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04/07/2022 | LUXEMBOURG | N°45723

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2022, 45723


Tribunal administratif N° 45723 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2021 2e chambre Audience publique du 4 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45723 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2021 par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la C

our, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le...

Tribunal administratif N° 45723 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2021 2e chambre Audience publique du 4 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45723 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2021 par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 janvier 2021 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2021 ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 7 février 2022 autorisant la production de mémoires supplémentaires ;

Vu le mémoire supplémentaire de Maître Ibtihal El Bouyousfi déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mars 2022 ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2022 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu le courrier électronique de Maître Ibtihal El Bouyousfi du 2 mai 2022 informant le tribunal qu’elle ne se présenterait pas à l’audience des plaidoiries et que l’affaire pouvait être prise en délibéré hors sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 2 mai 2022.

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » Le 26 avril 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Ses déclarations sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le même jour, il fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE n° 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou apatride.

Les 24 juillet et 2 septembre 2019, il fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 27 janvier 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 26 avril 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 26 avril 2019, le rapport d’entretien Dublin III du 26 avril 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 24 juillet et 2 septembre 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.

Il convient de noter que vous avez présenté votre carte d’identité afghane ainsi qu’une copie d’une lettre de menace émanant des Talibans. Il convient toutefois de souligner que l’Unité de Police à l’Aéroport est arrivée à la conclusion qu’il s’agit d’une carte d’identité falsifié. Il convient dès lors de souligner que votre identité n’est pas établie et reste sujette à caution.

Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous seriez né et que vous auriez vécu dans le quartier de … dans le district …, dans la province de …. Vous déclarez que vous y 2 auriez vécu avec votre famille jusqu’à la disparition de votre père. Suite à la disparition de ce dernier, vous auriez vendu votre maison familiale et votre magasin et vous vous seriez installé avec votre mère et vos deux frères à … pour une période de trois à quatre mois.

En ce qui concerne les motifs de votre départ, vous indiquez avoir peur d’être enlevé, voire tué par les Talibans pour avoir refusé de collaborer avec eux. Vous expliquez que votre père aurait eu une épicerie à …, et qu’une nuit, vous auriez été interpellé par des personnes armées, alors que vous auriez été en train de fermer le magasin. Ces personnes auraient enlevé votre père, et il ne serait revenu à la maison que deux jours plus tard. Il vous aurait raconté qu’il aurait été mandaté par ces personnes pour placer des explosifs dans le but d’assassiner un certain …. Vous précisez que cette personne travaillerait pour l’Etat afghan, qu’il serait un représentant de la province de … et responsable de la Fédération de Volleyball d’Afghanistan. Votre père aurait accepté sans néanmoins avoir eu l’intention de l’exécuter. Les personnes non autrement identifiées que vous supposez qu’il se serait agi de Talibans, auraient expliqué à votre père qu’elles allaient lui déposer la bombe quelques jours plus tard.

Vous continuez vos dires, en indiquant que malgré le fait que les ravisseurs auraient interdit à votre père à se confier à quelqu’un, il aurait fini par aller voir le chef du quartier, et puis le chef du district. Ce dernier aurait accepté de positionner quatre policiers aux alentours du magasin afin de pouvoir intercepter la bombe au moment de sa livraison. Toutefois, personne ne serait venu le jour convenu et les policiers auraient qualifié les dires de votre père comme étant une fausse alerte.

Toutefois, vous expliquez que cette même nuit, vers deux heures du matin, des personnes armées seraient venues à votre domicile et auraient attaqué votre père. Vous indiquez que vous auriez essayé d’intervenir afin d’aider votre père mais que vous auriez écopé des coups de crosse et des coups de couteau. Vous auriez alors perdu connaissance. Vous précisez que quand vous auriez repris connaissance, votre mère vous aurait expliqué que votre père aurait de nouveau été enlevé.

Monsieur, vous indiquez que malgré le fait que votre mère aurait déposé une plainte après l’enlèvement de votre père, rien ne se serait passé et qu’une vingtaine de jours après sa disparition vous auriez repris les activités du magasin. Toutefois, vous indiquez que quelque temps plus tard vous auriez été contacté par des personnes inconnues qui vous auraient indiqué qu’une lettre vous étant destinée aurait été déposée dans le magasin. Cette lettre aurait été écrite en langue Pashtoun et vous auriez dû aller voir le chef du district pour qu’il vous la traduise alors que vous ne parlez pas cette langue. Le chef du district vous aurait alors conseillé de quitter l’Afghanistan, étant donné qu’il s’agirait d’une lettre de menace, qui vous ordonnerait d’atteindre à la vie de … à la place de votre père.

Vous déclarez que vous auriez alors vendu votre maison et le magasin avec l’aide de votre mère, et vous vous seriez installé à …, avant de définitivement quitter l’Afghanistan, quatre mois plus tard.

Vous ajoutez encore que vous seriez sans nouvelles de votre père jusqu’à ce jour.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne 3 d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant à la crédibilité de votre récit Avant tout autre développement, je suis amené à remettre en cause la crédibilité de votre récit.

En effet, Monsieur vous indiquez que votre seul motif de fuite de votre pays d’origine serait votre crainte d’être tué par des personnes non autrement identifiées dont vous supposez qu’il pourrait s’agir de Talibans. Ces personnes auraient sollicité de votre père qu’il assassine un dénommé …. Etant donné que votre père aurait averti le chef du district, les personnes auraient enlevé votre père et par la suite elles vous auraient contacté afin que vous effectueriez l’attentat à l’encontre de … à la place de votre père.

Il convient de prime abord de noter qu’il n’est pas crédible que les Talibans auraient choisi au hasard et fortuitement votre père afin qu’il commette pour eux un attentat. Aucun réseau criminel au monde ne prend le risque de choisir au hasard une personne dont ils ne connaissent rien pour la mandater de commettre des exactions pour leur compte. Ceci est d’autant plus vrai que la prétendue cible de ces personnes non autrement identifiées est une personne très haut placée et un réseau criminel qui souhaiterait s’attaquer à une telle personne ne choisirait pas l’auteur au hasard, les risques que la mission échoue seraient beaucoup trop élevés et le risque de se faire dénoncer encore plus élevé.

En ce qui concerne vos dires que suite au refus de votre père ils vous auraient choisi pour accomplir la mission, il convient de confirmer les doutes émis alors que le réseau criminel qui aurait choisi une personne pour accomplir un acte criminel ne mandaterait certainement pas le fils de la personne qui les aurait trahis.

Notons dans ce contexte que vous prétendez ensuite avoir refusé d’accomplir la mission mais que vous auriez pris le temps de vendre tous vos biens avant de partir à … où vous auriez encore séjourné pendant plusieurs mois.

Le simple fait d’affirmer que vous avez pris le temps de vendre vos biens c’est-à-dire votre maison et le magasin démontre clairement que vous n’étiez nullement dans le collimateur des personnes que vous qualifiez de Talibans. En effet une personne qui est réellement menacée par les Talibans pour les avoir dénoncés respectivement pour ne pas avoir accompli les ordres ne saurait prendre le temps pour vendre maison, magasin et bien alors que la seule chose qui lui importerait serait de sauver sa vie. En effet toute personne qui est réellement menacée par un groupement terroriste aurait comme seul but de se sauver. Le fait que vous ayez eu le temps de tout vendre alors que les Talibans auraient su où vous trouver démontre que vous n’auriez rien à craindre et que votre récit est inventé de toutes pièces.

A cela s’ajoute que selon les informations en nos mains le dénommé …, ancien chef du conseil provincial de …, ancien Ministre d’État chargé de la gestion des catastrophes (ANDMA), aujourd’hui employé au Ministère de la gestion nationale des catastrophes, est toujours vivant et en bonne santé et n’a pas été victime d’une quelconque tentative de meurtre.

Il y a encore lieu de souligner que la lettre de menace que vous avez remise au Ministère, n’est manifestement pas la même lettre de menace que vous auriez reçu avant de quitter votre pays 4 d’origine. En effet, sur celle que vous avez remis, il y a marqué que vous seriez recherché « pour refus d’assistance aux forces de l’Emirat », tandis que les personnes n’ont autrement identifiées n’auraient pas pu savoir que vous alliez refuser le mandant au moment que vous auriez reçu la lettre de menace pour laquelle vous auriez quitté l’Afghanistan.

Votre récit n’étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Quand bien même votre récit serait crédible, il s’avère que vous ne remplissez pas les conditions pour l’octroi du statut de réfugié, respectivement pour l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, vous invoquez craindre en cas de retour dans votre pays d’origine de devenir victime de représailles de personnes non autrement identifiées dont vous estimez qu’il pourrait s’être agi de Talibans, qui auraient enlevé votre père, et qui vous auraient ordonné d’exécuter pour leur compte une personnalité importante en Afghanistan.

Toutefois, force est de constater que vos craintes sont dénuées de tout lien avec les critères énumérés dans le champ d’application de la Convention de Genève, à savoir votre race, votre nationalité, votre religion, votre appartenance à un groupe social ou vos opinions politiques, de sorte qu’on ne saurait retenir l’existence dans votre chef d’une persécution respectivement d’une crainte fondée de persécution. En effet, selon vos dires, le seul motif que les personnes non autrement identifiées auraient pu avoir pour vous tuer serait votre manque de collaboration.

Il s’ensuit que la première des trois conditions cumulatives pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié fait défaut en l’espèce.

Quand bien même ces faits seraient à considérer comme étant liés à un des critères susmentionnés prévus par la Convention de Genève, il y a lieu de noter que vous indiquez avoir été contacté par téléphone par les personnes non autrement identifiées qui vous auraient ordonné 5 de faire le travail que votre père n’aurait pas fait. Vous auriez également reçu de la part de ces mêmes personnes une prétendue lettre de menace. En effet, vous ne savez pas exactement ce qui serait écrit dans cette lettre, mais le chef de district vous aurait averti qu’il y aurait été écrit que si vous n’assassiniez pas le dénommé …, votre vie serait en danger. Toutefois, vous n’avez pas estimé votre situation suffisamment grave pour quitter immédiatement votre pays d’origine. En effet vous indiquez avoir quitté votre pays d’origine que quatre mois après la disparition de votre père et trois mois après avoir été personnellement menacé. En effet, vous auriez attendu que votre maison parentale et le magasin de votre père aient été vendus avant de quitter votre pays d’origine.

Or, il est légitime d’attendre d’une personne se sentant réellement en danger qu’elle parte de son pays d’origine dès qu’elle a l’occasion de le faire, plutôt que d’attendre plusieurs mois. De plus, il ne ressort pas de vos dires que vous auriez eu un quelconque problème durant ces quatre mois.

Ainsi, des menaces verbales ou écrites, non suivies d’une quelconque agression physique et proférées par une personne privée, ne revêtent pas un degré de gravité tel à pouvoir être considérées comme des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Il convient dès lors de conclure que vos craintes d’être tué ou enlevé par les personnes non autrement identifiées s’analysent en simples craintes hypothétiques. Or, soulignons que de simples craintes hypothétiques, qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient pas constituer des motifs visés par la Convention de Genève.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d’être persécuté respectivement que vous risquez d’être persécuté en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de 6 reconnaissance du statut du réfugié, et notamment que vous auriez peur d’être de subir le même sort que votre père, c’est-à-dire d’être enlevé voire pire pour ne pas vouloir exécuter un ordre provenant de personnes non autrement identifiées.

Toutefois, même si les personnes non autrement identifiées dont vous supposez qu’il s’agirait des Talibans vous auraient eu dans le collimateur il convient de noter que la population de la province de … s’élève à 4,3 millions d’habitants qui habitent une superficie de 4462 kilomètres carrés, voire presque deux fois la superficie du Grand-Duché de Luxembourg et que votre prétendu problème aurait eu lieu à …, une ville éloignée d’environ 35 kilomètres de la province de …. Ainsi, il n’est nullement établi que plus de trois mois après la prétendue menace dont il n’existe de surcroit aucune preuve que ces derniers pourraient encore être à votre recherche et qu’ils pourraient vous retrouver dans une autre province respectivement autre ville.

De plus, comme développé ci-dessus, vous n’avez pas estimé votre situation suffisamment grave pour quitter immédiatement votre pays d’origine, mais indiquez avoir quitté que quatre mois après la disparition de votre père et trois mois après avoir été personnellement menacé. Or, il est légitime d’attendre d’une personne se sentant réellement en danger qu’elle parte de son pays d’origine dès qu’elle a l’occasion de le faire, plutôt que d’attendre plusieurs mois. De plus, il ne ressort pas de vos dires que vous auriez eu un quelconque problème durant ces quatre mois.

Ainsi, cette prétendue crainte ne saurait emporter la conviction du Ministre que vous courriez un risque réel de subir des atteintes graves dans votre pays d’origine.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

3. Quant à la fuite interne En vertu de l’article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine, il n’y a aucune raison de craindre d’être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu’il est raisonnable d’estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d’une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d’origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l’UNHCR, l’alternative de la fuite interne s’applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu’en termes de sécurité.

En l’espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n’auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d’origine au motif que le chef de district vous aurait dit que les personnes qui vous auraient menacé pourraient vous retrouver partout en Afghanistan.

Avant toute chose, notons que l’Afghanistan est un pays d’environ 37 millions d’habitants et d’une superficie de …kilomètres carrés. Ainsi, ce motif ne constitue pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d’origine.

7 Ainsi, vous auriez pu vous installer à …, une province qui se trouve à plus de 800 kilomètres de route de la province de … et de ….

En effet, la ville de … et la ville d’… ont toutes les deux des aéroports en état de fonctionnement, avec plusieurs vols domestiques par jour, opérés par … et … Airlines. De plus, les deux villes sont connectées par la « … », et donc … aurait également été accessible par voiture à partir de ….

Dans ce contexte, il importe de noter que la province d’… est selon une analyse d’EASO, une des provinces les plus calmes en Afghanistan. En effet, selon cette analyse, « it is reported that … has been among the relatively calm provinces in the west of Afghanistan […] in the provincial capital of … City, indiscriminate violence is taking place at such a low level that in general there is no real risk for a civilian to be personally affected by reason of indiscriminate violence ».

En ce qui concerne votre situation personnelle, Monsieur, il y a lieu de noter que « … is a Persian-speaking city and the majority of its people are either Sunni or Shia Tajiks/Farsiwans » et que « although the situation related to settling in the cities of …, … and … entails certain hardships, IPA may be reasonable for single able-bodied men ». Etant donné qu’il ressort de vos dires que vous êtes de confession musulmane sunnite et d’ethnie Tajik et que votre langue maternelle serait le dari, couplé au fait que vous êtes célibataire et en bonne santé, il n’y a aucune raison pour laquelle vous n’auriez pas pu vous installer à ….

De plus, Monsieur, il ressort de vos dires que vous auriez travaillé dans l’épicerie de votre père et que parallèlement vous auriez également travaillé en tant que soudeur. Ainsi, votre expérience professionnelle et votre polyvalence vous permettraient de vous ouvrir des portes et des possibilités d’embauche dans ces domaines lors d’une réinstallation à ….

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination d’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2021, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une part, de la décision du ministre du 27 janvier 2021 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 27 janvier 2021, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur rappelle d’abord les rétroactes à la base des décisions litigieuses. Après avoir décliné son identité et exposé sa situation personnelle, précisant être d’ethnie tadjik et de confession musulmane, Monsieur … indique avoir aidé son père dans son magasin de vente d’aliments. Une nuit, son père aurait été enlevé par des individus armés et cagoulés et il ne serait rentré que deux jours plus tard. Il aurait alors raconté à sa famille avoir été mandaté par ses ravisseurs pour assassiner un membre du gouvernement afghan, Monsieur …. Son père aurait alors informé le chef du district que ses ravisseurs lui livreraient une bombe pour éliminer la cible désignée et ce dernier lui aurait indiqué que ces individus auraient été des Talibans. Le chef du district aurait ensuite ordonné à quatre soldats de surveiller le magasin de son père le jour convenu par les ravisseurs, mais la bombe n’aurait pas été livrée. Le même jour en pleine nuit, les Talibans seraient venus à son domicile et auraient molesté son père. En voulant s’interposer, il aurait été frappé à la tête et poignardé à la jambe droite. Il aurait eu la mâchoire et trois dents cassées. A partir de ce jour, son père n’aurait plus jamais été revu. Sa mère aurait, de ce fait, déposé des plaintes auprès des autorités mais aucune suite favorable n’aurait été donnée. Une vingtaine de jours plus tard, commençant à guérir de ses blessures, il aurait repris les activités au magasin de son père. Un jour, il aurait été appelé avec le téléphone de son père, mais la personne au bout du fil se serait identifiée comme l’un des ravisseurs, avant de lui enjoindre d’exécuter la mission attribuée à son père.

En droit, le demandeur reproche d’abord au ministre d’avoir méconnu le principe du bénéfice du doute, alors qu’il n’aurait pas mis ses déclarations en rapport avec son profil particulier. Il s’appuie à cet égard sur trois publications de l’UNHCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) intitulés « Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés » de décembre 2011, « Note on Burden and Standard of Proof in Refugee Claims » du 16 décembre 1998, et « Au-delà de la preuve.

Évaluation de la crédibilité dans les systèmes d’asile européen » de mai 2013, ainsi qu’à un jugement du tribunal administratif du 29 juin 2017, inscrit sous le numéro 38159 du rôle, et à des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme2, ci-après désignée par « la CourEDH », avant de relever que le ministre aurait eu une vision subjective de ses déclarations au sujet des actions des Talibans à l’encontre de son père et de lui-même. Il lui reproche à cet égard d’avoir affirmé, sans référence à un document scientifique, qu’aucun réseau criminel au monde ne prendrait le risque de choisir au hasard une personne complètement inconnue pour lui enjoindre de commettre des exactions pour leur compte.

Ainsi, le demandeur estime que le bénéfice du doute serait un principe intrinsèque en vertu duquel l’évaluation de la crédibilité d’une demande de protection internationale ne nécessiterait pas que les faits soient prouvés ou établis pour accorder une protection, alors que ledit principe devrait bénéficier aux demandes crédibles. Il conclut que le principe du bénéfice du doute permettrait la subsistance d’une incertitude dans l’évaluation de la crédibilité de la demande, de sorte que rien ne justifierait d’imposer un seuil de crédibilité plus élevé pour les demandeurs ne pouvant pas présenter de documents à l’appui de leur demande.

2 CourEDH, 8 mars 2007, Colins et Akaziebie c. Suède, Requête n° 23944/05 ; CourEDH, 21 juin 2005, Matsiukhina et Matsiukhin c. Suède, Requête n° 31260/04 ; CourEDH, 20 janvier 2009, F.H. c. Suède, Requête n° 32621/06 ;

CourEDH, 20 juillet 2010, N. c. Suède, Requête n° 23505/09.

Le demandeur soutient ensuite que si ses déclarations n’étaient pas convaincantes pour le ministre, celui-ci aurait tout de même dû procéder à une évaluation objective et impartiale de sa demande, au vœu de l’article 10 (3) a) de la loi du 18 décembre 2015, et aurait dû prendre en compte le fait que ses explications pouvaient être différentes de celles attendues en raison des caractéristiques de son milieu culturel d’origine, en renvoyant à cet égard à l’article 37 (3) c) de la même loi.

Il ajoute que si ses déclarations peuvent paraître intrinsèquement invraisemblables pour le ministre, son récit ne serait pourtant pas faux au regard des pratiques et conceptions des Talibans, en s’appuyant sur un arrêt de la CourEDH du 9 mars 2010, « R.C. c. Suède », n° 41827/07, dans lequel elle aurait retenu que même si certains points du récit d’un demandeur pouvaient paraître invraisemblables, les autorités nationales devraient se déterminer au regard de la crédibilité générale de son discours.

Concernant le refus d’octroi du statut de réfugié, le demandeur fait valoir que le ministre aurait commis une erreur d’appréciation de sa situation personnelle et de la situation générale prévalant actuellement en Afghanistan. Il soutient à cet égard qu’il aurait quitté l’Afghanistan en raison de ses opinions politiques, étant donné qu’il serait allé à l’encontre de la volonté des Talibans en refusant d’assassiner une personnalité politique de son pays d’origine, persécuteurs contre lesquels les autorités afghanes auraient été incapables de le protéger. Il reproche ensuite au ministre d’avoir estimé qu’il ne serait pas en danger vu qu’il aurait attendu quatre mois avant de quitter son pays d’origine, en soulignant que le fait qu’il n’ait pas pu immédiatement quitter l’Afghanistan après les menaces des Talibans ne pourrait illustrer de manière objective une absence de danger ou de crainte pour sa vie.

En critiquant la décision du ministre de retenir que ses craintes d’être enlevé ou tué par les Talibans seraient hypothétiques, il soutient que l’UNHCR aurait précisé, dans sa publication de décembre 2011, précitée, que la crainte pour un demandeur de faire l’objet du même sort que des parents, amis ou membres du même groupe social ou racial pourrait être fondée, et que la crainte de persécution ne serait pas réservée aux personnes qui ont déjà été persécutées, mais qu’elle pourrait être également applicable à celles voulant éviter de se trouver dans une situation où elles pourraient l’être. Comme son père aurait été enlevé par les Talibans, il en déduit qu’il subirait, tôt ou tard, le même sort. Le demandeur fait ensuite valoir que le ministre aurait minimisé le fait que les menaces proviendraient des Talibans, ce qui les rendraient suffisamment graves pour constituer des actes de persécution au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». Il en conclut qu’il serait fondé à se prévaloir du statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus de lui accorder le bénéficie du statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur reproche au ministre d’avoir commis une erreur d’appréciation au regard de la situation actuelle dans son pays d’origine et en particulier à …, dans la province de ….

Il s’appuie, dans ce contexte, sur l’arrêt « Aydin Salahadin Abdulla e.a./ Bundesrepublik Deutschland » de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », du 2 mars 2010 pour faire valoir que le risque d’être victime d’atteintes graves à la vie et à l’intégrité physique et morale d’une personne devrait être évalué avec vigilance et prudence. Il soutient, à ce propos, que ce risque serait grand dans son chef au vu des sources publiquement disponibles quiferaient état de violations des droits de l’Homme et d’une situation humanitaire très alarmante dans toutes les régions et localités de l’Afghanistan, en renvoyant, dans ce contexte, à un rapport de l’UNHCR du 30 août 2018 intitulé « Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum- Seekers from Afghanistan », ainsi qu’à un rapport « Afghanistan 2019 » d’Amnesty International, pour conclure qu’il devrait bénéficier d’une protection subsidiaire sur fondement de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015.

En ce qui concerne l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, il s’appuie sur l’arrêt « Meki Elgafaji, Noor Elgafaji contre Staatssecretaris van Justitie » de la CJUE du 17 février 2009, C-465/07, ainsi que sur l’arrêt de la même Cour du 30 janvier 2014 « Aboubacar Diakité contre Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides », C-285/12, précisant la notion de conflit armé interne. Le demandeur se réfère ensuite à une publication de l’Organisation suisse d’Aide aux Réfugiés (OSAR) du 12 septembre 2019 intitulé « Afghanistan : les conditions de sécurité actuelles », ainsi qu’à un rapport de l’European Asylum Support Office (EASO), dénommé European Union Agency for Asylum (EUAA) depuis janvier 2022, de septembre 2020, intitulé « Afghanistan Security situation », avant d’expliquer que sa région d’origine serait très instable et aurait connu un nombre élevé de victimes civiles en raison du conflit, lequel se serait intensifié en raison de l’accroissement de l’influence des Talibans, qui seraient présents dans toutes les localités de la province de …. Il ajoute que les combattants talibans seraient impliqués dans une lutte de pouvoir en commettant des attaques suicides ayant de graves répercussions sur les populations locales, en concluant que la situation actuelle dans la province de … serait à considérer comme une situation de violence aveugle de haute intensité résultant d’une situation de conflit armé interne au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement réitère en substance les développements contenus dans la décision ministérielle entreprise. Il insiste sur le fait que le ministre aurait, à raison, refusé d’octroyer le statut de réfugié à Monsieur …, dans la mesure où les faits invoqués par ce dernier ne seraient pas crédibles et que les pièces versées, notamment la pièce d’identité, seraient fausses. En renvoyant à l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, il estime que le principe du bénéfice du doute ne pourrait être applicable, dans la mesure où les déclarations du demandeur ne seraient pas cohérentes, que sa crédibilité générale n’aurait pas pu être établie et que le ministre aurait réfuté les différents éléments de son récit.

En ce qui concerne la violation de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015, le délégué du gouvernement fait valoir que tant la décision ministérielle que le mémoire en réponse démontreraient que le ministre aurait procédé à une analyse individuelle, impartiale et objective des faits invoqués par le demandeur à la base de sa demande de protection internationale.

En ce qui concerne le statut de réfugié, le délégué du gouvernement relève que le demandeur manquerait d’établir le lien entre les menaces reçues par des personnes non identifiées et l’un des motifs de la Convention de Genève, de sorte qu’il ne pourrait faire valoir un risque de persécutions dans son chef. Il estime encore que les menaces orales et écrites ne seraient pas d’une gravité suffisante pour constituer des persécutions. Il ajoute, à ce propos, que le demandeur n’aurait pas non plus estimé que sa situation aurait été d’une gravité telle qu’il aurait eu à fuir immédiatement son pays d’origine, étant donné qu’il aurait attendu trois mois après avoir reçu les menaces et que la vente du magasin de son père et de la maison familiale se soient réalisés avant de quitter l’Afghanistan.

Quant à la protection subsidiaire, le délégué du gouvernement estime que le demandeur ne remplirait pas les conditions de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, en renvoyant à ses arguments développés dans la partie concernant le refus du statut de réfugié. Quant au point c) dudit article 48, il précise que la situation en Afghanistan ne serait pas telle que tout demandeur issu de ce pays pourrait se voir octroyer une protection subsidiaire en s’appuyant sur des arrêts de la Cour nationale d’asile française (CNDA) et à un jugement du tribunal administratif du 14 janvier 2021, inscrit sous le numéro 44166 du rôle. En ce qui concerne plus particulièrement la province de …, dont le demandeur serait originaire, il fait valoir que le niveau de violence aveugle n’atteindrait pas, selon lui, un niveau si élevé que la simple présence d’une personne entraînerait automatiquement un risque réel suffisant pour se voir octroyer une protection subsidiaire, tout en s’appuyant à cet égard sur un rapport de l’EASO de décembre 2020, intitulé « Country guidance :

Afghanistan ». Il ajoute que le demandeur n’aurait pas fait valoir des éléments personnels qui démontreraient qu’il serait spécifiquement visé en cas de retour dans son pays d’origine.

Finalement, le délégué du gouvernement estime que le demandeur pourrait aller s’installer à … ou à ….

Dans son mémoire supplémentaire ordonné par le tribunal en raison du changement du régime en Afghanistan suite à la prise de pouvoir par les Talibans en août 2021, après avoir retracé le parcours des Talibans depuis leur création en 1994 jusqu’à leur mainmise sur le gouvernement afghan en 2021, le demandeur explique que sa situation personnelle se serait aggravée, dans la mesure où le refus de se soumettre à un recrutement forcé ou sous contrainte dans un groupe armé non étatique serait un motif de persécution en raison des opinions politiques.

En premier lieu, il donne à considérer que, tout comme son père, il aurait refusé d’exécuter le projet d’assassinat d’un membre du gouvernement, qui aurait été commandité par les Talibans.

Il aurait, par la suite, reçu une lettre de menace de « l’Emirat islamique d’Afghanistan » qui aurait ordonné « à tous les chefs et commandants d’appréhender le dénommé …, fils de …, pour refus d’assistance aux forces de l’Emirat ». En s’emparant de l’article 38 de la loi du 18 décembre 2015, il estime que les évènements survenus sur le territoire afghan depuis août 2021 aggraveraient sa crainte d’être persécuté, étant donné que ses persécuteurs formeraient le gouvernement actuel de son pays d’origine et qu’ils pourraient, de ce fait, agir en toute impunité et mettre à exécution plus aisément leurs menaces à son encontre. Ainsi, il n’aurait plus aucune perspective de protection étatique.

Monsieur … fait également valoir, en renvoyant à un document du Conseil de sécurité des Nations Unies du 17 novembre 2021, intitulé « Conseil de sécurité: les Taliban, au pouvoir en Afghanistan, exhortés à « tenir leurs promesses » par la formation d’un gouvernement inclusif », que malgré l’amnistie générale ayant été accordée à ceux ayant servi le gouvernement précédent, les assassinats de représailles se poursuivraient en Afghanistan. En s’appuyant sur un rapport de l’EUAA de janvier 2022, intitulé « COI Report Afghanistan : Country focus », il souligne que les représentants talibans eux-mêmes auraient reconnu que leurs combattants auraient agi non selon la politique officielle, mais selon leur inimitié personnelle et leur désir de vengeance. Il en conclut que les personnes l’ayant menacé de mort maintiendraient leur volonté de mettre cette menace à exécution, en particulier dans un contexte où ils seraient libres d’agir de la sorte.

Dans ce contexte, après avoir relevé que l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaurerait une présomption réfragable en faveur de la victime ayant déjà subi des persécutions ou atteintes graves que sa crainte de faire à nouveau l’objet de tels actes en cas de retour dans sonpays d’origine serait fondée, à moins qu’il n’existe de « bonnes raisons » de penser que cette persécution ou ces atteintes graves ne se reproduiraient pas, le demandeur estime que compte tenu fait d’avoir déjà subi des violences physiques graves en ayant été poignardé et du fait d’avoir reçu des menaces de mort de la part des Talibans, il serait très difficile pour le ministre de renverser cette présomption.

En deuxième lieu, il ajoute que vu que son beau-frère aurait été un ancien militaire, réfugié en Iran, il risquerait, en tant que membre de la famille de ce dernier, que les Talibans s’en prennent à lui, étant donné qu’ils commettraient des assassinats ciblés contre les anciens membres des forces de sécurité, le demandeur renvoyant à cet égard à un rapport de Human Rights Watch de 2022, intitulé « World Report 2022 – Events of 2021 ». Il soutient que cette circonstance aggraverait le risque de persécutions auquel il devrait faire face en cas de retour dans son pays d’origine.

En troisième lieu, le demandeur indique que le fait d’avoir quitté son pays de manière irrégulière ou de se maintenir à l’étranger pourrait être perçu comme l’expression de certaines opinions politiques. En se basant sur un rapport de l’EUAA de janvier 2022, intitulé « COI Report Afghanistan : Country focus » qui soulignerait que les personnes ayant quitté l’Afghanistan seraient considérées comme dénuées de valeur islamique ou comme ayant fui pour se soustraire à la justice islamique, et sur un rapport de l’OSAR du 26 mars 2021, intitulé « Afghanistan : risques au retour liés à “l’occidentalisation” », dans lequel aurait été relevé qu’une grande difficulté d’intégration existerait en Afghanistan pour les rapatriés en raison d’un comportement et d’une apparence « occidentalisés », Monsieur … estime risquer de faire l’objet de violences de la part des populations civiles et des Talibans. Dans ce contexte, il donne à considérer que l’évolution de la situation dans son pays d’origine depuis août 2021 amplifierait ce phénomène de persécution envers les rapatriés du fait, d’une part, que les Talibans traqueraient et réprimeraient quotidiennement les comportements jugés contraires à leur interprétation de la Charia et, d’autre part, que la protection étatique qui aurait été, à l’époque, très peu présente à l’égard des rapatriés victimes de violence, serait désormais inexistante. Ainsi, en ayant fui l’Afghanistan vers le Luxembourg et en s’y étant maintenu pendant plus de deux ans, pays occidental où il aurait suivi une scolarité et aurait appris la langue, il s’exposerait à un réel risque d’être persécuté pour ses opinions politiques en cas de retour en Afghanistan.

Enfin, en citant un extrait d’un rapport de l’UNHCR de février 2022, intitulé « Guidance Note on the International Protection Needs of People Fleeing Afghanistan », il fait valoir qu’une fuite interne sur le territoire afghan serait impossible. Il ajoute que selon le rapport de l’EUAA de janvier 2022, intitulé « COI Report Afghanistan : Country focus », la majorité des cas de violence à l’encontre des civils entre le 16 août 2021 et le 15 novembre 2021 aurait été enregistrée dans les provinces de …, …, … et …. Ainsi, se rendre dans la province de … ne serait désormais plus sans risque de l’exposer à des menaces graves et individuelles en raison d’une violence aveugle. Il ajoute que dans l’éventualité où il serait transféré vers l’Afghanistan, l’unique aéroport étant à …, il serait obligé d’être confronté aux Talibans contrôlant la zone pour le transit aéroportuaire et serait de ce fait exposé à un risque trop important lié à la dangerosité de …. Il précise que le seul territoire qui aurait été inoccupé par les Talibans serait l’enclave de résistance du …, mais que le risque sécuritaire y serait particulièrement élevé, cette enclave étant une zone de combat entre les forces de résistance et les Talibans. Il estime, en renvoyant à un article de la BBC du 13 septembre 2021, intitulé « Afghanistan crisis : Taliban kill civilians in resistance stronghold », qu’il risquerait d’être tué comme l’auraient été 20 civils en septembre 2021. Il en conclut qu’il ne pourrait mener une existence conforme à la dignité humaine sur aucune partie du territoire afghan.

Dans son mémoire supplémentaire, le délégué du gouvernement fait tout d’abord valoir, en ce qui concerne le risque de persécutions pour avoir vécu plusieurs années en Europe, qu’aucune source d’informations publique pertinente et disponible ne permettrait de démontrer que le seul séjour en Europe d’un ressortissant afghan l’exposerait de manière systématique, en cas de retour dans son pays d’origine, à des persécutions ou à des atteintes graves de la part des Talibans et soutient, dans ce contexte, que la CNDA serait arrivée à la même conclusion dans un arrêt du 29 novembre 2021, n° 21025924. Il ajoute, à ce propos, que le demandeur ne ferait valoir aucun élément qui démontrerait qu’il aurait adopté un mode de vie occidentalisé, hormis le fait d’avoir suivi une scolarité au Luxembourg, ce qui serait insuffisant pour permettre de retenir qu’il risquerait de subir des persécutions et l’octroi du statut de réfugié.

Concernant la situation générale, le délégué du gouvernement soutient qu’au regard des informations disponibles, il ne serait pas établi que tous les ressortissants afghans seraient exposés à des actes susceptibles d’être qualifiés d’actes de persécution en Afghanistan. Il relève que le demandeur n’aurait pas établi qu’il risquerait d’être persécuté par les Talibans, dans la mesure où les déclarations du demandeur en lien avec les Talibans manqueraient de crédibilité et en conclut que ce dernier ne ferait état que d’une crainte hypothétique.

En ce qui concerne le point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, le délégué du gouvernement soutient qu’il ne pourrait plus être applicable, dans la mesure où il n’y aurait plus de conflit armé caractérisé par des violences aveugles en Afghanistan depuis la prise de pouvoir des Talibans, tout en renvoyant à cet égard à un arrêt de la CNDA du 21 septembre 2021, n° 18037855, dans lequel elle aurait retenu que la victoire militaire des forces talibanes conjuguée à la désagrégation des autorités gouvernementales et de l’armée nationale afghane et au retrait des forces armées étrangères aurait, pour l’essentiel, mis fin au conflit armé qu’aurait connu le pays depuis plusieurs années. Il renvoie également à des rapports publiés par l’EASO en novembre 2021, intitulé « Country Guidance : Afghanistan », duquel il ressortirait que le seul fait d’être originaire d’Afghanistan ne serait pas suffisant pour se voir octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire sur base de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, et publié par l’EUAA en janvier 2022, intitulé « Afghanistan Country focus : Country of Origin information Report », dans lequel une diminution des attaques aurait été notée depuis la prise de pouvoir par les Talibans et que la majorité des cas de violence à l’encontre des civils aurait été enregistrée dans les provinces de …, …, … et … Il ajoute, en s’appuyant sur le prédit rapport de l’EUAA de janvier 2022, que le niveau de violences aveugles dans la province de …, région d’origine du demandeur, n’atteindrait pas un niveau si élevé que la simple présence d’une personne entraînerait automatiquement un risque réel suffisant pour appliquer l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015. Il en conclut que, le demandeur n’ayant apporté aucun élément permettant de retenir le contraire, le refus ministériel serait aussi à confirmer sur ce point.

En ce qui concerne la fuite interne, le délégué du gouvernement maintient les arguments développés dans la décision ministérielle, en ajoutant que l’analyse du demandeur des violences commises dans son pays d’origine se serait arrêtée mi-novembre 2021 et qu’elle prendrait en compte celles qui auraient été commises par les Talibans afin d’arriver au pouvoir. Il précise que Monsieur … n’ayant pas eu d’ennuis personnels avec ces derniers, il pourrait se réinstaller à … ou ….

Enfin, concernant l’emploi de militaire du beau-frère du demandeur, le délégué du gouvernement fait valoir qu’il s’agirait d’un fait non personnel et qu’il ne serait pas établi que son beau-frère aurait eu des problèmes avec les Talibans ou que ces derniers s’intéresseraient à sapersonne ou à sa famille, ni même qu’ils le rechercheraient, en affirmant que son beau-frère serait un personnage inconnu et sans importance particulière pour les Talibans.

Quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur reproche tout d’abord au ministre une mauvaise instruction de son dossier en violation de l’article 10 (3) a) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « […] Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que : a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement […] ».

Or, il ne se dégage pas des éléments à la disposition du tribunal que la décision litigieuse n’ait pas été prise individuellement, objectivement et impartialement.

La seule circonstance selon laquelle l’instruction de la demande de Monsieur …, respectivement l’appréciation que le ministre a faite de ses déclarations lors de ses auditions n’ait pas abouti à l’octroi d’une protection internationale ne permet, en tout état de cause, pas au demandeur de soutenir valablement que l’article 10 (3) de la loi du 18 décembre 2015 aurait été violé. Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 10 (3) de la loi du 18 décembre 2015 est rejeté.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

« a) l’Etat;

15 b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Il échet de préciser que, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, le tribunal doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En ce qui concerne tout l’abord le récit du demandeur ayant trait à son refus d’exécuter la mission qui aurait été attribuée par les Talibans à son père dans un premier temps et qui lui aurait été ensuite imposée, il se dégage du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Monsieur … à ce propos ne serait pas crédible.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.3 En l’espèce, le tribunal partage les doutes du ministre et du délégué du gouvernement quant à la crédibilité du récit du demandeur ayant trait aux menaces émanant des Talibans.

En effet, force est de constater qu’il apparaît peu vraisemblable que les Talibans aient insisté pour que le père de Monsieur …, qui n’aurait pourtant pas été l’un de leurs membres et qui, en outre, leur aurait été inconnu, pose une bombe pour assassiner un homme politique, et qu’après avoir refusé puis les avoir dénoncés aux autorités afghanes, ils l’aient enlevé et aient obligé son fils à accomplir cette même mission.

Il apparaît encore invraisemblable que, compte tenu des efforts d’ores et déjà déployés dans l’organisation de cet attentat, les Talibans aient finalement renoncé à leur plan consistant à attaquer ledit homme politique en raison de la fuite de Monsieur …, alors qu’il ressort des recherches étatiques – non remises en cause par le demandeur – que cet homme politique était toujours en vie et n’avait pas fait l’objet d’une quelconque attaque.

Si le demandeur invoque un arrêt de la CourEDH du 9 mars 2010, « R.C. c. Suède », n° 41827/07 pour faire valoir qu’en cas d’invraisemblance de certains aspects de son récit, il serait nécessaire de vérifier la crédibilité générale de ses déclarations, force est néanmoins de constater qu’en l’espèce, les invraisemblances touchent l’intégralité de son récit concernant les menaces des Talibans suite à son refus d’assassiner un homme politique et non pas quelques points de celui-ci, de sorte à ne pas permettre de passer outre et considérer ledit récit comme pouvant être crédible.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par la farde de pièces n° 2 déposée par le demandeur au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2022, contenant des photos d’un homme 3 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 138 et les autres références y citées.âgé qui serait son père et qui serait décédé mi-mars 2022 après avoir été retenu pendant plusieurs années par les Talibans et dont le corps présenterait des traces de violences.

Au contraire, cet élément confirme les doutes quant au récit du demandeur, dans la mesure où il apparaît peu probable que les Talibans qui auraient enlevé son père en 2019 en réponse à sa dénonciation, l’aient gardé pendant près de trois années en otage, et que début 2022, « le corps meurtri du père [du demandeur] après avoir été roué de coups par les talibans en guise de représailles pour ne pas avoir exécuté un ordre de mission, a été remis et laissé pour mort à la famille [du demandeur] », tel qu’il ressort des explications du litismandataire de Monsieur … dans son courrier du 2 mai 2022.

Au vu de ces considérations, le tribunal tiendra dès lors uniquement compte, dans son analyse, des motifs du demandeur ayant trait à ses craintes vis-à-vis des Talibans (i) pour avoir passé plusieurs années en Europe et (ii) en raison de l’emploi de son beau-frère au sein de l’armée afghane.

En ce qui concerne les craintes du demandeur de subir des persécutions de la part des Talibans pour avoir passé plusieurs années en Europe, le tribunal est amené à constater de prime abord que Monsieur … ne fournit aucune source d’informations permettant de démontrer que le seul séjour en Europe d’un ressortissant afghan l’exposerait de manière systématique, en cas de retour dans son pays d’origine, à des persécutions de la part des Talibans, les documents versés à cet égard indiquant que la population et les Talibans seraient suspicieux à l’égard des Afghans revenant d’un pays occidental étant en effet insuffisants. Il lui appartient, en outre, de fournir l’ensemble des éléments propres à sa situation personnelle permettant d’établir qu’il a acquis un profil occidentalisé ou que ce profil risque de lui être imputé, la simple invocation de la durée de son séjour en Europe ou du fait d’y avoir suivi une scolarité n’étant pas suffisante pour considérer qu’il aurait acquis les valeurs, le mode de vie, les us et coutumes des pays occidentaux.

Par ailleurs, le tribunal a été amené à retenir dans un jugement du 9 juin 2022, inscrit sous le numéro 45899 du rôle, qu’il ressortait d’un rapport de l’EASO du 11 novembre 2021, intitulé « Country Guidance Afghanistan 2021 », que les risques de persécution en raison de l’occidentalisation d’un demandeur de protection internationale concernaient surtout les femmes et les enfants qui ont été habitués à la liberté et à l’indépendance en ayant vécu plusieurs années dans un pays occidental et que « With regard to men, societal attitudes towards ‘Westernised’ individuals are mixed. Men with ‘Western’ values or who return from western countries can be regarded with suspicion and may face stigmatisation or rejection. », ces attitudes ne pouvant constituer des persécutions pour être insuffisamment graves au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015.

Enfin, en ce qui concerne l’emploi de son beau-frère au sein de l’armée afghane, il échet de relever que des faits non personnels mais vécus par d’autres individus ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières. Or, si le demandeur soutient que les Talibans persécuteraient les personnes ayant travaillé pour l’Etat afghan et leur famille, ce dernier reste en défaut non seulement de donner des informations sur le grade et le rôle de son beau-frère au sein de l’armée ou sur l’histoire personnelle de ce dernier, notamment sur les persécutions qu’il aurait subies, mais encore de démontrer qu’il risquerait de subir une quelconque persécution de ce fait, de sorte que la simple appartenance à la famille par alliance d’un membre de l’armée afghane ne peut laisser présager qu’il subisse despersécutions de la part des Talibans. Les craintes de Monsieur … à cet égard étant purement hypothétiques, elles ne sauraient permettre l’octroi d’un statut de réfugié dans son chef.

Partant, le tribunal est amené à constater que le ministre a, à bon droit, retenu que les faits relatés par le demandeur ne permettaient l’octroi du statut de réfugié dans son chef, de sorte que le recours encourt le rejet pour ne pas être fondé sur ce point.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

En ce qui concerne l’occidentalisation du demandeur, le tribunal est amené à réitérer ses constatations faites dans le cadre du recours visant le refus du statut de réfugié. En effet, si les personnes « occidentalisées », majeures et de sexe masculin, qui retournent en Afghanistan peuvent être regardées avec suspicion ou peuvent faire face à la stigmatisation ou au rejet, ces faits ne sont cependant pas susceptibles d’être considérés comme pouvant constituer des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

En ce qui concerne l’emploi de son beau-frère dans l’armée, le tribunal est également amené à réitérer son analyse faite ci-avant, en ce qu’il s’agit d’un fait non personnel pour lequel le demandeur reste en défaut de démontrer (i) que son beau-frère aurait fait l’objet de traitements inhumains et dégradants en raison de ses fonctions et (ii) qu’il risquerait de faire l’objet des mêmes traitements en raison de son appartenance par alliance à la famille de ce dernier, de sorte que ses craintes sont purement hypothétiques et ne peuvent permettre l’octroi d’une protection subsidiaire de ce fait.

Partant, il échet d’ores et déjà de conclure, au vu des développements qui précèdent, que le demandeur reste en défaut de démontrer que les conditions de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 seraient remplies dans son chef.

Enfin, Monsieur … se prévaut de la situation de conflit armé régnant dans son pays d’origine et en conclut, en substance, qu’il devrait obtenir la protection subsidiaire sur base de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Afin qu’un statut de protection subsidiaire puisse être octroyé au demandeur conformément à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, il doit être question, dans son chef, d’une menace grave contre sa vie ou sa personne, en tant que civil, en raison de la violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international. Cette disposition législative constitue la transposition de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par « la directive 2011/95 ». Son contenu est distinct de celui de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », et son interprétation doit, dès lors, être effectuée de manière autonome tout en restant dans le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH4.

Il convient par conséquent de tenir compte des enseignements de l’arrêt Elgafaji du 17 février 2009 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui distingue deux situations: (i) celle où il « existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive »5 et (ii) celle qui prend en compte les caractéristiques propres du demandeur, la CJUE précisant que « […] plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est 4 CJUE, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C-465/07, paragraphe 28.

5 Ibid., paragraphe 35.affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire »6.

Dans la première hypothèse, le degré atteint par la violence aveugle est tel que celle-ci affecte tout civil se trouvant sur le territoire où elle sévit, de sorte que s’il est établi qu’un demandeur est un civil originaire de ce pays ou de cette région, il doit être considéré qu’il encourrait un risque réel de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle s’il était renvoyé dans cette région ou ce pays, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-

ci, sans qu’il soit nécessaire de procéder, en outre, à l’examen d’autres circonstances qui lui seraient propres.

Dans ce contexte, la CJUE a précisé, dans un arrêt du 10 juin 2021, « CF, DN c.

Bundesrepublik Deutschland », C-901/19, que lors de l’évaluation individuelle d’une demande de protection subsidiaire, prévue à l’article 4 (3) de la directive 2011/95, il peut notamment être tenu compte de la proportion entre le nombre total de civils vivant dans la région concernée et les victimes effectives des violences perpétrées par les parties au conflit contre la vie ou l’intégrité physique des civils dans cette région7, de l’intensité des affrontements armés, du niveau d’organisation des forces armées en présence, de la durée du conflit, de l’étendue géographique de la situation de violence aveugle, de la destination effective du demandeur en cas de renvoi dans le pays ou la région concernés et de l’agression éventuellement intentionnelle contre des civils exercée par les belligérants, en tant qu’éléments entrant en ligne de compte dans l’appréciation du risque réel d’atteintes graves8.

La seconde hypothèse concerne des situations où il existe une violence aveugle, ou indiscriminée, c’est-à-dire une violence qui frappe des personnes indistinctement, sans qu’elles ne soient ciblées spécifiquement, mais où cette violence n’atteint pas un niveau tel que tout civil courrait du seul fait de sa présence dans le pays ou la région en question un risque réel de subir des menaces graves pour sa vie ou sa personne. La CJUE a jugé que dans une telle situation, il convenait de prendre en considération d’éventuels éléments propres à la situation personnelle du demandeur aggravant dans son chef le risque lié à la violence aveugle.

En l’espèce, force est de relever qu’il ressort du rapport de l’EUAA de janvier 2022, intitulé « COI Report Afghanistan : Country focus », cité par les parties, que le retrait des forces armées étrangères et l’arrivée au pouvoir des Talibans en août 2021 a, pour l’essentiel, mis fin au conflit armé qui sévissait dans le pays depuis des années, même si des attaques sporadiques, principalement de la part de l’Etat islamique, ont encore lieu dans certaines régions du pays.

Or, tel que relevé par le demandeur, l’EUAA a constaté, dans ledit rapport, que la majorité des cas de violence à l’encontre des civils entre le 16 août 2021 et le 15 novembre 2021 aurait été enregistrée dans les provinces de …, …, … et …, et qu’en conséquence, la province de …, dont le demandeur est originaire, a été relativement épargnée par les violences hormis durant la période du 6 au 12 septembre 2021.

Force est également au tribunal de constater que dans un arrêt récent la Cour administrative a retenu que « […] il ne se dégage pas à suffisance des éléments soumis à la Cour qu’il convienne 6 Ibid., paragraphe 39.

7 CJUE, 10 juin 2021, CF et DN contre Bundesrepublik Deutschland, C-901/19, paragraphe 32.

8 Ibid., paragraphe 43.de retenir, à l’heure actuelle, une situation de conflit armé caractérisé par des violences aveugles depuis la prise de pouvoir des Talibans.

Au regard des éléments lui soumis relativement à la situation sécuritaire existant en Afghanistan, où consécutivement à la prise de pouvoir par les Talibans le conflit armé a généralement cessé sur la majorité du territoire afghan, dont tant la province originaire des appelants que la ville de …, où les appelants avaient apparemment pu trouver refuge pendant plusieurs années, les appelants ne font pas état de considérations suffisantes justifiant dans leur chef la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire sur base du point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. […] »9.

Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à conclure que le demandeur ne remplit pas les critères prévus à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 et que le ministre a, dès lors, valablement pu rejeter la demande de protection subsidiaire de l’intéressé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur estime principalement que ce volet de la décision ministérielle devrait encourir la réformation, en conséquence de la réformation du premier volet de la décision portant refus de l’octroi d’une protection internationale dans son chef et, subsidiairement, il conclut à la réformation de la décision ministérielle pour violation des articles 2 et 3 de la CEDH, et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après dénommée « la Charte », alors qu’elle serait entachée d’une erreur d’appréciation de sa situation individuelle eu égard à la situation générale prévalant dans son pays d’origine.

A cet effet, il se réfère à plusieurs arrêts de la CourEDH, d’abord du 11 janvier 2007 dans l’affaire « Salah Sheekh c. Pays-Bas », n° 1948/04, et plus particulièrement aux considérants 135 et 136, puis du 7 juillet 1989 dans l’affaire « Soering c. Royaume-Uni », n° 14038/88, considérant 90, avant de préciser qu’au vu de ses circonstances personnelles et particulières, la protection offerte par les articles 2 et 3 de la CEDH et 4 de la Charte serait illusoire s’il était renvoyé dans son pays d’origine en dépit de la situation sécuritaire, sanitaire et humanitaire déplorable et catastrophique qui y prévaudrait actuellement. En s’appuyant sur une publication de l’UNHCR Deutschland du 11 juin 2019, intitulée « UNHCR warnt vor umfassenden Abschiebungen nach Afghanistan », sur le guide des procédures du même organisme publié le 30 août 2018, précité, et sur le rapport de l’OSAR du 12 septembre 2019, intitulé « Afghanistan : Profils à risque », il soutient qu’un retour dans son pays d’origine emporterait violation des prédits articles de la CEDH et de la Charte, ainsi que de l’article 33 (1) de la Convention de Genève et de l’article 19 de la Charte interdisant le refoulement des demandeurs de protection internationale déboutés de leur demande, en citant à cet égard une note de l’UNHCR sur la protection internationale du 13 novembre 2001 portant la référence A/AC.96/951, §16. Le demandeur soutient que même s’il n’était éligible ni pour le statut de réfugié ni pour le statut conféré par la protection subsidiaire, il devrait pouvoir bénéficier en tout état de cause de la protection contre l’expulsion vers l’Afghanistan où il encourrait un risque réel et suffisamment grave d’atteintes pour sa vie et son 9 Cour adm., 19 mai 2022, n° 46374C, disponible sous www.jurad.etat.lu.intégrité physique et morale ou d’autres formes de traitements inhumains et dégradants. Il estime encore que contrairement à la protection accordée par la Convention de Genève qui serait limitée à un groupe restreint de personnes, la protection contre le refoulement ne serait assortie d’aucune restriction, de sorte à être absolue, ce même caractère ayant été affirmé par la CJUE dans son arrêt « Abdida » du 18 décembre 2014, C-562/13. Le demandeur soutient également que la CourEDH aurait jugé dans l’affaire « Al Hanchi c. Bosnie-Herzégovine » du 15 novembre 2011, n° 48205/09, que si les Etats ont le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’expulsion des ressortissants étrangers, ils devraient toutefois veiller à ce que les expulsions n’exposent pas les personnes concernées à des risques de torture ou d’autres formes de mauvais traitements dans le pays de renvoi.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, dans la mesure où l’ordre de quitter le territoire découlerait directement de la décision rejetant l’octroi d’une protection internationale.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de Monsieur … dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il convient ensuite de rappeler que l’article 2 de la CEDH protège le droit à la vie et que les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte proscrivent, tous deux, la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Dans ce contexte, il échet de préciser que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques doit présenter une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Afghanistan, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de tout risque réel et actuel de subir une exécution ou la peine de mort au sens de l’article 48 a) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la même loi, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH,10 le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec les articles 2 et 3 de la CEDH, ou 4 de la Charte, de sorte que le moyen y afférent encourt le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour être également non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation dirigé à l’encontre de la décision ministérielle du 1er mars 2021 portant refus d’une protection internationale dans le chef de Monsieur … ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant, en déboute ;

dit qu’il n’y pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

10 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, pt. 59. Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 4 juillet 2022 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s. Lejila Adrovic s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 juillet 2022 Le greffier du tribunal administratif 25


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 45723
Date de la décision : 04/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-07-04;45723 ?

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