La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/07/2022 | LUXEMBOURG | N°47602

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juillet 2022, 47602


Tribunal administratif N° 47602 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juin 2022 chambre de vacation Audience publique du 20 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35(4), L. 18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47602 du rôle et déposée le 27 juin 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, av

ocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsie...

Tribunal administratif N° 47602 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juin 2022 chambre de vacation Audience publique du 20 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35(4), L. 18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47602 du rôle et déposée le 27 juin 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Erytrée), alias …, né le …, de nationalité érythréenne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence Findel (« SHUF »), sise à L-1751 Findel, 12a, Beim Haff, tendant aux termes de son dispositif principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 10 juin 2022 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Italie, comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Michel Karp et Madame le délégué du gouvernement Charline Radermecker en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 juillet 2022.

____________________________________________________________________________

Le 17 janvier 2022, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 25 décembre 2021.

Le 18 janvier 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une 1demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 20 janvier 2022, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues italiens une demande de prise en charge de Monsieur …, sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Par arrêté du 1er février 2022, notifié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, ci-après dénommée « SHUK », pour une durée de trois mois.

Par courrier du 17 mars 2022, les autorités italiennes informèrent le ministre qu’elles ne donneraient pas leur accord officiel au transfert de Monsieur ….

Par courrier du 31 mars 2022, les autorités luxembourgeoises prièrent les autorités italiennes de leur faire parvenir leur acceptation officielle tout en leur rappelant qu’elles avaient basé leur requête de prise en charge sur l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

En l’absence de réponse de la part des autorités italiennes, les autorités luxembourgeoises informèrent ces dernières, par courrier du 4 mai 2022, qu’elles considéraient l’Italie comme ayant tacitement accepté la prise en charge de Monsieur … en date du 21 mars 2022, en application de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III.

Par décision du 10 juin 2022, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre informa l’intéressé du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragrpahe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions des articles 13, paragraphe (1) et 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 17 janvier 2022 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 13(1) et 22(7) dit règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 17 janvier 2022 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 18 janvier 2022.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 17 janvier 2022, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a 2révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 25 décembre 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 18 janvier 2022.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 20 janvier 2022 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 13(1) du règlement DIII.

En date du 17 mars 2022, les autorités italiennes nous ont fait parvenir un courrier intitulé « Information », confirmant que vous avez franchi illégalement la frontière Italienne en date du 25 décembre 2021. Cependant, ce courrier d'information ne comprend ni un accord formel, ni un refus formel, tel que les articles 5 et 6 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n°343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable .de l'examen d'une demande d'asile présenté dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, modifié par le Règlement Dublin III et le Règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, le prévoient. En effet, il ne peut être déduit ni de ce courrier ni d'aucun autre élément du dossier administratif que l'Italie aurait expressément refusé la demande de prise en charge au sens de l'article 5 du règlement d'exécution qui prévoit qu'une réponse négative est pleinement motivée et explique en détail les raisons du refus. Même si les informations reçues en date du 17 mars 2022 confirment que l'article 13(1) du règlement Dublin III s'applique clairement dans votre cas la Direction de l'immigration a demandé aux autorités italiennes de lui faire parvenir une acceptation formelle quant à sa requête du 20 janvier 2022.

Ce courrier est cependant resté sans réponse.

Or, l'absence de réponse à la demande de prise en charge équivaut, conformément à l'article 22(7) du règlement DIII, à l'acceptation de la demande par lesdites autorités italiennes en date du 21 mars 2022.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, conformément à l'article 13(1) du règlement DIII.

3 La responsabilité de l'Italie est acquise suivant l'article 22(7) du règlement DIII en ce que l'absence de réponse à l'expiration d'un délai de deux mois équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de fa Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après (« la Charte UE ») ou de l'article 3 de la convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 17 janvier 2022 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 25 décembre 2021.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté l'Erythrée en date du 29 octobre 2020 en partant en Éthiopie où vous auriez vécu à … pendant une année. Ensuite, vous auriez traversé le Soudan en direction de la Libye où vous seriez resté chez des passeurs pendant une année.

Vous racontez que la Police libyenne vous aurait frappé avec un tuyau métallique. En date du 14 décembre 2021 vous auriez réussi à monter à bord d'une embarcation en direction de l'Italie et vous auriez été déposé en Sicile. Vous auriez passé environ trois semaines en Italie avant. de partir au Luxembourg en passant par la France. Vous déclarez être arrivé en date du 13 janvier 2022.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 18 janvier 2022, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous déclarez avoir quitté l'Italie sans introduire une demande de protection internationale parce que votre but aurait été d'aller au Luxembourg.

Rappelons à cet égard que l'Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la 4matière. S'il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d'accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d'importantes difficultés sur le plan de l'hébergement et des conditions de vie, il n'y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.

Notons dans ce contexte que l'Italie a adopté en date du 21 octobre 2020 le décret n°130/2020 qui remplace la loi n° 132/2018 du 1er décembre 2018 et met en place le SAI (Sistema di accoglienza e integrazione). Ce nouveau système en matière d'accueil et d'intégration a réformé le système établi en 2018 et permet depuis lors d'améliorer l'accueil pour les demandeurs de protection Internationale.

Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe .de non-

refoulement énoncé expressément à l'article 33 de le Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou 5exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Italie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devait s'avérer nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n'ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juin 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 10 juin 2022.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation sous examen, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en expliquant, plus particulièrement, avoir quitté l’Erythrée à pied pour rejoindre l’Ethiopie, où il aurait séjourné pendant 1 an à …. Il se serait ensuite rendu en Libye et y serait resté pendant 1 an auprès de passeurs. Le 14 décembre 2021, il serait monté à bord d’une embarcation en direction de l’Italie. Après une journée de traversée, il aurait été secouru par un navire norvégien et débarqué en Sicile. Après un séjour de cinq semaines en Italie, le demandeur explique avoir pris le train pour rejoindre la France pour ensuite continuer son voyage vers le Luxembourg le lendemain. Il serait finalement arrivé au Luxembourg le 13 janvier 2022.

En droit, le demandeur reproche au ministre d’avoir tiré des conclusions hâtives concernant sa situation.

A cet égard, il explique qu’il n’aurait jamais eu la moindre intention d’introduire une demande de protection internationale en Italie, alors qu’il y aurait vécu pendant cinq semaines sans aides et sans logement.

Le demandeur fait ensuite valoir que les infrastructures d’hébergement en Italie seraient saturées et qu’aucun logement ne lui aurait été fourni en raison de l’afflux de migrants en Italie qui ne cesserait d’augmenter, le demandeur renvoyant, dans ce contexte, à des informations recueillies sur le site Internet euromedrights.org pendant la période de septembre 2020 à juin 2021, d’après lequel 66770 personnes auraient débarqué en Italie. Le demandeur soutient par ailleurs que l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (OSAR) recommanderait de renoncer 6aux transferts de demandeurs de protection internationale vers l’Italie, étant donné que le système d’asile italien présenterait de graves lacunes.

Eu égard à ces développements, le demandeur estime que le ministre aurait dû lui appliquer la clause de souveraineté prévue par l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

En conclusion, Monsieur … demande au tribunal de réformer la décision ministérielle déférée et de déclarer les autorités luxembourgeoises compétentes pour connaître de sa demande de protection internationale. Subsidiairement, il sollicite l’application de la susdite clause de souveraineté.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités italiennes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui dont le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière en provenance d’un pays tiers, cette responsabilité prenant fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.

Enfin, l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III prévoit que « L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois [à compter de la date de réception de la requête de prise en charge] et du délai d’un mois [lorsque l’Etat membre requérant a invoqué l’urgence] équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. ».

Il est constant en l’espèce que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en 7application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, de l’article 13, paragraphe (1) et de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Monsieur …, mais l’Italie, qui, de façon non contestée, a accepté tacitement de le prendre en charge à partir du 21 mars 2022, en raison de l’absence de réponse à la demande luxembourgeoise envoyée le 20 janvier 2022, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.

Il y a ensuite lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1), précité, du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En l’espèce, le demandeur n’invoque pas l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, mais se prévaut exclusivement de l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, qui prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…) ».

A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres1, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 16 février 20172.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge3, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration4.

Or, en l’espèce, le demandeur ne fait pas valoir d’éléments qui seraient de nature à 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

2 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pts 88 et 97.

3 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

4 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.

8justifier le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III. En effet, il invoque la situation des migrants en Italie et plus particulièrement le manque d’infrastructures d’hébergement pour affirmer qu’il existerait des motifs qui auraient dû amener le ministre à examiner sa demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe de l’Italie pour ce faire.

Il y a, tout d’abord, lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le Protocole de 1967, ainsi que dans la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard5. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants6 7.

Force est de constater qu’il ne ressort d’aucun document soumis au tribunal que les demandeurs de protection internationale en Italie seraient sans abri et sans logement. En effet, les affirmations du demandeur relatives à une saturation des structures d’hébergement en Italie ne sont appuyées par aucun élément probant versé en cause, de sorte qu’elles restent en l’état de pures allégations, étant précisé à cet égard que le seul fait que de nombreux migrants ont rejoint l’Italie pendant la période de septembre 2020 à juin 2021 ne saurait laisser conclure ipso facto à une pénurie de logements.

De plus, et faute d’avoir eu la qualité de demandeur de protection internationale en Italie, il ne saurait se prévaloir de son vécu personnel pour conclure à une pénurie de logement des demandeurs de protection internationale en Italie, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte dans son chef.

Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse accéder, en tant que demandeur de protection internationale, à un logement, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités italiennes en usant des voies de droits internes, voire devant les instances européennes adéquates.

Pour être tout à fait complet, il convient encore de relever que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Italie, voire à une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Italie dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile italienne 5 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

6 Ibidem, point 79.

7 Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

9qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Dans ses conditions, le tribunal retient que les conditions de logement en Italie telles qu’alléguées par le demandeur ne sauraient s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Il s’ensuit que la décision du ministre de ne pas examiner la demande de protection internationale de Monsieur … et de le transférer vers l’Italie n’encourt aucune critique et qu’en l’absence d’autres moyens, le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Géraldine Anelli, premier juge, et lu à l’audience publique du 20 juillet 2022 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 juillet 2022 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 47602
Date de la décision : 20/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-07-20;47602 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award