III en raison de la situation de particulière vulnérabilité dans laquelle il se trouverait.

Force est toutefois de constater que l’état de vulnérabilité avancé par le demandeur reste à l’état de pure affirmation et n’est nullement documenté. S’il fait état d’une blessure à la jambe et d’hypertension artérielle, le tribunal constate que le demandeur ne verse aucune pièce objective qui permettrait de retenir que son état de santé ait atteint un degré de gravité particulière qui permettrait de retenir que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du 19 Voir notamment Trib. adm. 8 août 2018, n° 41457 du rôle et Trib. adm., 17 octobre 2018, n°41694 du rôle.

20 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

21 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

22 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

23 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

15demandeurs alors même que cet examen incombe aux autorités belges.

Le moyen afférent est dès lors rejeté.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 27 juillet 2022 par :

Annick Braun, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bocht, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 juillet 2022 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 47619
Date de la décision : 27/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 04/08/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-07-27;47619 ?

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