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20/07/2022 | LUXEMBOURG | N°47622

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juillet 2022, 47622


Tribunal administratif N° 47622 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2022 chambre de vacation Audience publique du 20 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47622 du rôle et déposée le 1er juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Kar

p, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mon...

Tribunal administratif N° 47622 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2022 chambre de vacation Audience publique du 20 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47622 du rôle et déposée le 1er juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, né le … à … (Syrie), de nationalité syrienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 16 juin 2022 de le transférer vers la Pologne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Michel Karp et Madame le délégué du gouvernement Charline Radermecker en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Le 8 mars 2022, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. A cette occasion et suite à une recherche dans la base de données EURODAC, il s’avéra que Monsieur … avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Pologne en date du 3 décembre 2021.

Toujours le 8 mars 2022, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 16 mars 2022, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités polonaises en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces dernières suivant courrier du 23 mars 2022.

Le 7 avril 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Findel (SHUF) pour une durée de trois mois.

Par décision du 16 juin 2022, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la Pologne sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 8 mars 2022 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)b du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Pologne qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 8 mars 2022.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 8 mars 2022, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Pologne en date du 3 décembre 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 8 mars 2022.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 16 mars 2022 une demande de reprise en charge aux autorités polonaises sur base de l’article 18(1)b du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités polonaises en date du 23 mars 2022.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de’ protection internationale si cette compétence revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point b) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur, risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 8 mars 2022 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande en Pologne en date du 3 décembre 2021.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Syrie en date du 19 février 2021 en prenant un vol vers l’Iran. Vous y seriez resté pendant environ deux semaines avant de traverser la frontière turque. Vous auriez habité à Istanbul pendant quatre mois et Vous déclarez avoir essayé trois fois sans succès de traverser la frontière grecque. Vous auriez ensuite pris l’avion pour vous rendre en Guinée équatoriale et puis au Liban. Après un séjour d’un mois au Liban, vous auriez pris un autre vol vers la Biélorussie. Vous y auriez passé environ 21 jours en tentant de traverser la frontière polonaise. Vous racontez que des Polonais vous auraient frappé et qu’ils auraient volé tous vos biens personnels. Finalement, vous auriez passé trois mois en Pologne, d’abord dans un camp fermé et ensuite dans un camp ouvert pour réfugiés. Selon vos dires, les autorités polonaises vous auraient forcé d’introduire une demande de protection internationale. Vous auriez cependant quitté le pays sans attendre une réponse à votre demande. Vous auriez traversé l’Allemagne en train et vous seriez arrivé au Luxembourg en date du 6 mars 2022.

Monsieur, lors de votre entretien Dublin III en date du 8 mars 2022, vous avez signalé votre état psychologique. Vous auriez des cauchemars à cause de votre passé en Syrie. Il y a cependant lieu de signaler que vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Pologne qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Vous déclarez avoir quitté la Pologne à cause d’harcèlements des agents du militaire polonais lors de votre séjour dans le camp fermé.

Rappelons à cet égard que la Pologne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants « Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la Pologne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la Pologne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. Par conséquent, la Pologne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Pologne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires polonaises.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Pologne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Pologne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers la Pologne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la Pologne, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la Pologne en informant les autorités polonaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités polonaises n’ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2022, inscrite sous le numéro 47622 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre la décision ministérielle précitée du 16 juin 2022.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation déposé contre la décision ministérielle déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose d’abord les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en précisant qu’il aurait tenté de traverser la frontière polonaise à partir de la Biélorussie à six reprises avant d’y parvenir et d’avoir été maltraité au « Centre de rétention ».

Il souligne ensuite que la Pologne ne serait qu’un « pays de transit et non pas de destination pour les personnes qui veulent obtenir la qualité de réfugié ». A cet égard, il indique que dans la gestion des crises humanitaires en Biélorussie et en Pologne en 2021, cette dernière se serait fait « le chantre de la manière forte », mettant de côté les engagements découlant de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, notamment en ce qui concerne le principe de non-refoulement, ce qui aurait mis l’Union européenne dans une « position inconfortable ». L’histoire de la Pologne à l’égard des migrants « débarquant sur son sol » ne pourrait qu’appeler à une « condamnation européenne », au moins politique, pour violation de ses engagements en tant qu’Etat membre de l’Union européenne et ceci d’autant plus que « Bruxelles et Varsovie » seraient engagées depuis plusieurs années dans un contentieux sur l’indépendance de la justice et sur la protection de l’Etat de droit, un débat encore envenimé depuis peu par la décision du tribunal constitutionnel polonais remettant en cause la primauté du droit européen sur la constitution nationale. Il indique ensuite que la Pologne aurait déclaré l’état d’urgence en septembre 2021, l’aurait renouvelé à deux reprises, et aurait pris des décrets et lois de façon à restreindre le droit de circuler librement dans les zones situées à moins de 15 kilomètres de la frontière entre la Pologne et le Belarus. Par ailleurs, « en octobre », le parlement polonais aurait adopté une loi accordant aux gardes-frontières le pouvoir de rejeter les demandes de protection internationale sans examen préalable et d’expulser des personnes du territoire sans mettre à leur disposition de moyens efficaces pour contester une décision négative. La loi polonaise « légaliserait » ainsi les renvois forcés ce qui constituerait une violation directe du droit et des normes nationaux, internationaux et européens. Le 28 mars 2022, le tribunal de district de Hajnowka en Pologne aurait encore statué en première instance que les actes des gardes-frontières polonais à l’encontre de trois Afghans dont la demande d’asile aurait été ignorée et qui auraient été renvoyés de force illégalement en Belarus en août 2021 seraient illégaux et injustifiés.

Il renvoie ensuite à un arrêt de la Cour administrative d’Aachen du 18 mars 2022 suivant lequel les transferts vers la Pologne devraient être suspendus suite aux événements en Biélorussie et en Ukraine, pour conclure qu’au regard de la situation actuelle en Ukraine, ils y auraient peu de chances qu’il serait effectivement transféré en Pologne.

Le demandeur se base ensuite sur un rapport de l’organisation Amnesty International du 11 avril 2022 intitulé « Poland : Cruelty not compassion, at Europe’s other Borders » ainsi que sur un rapport de Asylum Information Database intitulé « Conditions dans les centres de détention » du 26 mai 2022 pour souligner que « toutes les personnes interrogées » auraient fait part des conditions extrêmement difficiles et des expériences traumatisantes vécues à la frontière entre le Belarus et la Pologne et indique que le selon le Commissaire aux droits de l’homme, la « détention automatique » des étrangers ayant franchi la frontière polono-biélorusse aurait limité le rôle de ces établissements à la seule fonction d’isolement et que les mauvaises conditions de vie et d’hygiène, le mauvais exercice des droits des migrants et la durée du séjour à l’isolement pourraient atteindre le seuil des traitements inhumains et dégradants. En outre, le niveau de soins médicaux et psychologiques dispensés dans les « Centres de détention » serait insuffisant et par conséquent, la santé des étrangers victimes de torture pourrait se détériorer en raison d’une victimisation secondaire.

Il se prévaut également d’un document intitulé « Psychological Opinion » rédigé mais non signé par une psychologue en langue anglaise à Bialystok (Pologne) le 9 décembre 2021 et affirme que l’accès aux soins psychologiques serait limité et aucun soutien psychologique à long terme ne saurait lui être fourni, de sorte que par crainte de maltraitance et de manquements des autorités polonaises à leurs obligations européennes, il ne pourrait pas retourner en Pologne, un tel transfert, alors qu’il souffrirait d’un syndrome de stress post-traumatique, serait contraire à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH ».

Finalement, le demandeur souligne que son oncle vivrait au Luxembourg, lequel le considérerait comme son fils et dont le soutien serait important et nécessaire pour sa santé mentale pour conclure que ce serait à tort que le ministre a déclaré que le Grand-Duché de Luxembourg serait incompétent pour connaître de sa demande de protection internationale et ce serait encore à tort que le ministre a refusé d’appliquer la clause de souveraineté prévu à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours.

A titre liminaire, le tribunal relève que le recours en réformation dans le cadre duquel il est amené à statuer en la présente matière depuis l’entrée en vigueur de la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, publiée au Mémorial en date du 1er juillet 2021, est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire - indépendamment de la légalité - l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-

même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés1.

L’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit ce qui suit : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

L’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités polonaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre (…) ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection 1 Trib. adm., 17 septembre 2018, n° 40026 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.

internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est motivée par les considérations que Monsieur … a déposé une demande de protection internationale en Pologne en date du 3 décembre 2021 et que les autorités polonaises ont accepté de le reprendre en charge le 23 mars 2022 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers la Pologne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Il échet ensuite de constater que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Etat polonais, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais avance son état de santé et la situation générale en Pologne, et se prévaut encore d’une violation, par le ministre, de l’article 17 du règlement Dublin III et de l’article 3 de la CEDH.

Il convient à cet égard de souligner que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-après par « la Charte », auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En ce qui concerne tout d’abord la situation générale en Pologne ainsi que la situation personnelle du demandeur, et pour autant que le demandeur a entendu conclure à une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, celui-ci prévoit ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable.

Lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable devient l’État membre responsable. ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé2.

A cet égard, le tribunal relève tout d’abord que l’Etat polonais est tenu en tant que membre de l’Union européenne et signataire de la CEDH, au respect des dispositions de celle-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques et de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3.

C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5.

Dans son arrêt du 19 mars 2019, la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE », a confirmé ce principe selon lequel le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée6. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment par les articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats 2 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

3 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S, c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

4 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17.

membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève ainsi que de la CEDH.

Il résulte, par ailleurs, de l’arrêt, précité, du 19 mars 2019, que pour relever de l’article 4 de la Charte auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine7.

Partant, ce seuil de gravité ne saurait couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant : le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable de l’examen de la demande de protection internationale n’est ainsi pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.

En l’espèce, force est de constater que s’il ressort certes des documents invoqués par le demandeur, à savoir du rapport de l’organisation Amnesty International du 11 avril 2022 intitulé « Poland : Cruelty not compassion, at Europe’s other Borders » et du rapport de Asylum Information Database intitulé « Conditions dans les centres de détention » du 26 mai 2022, que les autorités polonaises connaissent de sérieux problèmes quant à leur politique actuelle d’asile, dans la mesure où il est fait référence à la situation de certains demandeurs d’asile qui n’ont pas eu accès à la procédure d’asile, ont fait l’objet de « pushbacks » à la frontière polonaise, ont été retournés dans leur pays d’origine, et ont été regroupés dans des « Centres de détention » pendant des mois avec accès limité aux soins médicaux y inclus les soins psychologiques et dans des mauvaises conditions de vie et d’hygiène, force est cependant de constater que les documents invoqués par le demandeur, dont celui-ci se limite à des renvois tout à fait généraux, sont insuffisants pour permettre de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Pologne, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Pologne seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de 7 Idem, point 92.

dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte.

Or, mis à part ces documents, le demandeur ne fournit aucun autre élément objectif tangible permettant de retenir que les droits des demandeurs de protection internationale ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en Pologne, ou encore que ceux-ci n’auraient en Pologne aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités polonaises, étant rappelé que la Pologne est signataire de la Charte et de la CEDH et qu’elle est en tant que membre de l’Union européenne tenue au respect des dispositions de celles-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants du 10 décembre 1984 et de la Convention de Genève.

De plus, en l’absence d’une jurisprudence révisée par la Cour européenne des droits de l’Homme ou d’un rapport actuel d’une institution supranationale déconseillant des transferts vers la Pologne en raison de défaillances systémiques qui auraient pu être constatées dans cet Etat, le tribunal n’est pas en mesure, en l’état actuel du dossier, de retenir de telles déficiences systématiques pour la Pologne.

En ce qui concerne, dans ce contexte plus particulièrement la référence du demandeur à l’arrêt de la Cour administrative d’Aachen du 18 mars 2022 concernant la suspension des transferts en Pologne, force est de constater que ledit arrêt ne fait que constater la suspension, par la Pologne, des exécutions des transferts en raison de la situation en Ukraine en février 2022. Or, s’il ressort, à cet égard, effectivement du dossier administratif que par courrier électronique du 25 février 2022 les autorités polonaises ont informé leurs homologues dans les différents Etats membres de suspendre l’exécution des transferts prévus en vertu du règlement Dublin III en raison de la situation en Ukraine, il ressort cependant d’un courrier électronique du 23 juin 2022 envoyé par les mêmes autorités polonaises à leurs homologues dans les différents Etats membres, que les transferts en vertu du règlement Dublin III sont de nouveau acceptés à partir du 1er août 2022, de sorte qu’aucune conclusion ne saurait se dégager de l’arrêt ainsi cité par le demandeur en ce qui concerne sa propre situation.

Concernant ensuite la situation personnelle du demandeur, force est tout d’abord de constater que les autorités polonaises ne lui ont pas refusé l’accès à la procédure d’asile, dans la mesure où il résulte du courrier des autorités polonaises du 23 mars 2022 acceptant la reprise en charge du demandeur sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, que sa demande de protection internationale y est en cours d’examen. Il échet ensuite de constater que si le demandeur affirme certes que, personnellement et concrètement, il aurait fait l’objet de traitements inhumains et dégradants en Pologne, en avançant avoir quitté la Pologne en raison « des mauvaises conditions de vie8 », le demandeur ayant encore indiqué auprès du ministère que « J’ai quitté à cause de cet harcèlement des agents du militaire9 », « Ils n’y avaient pas de traducteurs et ils m’ont traité inhumainement10 », et « Ils11 nous ont discriminé et ils nous ont traité inhumainement et ils faisaient tout pour nous harceler12 », il reste cependant en défaut d’avancer concrètement les circonstances et les faits à la base de ses affirmations susceptibles d’être qualifiées de traitements inhumains et 8 Entretien auprès de la police grand-ducale du 8 mars 2022, p. 2.

9 Entretien Dublin III du 8 mars 2022, p. 6.

10 Entretien Dublin III du 8 mars 2022, p. 6.

11 Les agents du militaire.

12 Entretien Dublin III du 8 mars 2022, p. 6.

dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. A cela s’ajoute qu’il ressort également des déclarations du demandeur auprès du ministère et sur demande expresse de l’agent en charge de l’entretien, que dans le contexte de ces mauvais traitements avancés, le demandeur n’a pas subi de blessures, n’a pas gardé des séquelles corporelles et n’a pas non plus déclaré les faits aux autorités polonaises13, de sorte qu’il échet de retenir que les mauvais traitements avancés par le demandeur ne revêtent pas le niveau de gravité particulière tel qu’exigé par l’article 4 de la Charte et défini dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 19 mars 2019.

Il convient, dans ce contexte encore de rejeter les allégations du demandeur suivant lesquelles il n’aurait pas eu accès aux soins psychologiques en Pologne, alors que le contraire résulte du document intitulé « Psychological Opinion » et rédigé par une psychologue le 9 décembre 2021, laquelle y déclare avoir vu le demandeur en consultation en date du 8 décembre 2021 à Szudzialow (Pologne), et atteste qu’en raison de faits s’étant déroulés en Syrie en 2017 et son vécu difficile pour traverser la frontière polonaise, celui-ci souffre d’un « Post-traumatic Stress Disorder » et d’un « Trauma » pour encore formuler des recommandations pour son traitement futur.

Il ressort, par ailleurs, dudit document que le demandeur a déclaré à cette occasion se sentir bien traité en Pologne, la psychologue ayant, en effet, indiqué dans son rapport que « Now, that he is in the Border Guard Post, despite the fact that, as he points out, he is well treated, the sight of the uniform causes anxiety14 », déclarations qui ne sauraient cependant laisser conclure à un quelconque mauvais traitement dans son chef en Pologne.

Le moyen fondé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III encourt, dès lors, le rejet pour ne pas être fondé.

Néanmoins, il convient encore de relever dans ce cadre que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable15.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte16, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant17.

13 Entretien Dublin III du 8 mars 2022, p. 6.

14 Document intitulé « Psychological Opinion »du 9 décembre 2021 p. 2.

15 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09 16 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96 17 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88 En l’espèce, le demandeur soutient qu’en cas de transfert vers la Pologne il risquerait de subir des traitements inhumains et dégradants en se prévalant plus particulièrement de son état de santé.

Or, à cet égard force est de constater que si le demandeur a certes indiqué, lors de son entretien en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III en date du 8 mars 2022, avoir besoin d’un psychologue en raison de son vécu en Syrie en 201718 et qu’il résulte encore du document intitulé « Psychological Opinion », précité, du 9 décembre 2021 qu’il souffre d’un « Post-traumatic Stress Disorder » et d’un « Trauma », il ne se dégage cependant d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que le demandeur devrait suivre un traitement au Luxembourg ni qu’il existerait une éventuelle contre-indication pour transférer l’intéressé vers la Pologne.

Au vu de ces éléments et dans la mesure où le demandeur est resté en défaut de verser au tribunal une quelconque autre pièce de nature à justifier la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les allégations y afférentes sont rejetées.

En outre, il ne se dégage d’aucun élément soumis à son appréciation qu’il ne pourrait pas bénéficier en Pologne des soins médicaux dont il pourrait le cas échéant avoir besoin.

Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale, au système de santé polonais, quod non, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités polonaises en usant des voies de droits internes, voire devant les instances européennes adéquates.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1) premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers l’Italie par le biais de la communication aux autorités italiennes des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

Dans ces circonstances et dans la mesure où le demandeur n’a pas fait état d’autres éléments dont il se dégagerait que compte tenu de sa situation personnelle, il serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, en Pologne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation de l’article 3 de la 18 Entretien Dublin III du 8 mars 2022, p. 2.

CEDH encourt le rejet.

En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…) », le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201719. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge20, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration21.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur semble estimer que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale de Monsieur … alors même que cet examen incombe aux autorités polonaises, étant relevé que la simple allégation non autrement étayée suivant laquelle son oncle se trouverait sur le territoire luxembourgeois est insuffisante à cet égard.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers la Pologne, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, sans faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen fondé sur une violation de cette disposition est également rejeté.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, 19 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n°C-578/16, pts 88 et 97.

20 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

21 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Géraldine Anelli, premier juge, et lu à l’audience publique de vacation du 20 juillet 2022 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 juillet 2022 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 47622
Date de la décision : 20/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-07-20;47622 ?

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