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04/07/2022 | LUXEMBOURG | N°46294

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2022, 46294


Tribunal administratif N° 46294 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juillet 2021 2e chambre Audience publique du 4 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46294 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2021 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, n...

Tribunal administratif N° 46294 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juillet 2021 2e chambre Audience publique du 4 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46294 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2021 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …(Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 juillet 2021 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu l’ordonnance du tribunal administratif du 29 septembre 2021 accordant une prorogation de délai pour le dépôt du mémoire en réponse du délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 2 février 2022 accordant à Maître Ardavan Fatholahzadeh la production d’un mémoire supplémentaire ;

Vu le mémoire supplémentaire de Maître Ardavan Fatholahzadeh déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mars 2022 pour le compte de son mandant ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 avril 2022.

Le 27 novembre 2019, Monsieur … introduit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Ses déclarations sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le même jour, il fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE n° 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou apatride.

Le 19 janvier 2021, il fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 12 juillet 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 14 juillet 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 27 novembre 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 27 novembre 2019, le rapport d'entretien Dublin III du 27 novembre 2019, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 19 janvier 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Avant tout progrès en cause, il convient de noter que vous avez introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 28 janvier 2019 sous une autre identité, à savoir …, né le …. Vous avez quitté la Grèce, en direction du Luxembourg, après avoir été débouté de votre demande de protection internationale en date du 20 mars 2019, et sans attendre l'issue de votre recours contre cette décision introduit en date 15 mai 2019. Lors de votre entretien Dublin III, vous avez avancé que vous n'auriez pas fait recours contre la décision de refus, étant donné que « je ne voulais pas y rester. Les autorités ne traitent pas bien les réfugiés et je ne voulais pas qu'ils me rapatrient » (p3/4 du rapport d'entretien Dublin III).

Monsieur, vous déclarez être de nationalité afghane, d'ethnie Pashtoune, de confession musulmane sunnite et avoir vécu dans le village …, du district de … dans la province de … . Vous indiquez ignorer votre jour et mois de naissance et vous vous bornez à mentionner être né en 1994.

2 Vous indiquez que votre frère … aurait été assassiné un jour avant votre départ d'Afghanistan, que votre frère … aurait disparu à la frontière irano-turque et que votre femme, vos enfants, et vos parents vivraient toujours en Afghanistan, mais qu'ils auraient déménagé dans la province de … après votre départ.

Concernant vos craintes en cas de retour en Afghanistan, vous indiquez que vous craindriez d'être tué par les Talibans pour avoir refusé de rejoindre leurs rangs.

Concernant les événements qui se seraient déroulés dans votre pays d'origine avant votre départ, vous indiquez qu'en date du 29 septembre 2019, des personnes non autrement identifiées, que vous supposez être des Talibans, auraient exigé de la part de votre père qu'il envoie ses fils combattre avec les Talibans. Trois jours plus tard, ces mêmes personnes auraient contacté votre père par téléphone, et auraient menacé de vous tuer, vous et vos frères, si vous ne les rejoindriez pas. Toutefois, votre père aurait refusé et aurait décidé de contacter la police afghane.

Toutefois, vous indiquez que cinq jours après que votre père aurait contacté la police, votre frère aurait été assassiné par des personnes non autrement identifiées dont vous supposez qu'il se serait agi de Talibans dans la maison familiale. Vous expliquez que vous auriez échappé à la mort, étant donné que ce jour-là vous auriez, ensemble avec votre frère cadet et votre femme, rendu visite à votre oncle maternel. Vous précisez ne connaitre aucun détail de ce qui se serait passé ce soir-là, mais que votre père vous aurait appelé pour vous informer du décès de votre frère et vous aurait conseillé de ne pas revenir à la maison.

Vous déclarez que le lendemain de l'assassinat de votre frère vous auriez quitté votre pays d'origine avec l'aide de votre oncle.

Vous présentez votre carte d'identité afghane (…). L'examen d'authenticité de votre carte d'identité, effectué par l'Unité de Police à l'Aéroport n'a donné aucun résultat définitif en raison de défaut de matériel de comparaison. Toutefois, selon le rapport dressé par l'UPA le document est probablement authentique.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons 3 susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, il ressort clairement de vos dires que la seule raison pour laquelle vous indiquez avoir quitté votre pays d'origine serait votre crainte d'être tué par les Talibans étant donné que vous auriez refusé de les rejoindre, et que vous auriez peur de subir le même sort que votre frère qui aurait été tué peu de temps avant votre départ.

Avant tout progrès en cause, il convient de noter que vous restez en défaut d'établir la véracité de vos dires qui restent ainsi au stade de pures allégations alors que vous ne versez aucun document, ni aucune preuve qui permettrait d'attester du décès de votre frère ou des menaces qui prétendument pèseraient sur vous. A cela s'ajoute que vos dires sont essentiellement vagues et peu précis et que vous n'êtes manifestement pas à même de donner des réponses précises aux questions posées par l'agent du Ministère.

Ceci étant dit, notons que vous prétendez que votre frère aurait été tué dans votre maison familiale et que vous supposez que le décès de votre frère pourrait avoir un lien avec votre refus de rejoindre les Talibans. Or ce fait n'est nullement établi et repose sur vos seules allégations voire suppositions. En effet vous déclarez tout ignorer du décès de votre frère et que vos connaissances lacunaires reposent sur les seules informations que votre père vous aurait prétendument fourni. Alors que vous auriez prétendument été absent de votre domicile le jour des faits votre père vous aurait appelé pour vous informer des prétendus événements et vous auriez alors décidé de ne plus jamais y retourner et de quitter votre pays d'origine sans même prendre la peine de mettre votre femme et vos enfants à l'abri.

A cela s'ajoute qu'il convient de souligner que le prétendu décès de votre frère est un fait non personnel. Or, notons que des faits non personnels mais vécus par d'autres membres de la famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières.

Or, vous restez en défaut d'étayer un lien entre le prétendu décès de votre frère et des éléments liés à votre personne vous exposant à des actes similaires alors que vous n'auriez pas été présent lors de son prétendu meurtre et que vous ignorez qui aurait été l'auteur de ce meurtre et a fortiori vous en ignorez également les motifs ayant conduit son meurtrier à passer à l'acte. En effet, vous tentez de relier le prétendu décès de votre frère à votre personne en indiquant que les Talibans seraient responsables de cet acte. Or, il s'agit en l'occurrence de pures spéculations corroborées par aucun élément concret. En effet, vous n'êtes en mesure de fournir la moindre information concrète sur l'incident en question et sur les personnes qui auraient commis cet acte de sorte qu'aucun lien n'est établi entre vous et le prétendu décès de votre frère. Vous déclarez ne pas savoir ce qui se serait passé alors que votre père vous aurez uniquement notifié de la mort de votre frère sans vous donner plus de détails.

4 Quand bien même un lien existerait, force est de constater que les faits dont vous faites état sont dénués de tout lien avec les critères énumérés dans le champ d'application de la Convention de Genève alors que la mort de votre frère n'a aucun lien avec sa race, sa nationalité, sa religion, son appartenance à un groupe social ou ses opinions politiques de sorte qu'on ne saurait retenir l'existence dans votre chef d'une crainte fondée de persécution. En effet, vous expliquez que votre frère aurait été tué et que vous seriez recherché par les Talibans étant donné que vous auriez refusé de les rejoindre.

On ne saurait dès lors retenir l'existence dans votre chef d'une persécution, respectivement d'une crainte de persécution.

Même à supposer que ces faits seraient à considérer comme étant liés à un des critères susmentionnés prévus par la Convention de Genève et qu'ils seraient suffisamment graves pour constituer un acte de persécution au sens des prédits textes, notons que s'agissant d'actes émanant de personnes privées, en l'occurrence des personnes non autrement identifiées que vous supposez être des Talibans, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités du pays.

Toutefois, Monsieur, il ressort de façon claire et non équivoque de vos déclarations que vous n'auriez à aucun moment saisi les autorités de votre pays d'origine suite au prétendu meurtre de votre frère. En effet, vous déclarez ne pas savoir ce qui se serait passé alors qu'immédiatement après le prétendu meurtre vous auriez quitté votre pays d'origine sans même prendre la peine d'avertir les autorités. Vous précisez également que vous ignorez si votre père aurait porté plainte après le prétendu décès de votre frère. Ainsi, il n'est pas établi que les autorités afghanes n'auraient pas pu ou auraient refusé de vous offrir une protection.

De plus, Monsieur, il convient de souligner, qu'après les prétendues menaces téléphoniques, votre père aurait contacté la police afghane qui l'aurait rassuré qu'elle essayerait de retrouver les auteurs des menaces. Force est ainsi de constater que la police afghane est présente dans votre village et montre clairement son intention de remplir ses missions et de protéger les habitants.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

A cela s'ajoute également que les membres de votre famille vivraient toujours en Afghanistan, dans la province de … et qu'ils n'auraient plus été importunée par les Talibans, de sorte qu'il y a lieu de conclure que la situation n'est manifestement pas celle que vous tentez de dépeindre. Votre famille continue à vivre sans encombres en Afghanistan depuis plus de deux ans ce qui démontre clairement que ni vous ni votre famille n'êtes réellement dans le collimateur des Talibans.

5 Enfin et surtout, Monsieur, il y a lieu de souligner qu'il ressort de vos propres dires qu'en Grèce vous auriez invoqué d'autres faits à l'appui de votre demande de protection internationale ce qui vient conforter mon analyse que vous n'avez rien à craindre dans votre pays d'origine. Cela laisse même penser que vous avez tenté en inventant un nouveau récit au Luxembourg de vous créer une deuxième opportunité pour vous voir octroyer une protection internationale en Europe.

De plus, suite au refus d'octroi d'une protection internationale émis des autorités grecques vous avez choisi de quitter la Grèce pour tenter une nouvelle fois votre chance au Luxembourg, au lieu d'attendre l'issue de votre recours, et de changer complètement votre récit. Ceci démontre clairement que vous tentez par tous les moyens de vous maintenir sur le territoire de l'Union européenne et ce en dépit de toutes les règles de procédure en place. Un tel comportement est incompatible avec un réel besoin de protection.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié, et notamment que vous auriez peur d'être tués par les Talibans étant donné que vous auriez refusé de les rejoindre. Or, et tout en renvoyant aux arguments développés ci-dessus, force est de constater que vous ne risquez pas de devenir victimes d'atteintes graves au sens des prédits textes dans le cas d'un retour dans votre pays d'origine.

En ce qui concerne la situation sécuritaire dans votre pays d'origine il convient de souligner que le seul fait d'être originaire d'Afghanistan n'est à ce jour pas suffisant pour se voir octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire sur base de l'article 48 sous c) de la Loi de 2015.

Ainsi, comme mentionné déjà ci-dessus, que vous n'auriez déposé aucune plainte après la 6 mort de votre frère, étant donné que vous auriez quitté l'Afghanistan le lendemain de son prétendu meurtre et que vous ignorez également si votre père aurait contacté les autorités suite à la mort de votre frère. Les autorités afghanes n'auraient ainsi pas pu intervenir ce qui ne constitue nullement une preuve de leur incapacité à vous protéger. On ne saurait dès lors conclure à l'existence dans votre chef de devenir victime d'atteintes graves en cas de retour en Afghanistan.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination d'Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2021, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 12 juillet 2021 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 12 juillet 2021, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, ses déclarations actées lors de son audition par un agent du ministère. Il insiste également sur le fait qu’il refuserait de retourner dans son pays d’origine en raison de sa crainte permanente d’être persécuté et tué par les Talibans. Il explique, en reprochant au ministre d’émettre des appréciations sans lien avec sa demande de protection internationale, qu’il n’aurait pas délaissé sa famille en s’enfuyant de son pays d’origine, mais qu’il n’aurait pas eu d’autre choix que de partir seul afin de ne pas exposer son épouse et ses enfants aux aléas du voyage jusqu’en Europe. Il ajoute avoir constaté que la police afghane n’aurait pas pu le protéger, dans la mesure où elle aurait échoué dans sa mission vis-à-vis de son frère.

En droit, il conclut en premier lieu à une violation des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 1er, section A2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », sinon à une erreur manifeste d’appréciation des faits, en ce que le ministre aurait, à tort, refusé de lui accorder le statut de réfugié. En effet, contrairement à l’appréciation ministérielle, il aurait fait état d’une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine en raison de son opposition aux Talibans, qui serait considérée comme l’expression de ses opinions politiques. A cet égard, il souligne quele New York Times, dans un article du 21 juillet 2021, intitulé « ‘Complete Taliban Takeover’ Possible Outcome for Afghanistan, General Miller Says », aurait relevé que 210 des 407 districts afghans seraient tombés sous le contrôle des Talibans après que les forces afghanes aient capitulé.

Un rapport de Reuters du 9 juillet 2021, intitulé « Special Report : Afghan pilots assassinated by Taliban as U.S. withdraws », soulignerait la difficulté pour ces dernières de maintenir en vigueur les conditions politiques antérieures au retrait des troupes américaines. Il conclut avoir démontré l’impuissance des autorités afghanes face aux Talibans et l’impossibilité d’obtenir une protection de leur part.

Quant au reproche du ministre qu’il pourrait s’adresser aux autorités de son pays d’origine, il fait valoir que son père se serait rendu à la police pour porter plainte mais que celle-ci n’aurait pas été enregistrée. Il fait valoir qu’il serait toujours en danger et que l’assassinat de son frère démontrerait qu’il risquerait de subir le même sort à son retour en Afghanistan, étant donné que les autorités afghanes ne feraient rien pour protéger les citoyens. Dans ce contexte, il se rapporte au bénéfice du doute, alors qu’il ne pourrait pas fournir de documents pour corroborer ses dires. Il affirme, à cet égard, avoir collaboré avec l’autorité ministérielle en lui fournissant une copie de sa carte d’identité et de celle de son frère, ainsi que des photos de son frère le jour de son enterrement, sur lesquelles il serait possible de constater que son corps serait couvert de blessures qui auraient été infligées par des balles. Il en conclut qu’en remettant en cause sa crédibilité et en n’ayant pas pris en compte son récit en entier, le ministre aurait violé l’article 37 (4) et (5) de la loi du 18 décembre 2015.

En s’appuyant sur la situation actuelle qui régnerait dans son pays d’origine, le demandeur poursuit en insistant sur le fait que l’Afghanistan serait un pays où l’insécurité resterait permanente en raison d’une situation prolongée de guerre civile, sans perspective d’amélioration à court et à moyen terme, compte tenu du retrait des troupes internationales. A cet égard, il renvoie au rapport d’août 2020 du European Asylum Support Office (EASO), dénommé European Union Agency for Asylum (EUAA) depuis janvier 2022, intitulé « Afghanistan : Anti-Government Elements (AGEs) », un autre rapport de septembre 2020 de l’EASO, intitulé « Afghanistan Security situation », ainsi qu’à différents articles de presse relatant des attaques sur les civils. Il explique que son pays d’origine serait avant dernier dans le domaine des conflits internes et internationaux en cours, derrière la Syrie, et le moins pacifique dans le domaine de la sûreté et de la sécurité de la société. Il y risquerait ainsi de graves traitements inhumains et dégradants contre sa personne en cas de retour. Il ajoute que dans son rapport de juin 2019, intitulé « Afghanistan Security situation », l’EASO aurait fait état de la dégradation de la situation sécuritaire et de l’augmentation du nombre des victimes civiles. En s’appuyant sur les recommandations du ministère des affaires étrangères français qui déconseillerait formellement de se rendre en Afghanistan, le demandeur estime que les agissements dont il ferait état s’inscriraient dans un contexte de persécutions généralisées à l’égard des citoyens afghans, sans que les autorités de son pays d’origine n’interviennent.

En renvoyant à un arrêt de la Cour administrative du 4 janvier 2018, portant le numéro 40256C du rôle, le demandeur conclut qu’un retour forcé en Afghanistan ne serait pas envisageable en l’espèce, compte tenu de la situation sécuritaire générale qui resterait fragile et imprévisible dans son pays d’origine, surtout à l’égard de personnes, qui, comme lui, auraient déjà été victime de menaces.

Ensuite, le demandeur fait valoir que les actes dont il craindrait de faire l’objet en cas de retour dans son pays d’origine, à savoir des menaces de mort de la part des Talibans (i) s’inscriraient sur une toile de fond politique, étant donné que les faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale démontreraient une opposition aux Talibans, (ii) seraient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, étant donné qu’il aurait fait l’objet de menaces de mort et que son frère aurait été tué et (iii) pourraient être qualifiés d’actes de violences physiques et mentales au sens de l’article 42 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015. Il ajoute que les mesures de police auraient été mises en œuvre de manière discriminatoire alors que diverses sources démontreraient que les policiers manqueraient cruellement de ressources humaines et matérielles. Il en déduit que les dispositions de l’article 42 (2) b) seraient également remplies.

Finalement, Monsieur … se prévaut de l’article 43 de la loi du 18 décembre 2015 pour conclure que le traitement lui réservé en cas de retour en Afghanistan serait grave et dangereux, alors que les violences des Talibans perdureraient dans son pays d’origine. Il estime que le risque d’être victime de persécutions qui seraient susceptibles de lui rendre la vie intolérable dans ledit pays serait établi dans son chef et conclut à la réformation de la décision ministérielle refusant de lui reconnaître le statut de réfugié.

A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque une violation de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. En se prévalant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », relative à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH), il souligne le caractère fondé de sa crainte de subir des atteintes graves, notamment des traitements inhumains et dégradants, qui se dégagerait de son dossier administratif, alors qu’il aurait d’ores et déjà dû subir de telles atteintes dans son pays d’origine et qu’il n’y aurait dès lors aucune « bonne raison » de penser que les actes de persécution et/ou atteintes graves qu’il aurait subis ne se reproduiraient plus en cas de retour en Afghanistan.

Finalement, le demandeur conteste toute possibilité de fuite interne, en renvoyant à la situation sécuritaire en Afghanistan.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement réitère en substance les développements contenus dans la décision ministérielle entreprise. Il insiste sur le fait que le ministre aurait, à raison, refusé d’octroyer le statut de réfugié à Monsieur …, dans la mesure où les faits invoqués par ce dernier seraient non corroborés par des pièces et seraient essentiellement vagues. Il relève que le demandeur manquerait d’établir le lien entre le décès de son frère et l’un des motifs de la Convention de Genève, de sorte qu’il ne pourrait faire valoir un risque de persécutions dans son chef. Ainsi, le fait que les membres de sa famille continueraient de vivre en Afghanistan et n’auraient pas été importunés par les Talibans démontrerait que la situation ne serait pas aussi grave. Il reproche ensuite au demandeur d’avoir invoqué d’autres faits à la base de sa demande de protection internationale déposée en Grèce et de tenter d’en obtenir une au Luxembourg en inventant une autre histoire.

Quant à la protection subsidiaire, le délégué du gouvernement estime que le demandeur ne remplirait pas les conditions de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, en renvoyant à ses arguments développés dans la partie concernant le refus du statut de réfugié. Quant au point c) dudit article 48, le délégué du gouvernement soutient qu’il ne pourrait plus être applicable, dansla mesure où il n’y aurait plus de conflit armé caractérisé par des violences aveugles en Afghanistan depuis la prise de pouvoir des Talibans, tout en renvoyant à cet égard à un arrêt de la Cour nationale du droit d’asile français (CNDA) du 21 septembre 2021, n° 18037855, dans lequel elle aurait retenu que la victoire militaire des forces talibanes conjuguée à la désagrégation des autorités gouvernementales et de l'armée nationale afghane et au retrait des forces armées étrangères aurait, pour l'essentiel, mis fin au conflit armé qu’aurait connu le pays depuis plusieurs années. Il renvoie également à des rapports publiés par l’EASO en novembre 2021, intitulé « Country Guidance :

Afghanistan », duquel il ressortirait que le seul fait d'être originaire d'Afghanistan ne serait pas suffisant pour se voir octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire sur base de l'article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, et en janvier 2022, intitulé « Afghanistan Country focus : Country of Origin Information Report », dans lequel une diminution des attaques aurait été notée depuis la prise de pouvoir par les Talibans et que la majorité des cas de violence à l’encontre des civils aurait été enregistrée dans les provinces de …, …, … et …. Il ajoute, en s’appuyant sur le prédit rapport de l’EUAA de janvier 2022, que le niveau de violences aveugles dans la province de …, région d’origine du demandeur, et malgré des attentats, n'atteindrait pas un niveau si élevé que la simple présence d'une personne entraînerait automatiquement un risque réel suffisant pour appliquer l'article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015. Il en conclut que, le demandeur n'ayant apporté aucun élément permettant de retenir le contraire, le refus ministériel serait aussi à confirmer sur ce point.

Dans son mémoire supplémentaire, Monsieur … fait, tout d’abord, valoir que l’autorité ministérielle aurait méconnu l’article 13 (2) de la loi du 18 décembre 2015, consacrant le droit à un entretien personnel du demandeur sur le fond de sa demande de protection internationale avec un agent ministériel. Il estime qu’au vu du changement politique intervenu en Afghanistan, il aurait dû être personnellement entendu sur les nouveaux motifs de sa demande de protection internationale, au même titre que les autres demandeurs de protection internationale, dont la demande serait toujours pendante devant l’autorité ministérielle et qui auraient fait l’objet d’un entretien complémentaire. Il soutient que l’absence de nouvel entretien complémentaire équivaudrait à une violation des droits de la défense, de sorte que la décision ministérielle du 12 juillet 2021 serait nulle et caduque.

Après avoir renvoyé aux faits exposés dans sa requête introductive d’instance, le demandeur soutient avoir été la cible d’une tentative d’assassinat lors de laquelle son frère aurait été tué. Il n’aurait pu y échapper qu’en raison de son absence du domicile familial ledit jour. Il fait valoir ne pas pouvoir apporter la preuve matérielle de ses dires et renvoie à l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 pour soutenir que de simples menaces directes constitueraient un indice sérieux de sa crainte d’être victime de persécutions. Il précise que le fait d’avoir refusé de se rallier aux Talibans serait perçu par ces derniers comme un acte d’opposition, tout en renvoyant à un article de La Presse du 22 janvier 2022, intitulé « Les talibans affirment avoir “le droit d’arrêter les opposants” y compris les féministes », dans lequel le porte-parole des Talibans aurait affirmé que le gouvernement pouvait arrêter et écrouer les opposants, le demandeur soutenant qu’il serait considéré comme l’un d’eux aux yeux des Talibans. Il réitère le fait que l’Afghanistan serait le pays le moins pacifique du monde en renvoyant à un rapport de l’Institute for Economics & Peace, intitulé « Global Peace Index 2021 ».

Le demandeur donne ensuite à considérer, en renvoyant à un rapport de l’EASO du 11 novembre 2021, intitulé « Country Guidance Afghanistan 2021 – Common analysis and guidance note », que son « occidentalisation » pourrait mener à la commission d’actes de persécution à son égard. Il soutient ensuite que le système juridique afghan entraînerait une accumulation de diversesmesures suffisamment graves au sens de l’article 42 (1) b) pour être considérées comme des traitements inhumains et dégradants, dans la mesure où ce système violerait les articles 6 et 13 de la CEDH, relatifs respectivement au procès équitable et au droit au recours effectif, étant donné que les autorités judiciaires afghanes n’agiraient pas de manière indépendante et impartiale. Dans ce contexte, il renvoie à un livre d’Adam Baczko publié en septembre 2021 et intitulé « La guerre par le droit. Les tribunaux Taliban en Afghanistan », dans lequel l’auteur évoquerait les défaillances du système juridique afghan. Il soutient encore remplir les conditions de l’article 42 (1) a) en raison de ses opinions politiques qui seraient contraires aux idéologies talibanes, de son refus d’intégrer leurs rangs, des menaces reçues, et de l’insécurité régnant dans son pays d’origine.

Il s’appuie, à cet égard, sur un arrêt de la Cour nationale du droit d’asile français (CNDA) du 21 septembre 2021, n° 180378855, dans lequel elle aurait accordé une protection subsidiaire à un Afghan, et réitère qu’il serait exposé à un risque réel et personnel de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Afghanistan.

Enfin, concernant la situation actuelle dans son pays d’origine, le demandeur cite un extrait d’un rapport de l’EUAA de janvier 2022, intitulé « Afghanistan Country focus : Country of Origin Information Report », relevant les différentes attaques qui se seraient produites contre les civils au deuxième semestre de l’année 2021.

A titre liminaire, en ce qui concerne la demande formulée au dispositif du mémoire supplémentaire de Monsieur … et tendant à voir ordonner à la partie étatique de lui communiquer les sources sur lesquelles celle-ci se serait basée pour maintenir le refus de lui octroyer une protection internationale, il échet de constater que la liste des documents consultés par la partie étatique en vue du réexamen de la situation générale en Afghanistan suite à la prise de pouvoir des Talibans en août 2021 a été versée au dossier administratif avec son mémoire en réponse, de sorte que la demande est devenue sans objet.

En outre, si le demandeur a entendu, dans sa prédite demande, soulever le fait que le ministre n’aurait pas suivi les recommandations du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) publiées dans sa note d’orientation de février 2022, intitulée « Guidance Note on the International Protection Needs of People Fleeing Afghanistan », force est de constater que l’UNHCR n’a pas exhorté les Etats accueillant des ressortissants afghans à leur octroyer une protection internationale, - contrairement à ce que soutient Monsieur … -, mais leur a demandé de leur fournir une protection temporaire ou d’autres arrangements de séjour, de suspendre les retours forcés en Afghanistan, de faciliter et d’accélérer les procédures de regroupement familial pour les membres de famille restés en Afghanistan ou pour les personnes déplacées dans la région, de sorte que le reproche du demandeur en ce sens n’est pas fondé.

Quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur estime qu’en ne procédant pas à une nouvelle audition, le ministre aurait violé l’article 13 (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « […] (2) Le demandeur a le droit à un entretien personnel sur le fond de sa demande de protection internationale avec un agent du ministre, sans préjudice des articles 28 et 32.

Il se présente à l’entretien et répond personnellement aux questions qui lui sont posées par l’agent du ministre, qui mène l’entretien. Il peut se faire accompagner par un avocat qui, à la fin de l’entretien, a la possibilité de formuler des observations.

11 L’absence d’un avocat n’empêche pas les agents du ministre de mener un entretien personnel avec le demandeur, sans préjudice de l’article 20. ».

Or, il échet de relever que Monsieur … a été préalablement entendu par un agent du ministère en date du 19 janvier 2021 sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale. Il ressort encore du dossier administratif qu’après avoir pris la décision entreprise et en raison du changement de situation en Afghanistan, le ministre a requis du demandeur, par courrier du 5 novembre 2021, qu’il fournisse les nouveaux éléments ou pièces supplémentaires qui permettraient d’établir un risque personnel de persécutions ou d’atteintes graves dans son chef, courrier auquel le demandeur n’a pas répondu.

Par ailleurs, force est de constater que l’article 13 (2) de la loi du 18 décembre 2015 ne prévoit pas d’obligation à charge du ministre d’entendre à nouveau le demandeur de protection internationale en cas de changement de circonstances dans le pays d’origine de ce dernier, de sorte que le moyen ayant trait à la violation du prédit article 13 (2) est à rejeter pour être non fondé.

Quant à la légalité interne de la décision entreprise, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

« a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

12 c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, Monsieur … invoque différents motifs à la base de sa demande du statut de réfugié, à savoir (i) le risque d’être persécuté par les Talibans pour avoir refusé de les rejoindre etde subir le même sort que son frère dont le décès serait dû à une attaque perpétrée par les Talibans, et (ii) son occidentalisation.

Tout d’abord, le tribunal est amené à relever que les faits relatés par le demandeur à la base de sa demande de protection internationale sont sujets à caution, dans la mesure où il ressort de ses propres déclarations qu’il avait fourni des faits différents à la base de sa demande de protection internationale en Grèce1, ce qui ne manque pas de jeter un doute sur la véracité de son récit actuel.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.2 De ce fait, il appartenait à Monsieur … de fournir, de manière précise et plausible, tous les éléments permettant de conclure, - à supposer que le récit du demandeur soit basé sur des faits réellement vécus -, à l’existence d’un risque de subir le même sort que son frère, ce qu’il manque de faire en l’espèce.

En effet, force est, tout d’abord, de relever que les circonstances exactes du décès de son frère, et notamment l’identité des personnes responsables et leurs motifs, ne se dégagent pas du récit du demandeur ni des autres éléments soumis à l’appréciation du tribunal, Monsieur … ayant, à cet égard, expliqué lors de son audition devant un agent du ministère que son père ne lui avait fourni aucune information quant aux circonstances du décès de son frère, mais qu’il l’avait uniquement informé que ce dernier avait subi une attaque par arme à feu et en était mort, tout en l’avertissant de ne plus rentrer au domicile familial. L’attaque de son frère est dès lors à considérer comme étant un fait non personnel. Or, les persécutions subies par une personne autre que le demandeur de protection internationale ne peuvent établir une crainte fondée de persécutions dans le chef de ce dernier qu’à condition que le demandeur puisse établir l’existence, dans son chef, d’un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières. Outre le fait qu’il n’est pas établi que le décès du frère de Monsieur … ait été lié à l’un des critères de fond prévus par l’article 2 f), précité, de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que l’acte en question ne saurait être qualifié d’acte de persécution, le tribunal ne s’est pas vu soumettre un quelconque élément concret qui permettrait d’établir un lien suffisant entre cet acte et la situation personnelle du demandeur. Ainsi, les craintes de ce dernier de subir le même sort que son frère en cas de retour en Afghanistan restent hypothétiques et ne permettent pas, de ce fait, l’octroi du statut de réfugié.

Dans ce contexte, l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait été victime d’une tentative d’assassinat pour avoir également été visé par l’attaque ayant tué son frère manque de pertinence, étant donné qu’il a précisé ne pas avoir été sur les lieux du crime lors de cette attaque.

1 « […] Je leur ai dit que j’étais mécanicien et que j’avais eu des problèmes. Je ne leur ai pas dit le vrai problème. », page 10 de son rapport d'audition.

2 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 138 et les autres références y citées.En ce qui concerne la crainte de persécutions de la part des Talibans, il échet de retenir que cet élément s’inscrit sur la toile de fond des opinions politiques lui imputées par les Talibans du fait de son refus de collaborer avec eux, de sorte à tomber a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève, étant rappelé à cet égard que l’article 43 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit qu’il est indifférent si un demandeur de protection internationale possède effectivement la caractéristique liée à ses opinions politiques, pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’auteur des persécutions, ce qui au vu de la situation décrite par le demandeur est le cas en l’espèce.

Or, si à l’époque des faits vécus par le demandeur, soit en 2019, les Talibans auraient pu forcer des jeunes hommes à rejoindre leurs rangs afin de combattre les autorités afghanes et asseoir leur pouvoir sur le pays, force est au tribunal de constater, en raison du changement de régime et du remaniement du gouvernement suite à la prise de pouvoir des Talibans en août 2021, que le demandeur reste en défaut de démontrer – et même d’invoquer – la moindre raison pour laquelle il estime que sa crainte de subir des persécutions de la part des Talibans serait actuelle et fondée.

Par ailleurs, une menace de mort indirecte ne présente pas le degré de gravité requis par l’article 42 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, la famille du demandeur continuant, par ailleurs, à vivre en Afghanistan depuis lors, dans la province de Bamiyan, sans avoir été inquiétée par les Talibans, ce qui démontre que Monsieur … ne risque pas de subir des persécutions en cas de retour.

Enfin, en ce qui concerne son occidentalisation, si le demandeur tente de relier ce fait à ses opinions politiques qui entraîneraient des persécutions de la part des Talibans, il y a lieu de relever que Monsieur … n’explique pas les raisons concrètes qui pourraient conduire les Talibans à le persécuter, le seul fait d’avoir été quelques années en Europe n’étant pas suffisant à cet égard pour permettre de retenir qu’il aurait fondamentalement changé de comportement et que celui-ci pourrait contrevenir aux us et coutumes de son pays d’origine ou à celles des Talibans.

Il ressort d’ailleurs du rapport de l’EASO du 11 novembre 2021, intitulé « Country Guidance Afghanistan 2021 – Common analysis and guidance notes », cité par le demandeur, que les risques de persécution en raison de l’occidentalisation concernent surtout les femmes et les enfants qui ont été habitués à la liberté et à l’indépendance en ayant vécu plusieurs années dans un pays occidental et que « With regard to men, societal attitudes towards ‘Westernised’ individuals are mixed. Men with ‘Western’ values or who return from western countries can be regarded with suspicion and may face stigmatisation or rejection. », ces attitudes ne pouvant constituer des persécutions pour être insuffisamment graves au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015.

Partant, le tribunal est amené à constater que le ministre a, à bon droit, retenu que les faits relatés par Monsieur … ne permettaient pas l’octroi du statut de réfugié dans son chef, de sorte que le recours encourt le rejet pour ne pas être fondé sur ce point.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les 15 atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

En ce qui concerne les deux menaces de mort proférées par les Talibans à l’égard du demandeur, force est de constater qu’une simple menace verbale ne saurait remplir les conditions de gravité prévues à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, ce d’autant plus que, tel que relevé ci-avant, toute la famille habite toujours la province de … Concernant le décès du frère, le tribunal est amené à réitérer ses conclusions selon lesquelles - outre le fait que les déclarations du demandeur sont à prendre avec précaution -, il s’agissait d’un fait non personnel pour lequel le demandeur est resté en défaut de fournir un quelconque élément concret permettant de relier l’attaque ayant conduit au décès de son frère aux Talibans et que le risque qu’il puisse également faire l’objet d’une attaque par arme à feu de leur part était hypothétique.

En ce qui concerne l’occidentalisation du demandeur, le tribunal est amené à réitérer ses constatations faites dans le cadre du recours visant le refus du statut de réfugié. En effet, si les personnes « occidentalisées », majeures et de sexe masculin, qui retournent en Afghanistan peuvent être regardées avec suspicion ou peuvent faire face à la stigmatisation ou au rejet, ces faits ne sont cependant pas susceptibles d’être considérés comme pouvant constituer des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Partant, il échet d’ores et déjà de conclure, au vu des développements qui précèdent, que le demandeur reste en défaut de démontrer que les conditions de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 seraient remplies dans son chef.

Enfin, Monsieur … se prévaut de la situation de conflit armé régnant dans son pays d’origine et en conclut, en substance, qu’il devrait obtenir la protection subsidiaire sur base de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Afin qu’un statut de protection subsidiaire puisse être octroyé au demandeur conformément à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, il doit être question, dans son chef, d’une menace grave contre sa vie ou sa personne, en tant que civil, en raison de la violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international. Cette disposition législative constitue la transposition de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par « la directive 2011/95 ». Son contenu est distinct de celui de l’article 3 de la CEDH et son interprétation doit, dès lors, être effectuée de manière autonome tout en restant dans le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH3.

Il convient par conséquent de tenir compte des enseignements de l’arrêt Elgafaji du 17 février 2009 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui distingue deux situations: (i) celle où il « existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive »4 et (ii) celle qui prend en compte les caractéristiques propres du demandeur, la CJUE précisant que « […] plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire »5.

Dans la première hypothèse, le degré atteint par la violence aveugle est tel que celle-ci affecte tout civil se trouvant sur le territoire où elle sévit, de sorte que s’il est établi qu’un demandeur est un civil originaire de ce pays ou de cette région, il doit être considéré qu’il encourrait un risque réel de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle s’il était renvoyé dans cette région ou ce pays, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-

ci, sans qu’il soit nécessaire de procéder, en outre, à l’examen d’autres circonstances qui lui seraient propres.

3 CJUE, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C-465/07, paragraphe 28.

4 Ibid., paragraphe 35.

5 Ibid., paragraphe 39.

Dans ce contexte, la CJUE a précisé, dans un arrêt du 10 juin 2021, « CF, DN c.

Bundesrepublik Deutschland », C-901/19, que lors de l’évaluation individuelle d’une demande de protection subsidiaire, prévue à l’article 4 (3) de la directive 2011/95, il peut notamment être tenu compte de la proportion entre le nombre total de civils vivant dans la région concernée et les victimes effectives des violences perpétrées par les parties au conflit contre la vie ou l’intégrité physique des civils dans cette région6, de l’intensité des affrontements armés, du niveau d’organisation des forces armées en présence, de la durée du conflit, de l’étendue géographique de la situation de violence aveugle, de la destination effective du demandeur en cas de renvoi dans le pays ou la région concernés et de l’agression éventuellement intentionnelle contre des civils exercée par les belligérants, en tant qu’éléments entrant en ligne de compte dans l’appréciation du risque réel d’atteintes graves7.

La seconde hypothèse concerne des situations où il existe une violence aveugle, ou indiscriminée, c’est-à-dire une violence qui frappe des personnes indistinctement, sans qu’elles ne soient ciblées spécifiquement, mais où cette violence n’atteint pas un niveau tel que tout civil courrait du seul fait de sa présence dans le pays ou la région en question un risque réel de subir des menaces graves pour sa vie ou sa personne. La CJUE a jugé que dans une telle situation, il convenait de prendre en considération d’éventuels éléments propres à la situation personnelle du demandeur aggravant dans son chef le risque lié à la violence aveugle.

En l’espèce, force est de relever qu’il ressort du rapport de l’EUAA de janvier 2022, intitulé « Afghanistan Country Focus : Country of Origin Information Report », cité par les parties, que le retrait des forces armées étrangères et l’arrivée au pouvoir des Talibans en août 2021 a, pour l’essentiel, mis fin au conflit armé qui sévissait dans le pays depuis des années, même si des attaques sporadiques, principalement de la part de l’Etat islamique, ont encore lieu dans certaines régions du pays.

Force est également au tribunal de constater que dans un arrêt récent la Cour administrative a retenu qu’ « […] il ne se dégage pas à suffisance des éléments soumis à la Cour qu’il convienne de retenir, à l’heure actuelle, une situation de conflit armé caractérisé par des violences aveugles depuis la prise de pouvoir des Talibans.

Au regard des éléments lui soumis relativement à la situation sécuritaire existant en Afghanistan, où consécutivement à la prise de pouvoir par les Talibans le conflit armé a généralement cessé sur la majorité du territoire afghan, dont tant la province originaire des appelants que la ville de …, où les appelants avaient apparemment pu trouver refuge pendant plusieurs années, les appelants ne font pas état de considérations suffisantes justifiant dans leur chef la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire sur base du point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. […] »8.

Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à conclure que le demandeur ne remplit pas les critères prévus à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 et que le ministre a, dès lors, valablement pu rejeter la demande de protection subsidiaire de l’intéressé.

6 CJUE, 10 juin 2021, CF, DN c. Bundesrepublik Deutschland, C-901/19, paragraphe 32.

7 Ibid., paragraphe 43.

8 Cour adm., 19 mai 2022, n° 46374C, disponible sous www.jurad.etat.lu.Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur estime principalement que ce volet de la décision ministérielle devrait encourir la réformation, en conséquence de la réformation du premier volet de la décision portant refus de l’octroi d’une protection internationale dans son chef et, subsidiairement, il conclut à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire, en invoquant une violation de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par la « loi du 29 août 2008 » et de l’article 3 de la CEDH.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, dans la mesure où l’ordre de quitter le territoire découlerait directement de la décision rejetant l’octroi d’une protection internationale.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de Monsieur … dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il convient ensuite de rappeler que si l’article 129 de la loi du 29 août 2008 - qui est applicable à la décision de retour découlant d’une décision de rejet d’une demande de protection internationale, conformément à l’article 34 (2), alinéa 3 de la loi du 18 décembre 2015 - renvoie à l’article 3 de la CEDH, qui proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, undroit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Afghanistan, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH,9 le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 et de l’article 3 de la CEDH encourt le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour être également non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 12 juillet 2021 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 12 juillet 2021 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

9 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, pt. 59. Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 4 juillet 2022 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 juillet 2022 Le greffier du tribunal administratif 21


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 46294
Date de la décision : 04/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-07-04;46294 ?

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