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05/07/2022 | LUXEMBOURG | N°47598

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juillet 2022, 47598


Tribunal administratif N° 47598 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juin 2022 3e chambre Audience publique du 5 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 22. L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47598 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 juin 2022 par Maître Zohra BELESGAA, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déc

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Tribunal administratif N° 47598 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juin 2022 3e chambre Audience publique du 5 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 22. L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47598 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 juin 2022 par Maître Zohra BELESGAA, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … et être de nationalité inconnue, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 juin 2022 décidant de son placement au Centre de rétention pour une durée de trois mois à partir de sa notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 juin 2022 ;

Vu le courrier électronique de Maître Naïma EL HANDOUZ, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, du 30 juin 2022, informant le tribunal administratif de la reprise du mandat pour compte de Monsieur …, en remplacement de Maître Zohra BELESGAA ;

Vu le courrier électronique de Maître Naïma EL HANDOUZ de ce jour, informant le tribunal administratif qu’elle ne se présentera pas à l’audience des plaidoiries ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour.

Le 9 juin 2022, Monsieur … se présenta auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », en vue d’introduire une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Il ressort d’une recherche effectuée le même jour dans la base de données EURODAC que Monsieur … avait précédemment déposé une demande de protection internationale en Suisse, en date du 23 octobre 2016.

1Par arrêté du 9 juin 2022, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », prit dans le chef de Monsieur … une mesure de placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de l’arrêté en question sur le fondement de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015. Ledit arrêté est basé sur les considérations suivantes :

« […] Vu l’article 22, paragraphe (2), points a) et d), de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu que l’intéressé a présenté une demande de protection internationale en date du 9 juin 2022 ;

Vu le comportement irrespectueux et agressif envers les agents de la Direction de l’immigration et les agents du Service de Police Judiciaire ;

Considérant que l’intéressé est signalé au système EURODAC comme ayant introduit une demande de protection internationale en Suisse;

Considérant qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 sera adressée aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue du transfert de l’intéressé vont être engagées ;

Attendu que l’intéressé est dépourvu de tout document d’identité ou de voyage permettant d’établir son identité ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;

Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l’article 22, paragraphe (3), point a) ne peut être efficacement appliquée, alors que l’intéressé ne dispose d’aucun document d’identité et de voyage valable ;

Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l’article 22, paragraphe (3), point b) ne peut être efficacement appliquée, alors que l’intéressé ne présente pas des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite ;

Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l’article 22, paragraphe (3), point c) ne peut être efficacement appliquée, alors que l’intéressé n’est pas en mesure de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros ; […] ».

Le 10 juin 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

En date du 27 juin 2022, l’intéressé fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 29 juin 2022, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités suisses en vue de la reprise en charge de Monsieur … en vertu de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande à laquelle les autorités suisses firent droit le même jour.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 juin 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté 2ministériel, précité, du 9 juin 2022 ayant ordonné son placement en rétention pour une durée de trois mois à partir de sa notification.

Etant donné que l’article 22, paragraphe (6), de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative prise en vertu de cette loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit par Monsieur …, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur explique tout d’abord qu’en date du 9 juin 2022, il aurait introduit une demande de protection internationale et que le même jour, il aurait été placé au Centre de rétention.

Après avoir cité les dispositions des articles 7 et 22, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, Monsieur … conteste ensuite la motivation à la base de la décision ministérielle querellée.

Il avance, à cet égard, qu’il aurait fourni aux autorités ministérielles son identité et ses empreintes digitales, de sorte que ces dernières auraient pu effectuer une recherche dans la base de données EURODAC et ensuite découvrir qu’il avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Suisse. Ce serait dès lors à tort que le ministre a retenu que son identité ne serait pas établie.

Il conteste ensuite la décision querellée en ce qu’elle a été prise sur le fondement de l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, renvoyant à l’article 28 du règlement Dublin III lequel prévoit la rétention d’une personne dans le cadre d’une procédure de transfert, en faisant valoir qu’à ce jour, il n’aurait pas encore fait l’objet d’une décision de transfert au sens dudit règlement Dublin III. Il s’ensuivrait que son placement en rétention ne pourrait se faire dans le cadre de l’exécution d’un transfert.

Le demandeur conteste également l’existence d’un faisceau d’indices permettant au ministre de retenir un risque de fuite dans son chef, tout en soulignant à cet égard qu’il aurait introduit une demande de protection internationale le 9 juin 2022. Dans ce contexte, il soutient encore que son comportement agressif ne pourrait pas être pris en considération dans l’appréciation d’un risque de fuite dans son chef.

Il reproche ensuite au ministre de ne pas avoir mentionné l’article 22, paragraphe (2), point c) de loi du 18 décembre 2015 pour justifier son placement au Centre de rétention, tout en estimant que son comportement ne pourrait en tout état de cause justifier une telle mesure.

Il critique également le ministre pour ne pas avoir respecté le principe selon lequel nul ne devrait être placé en rétention pour le seul motif qu’il demande une protection internationale.

Finalement, le demandeur fait valoir qu’il serait en droit de pouvoir récupérer, dans les trois jours de sa demande, une attestation qui lui permettrait de circuler librement au Luxembourg.

3Il conclut que la mesure de placement au Centre de rétention prise à son égard serait basée sur des raisons arbitraires et disproportionnées, de sorte que la décision ministérielle litigieuse serait à réformer pour violation de la loi, sinon pour erreur d’appréciation.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

A l’appui de ses conclusions et après avoir relevé qu’il ne serait pas contesté en cause que Monsieur … se serait présenté le 9 juin 2022 auprès de la direction de l’Immigration en vue d’introduire sa demande de protection internationale, il soutient qu’en application des dispositions de l’article 2, points b) et c) de la loi du 18 décembre 2015, celui-ci devrait être considéré comme demandeur de protection internationale au sens de la loi et ce malgré le fait que l’intéressé aurait introduit sa demande le 10 juin 2022.

En ce qui concerne l’application de l’article 22, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015, le délégué du gouvernement fait valoir qu’il résulterait des éléments du dossier administratif que le demandeur ne serait pas en possession d’un quelconque document d’identité ou de nationalité, de sorte que ce serait à bon droit que le ministre s’est basé sur cette disposition pour justifier la mesure de placement litigieuse. Cette conclusion ne serait pas ébranlée par l’affirmation du demandeur suivant laquelle son identité résulterait des résultats de la recherche EURODAC dans la mesure où un « hit » dans cette base de données ne constituerait pas un document officiel d’identité ou de nationalité, le délégué du gouvernement se référant, à cet égard, à un jugement du tribunal administratif du 26 septembre 2018, inscrit sous le numéro 41685 du rôle.

En ce qui concerne le point d) de l’article 22, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, il avance que dans la mesure où il ressortirait de la décision de placement litigieuse qu’elle aurait été adoptée en vue d’organiser le transfert du demandeur vers la Suisse, l’application de ladite disposition ne pourrait pas être remise en cause.

S’agissant du risque de fuite retenu dans le chef du demandeur, le délégué du gouvernement souligne que Monsieur … ne disposerait ni d’un document d’identité ou de voyage valables ni d’une adresse légale au Luxembourg. L’existence d’un risque de fuite serait encore renforcée par le refus du demandeur de répondre aux questions posées dans le cadre de son entretien Dublin III du 27 juin 2022, ainsi que par le comportement peu collaboratif qu’aurait adopté Monsieur … lors de la présentation de sa demande de protection internationale.

Il s’ensuivrait qu’il existerait un faisceau de circonstances établissant un risque de fuite dans le chef du demandeur au sens de l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015. Le délégué du gouvernement réfute à cet égard encore la critique du demandeur concernant l’absence d’une décision de transfert en soutenant qu’en vertu de l’article 28 du règlement Dublin III, les Etats membres pourraient placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert, de sorte qu’il ne serait pas interdit par ladite disposition de placer une personne en rétention avant la prise de la décision de transfert.

Le délégué du gouvernement fait ensuite valoir que le placement en rétention du demandeur serait également justifié par le point c) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 et donc par un motif tenant à la protection de l’ordre public au vu du comportement agressif et des menaces envers les agents de la direction de l’Immigration, tel que cela ressortirait d’une note au dossier administratif du 10 juin 2022, tout en soulignant à 4cet égard que l’administration pourrait produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois au cours de la phase contentieuse.

S’agissant des mesures moins coercitives, il soutient que le demandeur resterait en défaut de fournir le moindre élément permettant de remettre en cause le constat du ministre selon lequel les mesures moins coercitives ne pouvaient être efficacement appliquées.

Finalement, le délégué du gouvernement réfute l’affirmation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû lui délivrer une attestation de demandeur protection internationale pour ne pas être pertinente en l’espèce. A titre subsidiaire, il donne à considérer que conformément à l’article 7, paragraphe (2) du règlement Dublin III, l’attestation en question ne serait pas délivrée au demandeur qui est maintenu en rétention.

Force est de constater que la décision ministérielle litigieuse est fondée sur l’article 22, paragraphe (2), points a) et d) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel : « […] (2) Un demandeur ne peut être placé en rétention que:

a) pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité ;

[…] d) conformément à l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride et lorsqu’il existe un risque de fuite basé sur un faisceau de circonstances établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement; […] », le délégué du gouvernement ayant encore complété que la décision ministérielle est également fondée sur le point c) dudit article 22, paragraphe (2), permettant de placer un demandeur en rétention « lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public l’exige ; ».

Le paragraphe (3) de l’article 22, précité, dispose, quant à lui, que : « (3) La décision de placement en rétention est ordonnée par écrit par le ministre sur la base d’une appréciation au cas par cas, lorsque cela s’avère nécessaire et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.

On entend par mesures moins coercitives:

a) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité;

b) l’assignation à résidence dans les lieux fixés par le ministre, si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite;

l’assignation à résidence peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour le demandeur l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence du demandeur dans le prédit périmètre. La 5mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer au demandeur, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé;

c) l’obligation pour le demandeur de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder si les motifs énoncés au paragraphe (2) ne sont plus applicables ou en cas de retour volontaire. […] ».

En vertu de l’article 22, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 : « La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquelles elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. […] ».

L’article 22, paragraphe (2), points a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 permettent dès lors au ministre de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative pour une durée maximale de trois mois en vue d’établir ou de vérifier l’identité ou la nationalité de l’intéressé ou lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public l’exige. Le point d) de l’article 22, paragraphe (2), de la même loi, qui renvoie à l’article 28 du règlement Dublin III, permet, quant à lui, de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative pour la même durée maximale de trois mois en vue de garantir les procédures de transfert prévues par ledit règlement sous condition qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de cette personne, basé sur un faisceau de circonstances établissant que l’intéressé a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement.

L’article 22, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 ajoute que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues à ses points a), b) et c) - à savoir, (i) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à des intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, (ii) l’assignation à résidence, assortie, le cas échéant, d’une mesure de surveillance électronique, et, (iii) le dépôt d’une garantie financière d’un montant de cinq mille euros -, ne peut être efficacement appliquée.

6L’article 22, paragraphe (4), de la même loi précise, par renvoi au règlement Dublin III, que la mesure de placement en rétention est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois et que les procédures liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue, sans que les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter le transfert dans les meilleurs délais et que le placement ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises. Cette mesure de placement en rétention peut être reconduite, chaque fois pour une durée de trois mois, tant que les motifs énoncés à l’article 22, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

Dans la mesure où ni la durée de la mesure de placement en rétention, ni la diligence avec laquelle sont exécutées les procédures liées aux motifs de rétention énoncés au deuxième paragraphe de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 ne sont remises en cause par le demandeur, l’examen du tribunal portera uniquement sur le bien-fondé et la proportionnalité du placement en rétention, contestée par le demandeur.

Force est tout d’abord de constater qu’il n’est pas contesté en cause que le demandeur a présenté le 9 juin 2022 auprès du service compétent du ministère une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015, de sorte qu’en vertu de l’article 2, point c) de la même loi, il doit être considéré comme « demandeur » et que son placement au Centre de rétention tombe dans le champ d’application des dispositions de cette loi et plus précisément de celles de l’article 22, paragraphe (2).

A cet égard, il échet de relever que dans la mesure où les cas de figure énoncés aux points a) à e) de l’article 22, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 sont envisagés de manière alternative et non cumulative, il suffit que l’une des hypothèses y visées se trouve vérifiée en l’espèce pour que le placement en rétention du demandeur soit justifié.

S’agissant plus précisément de l’article 22, paragraphe (2), point d), de la loi du 18 décembre 2015, force est de constater qu’il ressort de la décision de placement litigieuse qu’elle a été adoptée en vue d’organiser le transfert de Monsieur … vers la Suisse, au regard du résultat des recherches effectuées par les autorités luxembourgeoises dans la base de données EURODAC. A cela s’ajoute que le demandeur a fait l’objet d’un entretien en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale au sens du règlement Dublin III le 27 juin 2022, que les autorités ministérielles luxembourgeoises ont contacté leurs homologues suisses le 29 juin 2022 en vue d’une reprise en charge de Monsieur … en vertu de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III et que les autorités suisses ont accepté cette demande le même jour.

Il s’ensuit que c’est a priori à bon droit que le ministre s’est fondé sur l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 pour ordonner le placement du demandeur au Centre de rétention.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait qu’à ce jour aucune décision de transfert n’a été prise par le ministre à son égard. En effet et tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, l’article 28, paragraphe (2) du règlement Dublin III permet, sous réserve du respect de certaines conditions, le placement des personnes concernées en rétention en vue de 7garantir les procédures de transfert conformément audit règlement, étant précisé que le paragraphe (3), alinéa 21, de l’article 28 prévoit d’ailleurs le délai dans lequel une requête de prise ou de reprise en charge doit être présentée à l’Etat membre requis lorsqu’une personne est placée en rétention en vertu de cette disposition, de sorte que l’argumentation afférente du demandeur selon laquelle la mesure de placement en rétention litigieuse n’aurait pas pu être prise dans le cadre de l’exécution d’un transfert à défaut de décision ministérielle en ce sens est rejetée.

En ce qui concerne ensuite la question de l’existence dans le chef du demandeur d’un risque de fuite non négligeable au sens de l’article 22, paragraphe (2), point d), de la loi du 18 décembre 2015, il y a lieu de rappeler que celui-ci doit se baser sur un faisceau de circonstances établissant que l’intéressé a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement.

Force est, à cet égard, de relever qu’il ressort du rapport d’entretien Dublin III du 27 juin 2022 que le demandeur a déclaré à plusieurs reprises à l’agent ministériel en charge de son entretien qu’il ne veut pas révéler son pays d’origine en affirmant notamment que « je ne veux pas que l’immigration connait mon pays d’origine » et « Je ne veux pas vous dire mon pays d’origine »2, et qu’il est, par ailleurs, resté muet sur l’itinéraire et les moyens de transport utilisés pour entrer l’Espace Schengen3. A cela s’ajoute qu’il se dégage d’une note au dossier administratif du 10 juin 2022 que le demandeur s’est montré très peu collaboratif lors de la présentation de sa demande de protection internationale auprès du ministère le 9 juin 2022 et qu’il n’a que partiellement rempli la fiche de données personnelles qu’il avait été invitée à compléter à cet égard. Il ressort encore de cette même note que lorsque les agents ministériels en charge de l’ouverture du dossier ont dû s’enquérir auprès de Monsieur … afin de recevoir les informations manquantes, celui-ci a commencé à les insulter et à se montrer menaçant envers ceux-ci, à un point tel qu’il a été invité de quitter le bâtiment et que la procédure d’enregistrement de sa demande de protection internationale a dû être abandonnée.

A partir de ces éléments, ensemble la circonstance que le demandeur a depuis son entrée dans l’Espace Schengen en 2006 ou 2007 vécu dans trois pays différents sans y introduire une demande de protection internationale, à part en Suisse où sa demande de protection internationale a été rejetée, et qu’il a, par ailleurs, fait usage d’au moins une identité différente, tel que cela se dégage de l’acception de reprise en charge des autorités suisses du 29 juin 2022, il y a lieu de retenir qu’il existe un faisceau de circonstances établissant que l’intéressé a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement, sous l’angle de vue de l’article 22, paragraphe 2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, étant, par ailleurs, relevé que le seul fait que le demandeur a introduit une demande de protection internationale au Luxembourg n’est pas suffisant pour renverser ce faisceau d’indices, mais est, au contraire, au vu du comportement adopté par le demandeur depuis son entrée dans l’Espace Schengen, de nature à renforcer le constat qu’il ne souhaite pas rentrer dans son pays d’origine, de sorte que le ministre a valablement pu conclure à l’existence, dans le chef du demandeur, d’un risque de fuite non négligeable, tel qu’exigé par les articles 22, paragraphe (2), point d), de la loi du 18 décembre 2015 et 28 du règlement Dublin III.

1 Article 28, paragraphe (3), alinéa 2 du règlement Dublin III : « Lorsqu’une personne est placée en rétention en vertu du présent article, le délai de présentation d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge ne dépasse pas un mois à compter de l’introduction de la demande. […] ».

2 Page 4/11 du rapport d’entretien Dublin.

3 Page 5/11 du rapport d’entretien Dublin.

8En ce qui concerne ensuite l’application de mesures moins coercitives, dans la mesure où le demandeur reste en défaut de fournir le moindre élément lui permettant de remettre en cause le constat du ministre selon lequel les mesures moins coercitives prévues par l’article 22, paragraphe (3), points a), b) et c), de la loi du 18 décembre 2015 ne pouvaient être appliquées efficacement en l’espèce et à défaut d’autres contestations à cet égard dans son recours, aucune critique ne peut être retenue à cet égard.

S’agissant, enfin, de l’affirmation non autrement circonstanciée du demandeur selon laquelle il serait en droit de récupérer dans les trois jours de l’introduction de sa demande de protection internationale une attestation lui permettant de circuler librement au Luxembourg, celle-ci est à rejeter pour défaut de pertinence, dans la mesure où cette affirmation n’est pas de nature à remettre en cause la légalité de la décision litigieuse.

Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juillet 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 juillet 2022 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 47598
Date de la décision : 05/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-07-05;47598 ?

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