La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/07/2022 | LUXEMBOURG | N°47471

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juillet 2022, 47471


Tribunal administratif Numéro 47471 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mai 2022 4e chambre Audience publique du 5 juillet 2022 Recours formé par la société anonyme … SA, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements - amende

________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47471 du rôle et déposée le 24 mai 2022 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité lim

itée Vertumnus SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l'Ordre des avocats du barreau de L...

Tribunal administratif Numéro 47471 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mai 2022 4e chambre Audience publique du 5 juillet 2022 Recours formé par la société anonyme … SA, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements - amende

________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47471 du rôle et déposée le 24 mai 2022 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée Vertumnus SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l'Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1661 Luxembourg, 39, Grand-Rue, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B238519, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Marc Berna, assisté de Maître Max Muller, tous les deux avocats à la Cour, inscrits au tableau de l'Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société anonyme … SA, établie et ayant son siège social à L-…, , immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 25 avril 2022, référencée sous le numéro 2021-

1269-S3 CH, lui ayant infligé une amende de 50.000 euros en raison du défaut d’avoir fourni des renseignements dans le cadre d’une demande d’assistance émanant des autorités fiscales belges ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2022 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les informations de Monsieur le délégué du gouvernement Sandro Laruccia, ainsi que de Maître Max Muller des 22, respectivement 28 juin 2022 suivant lesquelles ceux-ci marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 28 juin 2022, les parties étant excusées.

___________________________________________________________________________

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. »Par courrier du 28 décembre 2021, le directeur de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après par le « directeur », enjoignit à la société anonyme … SA, dénommée ci-après « la société … », de lui fournir, pour le 4 février 2022 au plus tard, certains renseignements et documents relatifs à sa situation personnelle et celle de Monsieur …, en application de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignement sur demande en matière fiscale, désignée ci-après par « la loi du 25 novembre 2014 ». Ladite injonction est libellée comme suit :

« (…) En date du 16 décembre 2021, l'autorité compétente de l'administration fiscale belge nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la convention fiscale entre le Luxembourg et la Belgique du 17 septembre 1970, modifiée par la loi du 31 mars 2010 portant approbation de l'Avenant et de l'échange de lettres y relatif à ladite convention, de la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale et de son protocole d'amendement, approuvés en droit interne par la loi du 26 mai 2014, ainsi que de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.

L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.

La personne physique concernée par la demande est M. …, né le … et ayant des adresses au …, L-… et au …, …, Belgique.

Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2020, les renseignements et documents suivants pour le 4 février 2022 au plus tard.

- Veuillez fournir pour la période visée le détail et la valeur des avantages de toute nature et des remboursements de dépenses propres à la société … SA quant à son employé M. …. Veuillez spécifier la devise ;

- Etant donné que … disposait d'un compte courant auprès de la société … SA et qu'en date du 29 août 2014 un montant de 400.000,00 EUR a été retiré en espèces de ce compte au profit de … :

o Veuillez indiquer s'il existe un contrat oral ou écrit (date du contrat écrit :

jj/mm/aaaa) entre … et la société … SA ;

o Veuillez indiquer quel est (sont) le(s) montant(s) payé(s) et s'il reste des sommes dues. Veuillez préciser la devise ;

o Veuillez indiquer comment le(s) paiement(s) ont été effectués :

 Paiement en espèces : Date et place de remise ;

 Virement bancaire : Veuillez indiquer  le nom de la banque à partir de laquelle/vers laquelle le(s) paiement(s) a/ont été effectué(s) (y compris le code BIC) ;

 le numéro du compte bancaire à partir duquel/sur lequel le(s) paiement(s) ont été effectués (code IBAN) ;

 le nom du détenteur du compte à partir duquel/vers lequel le(s) paiement(s) a/ont été effectué(s) 2  Carte de crédit ;

 Transfert d'argent en ligne (p.ex. Paypal) ;

 Autres ;

o Veuillez indiquer qui a réellement effectué le(s) payement(s) ;

o Veuillez indiquer qui a autorisé le(s) paiement(s) ;

o Veuillez indiquer si des fonds ont été retirés des comptes de … … SA (en espèces) et comment ces retraits ont été enregistrés;

o Veuillez en fournir les enregistrements comptables ;

o Veuillez indiquer pour la période visée si le prêt a été effectivement accordé ;

o Veuillez fournir les détails complets du prêt : date (jj/mm/aaaa), montant et devise, prêteur et emprunteur ;

o Veuillez indiquer sous quelle forme le prêt a été accordé :

 Virement bancaire : Veuillez indiquer  le nom de la banque à partir de laquelle/vers laquelle le(s) paiements) a/ont été effectué(s) (y compris le code BIC) ;

 le numéro du compte bancaire à partir duquel/sur lequel le(s) paiement(s) ont été effectués (code !BAN) ;

 le nom du détenteur du compte à partir duquel/vers lequel le(s) paiement(s) a/ont été effectué(s) ;

 Espèces : Veuillez indiquer le donneur d'ordre ;

 Autres ;

o Veuillez indiquer si le prêt a été garanti et dans l'affirmative, veuillez spécifier les conditions de la garantie ;

o Veuillez indiquer si le prêt accordé a été remboursé. En cas de remboursement partiel, veuillez spécifier le(s) montant(s) et date(s) (jj/mm/aaaa). En cas de remboursement complet, veuillez indiquer la date (jj/mm/aaaa) et si le remboursement a eu lieu par virement bancaire (veuillez préciser les numéros de comptes concernés), en espèces (veuillez indiquer le donneur d'ordre) ou par un autre moyen ;

o Veuillez indiquer le taux d'intérêt annuel et la méthode de calcul ;

o Veuillez indiquer les liens entre l'emprunteur et le prêteur ;

o Veuillez fournir le détail du compte courant susmentionné.

Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l'article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les -

3 3 -

renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération. (…) ».

Un rappel de la décision d’injonction précitée du 28 décembre 2021 fut adressé à la société … en date du 10 mars 2022, prorogeant le délai de réponse au 25 mars 2022.

Le 25 avril 2022, le directeur infligea une amende administrative fiscale à la société … d’un montant de 50.000 euros, aux motifs suivants :

« (…) Vous n'avez pas donné suite à notre décision d'injonction du 28 décembre 2021, vous enjoignant de nous fournir des renseignements dans le cadre d'une demande d'assistance émanant des autorités fiscales belges.

Par conséquent, je suis au regret de vous informer que conformément à l'article 5 de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, je me vois dans l'obligation de vous infliger une amende administrative fiscale de 50.000 EUR.

Je vous prie de bien vouloir payer endéans 1 mois, à partir de la réception de la présente, cette somme sur le compte (…).

Je tiens à vous informer que contre la présente décision un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements.

Ce recours doit être introduit dans un délai d'un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 mai 2022, la société … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du 25 avril 2022 lui enjoignant de payer une amende de 50.000 euros.

Aux termes de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, le détenteur des informations s’étant vu infliger une amende, au sens de l’article 5 de la même loi, pour ne pas avoir fourni les renseignements sollicités endéans le délai lui imposé, peut intenter un recours en réformation à l’encontre de la décision directoriale ayant retenu une amende à son encontre.

Il s’ensuit que le tribunal de céans est compétent pour toiser le recours en réformation sous examen dirigé contre la décision directoriale précitée du 25 avril 2022.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité de la requête introductive d’instance, au motif qu’il y aurait une confusion entre la qualité de détenteur des renseignements sollicités, en l’occurrence la société …, et l’administrateur unique de cette dernière, Monsieur …, lequel serait le contribuable visé par la demande d’échange de renseignements. La partie étatique expose encore, dans ce contexte, qu’une affaire en matière d’échanges de renseignements serait actuellement pendante devant la Cour administrative, dans le cadre de laquelle se poserait cette même question, le délégué s’interrogeant en conséquence sur l’opportunité de surseoir à statuer dans le présent litige en attendant l’arrêt à intervenir, dans un souci de bonne administration de la justice. La partie étatique fait finalement valoir, dans ce cadre, que la confusion entre le contribuable visé et le détenteur des renseignements risquerait d’influer sur la décision de ce dernier de procéder ou non à la transmission desinformations sollicitées, alors qu’il serait péremptoirement établi que le représentant légal d’une société, détentrice desdites informations, n’aurait aucun intérêt à collaborer avec les autorités fiscales, dans l’hypothèse où ledit mandataire social serait le contribuable visé.

La société … n’a pas pris position quant à ce moyen d’irrecevabilité.

Il y a, tout d’abord, lieu de relever que la question actuellement soumise à la Cour administrative, dans le cadre de l’affaire inscrite sous le numéro 47254C du rôle, se meut dans un autre contexte que celui du présent litige pour avoir trait à un recours juridictionnel d’une société contre une demande d’échange de renseignements visant, entre autres, un de ses administrateurs en tant que contribuable visé par ladite demande, société contestant notamment avoir la qualité de détenteur des informations sollicitées. En effet, le présent litige n’a pas trait à la demande d’échange de renseignements adressée à la société … le 28 décembre 2021, - la légalité de celle-ci n’étant en l’occurrence pas remise en cause, ni directement, dans la mesure où aucun recours n’a été exercé à son encontre endéans le délai légal, ni indirectement, par le biais du recours sous examen – mais vise, l’étape subséquente, à savoir une amende prononcée sur le fondement de l’article 5, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 à l’encontre de la société … pour ne pas avoir réservé de suites à une demande d’échanges de renseignements.

Par ailleurs, la société … n’a pas remis en question sa qualité de détentrice des informations sollicitées par les autorités fiscales luxembourgeoises et a même, par courrier du 19 mai 2022, certes très tardivement, pris position par rapport à la demande d’échange de renseignements, tout en communiquant un certain nombre de documents aux autorités fiscales.

Force est encore, à titre superfétatoire, de préciser que même si le détenteur des renseignements revêt également la qualité de contribuable visé par une éventuelle enquête dans l’Etat requérant, l’élément déterminant dans le cadre de la recevabilité du recours doit être sa qualité de destinataire de la décision d’injonction dans l’Etat requis qui lui impose directement des obligations sous peine de sanction. En effet, la privation du bénéfice d’un recours direct contre cette décision d’injonction dont le destinataire a cette double qualité est le destinataire est contraire à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-

après désignée par la « Charte », de sorte que cette personne doit se voir reconnaître une voie de recours directe contre la décision d’injonction, peu importe sa qualité de contribuable visé par ailleurs2. Cette conclusion doit également prévaloir dans le cadre du recours visant l’amende prononcée sur le fondement de l’article 5, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014.

Sur base des considérations qui précèdent, il y a lieu de retenir que le moyen d’irrecevabilité, tout comme la demande de surseoir à statuer sollicitée par la partie étatique, encourent le rejet pour manquer de pertinence.

A défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité invoqué, respectivement à soulever d’office, le recours en réformation est à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose, tout d’abord, les faits et rétroactes à la base du litige sous examen, en expliquant, avoir omis sans intention dolosive et en raison d’un concours de circonstances indépendantes de sa volonté, de fournir les renseignements sollicités par la décision d’injonction des autorités fiscales luxembourgeoises du 28 décembre 2 Cour adm., 12 mai 2022, n° 47215C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu 2021. Elle relève, dans ce contexte, que Monsieur …, son actionnaire et administrateur unique, respectivement son bénéficiaire effectif, aurait été à l’étranger du 25 au 30 décembre 2021, tout en précisant que la décision d’injonction du 28 décembre 2021 aurait porté sur ce dernier en tant que contribuable visé. En date du 19 avril 2022, une décision d'injonction aurait également été directement adressée à Monsieur … avec un délai de réponse jusqu’au 25 mai 2022. Sans même attendre l’écoulement du délai ainsi imparti, l’administration fiscale aurait, le 25 avril 2022, pris la décision litigieuse imposant une amende de 50.000 euros à l’égard de la demanderesse, laquelle aurait cependant fourni, tout comme Monsieur …, le 19 mai 2022 sa prise de position par rapport aux renseignements fiscaux sollicités.

En droit, la demanderesse se rapporte tout d’abord à prudence de justice en ce qui concerne la légalité externe de la décision déférée.

Le délégué du gouvernement n’a pas pris position sur ce point.

Force est au tribunal de préciser que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Dès lors, étant donné que la demanderesse est restée en défaut de préciser dans quelle mesure les conditions de légalité externe n’auraient pas été respectées par le directeur en l’espèce, le moyen afférent encourt le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’illégalité externe d’ordre public qui aurait dû être soulevée d’office.

Quant au fond, la demanderesse conclut, tout d’abord, à la réformation de la décision déférée en argumentant qu’elle n’aurait pas eu d’intention dolosive en omettant de réserver une suite à la demande d’échange de renseignements du 28 décembre 2021, dans la mesure où elle n'aurait pas été opposée à la fourniture desdits renseignements qu'elle aurait d'ailleurs entretemps fournis. Elle critique encore, dans ce contexte, ne pas s’être vu adresser de rappel, respectivement ne pas avoir été autrement interpelée par les autorités fiscales, dont elle qualifie la décision de lui infliger une amende d’hâtive. En conséquence, elle devrait être déchargée de l'amende lui infligée.

La société … conclut encore à la réformation de la décision directoriale déférée pour avoir violé le principe d’équité et de proportionnalité. S'agissant d'une amende administrative à vocation coercitive, le directeur aurait dû tenir compte des principes d'individualité et de spécialité, ainsi que de la gravité des faits, en usant de son pouvoir d’appréciation avec retenue et pondération. La demanderesse insiste sur le fait d’avoir fourni, par le biais de son courrier du 19 mai 2022, les renseignements demandés, circonstance que le juge de la réformation devrait prendre en compte, même si lesdites informations n’étaient en l’occurrence pas d’une grande importance, dans la mesure où l’Etat requérant ne pourrait pas en faire usage.

Dans le cadre de son mémoire en réponse, quant à la justification de l'amende administrative fiscale décernée tant en principe qu’en son quantum, le délégué du gouvernement considère que le montant de l'amende administrative fiscale décernée ne serait pas arbitraire, mais résulterait d'une instruction directoriale élaborée sur base de critères objectifs.

En vertu du principe patere legem quam ipse fecisti, le directeur se serait imposé, à lui-

même, des critères qu'il suivrait, chaque fois, qu'une amende administrative fiscale est prononcée. Ces critères, qui auraient d'ailleurs déjà été exposés en détail devant la Cour de justice de l’Union européenne, dans le cadre de l’affaire « Berlioz » ayant donné lieu à l’arrêt C‑682/15 de la CJUE du 16 mai 2017, seraient les suivants :

En premier lieu, un critère objectif, selon lequel, dans le cas où le détenteur de renseignements est une personne morale, l'amende s'élèverait à 10 % du montant total de la somme bilantaire de la valeur au 31 décembre de l’année précédant celle où l’amende est fixée.

Si aucun bilan n'a été déposée l'année précédant celle de la fixation de l'amende, le dernier bilan déposé serait pris en compte. Dans tous les cas, l'amende prononcée ne pourrait être inférieure à 10.000 euros. Si aucun bilan n'a encore été déposé, l'amende s'élèverait à un montant forfaitaire de 10.000 euros.

Ensuite, des critères subjectifs, à savoir :

· le fait de « ne pas fournir les renseignements demandés malgré un jugement coulé en force de chose jugée ou un arrêt en ce sens prononcé par les juridictions administratives », · « l'attitude manifestement récalcitrante du détenteur de renseignements témoignant une volonté de ne pas vouloir coopérer avec l'ACD et mettant celle-ci dans l'impossibilité matérielle de répondre à l'autorité compétente requérante », · « le fait de ne pas répondre à la décision d'injonction, à la lettre de rappel, respectivement de répondre partiellement à la décision d'injonction de même que le refus de fournir les informations manquantes », · « l'attitude récidiviste du détenteur de renseignements ne voulant pas coopérer avec l'ACD ».

La présence d'un ou de plusieurs critères subjectifs entraînerait une majoration de l'amende qui serait de l'ordre d'une augmentation de 1 à 3 % du montant de l'amende, déterminée d'après les critères objectifs, avec un minimum de 2.500 euros.

Le délégué du gouvernement en conclut qu’en appliquant ces critères à la situation in concreto de la partie demanderesse, il résulterait de la combinaison des critères objectif et subjectifs, que l'amende décernée de 50.000 euros serait amplement justifiée par rapport aux faits de l’espèce, l’amende ayant été déterminée à partir de la somme bilantaire de la demanderesse et en application d’un barème dégressif, en y ajoutant une majoration minimum de 2.500 euros en raison du défaut de la demanderesse de fournir les renseignements sollicités dans la décision d'injonction du 28 décembre 2021, décision ayant fait l’objet d’un rappel le 10 mars 2022. Le délégué du gouvernement relève finalement que même si le courrier de Monsieur …, adressé aux autorités fiscales le 19 mai 2022, mentionnait que la société … prendrait officiellement position par rapport à la demande lui adressée le 28 décembre 2021 dans les plus brefs délais, tel n’aurait, jusqu’à l’heure actuelle, pas encore été le cas, de sorte que l’amende décernée serait justifiée et que le recours devrait être rejeté.

Aux termes de l’article 5 de la loi du 25 novembre 2014 « (1) Si les renseignements demandés ne sont pas fournis endéans le délai d'un mois à partir de la notification de la décision portant injonction de fournir les renseignements demandés, une amende administrative fiscale d'un maximum de 250.000 euros peut être infligée au détenteur des renseignements. Le montant en est fixé par le directeur de l'administration fiscale compétente ou son délégué. (…) ».

Force est d’abord de constater qu’il ne ressort pas du dossier fiscal que la partie demanderesse aurait fourni le moindre renseignement dans le délai imposé par la décision d’injonction du 28 décembre 2021, à savoir jusqu’au 4 février 2022, ni même jusqu’au 25 mars 2022, tel que ce délai a été prorogé par le rappel de la décision d’injonction du 10 mars 2022.

Il y a partant lieu de rejeter d’emblée le reproche de la demanderesse à l’égard des autorités fiscales de ne pas lui avoir adressé de rappel, pour ne pas être établie en fait. De même, l’argumentation de la société … consistant à mettre en avant son absence d’intention dolosive, en ce qui concerne son défaut de réaction à la demande du 28 décembre 2021, encourt également le rejet pour défaut de pertinence, dans la mesure où le détenteur des renseignements s’expose à l’amende prévue à l’article 5, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 du seul fait de ne pas avoir répondu endéans le délai lui octroyé, les raisons de son refus n’entrant pas en ligne de compte en ce qui concerne le principe de l’amende.

Bien que le directeur a, à bon droit, pu constater que la demanderesse n’avait pas fourni les renseignements demandés dans les délais lui imposés, il y a lieu de constater qu’à travers son courrier du 19 mai 2022 versé en cause, la demanderesse a a priori fourni la quasi-totalité des renseignements réclamés, en joignant les documents appuyant ses déclarations, courrier par rapport auquel le délégué du gouvernement n’a cependant nullement pris position.

Quant aux critères que s’est donnés l’administration des Contributions directes en vue de fixer l’amende, il a été retenu que le système mis en place par la circulaire directoriale retrace une approche partant de montants minima pour, au vu de circonstances aggravantes, permettre une majoration objective cumulant dans le montant maximal à infliger, à savoir 250.000 euros. Ces critères doivent partant permettre au directeur de moduler le montant de la sanction selon le comportement, la gravité des faits, leur fréquence, etc.3 Il a également été jugé que le caractère coercitif de l’amende s’exerce par l’effet dissuasif de la crainte de la sanction financière et, postérieurement, par l’effet coercitif du risque de voir le juge administratif, siégeant en tant que juge du fond, maintenir l’amende, voire augmenter le cas échéant l’amende initialement prononcée dans le cadre d’une réformation in pejus. Aussi, il convient de fixer les amendes à un niveau suffisamment dissuasif en vue de sanctionner les détenteurs en cause, mais aussi en vue de dissuader d’autres détenteurs de s’engager dans de pareils comportements dilatoires. L’amende infligée au contrevenant doit donc tenir compte de la dissuasion de ce même contrevenant, mais aussi des contrevenants potentiels. Cette dissuasion passe a priori essentiellement par le prononcé de sanctions aux montants particulièrement forts. Toutefois, cette nécessité ne saurait faire l’impasse sur l’exigence de respecter les principes généraux de la proportionnalité, de l’individualité, voire de la spécialité, de la gravité des faits, de la durée de la situation ainsi que de l’exigence de motivation ut singula pour chaque amende prononcée ; il en est de même du pouvoir d’appréciation accordé au directeur, lequel ne saurait s’exprimer sans retenue ni pondération.4 Ainsi, en ce qui concerne la question de la proportionnalité du montant de l’amende fiscale prononcée à l’égard de la demanderesse et s’élevant en l’occurrence au montant de 50.000 euros, force est de prime abord au tribunal de constater que le délégué du gouvernement a expliqué de manière circonstanciée et en détail les différents critères visant à déterminer le 3 Trib. adm. 13 août 2015, n° 36452 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu 4 Trib. adm. 13 août 2015, n° 36452 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1404 et l’autre référence y citée. montant de la sanction administrative prononcée, ainsi que, calculs à l’appui, l’application au cas d’espèce. L’amende litigieuse correspond ainsi à un pourcentage, déterminé sur base d’un barème dégressif, de la somme bilantaire de la demanderesse, à savoir 47.500 euros, augmenté de 2.500 euros du fait, pour la demanderesse, de ne pas avoir répondu à la décision d'injonction, ainsi qu’à la lettre de rappel.

Bien que l’administration des Contributions directes se soit ainsi tenue à ses propres critères, tels qu’énoncés par le délégué du gouvernement et tels que repris ci-avant, il y a cependant lieu, dans le cadre du recours en réformation dont le tribunal est saisi, impliquant qu’il est tenu de statuer à la place de l’administration au vu de tous les éléments de droit et de fait tels qu’ils se présentent au jour où il se prononce, de réduire l’amende prononcée au seuil minimal de 10.000 euros, sur base de la circonstance que, faute de contestations y relatives par la partie étatique, la demanderesse doit être considérée comme ayant a priori fourni les informations sollicitées à travers son courrier du 19 mai 2022, montant auquel il y a lieu de rajouter une majoration de 2.500 euros pour avoir fourni lesdites informations en-dehors du délai lui imposé à travers la décision du 28 décembre 2021, respectivement le rappel du 10 mars 2022.

Il s’ensuit que le recours est à déclarer partiellement fondé.

La demanderesse sollicite finalement une indemnité de procédure d’un montant de 5.000 euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Le délégué du gouvernement s’oppose à l’indemnité de procédure sollicitée par la demanderesse.

La demanderesse n’ayant pas établi en quelle mesure il serait inéquitable qu'elle supporte seule les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, elle est à débouter de sa demande en allocation d'une indemnité de procédure.

Au vu de l’issue du litige, il est fait masse des frais et des dépens de l’instance pour les imposer pour moitié à chacune des parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

quant au fond, dit le recours partiellement justifié, partant, par réformation de la décision déférée du 25 avril 2022, ramène l’amende infligée à la demanderesse à un montant de 12.500 euros ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que sollicitée par la partie demanderesse ;

condamne chaque partie à la moitié des frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juillet 2022 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 juillet 2022 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 47471
Date de la décision : 05/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-07-05;47471 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award