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05/07/2022 | LUXEMBOURG | N°47441

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juillet 2022, 47441


Tribunal administratif N° 47441 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mai 2022 3e chambre Audience publique du 5 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, … (Espagne) contre une décision du directeur de l’administration des Contribution directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47441 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 mai 2022 par la société en commandite simple KLEYR GRAS

SO, inscrite au Tableau V du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-...

Tribunal administratif N° 47441 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mai 2022 3e chambre Audience publique du 5 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, … (Espagne) contre une décision du directeur de l’administration des Contribution directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47441 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 mai 2022 par la société en commandite simple KLEYR GRASSO, inscrite au Tableau V du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2361 Strassen, 7, rue des Primeurs, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 220509, représentée par Maître Mélanie TRIENBACH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à … (Espagne) et ayant élu domicile en l’étude son mandataire préqualifié, sise à L-2361 Strassen, 7, rue des Primeurs, tendant à l’annulation de la décision d’injonction du directeur de l’administration des Contributions directes du 13 avril 2022 de fournir des renseignements en vertu de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Luana COGONI, en remplacement de l’huissier de justice Véronique REYTER, demeurant à Esch-sur-Alzette, du 17 mai 2022, portant signification de ce recours à la société …, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 juin 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mélanie TRIENBACH et Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 juin 2022.

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Par courrier recommandé du 13 avril 2022, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », adressa à la banque …, une décision d’injonction en vertu de l’article 3, paragraphe (3) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après dénommée la « loi du 25 novembre 2014 », avec prière de fournir pour la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2019 différents renseignements et documents concernant Monsieur …, pour le 18 mai 2022 au plus tard, ladite injonction étant libellée comme suit :

« […] En date du 31 mars 2022, l’autorité compétente de l’administration fiscale espagnole nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la convention fiscale entre le Luxembourg et l’Espagne du 3 juin 1986, modifiée par la loi du 31 mars 2010 portant approbation du Protocole et de l’échange de lettres relatif à ladite convention, ainsi que de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.

L’autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l’absence manifeste de pertinence vraisemblable.

La personne physique concernée par la demande est Monsieur …, né le … à …, Suède et ayant une adresse à …, Espagne.

Je vous prie de bien vouloir nous fournir pour la période du 1er janvier 2016 jusqu’au 31 décembre 2019, les renseignements et documents suivants pour le 18 mai 2022 au plus tard.

Concernant les comptes bancaires indiqués dans le tableau ci-dessous, veuillez fournir les renseignements et documents suivants :

Comptes bancaires 1) … 8) … 15) … 2) … 9) … 16) … 3) … 10) … 17) … 4) … 11) … 18) … 5) … 12) … 19) … 6) … 13) … 7) … 14) … - Veuillez fournir le(s) titulaire(s) de ces comptes.

- Veuillez fournir le(s) nom(s) de la (des) personne(s) étant autorisée(s) à effectuer des opérations sur ces comptes.

- Veuillez fournir le nom de la (des) personne(s) ayant ouvert ces comptes même si la date d’ouverture ne se situe pas dans la période visée par la présente décision d’injonction.

- Veuillez préciser le montant des intérêts payés pour ces comptes durant la période visée.

- Veuillez indiquer le montant des impôts payé sur les intérêts durant cette période.

- Veuillez fournir les relevés bancaires de ces comptes pour la période visée.

- Veuillez fournir un détail ventilé par titre, plus-values et moins-values générés par les actifs financiers associés à ces comptes durant la période visée, en précisant les prix d’achat et de vente.

- Veuillez indiquer si Monsieur … était le bénéficiaire économique d’autres comptes ou dépôts bancaires auprès de votre établissement durant la période visée. Dans l’affirmative, veuillez indiquer les références et les numéros IBAN des comptes/dépôts identifiés et répondre pour chaque compte/dépôt aux mêmes tirets ci-dessus.

- Veuillez fournir copie de tous les documents pertinents relatifs aux tirets précédents.

Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l’article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les 2 renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération.

Je vous prie de bien vouloir nous envoyer les renseignements et documents par le biais du système d’envoi de fichiers par OTX […] Conformément à l’article 6 (1) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements à l’encontre de la présente décision d’injonction. Ce recours doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements demandés. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 mai 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision d’injonction précitée du 13 avril 2022 prise par le directeur.

Force est à titre liminaire de relever que malgré le fait que la requête introductive d’instance ait été signifiée à la société … par voie d’huissier de justice en date du 17 mai 2022, cette dernière n’a pas constitué avocat.

Or, nonobstant ce constat, le tribunal est amené à statuer à l’égard de toutes les parties suivant un jugement ayant les effets d’une décision juridictionnelle contradictoire conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

A l’appui de son recours, Monsieur …, après avoir expliqué qu’il aurait été résident fiscal espagnol, qu’il aurait bénéficié du régime dit « Beckham » pour les années fiscales de 2014 à 2019, de sorte qu’il n’aurait pas été soumis à l’impôt espagnol sur ses revenus étrangers, et avoir souligné que la décision d’injonction litigieuse constituerait dès lors une pêche aux renseignements étrangères au cas d’imposition visé, prend position quant à la recevabilité de son recours.

A cet égard, Monsieur … estime en premier lieu que son recours serait à déclarer recevable sur base de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014. A l’appui de ses conclusions et après avoir cité l’article 3, paragraphes (1), (2) et (3) de la loi du 25 novembre 2014 énonçant les principales obligations pesant sur l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements, ainsi que l’article 6, paragraphes (1) et (2) de la même loi déterminant les voies de recours et la procédure contentieuse en la matière, le demandeur explique qu’à l’origine, le texte du paragraphe 1er de l’article 6 de la loi en question aurait prévu que le recours serait ouvert non seulement à « toute personne visée par ladite décision », mais encore à « tout tiers concerné », et que cette formulation aurait fait l’objet d’une opposition formelle du Conseil d’Etat, en raison d’un manque d’opportunité pour les personnes autres que le détenteur de l’information d’exercer un recours contre une décision dont l’existence leur est cachée et en raison d’une imprécision terminologique de la notion de « personne visée ». Le demandeur en conclut que la formulation actuelle de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 n’aurait pas pour objet d’exclure certaines personnes du bénéfice d’un recours, voire, de réserver le recours à une catégorie définie et limitée de personnes en fonction de leur qualité. Il estime, au contraire, que l’objet même du projet de loi ayant abouti à l’adoption de la loi du 1er mars 2019 portant modification de la loi du 25 novembre 2014 aurait été d’adapter la procédure d’échange de renseignements sur demande aux exigences del’arrêt dit « Berlioz » de la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE », du 16 mai 2017, numéro C-682/15, le demandeur citant encore dans ce contexte le rapport de la Commission des finances et du budget sur le projet de la loi du 1er mars 2019 portant modification de la loi du 25 novembre 2014. Il serait dès lors établi que l’objectif principal de la loi du 25 novembre 2014 aurait été celui de soumettre la décision d’injonction au contrôle limité du juge, et qu’admettre le contraire reviendrait à le priver de tout recours effectif au sens de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après la « Charte », le demandeur soulignant encore qu’aucune procédure permettant de soumettre la légalité de la demande d’échange de renseignements des autorités espagnoles au juge espagnol ne lui serait ouverte, tout en se prévalant à cet égard d’un avis juridique du 22 avril 2022.

Monsieur … ajoute que la notion de « détenteur des renseignements » ne serait pas définie par la loi du 25 novembre 2014 et ne pourrait être interprétée de façon stricte. Dans ce contexte, il avance que si la banque était certes le détenteur « matériel » des renseignements et documents sollicités et que la notification de la décision à la banque « vaut notification à toute autre personne y visée », il serait quant à lui à qualifier « d’autre personne visée » et dès lors le détenteur, sinon le bénéficiaire « intellectuel » des renseignements demandés, de sorte que son recours serait à déclarer recevable en vertu de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014.

A titre subsidiaire, le demandeur estime bénéficier du recours prévu par l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par la « loi du 7 novembre 1996 », en ce qu’il aurait un intérêt légitime, personnel et direct, lequel serait encore né et actuel de voir annuler la décision d’injonction du 13 avril 2022 lui causant indéniablement grief. Dans ce contexte, il avance que la décision litigieuse aurait comme effet de déclencher un transfert de données sensibles relevant de sa vie privée sans être justifiée par des motifs légaux et légitimes en violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après la « CEDH », et que l’illégalité de l’échange d’informations et de documents ne serait pas susceptible d’être compensée par des dommages et intérêts, de sorte que son recours serait à déclarer recevable sur le fondement de l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en ce qu’il est introduit par le contribuable visé, à savoir Monsieur …, pour lequel aucun recours ne serait prévu.

A l’appui de ses affirmations et après avoir indiqué que la loi du 25 novembre 2014 serait une loi spéciale, de sorte que le contentieux en matière d’échange de renseignements ne pourrait se concevoir qu’au sein des dispositions de cette loi, le délégué du gouvernement souligne qu’il résulterait des arrêts de la Cour administrative du 12 janvier 2021, n° 41486Ca et 41487Ca du rôle, ensemble l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020, affaires jointes n° C 245/19 et C-246/19, que ce serait la qualité de la partie exerçant le recours qui déterminerait la recevabilité de son action et que le demandeur, contribuable visé par la demande litigieuse, ne disposerait pas d’un droit à un recours devant le juge luxembourgeois, alors qu’un recours lui permettant de contester les renseignements collectés pour procéder à son imposition lui serait ouvert dans le cadre de la procédure d’imposition définitive réalisée en Espagne.

Il fait valoir que la récente jurisprudence de la CJUE indiquerait que l’Union européenne considèrerait comme un objectif d’intérêt général, la lutte contre la fraude etl’évasion fiscales internationales et que dans ce contexte, les considérations liées à la protection des données et à la vie privée du demandeur, contribuable visé, devraient céder le pas, dans un premier stade, dans l’Etat requis, au nom d’une efficace coopération administrative fiscale et être analysées, à un stade ultérieur, par les juridictions de l’Etat requérant, mieux placées, pour mettre en balance les intérêts du contribuable concerné et la marge de manœuvre de l’autorité fiscale dudit pays.

La qualité de la partie requérante à une action en matière d’échange de renseignements serait donc importante, car elle déterminerait les conditions de recevabilité d’une action en justice en faveur du contribuable visé par-devant les juridictions de l’Etat requis, et ce uniquement à la condition que des garanties juridictionnelles n’existeraient pas dans l’Etat requérant. La partie étatique fait valoir qu’une telle situation ne serait pratiquement pas envisageable dans les pays membres de l’Union européenne, en raison de leur obligation de se conformer au droit primaire, au droit dérivé, à la Charte et à la CEDH. Tous ces pays, parmi lesquelles figure également l’Espagne, offriraient donc, de droit, la possibilité de telles voies de recours, alors que le principe fondamental de l’Etat de droit et les principes d’accès au juge et d’un recours effectif formeraient un socle commun de droits effectifs au bénéfice des administrés.

Le délégué du gouvernement estime dès lors que l’affirmation du demandeur suivant laquelle aucune procédure ne permettrait de soumettre la légalité de la demande d’échange de renseignements des autorités espagnoles au juge espagnol serait, au regard des explications avancées, fausse, tout en rappelant encore que la jurisprudence de la CJUE n’exigerait pas l’existence d’un recours direct contre la demande d’échange de renseignements dans l’Etat requérant, mais la possibilité de soumettre, par voie incidente, la demande d’échange à un juge, ce qui serait prévu par le droit espagnol.

Le recours de Monsieur … serait dès lors à déclarer irrecevable.

Il échet tout d’abord de constater que de la demande d’échange de renseignements des autorités espagnoles est basée sur la Convention entre le Grand-Duché de Luxembourg et le Royaume d’Espagne tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et à prévenir la fraude et l’évasion fiscales du 3 juin 1986, ci-après désignée par la « Convention », ainsi que sur la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, ci-après désignée par la « directive 2011/16 », transposée en droit interne par la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal.

La décision d’injonction du 13 avril 2022 est, quant à elle, fondée sur la loi du 25 novembre 2014.

Ces deux ensembles de dispositions ont des champs d’application distincts en ce qui concerne tant les Etats liés que les personnes et les impôts visés, de manière qu’ils sont susceptibles de s’appliquer parallèlement à une situation donnée. La directive 2011/16 prime cependant dans les relations entre Etats membres de l’Union européenne sur les conventions de non-double imposition conclues par deux d’entre eux non pas en tant que disposition postérieure, mais en tant que disposition du droit de l’Union hiérarchiquement supérieure en ce sens que la directive laisse en principe entière l’application de la convention de non-double imposition, mais peut imposer à deux Etats membres un échange de renseignements dans des hypothèses où la convention de non-double imposition entre ces deux Etats membres ne le prévoit pas tout en admettant, au vœu de son article 1er, alinéa 3, « […] l’exécution de toute 5 obligation des États membres quant à une coopération administrative plus étendue qui résulterait d’autres instruments juridiques, y compris d’éventuels accords bilatéraux ou multilatéraux. »1. Etant donné que la directive 2011/16 prime sur les conventions de non-double imposition convenues entre Etats membres, il y a lieu de conclure que la directive 2011/16, ensemble la loi du 29 mars 2013 ayant transposé son contenu en droit interne, constitue le cadre légal de référence par rapport à la décision d’injonction du 13 avril 2022.

En ce qui concerne ensuite la recevabilité du recours sous analyse, il convient de rappeler que le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégagent.

Concernant ainsi le moyen subsidiaire du demandeur, suivant lequel son recours serait à déclarer recevable sur base de l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996, force est de rappeler que celui-ci dispose dans son premier paragraphe que : « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements. ».

La disposition qui précède donne dès lors compétence au tribunal administratif de statuer sur tous les recours dirigés contre des décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements.

L’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 dispose, depuis sa modification par la loi du 1er mars 2019 applicable au moment de la décision litigieuse, que : « (1) Contre la décision d’injonction visée à l’article 3, paragraphe 4, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements. […] (2) Le recours contre la décision d’injonction visée à l’article 3, paragraphe 3 et la décision visée à l’article 5 doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements demandés. Le recours a un effet suspensif. Par dérogation à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives, il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive d’instance. Le mémoire en réponse doit être fourni dans un délai d’un mois à dater de la signification de la requête introductive. Le dépôt de la requête ou du mémoire au greffe du tribunal vaut signification à l’État ou par l’État. Toutefois, dans l’intérêt de l’instruction de l’affaire, le président de la chambre appelée à connaître de l’affaire peut ordonner d’office la production de mémoires supplémentaires dans le délai d’un mois. Le tribunal administratif statue dans le mois à dater de la signification du mémoire en réponse ou du dernier mémoire supplémentaire. À défaut de signification du mémoire en réponse ou des mémoires supplémentaires dans les délais prévus, il statue dans le mois de l’expiration du délai d’un mois pour la signification du mémoire en réponse ou des mémoires supplémentaires. […] ».

Il se dégage de la lecture de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 précité, que celui-ci prévoit explicitement un recours en annulation contre les décisions d’injonction, ainsi 1 CJUE, 11 octobre 2007, Européenne et Luxembourgeoise d’investissements SA (ELISA) c. Directeur général des impôts, C-451/05 ; Cour adm., 31 août 2015, n° 36893C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu que toute une procédure contentieuse dérogatoire à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives.

Force est ainsi de retenir que, dans la mesure où l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 attribue uniquement compétence au tribunal administratif de statuer sur les recours dirigés contre des décisions à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements, et que l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 prévoit, depuis sa modification intervenue par la loi du 1er mars 2019, expressément un recours en annulation et une procédure contentieuse spéciale contre les décisions d’injonction en matière d’échange de renseignements sur demande, l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 ne s’aurait dès lors s’appliquer en l’espèce, de sorte que l’analyse de la recevabilité du présent recours s’effectue exclusivement au regard des dispositions de la loi du 25 novembre 2014.

Le moyen formulé à titre subsidiaire par le demandeur fondé sur une application de l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 encourt dès lors le rejet.

Ensuite, il échet de constater que l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 disposant que : « Contre la décision d’injonction visée à l’article 3, paragraphe 3, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements. », accorde un recours devant le tribunal de céans uniquement au détenteur des renseignements, pour exclure, certes implicitement, toute possibilité de recours contre la décision d’injonction au contribuable visé, voire au tiers intéressé, de sorte qu’un recours dirigé contre la décision d’injonction formé par le contribuable visé ou un tiers intéressé est a priori irrecevable.

A ce stade, il convient d’ores et déjà de rejeter l’argumentation du demandeur, suivant laquelle la formulation actuelle du premier paragraphe précité de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 n’aurait, en vertu des travaux parlementaires, pas pour objet de réserver le recours à une catégorie définie et limitée de personnes en fonction de leur qualité, étant donné qu’une telle lecture du paragraphe en question ne se dégage pas de son libellé, lequel est clair et précis en limitant la voie de recours au seul détenteur des renseignements, de sorte qu’aucune interprétation au-delà du texte de la loi ne s’impose au tribunal.

Il convient ensuite encore de rejeter l’argumentation du demandeur, suivant laquelle il serait à qualifier non pas de contribuable visé, mais de détenteur des renseignements pour être le détenteur « intellectuel » des renseignements demandés par les autorités fiscales.

En effet, il se dégage, d’un côté, de la lecture de la décision d’injonction du 13 avril 2022 précitée, que les informations et documents litigieux ont été sollicités auprès de la banque …, de sorte que cette dernière est à considérer comme le détenteur des renseignements demandés par les autorités fiscales.

De l’autre côté, il ressort clairement de la demande d’échange de renseignements des autorités espagnoles à la disposition du tribunal que le contribuable visé par la demande, sujet du contrôle fiscal effectué par les autorités espagnoles, est bien Monsieur ….

A cela s’ajoute qu’aucune injonction de communiquer les informations et documents énoncés dans la décision du 13 avril 2022 n’a été adressée à Monsieur … en vertu de l’article 3, paragraphe (3) de la loi du 25 novembre 2014, de sorte que ce dernier n’est pas tenu de fournir les renseignements demandés dans le délai d’un mois à partir de la notification de ladécision en vertu de l’article 2, paragraphe (2) de la loi du 25 novembre 2014, et ne risque pas non plus de s’exposer à l’amende administrative fiscale d’un maximum de 250.000.-€ prévu par l’article 5, paragraphe (1) de la même loi en cas de défaut de fournir les renseignements dans le délai imparti, de sorte que le demandeur ne saurait être qualifié de détenteur des renseignements au sens de la loi du 25 novembre 2014.

L’affirmation du demandeur suivant laquelle il serait en réalité le détenteur des renseignements et non pas le contribuable visé encourt dès lors le rejet.

Se pose ensuite la question de la compatibilité de l’exclusion du demandeur, en tant que contribuable visé par la demande des autorités espagnoles, de tout recours prévu par l’article 6 paragraphe (1), de la loi du 25 novembre 2014, avec l’article 47 de la Charte prévoyant notamment le droit à un recours effectif.

A cet égard, il convient de se référer aux enseignements de la CJUE dans son arrêt du 6 octobre 2020, affaires jointes n° C-245/19 et C-246/19, certes pris dans le contexte de l’ancienne version de la loi du 25 novembre 2014 non modifiée par celle du 1er mars 2019, mais transposable en l’espèce dans la mesure où la CJUE s’est penchée sur la question de la compatibilité de l’exclusion d’un recours contre la décision d’injonction avec l’article 47 de la Charte dans l’hypothèse où cette exclusion vise le détenteur des informations sollicitées, le tiers intéressé, respectivement, comme en l’espèce, le contribuable visé.

Dans son arrêt du 6 octobre 2020, la CJUE a, en ce qui concerne concrètement le contribuable visé par l’enquête à l’origine de la décision d’injonction de communication d’informations, reconnu que cette personne est titulaire, d’une part, du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 7 de la Charte et, d’autre part, du droit à la protection des données à caractère personnel garanti par l’article 8, paragraphe 1, de la Charte2. Elle a également admis que la communication d’informations relatives à une personne physique identifiée ou identifiable à un tiers, y compris à une autorité publique, ainsi que la mesure qui impose ou permet cette communication, sont, sans préjudice de leur éventuelle justification, constitutives d’ingérences dans le droit de cette personne au respect de sa vie privée ainsi que dans son droit à la protection des données à caractère personnel la concernant, indépendamment de la question de savoir si ces informations présentent un caractère sensible ou non et quelle que soit leur utilisation ultérieure, sauf si ladite communication intervient dans le respect des dispositions du droit de l’Union européenne et, le cas échéant, des dispositions du droit interne prévues à cet effet3. Ainsi, d’après la CJUE, la communication à l’autorité nationale compétente d’informations relatives à une personne physique identifiée ou identifiable, telles que les informations sollicitées dans le cadre d’une décision d’injonction telle que celle de l’espèce, et la mesure qui impose cette communication sont susceptibles de violer le droit au respect de la vie privée de la personne en cause ainsi que son droit à la protection des données à caractère personnel4. La CJUE en a déduit qu’un contribuable visé par l’enquête dans l’Etat requérant à l’origine de la décision d’injonction de communication d’informations émise par l’autorité compétente de l’Etat requis doit a priori se voir reconnaître le bénéfice du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte en 2 CJUE (grande chambre), Etat luxembourgeois contre B et Etat luxembourgeois contre B e.a, du 6 octobre 2020, affaires jointes nos C 245/19 et C-246/19, considérant n° 72.

3 Idem, considérant n° 73.

4 Idem, considérant n° 74.présence d’une décision d’injonction de communication d’informations telle que celle de l’espèce5.

D’un autre côté, la CJUE a toutefois rappelé que l’article 52, paragraphe (1) de la Charte permet de limiter l’exercice de ce droit à condition que soit préservé le contenu essentiel du droit à un recours effectif6 incluant, entre autres éléments, celui consistant, pour la personne titulaire de ce droit, à pouvoir accéder à un tribunal compétent pour assurer le respect des droits que le droit de l’Union européenne lui garantit et, à cette fin, pour examiner toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre le litige dont il se trouve saisi7. La CJUE a souligné que cette exigence n’implique néanmoins pas, en tant que telle, que le titulaire de ce droit dispose d’une voie de recours directe ayant pour objet, à titre principal, de mettre en cause une mesure donnée, pour autant toutefois qu’il existe par ailleurs, devant les différentes juridictions nationales compétentes, une ou plusieurs voies de recours lui permettant d’obtenir, à titre incident, un contrôle juridictionnel de cette mesure assurant le respect des droits et des libertés que le droit de l’Union européenne lui garantit, sans devoir s’exposer à cette fin au risque de se voir infliger une sanction en cas de non-respect de la mesure en cause8. Elle a insisté, à cet égard, sur la différence de situation du contribuable visé par l’enquête par rapport à celle de la personne détentrice d’informations qui, elle, en l’absence de possibilité de former un recours direct contre une décision d’injonction qui lui est adressée, serait privée de toute protection juridictionnelle effective9.

La CJUE a ensuite, après avoir relevé qu’une décision d’injonction de communication d’informations intervient dans le cadre de la phase préliminaire de l’enquête visant le contribuable en cause, au cours de laquelle sont recueillies des informations relatives à la situation fiscale de ce contribuable et qui ne revêt pas un caractère contradictoire, et que seule la phase ultérieure de ladite enquête, qui s’ouvre par l’envoi d’une proposition de rectification ou de redressement au contribuable visé, d’une part, revêt un caractère contradictoire impliquant de permettre à ce contribuable d’exercer son droit d’être entendu et, d’autre part, est susceptible de déboucher sur une décision de rectification ou de redressement adressée audit contribuable10. La CJUE a alors retenu que c’est cette décision de rectification ou de redressement qui constitue un acte à l’égard duquel le contribuable visé doit disposer d’un droit de recours effectif supposant que le tribunal saisi du litige afférent soit compétent pour examiner toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre ce litige et, en particulier, pour vérifier que les preuves sur lesquelles se fonde cet acte n’ont pas été obtenues ou utilisées en violation des droits et des libertés garantis à l’intéressé par le droit de l’Union européenne11.

Dans ce contexte, la CJUE a encore confirmé que l’objectif de la directive 2011/16/UE de contribuer à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales, en renforçant la coopération entre les autorités nationales compétentes en ce domaine, constitue un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union européenne, au sens de l’article 52, paragraphe (1), de la Charte, et que l’intérêt attaché à l’efficacité et à la rapidité de cette coopération justifie qu’une législation nationale excluant qu’un recours direct puisse être formé contre une décision d’injonction par le contribuable visé par l’enquête à l’origine de la 5 Idem, considérant n° 75 6 Idem, considérant n° 78.

7 Idem, considérant n° 66.

8 Idem, considérant n° 79.

9 Idem, considérant n° 80.

10 Idem, considérant n° 81.

11 Idem, considérant n° 82.demande d’échange d’informations ayant conduit l’autorité nationale compétente à adopter cette décision, est propre à réaliser l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales poursuivi par la directive 2011/16 et nécessaire à la réalisation de cet objectif12. En outre, d’après la CJUE, une telle législation n’apparaît pas comme disproportionnée13.

A partir de cet arrêt, la Cour administrative a, dans son arrêt précité du 12 janvier 2021, inscrit sous le numéro 41487Ca du rôle, conclu que ledit arrêt devra être lu en ce sens que les articles 47 et 52, paragraphe (1) de la Charte imposent une obligation systématique à chaque Etat membre en sa qualité d’Etat requérant engageant une procédure d’échange de renseignements sur demande avec un autre Etat membre d’ouvrir une voie de recours ainsi définie à l’encontre d’une « décision de rectification ou de redressement adressée audit contribuable ».

Elle a encore relevé qu’il incombe au demandeur de justifier en droit, une impossibilité existante dans le droit positif de l’Etat requérant de contester, dans le cadre de l’imposition définitive, les renseignements collectés auprès de l’administration des Contributions directes14.

En l’espèce, il échet tout d’abord de constater que l’Espagne est tenue en tant que Etat membre de l’Union européenne au respect des dispositions de la Charte et liée par l’interprétation de la CJUE du droit de l’Union européen, l’Espagne étant encore signataire de la CEDH, et dispose ainsi a priori d’un système de recours efficace contre les violations des droits et libertés prévus par la CEDH et la Charte.

Force est ensuite de relever que l’affirmation du demandeur, suivant laquelle aucune procédure ne permettrait de soumettre la légalité de la demande d’échange de renseignements des autorités espagnoles au juge espagnol ne ressort pas des pièces soumises au tribunal, et plus particulièrement de l’avis d’un cabinet espagnol du 13 mai 2022 sur la procédure d’échange de renseignements en droit espagnol. Il resort au contraire de cet avis du 13 mai 2022 que « At the end of the Tax Audid, if the information15 is used as a proof in the Tax Audid, it will be included in the Electronic File, where all the minutes, documents, proofs of the procedure are placed and available to the taxpayer. From that moment, as the Tax Audid is already finished and the Tax Assessment signed, the content of the exchange of information could be taken before Court (Art 92 RAT). The issues that could be challenged at this point could ne that Spanish Tax Administration did not follow the minimum requirement of the DTA or the information requested was not covered by any Treaty. », de sorte qu’il échet de constater qu’il existe bel et bien une voie de recours au contribuable visé à l’encontre d’une « décision de rectification ou de redressement adressée audit contribuable » en Espagne, tel que exigé par le CJUE.

Cette constatation n’est pas énervée par la conclusion retenue dans l’avis prémentionné du 13 mai 2022 suivant laquelle « At this stage, the internal procedure in Spain does not contemplate the possibility of any kind of intervention of the taxpayer in Spain during the exchange of information request, as he does not have to be formally informed », étant donné qu’une telle interdiction d’intervention du contribuable n’a pas été retenue par la 12 Idem, considérants nos 85 à 91.

13 Idem, considérant n° 92.

14 Idem, considérants nos 34 à 36.

15 Les informations reçues suite à une demande d’échange de renseignements.CJUE comme critère pour retenir une éventuelle violation par la législation luxembourgeoise de l’article 47 de la Charte dans le chef du contribuable visé.

Au vu de ce qui précède, il échet de conclure qu’il ne ressort pas des pièces versées en cause que Monsieur …, en sa qualité de contribuable visé, ne dispose pas, en Espagne, d’un accès à une voie de recours lui permettant de contester la validité de l’échange de renseignements découlant de la demande des autorités espagnoles du 31 mars 2022 et de la décision d’injonction déférée du 13 avril 2022, à l’encontre d’une « décision de rectification ou de redressement adressée audit contribuable » émise à son encontre par les autorités espagnoles à l’issue de leur enquête et que l’exercice utile de son droit à un recours effectif ne lui y serait partant pas garanti, malgré le statut d’Etat membre de l’Union européenne de l’Espagne, ce qui entraînerait qu’un recours devrait quand même lui être rendu possible au Luxembourg sous peine de le priver entièrement du droit à un recours effectif lui garantit par l’article 47 de la Charte.

Le moyen afférent est dès lors rejeté.

Il s’ensuit que le recours du demandeur dirigé contre la décision d’injonction du 13 avril 2022 est à déclarer irrecevable.

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de rejeter la demande de Monsieur … en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000.-€ sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours en annulation dirigé contre la décision d’injonction du 13 avril 2022 irrecevable, partant le rejette ;

rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000.-€ formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juillet 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 juillet 2022 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 47441
Date de la décision : 05/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-07-05;47441 ?

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