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04/07/2022 | LUXEMBOURG | N°45615

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2022, 45615


Tribunal administratif N° 45615 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 février 2021 2e chambre Audience publique du 4 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45615 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 février 2021 par Maître Frank Greff, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (...

Tribunal administratif N° 45615 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 février 2021 2e chambre Audience publique du 4 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45615 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 février 2021 par Maître Frank Greff, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Cameroun), de nationalité camerounaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 janvier 2021 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 avril 2021 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication du 8 juin 2022 de Maître Frank Greff, suivant laquelle celui-ci marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en sa plaidoirie à l’audience publique du 9 juin 2022.

Le 30 décembre 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1 Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Toujours le 30 décembre 2019, l’intéressé passa un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après dénommé le « règlement Dublin III ».

Une recherche dans la base de données EURODAC le même jour révéla que Monsieur … avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 14 décembre 2016.

Par arrêté du 30 décembre 2019, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.

Le 8 janvier 2020, les autorités luxembourgeoises adressèrent aux autorités italiennes une demande de reprise en charge de l’intéressé sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande que lesdites autorités acceptèrent par courrier du 20 janvier 2020, étant relevé que le transfert ne put finalement pas être effectué dans les délais prévus, raison pour laquelle que le Luxembourg est devenu responsable du traitement de la demande de protection internationale de Monsieur ….

Les 4 novembre et 16 décembre 2020, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 5 janvier 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 30 décembre 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Monsieur, relevons tout d’abord que vous êtes connu en Europe sous différentes identités en sus de celle que vous avez déclaré au Luxembourg au moment de l’introduction de votre demande de protection internationale, à savoir …, né le …, de nationalité camerounaise, …, né le …, de nationalité camerounaise et …, né le …, de nationalité camerounaise.

La comparaison de vos empreintes avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 14 décembre 2016. Le 30 décembre 2019 vous êtes venu au Luxembourg et y avez introduit une 2 nouvelle demande de protection internationale. Vous avez par la suite été assigné à résidence à la structure d’hébergement d'urgence du Kirchberg. Une demande de reprise en charge a été introduite auprès des autorités italiennes qui ont tacitement accepté la demande en date du 20 janvier 2020. Votre transfert n’a pourtant pas pu être effectué dans les délais prévus, raison pour laquelle le Luxembourg est entretemps devenu responsable du traitement de votre demande de protection internationale.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 30 décembre 2019, le rapport d'entretien Dublin III du 30 décembre 2019 ainsi que le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 4 novembre 2020 et du 16 décembre 2020 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Monsieur, il résulte du rapport de police que vous auriez quitté le Cameroun « da dort Krieg herrscht » (rapport de police) et vous avez noté sur la fiche des motifs que « J'ai quitté le Cameroun suite à la guerre de Boko-Aram dans la zone de … » (fiche des motifs).

Il ressort de vos déclarations que vous seriez né à … et que vous auriez vécu avec vos parents et votre fratrie à … à partir de l'âge de cinq ans. Vous auriez tous déménagé à … en 2016, une ville située dans le Nord du Cameroun afin que votre père puisse exercer son métier de commerçant d'objets d'art.

En ce qui concerne votre départ du Cameroun, vous déclarez avoir quitté votre pays d’origine en mars 2016 en direction de la Libye, via le Nigéria, le Niger et l’Algérie. Vous auriez rejoint l’Italie par bateau. Vous y seriez resté pendant environ trois ans et auriez ensuite décidé de venir au Luxembourg en bus.

Vous expliquez que vous seriez venu au Luxembourg le 30 décembre 2019 parce qu’en Italie votre « demande a été rejetée. J’ai fait un recours mais sans succès » (p.5/8 du rapport d'entretien Dublin III). Plus tard, vous changez de version et expliquez que « J’ai ouvert une demande en Italie mais je n’ai jamais eu de réponse » (p.4/13 du rapport d'entretien).

En ce qui concerne les motifs de votre départ du Cameroun, vous expliquez qu’une de vos soeurs aurait été blessée lors d’une attaque de Boko Haram à …. Vous expliquez que « Cela n’avait plus d’utilité de rester là et d’être privé de tout et attendre à ce que Boko Haram vient à la maison » (p.9/13 du rapport d’entretien), raison pour laquelle vous auriez décidé de quitter le pays trois jours plus tard en mars 2016.

Lors de la continuation de votre entretien six semaines plus tard, vous évoquez pour la première fois votre bisexualité et une discrimination de la part de votre famille relative à votre orientation sexuelle comme raison vous ayant poussé à quitter le Cameroun. Dans ce contexte, vous évoquez avoir découvert « une attirance pour mes copains » (p.5/13 du rapport d’entretien) à partir de 14 ans. Vous vous seriez confié à votre oncle qui aurait à son tour parlé à vos parents. Après leur mauvaise réaction, vous auriez vécu dans la rue à … pendant six 3 mois, puis vous auriez dormi dans le garage familial pendant quatre mois avant de retourner chez vos parents. Une fois de retour dans la maison, vous auriez été « privé de liberté » (p.8/13 du rapport d'entretien) et isolé de la vie quotidienne. En 2014, vous auriez porté plainte contre votre père « pour maltraitance », à savoir « de manger une fois par jour et je ne pouvais plus aller à l’école », en raison de votre orientation sexuelle (p.10/13 du rapport d'entretien).

Vous ne présentez pas de document d’identité. Vous versez une lettre de la Fédération Luxembourgeoise d’Haltérophilie, de Lutte et de Powerlifting attestant que vous y êtes affilié et que vous possédez une licence de compétition 2020 de Powerlifting au SC Hamm 1970.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant à la crédibilité de votre récit Monsieur, notons que le fait suivant n’est pas pris en considération dans le cadre de l’analyse de votre demande alors qu’il n’est manifestement pas avéré. En effet, le volet de votre récit ayant trait à votre prétendue bisexualité n’est manifestement pas crédible.

Monsieur, lors de l’introduction de votre demande de protection internationale le 30 décembre 2019 vous évoquez clairement que vous auriez quitté le Cameroun « da dort Krieg herrscht » (rapport de police), « J’ai quitté le Cameroun suite à la guerre de Boko-Aram dans la zone de … » (fiche des motifs). Auditionné par un agent du ministère le 4 novembre 2020, vous confirmez vos dires et expliquez de manière claire qu’ « Il y avait une attaque de Boko Haram. C’était arrivé quelques jours après notre arrivée. Ma soeur … a été grièvement blessée.

J’ai décidé de partir » (p.4/13 du rapport d'entretien). A aucun moment vous n’avez mentionné votre prétendue bisexualité. Ce n’est que six semaines plus tard que vous développez cette partie de votre récit lors de la continuation de votre entretien. Invité à expliquer cette incohérence, vous répondez que « C’était le stress… en arrivant ici j'ai remarqué que des entretiens ont été annulés, en plus ce n’était pas vous mais un autre collègue qui me disait qu’il connaît pas le Cameroun. Cette situation m’a fait oublier » (p.10/13 du rapport d'entretien).

Or ceci ne constitue aucunement une explication convaincante.

Force est ainsi de constater que vous avez indubitablement inventé et ajouté des éléments supplémentaires à votre récit lors de la procédure de demande de protection internationale et ce certainement dans le but d'augmenter vos chances d'obtenir une telle protection.

Il est ensuite à noter que « la détermination de la situation de LGBTI d’un demandeur est essentiellement une question de crédibilité ». Or, le caractère simpliste et peu vraisemblable de vos déclarations altère la crédibilité de vos déclarations.

Monsieur, vos propos en relation avec votre prétendue bisexualité restent très généraux et ne sont soutenus par aucun détail spécifique et personnel. Vous avez manifestement du mal à donner des informations respectivement des détails sur votre prétendue bisexualité, votre ressenti et vos sentiments. Il faut en effet constater que vous êtes de manière générale peu 4 loquace concernant votre vécu. Vous décrivez votre ressenti après avoir découvert d'être attiré par des hommes que « Pour moi cela pouvait arriver… c’était normal. Je n’étais pas surpris » (p.5/13 du rapport d’entretien). Il est en outre à noter que vous restez imprécis, vague et excessivement général lorsque vous êtes interrogé sur vos sentiment, votre ressenti et de manière générale votre état d’esprit. Vous répondez essentiellement par des phrases courtes, donnez des réponses essentiellement vagues et générales totalement dénuées d'émotions ce qui est plus que surprenant venant d’une personne qui aurait dû abandonner son pays, sa famille en raison de son orientation sexuelle. Un jeune homme qui découvre sa sexualité passe par des étapes de remise en question, d’interrogations, de doutes, de peur - sentiments dont vous ne faites aucunement état ce qui laisse conclure que vous n’avez pas vécu ces étapes. Vos propos sont de l’ordre de « J'étais confus dans mes pensées […] Je suis resté dans cette période de turbulence…je l’ai géré comme ça » (p.11/13 du rapport d’entretien). Vous donnez de cette situation une description extrêmement vague ce qui remet en question la réalité de vos dires.

Ainsi, le manque de détail de vos déclarations concernant votre ressenti entache la crédibilité quant à votre prétendue bisexualité.

A cela s'ajoute que vous n’avez aucune connaissance sur la communauté LGBTI au Cameroun. Vous n’êtes même pas en mesure de mentionner une organisation active dans la défense des droits de la communauté LGBTI. Interrogé s’il existe des organisations LGBTI au Cameroun vous répondez : « Non, je ne savais pas à qui m'adresser […] Je n’ai jamais entendu parler de ces associations » (p.11/13 du rapport d'entretien). Or, dans ce contexte il échet de noter qu'il existe effectivement plus de 20 ONG LGBTI au Cameroun, dont la plus ancienne dénommée « Alternatives Cameroun » créée en 2006 et a son siège à …. Ce manque de connaissances venant d’une personne qui aurait découvert son bisexualité à l’âge de 14 ans est invraisemblable d’autant plus qu’il s’agit d’informations qui sont disponibles en quelques clics sur Internet à tout le monde qui souhaite obtenir des renseignements. Il est partant constant que vous n'avez jamais tenté de trouver ces informations car vous n'en aviez pas besoin alors que tout ce pan de votre récit est inventé.

Au vu de ce qui précède on peut conclure que vous n'êtes manifestement pas bisexuel contrairement à ce que vous tentez de nous faire croire et que vous avez inventé vos problèmes quant à votre orientation sexuelle de toutes pièces pour augmenter vos chances d'obtenir une protection internationale au Luxembourg.

Monsieur, à cela s’ajoute que le comportement dont vous avez fait preuve est totalement incompatible avec celui d’une personne réellement persécutée et vraiment à la recherche d’une protection dans un pays sûr.

Vous avez induit en erreur les autorités en ce qui concerne votre identité en présentant de fausses indications. En effet Monsieur, vous avez depuis votre arrivée en Europe utilisé trois alias, vous n’avez jamais de remis de documents d’identité et tentez ainsi ostentatoirement de cacher votre réelle identité. Notons qu’une personne réellement persécutée collabore en principe avec les autorités et ne tente pas ostentatoirement de dissimuler son identité.

A cela s’ajoute que vous indiquez avoir délibérément décidé de ne pas rester en Italie, où vous avez introduit une demande de protection internationale le 14 décembre 2016 ce qui confirme que vous n’êtes nullement victime d’une persécution dans votre pays d’origine. Vous indiquez que vous seriez venu au Luxembourg parce qu'en Italie « les conditions de vie sont difficiles. Il y a aussi le problème de racisme » (p.7/13 du rapport d'entretien). Or, un 5 demandeur de protection internationale ne saurait choisir le pays où il introduit une demande de protection internationale pour des seules considérations de convenance personnelle.

Ceci étant dit, notons que l’analyse de votre demande portera uniquement sur votre peur de Boko Haram après que votre soeur aurait été blessée lors d'une attaque.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée la « Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

En ce qui concerne le fait que votre soeur aurait été blessée lors d'une attaque de Boko Haram, il convient de noter qu’il s’agit en l'occurrence d’un fait non personnel. Or, des faits non personnels mais vécus par un membre de la famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d’être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières. Or, vous restez en défaut d’étayer un tel lien.

Vous indiquez en effet en réponse à la question « Que pouvez-vous me dire sur Boko Haram ?» que «Je ne connais pas leurs revendications, j’ai lu dans les journaux qu’il s’agit d'une secte islamique et c’est tous ce que je sais dire [… ] Je ne sais pas grand-chose » (p.8,9/13 du rapport d'entretien).

Il convient dès lors de constater que vous n’avez à aucun moment avoir été menacé ou attaqué personnellement dans votre pays d’origine par Boko Haram et que vos craintes sont dès lors à qualifier de purement hypothétiques.

Or de simples craintes hypothétiques ne sauraient être considérées comme une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Notons à titre d’information que « France, the United States, the United Kingdom, and Germany are Cameroon’s principal partners, primarily in the context of operations to counter 6 Boko Haram in the country’s Far North region. Both France and the US provide Cameroon with significant military and security assistance and training » et que « Tchad had cooperated actively with Cameroon, Niger, and Nigeria in operations to counter the threat of Boko Haram and ISIS-WA on its borders ».

A cela s’ajoute qu'il convient de constater que vous êtes majeur et donc parfaitement capable de vous installer dans un autre partie de votre pays d’origine pour être à l’abri d'éventuelles attaques de « Boko Haram », vu que Boko Haram n’agit qu’au extrême nord du Cameroun: « BH crosses porous Lake Chad region borders to target civilians and military personnel in northeast Nigeria, the Far North Region of Cameroon, and parts of Chad and Niger ».

Rappelons que vous avez-vous-même pris la décision de ne pas rester en Italie, où vous avez introduit une demande de protection internationale en 2016, en raison de conditions de vie difficiles. Or, notons que cette décision est manifestement de nature à mettre en doute la gravité de votre situation dans votre pays d’origine, alors qu’un demandeur de protection internationale ne saurait choisir le pays où il introduit une demande de protection internationale pour des seules considérations de convenance personnelle.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d’être persécuté respectivement que vous risquez d’être persécuté en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens 7 de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

3. Quant à la fuite interne En vertu de l’article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine, il n’y a aucune raison de craindre d’être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d’estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d’une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d’origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l’UNHCR, l’alternative de la fuite interne s’applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu’en termes de sécurité.

En l’espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n’auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d’origine.

Or, nous estimons que vous auriez par exemple pu vous réinstaller à Yaoundé, la capitale politique du Cameroun et peuplée de 4 100 000 habitants d’habitants en 2019, au lieu de partir en direction de l’Europe. A cela s’ajoute que l’économie camerounaise, qui est la plus diversifiée de la région, a connu ces dernières années des taux de croissance au-delà des 4%, il convient donc de souligner qu’étant votre âge et votre parfaite condition pour vous adonner à des activités rémunérées, vous êtes dans une position qui pourrait vous permettre à gagner votre vie dans une ville camerounaise, en particulier à … où les industries comme brasseries, scieries, menuiseries, tabac, papeteries, mécanique et matériaux de construction se sont installées.

Notons à toutes fins utiles qu’un bureau camerounais de l’Organisation internationale pour la migration (OIM) est implanté à Yaoundé et aide les Camerounais qui reviennent dans leur pays d’origine à se réintégrer. L’initiative conjointe UE-OIM pour la protection et la réintégration des migrants lancée en 2017 « a pour objectif de contribuer au renforcement de la gestion des migrations et assurer la protection, le retour et la réintégration durable des Camerounais ». […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 février 2021, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 5 janvier 2021 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre 8 la décision du ministre du 5 janvier 2021, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, ses déclarations actées lors de ses auditions par un agent du ministère.

En droit, le demandeur reproche tout d’abord au ministre d’avoir remis en cause la crédibilité de son récit en lui opposant le fait de n’avoir invoqué sa prétendue bisexualité comme motif à la base de sa demande de protection internationale que lors de la continuation de son audition par la direction de l’Immigration. Ce faisant le ministre aurait tout simplement nié une partie importante de sa personnalité et donc porté atteinte à sa dignité et ce, en violation de l’article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ».

En premier lieu, il insiste sur les conditions anormales dans lesquelles se serait déroulée l’audition du 4 novembre 2020. Ainsi, le matin, peu après 9 heures et alors que de nombreuses personnes auraient été présentes devant les portes de la direction de l’Immigration, il y aurait eu des premières rumeurs suivant lesquelles les auditions seraient annulées à cause de cas positifs au virus Covid-19 parmi les agents responsables des auditions. A sa grande surprise, lui-même aurait été auditionné tandis que d’autres auditions auraient effectivement été annulées.

Le demandeur continue en soulignant que l’audition en question se serait déroulée dans un climat extrêmement anxiogène compte tenu du risque inhérent à une contamination.

A cette situation déjà difficile se serait ajoutée la circonstance non moins stressante que l’agent ayant mené l’audition aurait immédiatement expliqué ne pas être en charge du dossier du demandeur, ni s’occuper des dossiers camerounais, et qu’il ne ferait que remplacer une collègue pour effectuer la première partie de l’entretien.

Il fait ensuite valoir que l’audition n’aurait duré que 45 minutes environ tout en donnant à considérer que si elle avait duré toute la journée dans des circonstances ordinaires et si elle avait pu être achevée le même jour, il aurait « à l’ombre de tout doute », divulgué et exposé son orientation bisexuelle dès le 4 novembre 2020 et non pas seulement lors de la continuation de l’audition le 16 décembre 2020.

Le demandeur est encore d’avis que le fonctionnement, voire l’organisation interne des auditions au sein de la direction de l’Immigration, laquelle serait indépendante des récits exposés par les demandeurs de protection internationale, ne pourrait pas être mis en avant pour remettre en question la crédibilité de son récit.

En second lieu, le demandeur soutient que le seul fait qu’il n’ait pas immédiatement exposé son orientation sexuelle réelle ne pourrait pas être utilisé par le ministre pour remettre en cause sa crédibilité, tout en renvoyant, à cet égard, à un arrêt de principe de la Cour de 9 Justice de l’Union européenne (CJUE) du 2 décembre 2014, rendu dans les affaires jointes C-

148/13 à C-150/132.

En troisième lieu, et face au reproche ministériel suivant lequel il n’aurait aucune connaissance sur la communauté LGBTI au Cameroun, le demandeur donne à considérer qu’il serait fort douteux qu’un adolescent, résident luxembourgeois, vivant dans un pays où l’homosexualité n’est pas pénalement sanctionnée, et qui est en train de découvrir son orientation sexuelle, tout en tentant de cacher dans un premier temps son homosexualité ou sa bisexualité, connaisse le nom des organisations luxembourgeoises actives dans la défense des droits de la communauté LGBTI. Il ajoute que même s’il pouvait, le cas échéant, être affirmé qu’au Luxembourg, il est possible d’avoir accès à des informations relatives à de telles organisations « en quelques clics sur Internet », il ne faudrait pas perdre de vue que le demandeur vient d’un Etat africain interdisant sévèrement, en vertu de l’article 347-1 du Code pénal, toute relation homosexuelle. Par ailleurs, outre le fait que le ministre n’établirait pas que l’organisation « Alternatives Cameroun », qu’il cite à titre d’exemple, ait déjà eu un site internet accessible à tous entre 2012 et 2016, il serait encore un fait que le site internet en question ne serait que très peu accessible, de même que les quelques informations qu’il contiendrait s’avéreraient totalement inutiles pour un jeune camerounais souhaitant s’informer sur cette organisation et obtenir des conseils liés à son orientation sexuelle, ce d’autant plus lorsqu’il se poserait des questions sur les pratiques sexuelles liées à une bisexualité.

Le ministre se tromperait dès lors en affirmant qu’il serait facile d’obtenir des informations sur la communauté LGBTI au Cameroun.

A cela s’ajouterait qu’au vu de la pénalisation des relations sexuelles entre personnes de même sexe, il ne saurait être reproché à un jeune homme de s’abstenir de chercher un site pouvant l’aider, de peur de voir sa connexion retracée et d’être inquiété. Le demandeur se réfère à cet égard à un rapport de mission internationale d’enquête au Cameroun, intitulé « Les défenseurs des droits des personnes LGBTI confrontés à l’homophobie et la violence » publié en février 2015 par l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, faisant état du fait que le Cameroun détiendrait le taux d’arrestation des personnes LGBTI le plus élevé au monde.

Enfin, le demandeur reproche au ministre de procéder à une généralisation en se basant sur le cheminement psychologique qui existerait lorsqu’un mineur découvre sa sexualité. Il insiste, à cet égard, sur le fait que chacun se développerait suivant son vécu et ses aspirations tout en pouvant connaître de multiples phases, parfois même très rapprochées. A cela s’ajouterait que le ministre aurait une vision très actualisée de l’homosexualité ou de la bisexualité et donc très occidentale. Au vu de toutes ces considérations, il y aurait lieu de conclure à l’absence de contradictions dans les propos du demandeur, contrairement à ce qu’a retenu le ministre.

En ce qui concerne ensuite le refus ministériel de lui octroyer le statut de réfugié, il reproche au ministre d’avoir conclu à tort que les raisons l’ayant amené à quitter son pays d’origine ne seraient pas suffisamment graves pour retenir une crainte fondée de persécution au sens de la loi du 18 décembre 2015 et de la Convention de Genève.

2 CJUE, 2 décembre 2014, A, B et C c. Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, affaires jointes C-148/13 à C-

150/13.

10 En effet, il serait établi sans équivoque qu’en cas de retour au Cameroun, il risquerait des persécutions, en l’occurrence la privation des droits les plus élémentaires, tels que l’accès aux soins, et des condamnations pénales pouvant aller jusqu’à des peines d’emprisonnement qu’il devrait en plus purger dans des conditions dégradantes, s’il divulguait son orientation sexuelle ou si celle-ci était découverte par la société camerounaise, notamment par la communauté très traditionnaliste fortement attachée à l’interdiction stricte de toute relation homosexuelle. Il insiste, à cet égard, sur le fait qu’il ne ferait pas de doute que, sur base des textes actuellement en vigueur, lesquels seraient bien appliqués, les membres des minorités sexuelles seraient arrêtés dans des conditions dégradantes et poursuivis pénalement.

Comme l’homosexualité serait pénalement sanctionnée au Cameroun et que le pouvoir politique camerounais n’envisagerait pas d’abolir cette disposition légale, il devrait être admis que les actes de persécution dont question émaneraient de personnes devant être qualifiées comme acteurs de persécution au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015.

Le demandeur réfute ensuite toute possibilité de fuite interne du fait de l’applicabilité sur tout le territoire des dispositions du Code pénal interdisant l’homosexualité.

A cela s’ajouterait que la situation sécuritaire serait de plus en plus précaire au Cameroun, notamment eu égard à la présence du groupe terroriste Boko Haram et de la crise sécuritaire dans les régions anglophones, le demandeur soulignant qu’il ne pourrait pas s’installer dans les régions anglophones du fait qu’il serait francophone.

Quant au refus ministériel de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur invoque une application erronée par le ministre de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Il ne ferait, en effet, aucun doute que la situation sécuritaire au Cameroun serait extrêmement difficile depuis de nombreuses années. Ainsi, à la crise qui existerait entre les séparatistes anglophones et le pouvoir camerounais, s’ajouterait la présence du groupe Boko Haram qui aurait également fait de nombreuses victimes, le demandeur rappelant que sa propre sœur aurait été blessée lors d’une action terroriste menée par ledit groupe.

Il ajoute que si les attentats récemment commis par le groupe Boko Haram l’auraient été dans le nord du Cameroun, voire dans l’extrême nord, il ne faudrait pas cantonner les actions terroristes de ce groupe à ces régions, puisque même s’il serait majoritairement présent au nord, cela ne signifierait pas qu’il ne le soit pas à d’autres endroits du territoire. Par ailleurs, il ne faudrait pas perdre de vue que du fait qu’une large partie du Cameroun connaîtrait des violences liées à la crise anglophone, l’Etat camerounais ne pourrait pas combattre efficacement sur tous les fronts.

Au vu de toutes ces considérations, il y aurait lieu de conclure que le Cameroun connaîtrait des conflits internes et partant une situation de violence aveugle s’étendant sur l’ensemble du territoire.

Le demandeur est, en tout état de cause, d’avis que les développements qui précèdent, de même qu’une lecture combinée des articles 2, point g), 39 et 48, points b) et c) de la loi du 18 décembre 2015, devraient amener le tribunal à conclure qu’il devrait pour le moins se voir octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire.

11 Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou 12 c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« […] a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le 13 demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

En l’espèce, le tribunal précise, en premier lieu, que, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, il doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Monsieur … ayant trait à sa bisexualité ne serait pas crédible et qu’en conséquence, il a analysé sa demande de protection internationale uniquement par rapport à sa peur des agissements du groupe Boko Haram.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves3.

En ce qui concerne tout d’abord la bisexualité du demandeur, dont la réalité a été mise en cause par le ministre, il n’est certes pas évident pour un demandeur de protection internationale de prouver objectivement son orientation sexuelle. Cependant, le ministre est en droit d’attendre d’un demandeur qui se dit bisexuel et avoir subi des actes de persécution de ce fait, respectivement craindre de subir de tels actes, qu’il soit convaincant sur son vécu et son parcours relatifs à son orientation sexuelle.

En l’espèce, le tribunal partage les doutes du ministre concernant la crédibilité du récit du demandeur ayant trait à sa prétendue bisexualité et plus particulièrement la conclusion ministérielle suivant laquelle le demandeur a inventé et ajouté des éléments supplémentaires à son récit au cours de la procédure de demande de protection internationale afin d’augmenter ses chances d’obtenir une telle protection.

En effet, il se dégage du dossier administratif et il n’est, par ailleurs, pas contesté que lors de l’introduction de sa demande de protection internationale en date du 30 décembre 2019, le demandeur a indiqué dans la fiche de motifs, de manière tout à fait non équivoque, ce qui suit : « J’ai quitté le Cameroun suite à la guerre du Boko-Aram dans la zone de … ». C’est également ce qu’il a expliqué le même jour lorsqu’il a été entendu par la police grand-ducale (« Ich musste den Kamerun verlassen, da dort Krieg herrscht »).

3 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 138 et les autres références y citées.

14 Force est ensuite de constater que lors de sa première audition par la direction de l’Immigration en date du 4 novembre 2020, il a également totalement fait abstraction de son orientation sexuelle et des problèmes y prétendument liés en répondant à la question claire et non équivoque de l’agent en charge de son audition visant à savoir pour quelles raisons il avait introduit une demande de protection internationale au Luxembourg ce qui suit : « Je suis né à … et j’ai grandi à l’ouest. Mon père a décidé d’aller s’installer à … comme il est commerçant.

Une fois-là, il y a eu une attaque de Boko Haram. C’était arrivé quelques jours après notre arrivée. Ma sœur … a été grièvement blessée. J’ai décidé de partir. ». A la question de savoir si c’était la seule raison l’ayant poussé à quitter le Cameroun, le demandeur a encore répondu par la confirmative4.

C’est, à cet égard, en vain que le demandeur s’empare de la jurisprudence de la CJUE, précitée, pour soutenir que le seul fait qu’il n’ait pas immédiatement exposé son orientation sexuelle réelle ne pourrait pas être utilisé par le ministre pour remettre en cause sa crédibilité.

En effet, le demandeur n’a non seulement pas dévoilé les motifs liés à sa prétendue bisexualité à la première occasion qui lui a été donnée, à savoir au moment du dépôt de sa demande de protection internationale lorsqu’il a rempli sa fiche de motifs, mais pas non plus lors de sa première audition par la direction de l’Immigration en date du 4 novembre 2020 visant à déterminer les motifs à la base de sa demande de protection. Il a, en effet, attendu jusqu’à la continuation de cette audition, à savoir jusqu’au 16 décembre 2020, avant d’invoquer pour la première fois sa prétendue bisexualité comme motif de persécution.

Sa justification pour expliquer le fait que, malgré la question claire et non équivoque lui posée quant aux raisons de sa fuite, il n’a pas fait état de sa bisexualité au plus tard lors de son audition du 4 novembre 2020, mais uniquement lors de la continuation de son audition en date du 16 décembre 2020, à savoir que les conditions dans lesquelles se serait déroulée sa première audition auraient été difficiles, n’emportent pas la conviction du tribunal. En effet, s’il peut être admis qu’une personne en situation de stress ou ne se sentant pas à l’aise puisse omettre de donner certaines précisions ou faire certaines déclarations contradictoires, sans que cela n’influe sur la crédibilité de son récit, à condition que celui-ci soit globalement cohérent, il n’est cependant pas plausible qu’un demandeur de protection « oublie »5 tout simplement de mentionner un élément à ce point important de son vécu, tel que son orientation sexuelle et les persécutions prétendument vécues du fait de celle-ci. Le tribunal conçoit, dans ce contexte, également mal dans quelle mesure le fait que l’agent ayant mené l’audition n’ait, le cas échéant, pas disposé de connaissances approfondies au sujet du Cameroun ait pu avoir une quelconque influence sur les déclarations du demandeur lors de son audition du 4 novembre 2020, la formulation d’une question aussi simple et non équivoque que celle de savoir les raisons pour lesquelles le demandeur avait introduit une demande de protection internationale au Luxembourg n’exigeant aucune connaissance approfondie du pays d’origine de la part de la personne procédant à l’audition.

L’attitude ainsi adoptée par le demandeur est à elle seule de nature à remettre en cause la crédibilité générale de son récit concernant sa prétendue bisexualité alors qu’elle ne cadre manifestement pas avec celle d’une personne ayant fui son pays en raison des persécutions 4 « Oui, on savait en avance ce qui se passait dans cette zone mais mon père devait y aller pour le commerce. Je ne pouvais pas m’opposer à sa volonté. », p. 4 du rapport d’audition.

5 Page 10 du rapport d’audition.

15 subies de fait de son orientation sexuelle, respectivement craignant de devoir y retourner pour ces mêmes raisons.

Ce constat se trouve corroboré par le fait qu’il n’est pas plausible qu’alors même que le demandeur déclare avoir dû vivre dans des conditions indignes dans sa maison familiale depuis qu’en 2012, sa famille aurait été mise au courant de sa bisexualité, il ait tout de même suivi toute sa famille lorsque son père a décidé en 2016, donc l’année de sa majorité, de déménager à … Le manque de crédibilité de son récit se trouve encore corroboré par le fait que les déclarations du demandeur sont d’une généralité telle qu’elles ne sauraient cadrer avec le vécu d’un jeune homme ayant découvert sa bisexualité dès l’âge de 14 ans et ayant décidé d’abandonner son pays d’origine en raison des discriminations prétendument subies au sein de sa famille pendant quatre ans suite à la découverte par celle-ci de son orientation sexuelle. En effet, le tribunal relève que non seulement le demandeur n’a pu donner de précisions quant à la manière dont il avait réussi à gérer ses sentiments suite à la découverte de sa bisexualité puisqu’il a uniquement expliqué que « Je suis resté dans cette période de turbulence…je l’ai géré comme ça », mais que, par ailleurs, son récit est particulièrement vague et général, notamment en ce qui concerne sa prise de conscience de sa bisexualité, son ressenti et ses sentiments. En effet, à la question de savoir quand est-ce qu’il avait remarqué son attirance envers des « copains », il s’est contenté de répondre « Je me rappelle qu’après l’éducation physique à l’école, il fallait se changer et à chaque fois j’avais cette attirance. J’avais cette sensation…au début j’avais des doutes mais après avec le temps j’ai su que c’est réel. En sachant les convictions de ma religion et de ma culture, je n’osais pas en parler. Seulement avec mon oncle et c’est lui qui a fait part à mes parents parce que moi-même je ne pouvais pas le faire. », tandis qu’au sujet de son ressenti après avoir découvert sa bisexualité, il a répondu vaguement que « Pour moi cela pouvait arriver … c’était normal. Je n’étais pas surpris. ».

Au vu des considérations qui précèdent, c’est à bon droit et sans violer l’article 1er de la Charte, que le ministre a conclu au défaut de crédibilité du récit du demandeur relatif à sa bisexualité. Il s’ensuit que Monsieur … ne saurait valablement prétendre à l’octroi d’un statut de protection internationale sur base de ce même récit.

A l’appui de sa demande de protection internationale, le demandeur a encore invoqué sa crainte d’être enlevé, respectivement tué par le groupe Boko Haram, compte tenu du fait que sa sœur aurait été grièvement blessée lors d’une attaque par ce groupe à …, canton se situant à l’extrême-nord du Cameroun.

Le tribunal relève, à cet égard, qu’indépendamment de la qualification des agissements du groupe Boko Haram que le demandeur redoute et de leur gravité, c’est à bon droit que le ministre a évoqué la possibilité pour le demandeur de recourir à une fuite interne.

En effet, il y a lieu de constater que les agissements du groupe Boko Haram que le demandeur redoute ont un caractère purement local, le demandeur n’ayant pas produit d’éléments probants permettant de remettre en cause les explications fournies par la partie étatique, sources à l’appui, selon lesquelles, dans son pays d’origine, le groupe Boko Haram n’agit que dans la région de l’extrême-nord. Ce constat du caractère purement local des agissements du groupe en question se trouve d’ailleurs corroboré par les pièces versées par le demandeur lui-même à l’appui de son recours en ce qu’elles font exclusivement état d’attaques 16 du groupe islamiste en question dans le nord du Cameroun, tout en soulignant que les attaques dudit groupe se multiplient dans l’extrême-nord du pays.

Sur ce point, l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « 1) Dans le cadre de l’évaluation de la demande de protection internationale, le ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine, a) il n’a pas une crainte fondée d’être persécuté ou ne risque pas réellement de subir des atteintes graves; ou b) il a accès à une protection contre les persécutions ou les atteintes graves au sens de l’article 40 et qu’il peut, en toute sécurité et en toute légalité, effectuer le voyage vers cette partie du pays et obtenir l’autorisation d’y pénétrer et que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il s’y établisse. (2) Lorsqu’il examine si un demandeur a une crainte fondée d’être persécuté ou risque réellement de subir des atteintes graves, ou s’il a accès à une protection contre les persécutions ou les atteintes graves dans une partie du pays d’origine conformément au paragraphe (1), le ministre tient compte, au moment où il statue sur la demande, des conditions générales dans cette partie du pays et de la situation personnelle du demandeur, conformément à l’article 37. A cette fin, le ministre veille à obtenir des informations précises et actualisées auprès de sources pertinentes, telles que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et le Bureau européen d’appui en matière d’asile. ».

Ainsi, une possibilité de fuite interne ne saurait être considérée comme donnée que si, dans une partie du pays d’origine, le demandeur de protection internationale n’a pas une crainte fondée d’être persécuté ou ne risque pas réellement de subir des atteintes graves, ou bien si, dans une partie du pays d’origine, il a accès à une protection contre les persécutions ou les atteintes graves, à condition qu’il puisse effectuer le voyage vers cette partie du territoire en toute sécurité et légalité et qu’il puisse raisonnablement s’y établir. Il appartient dès lors au ministre d’identifier une zone sûre, accessible tant en pratique que légalement pour le demandeur, en tenant compte du profil de la personne concernée, étant en tout état de cause souligné qu’il incombe au ministre, sinon de prouver positivement l’absence de tout risque, respectivement l’accès à une protection suffisante, du moins d’examiner et d’énoncer de manière plausible pour quelles raisons il estime devoir et pouvoir, dans le contexte et pour les causes visées à l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015, refuser la protection internationale.

Le ministre ne peut pas s’emparer d’un défaut par le demandeur d’établir l’impossibilité de la fuite interne, mettant ainsi la charge de la preuve du côté du demandeur de protection internationale.

Le tribunal retient que dans la mesure où, tel que relevé ci-avant, il se dégage des explications étatiques non utilement énervées, sources internationales à l’appui, que le groupe islamiste Boko Haram sévit à l’heure actuelle qu’à l’extrême-nord du Cameroun où, par ailleurs, et de manière non contestée, des efforts conséquents ont été mis en œuvre par le gouvernement camerounais pour endiguer les agissements de ce groupement, c’est à bon droit que la partie étatique soutient que le demandeur, majeur d’âge et physiquement apte à s’adonner à une activité rémunérée, peut se mettre à l’abri des agissements du groupe Boko Haram en s’installant dans une autre région camerounaise, et notamment à …, la capitale politique du Cameroun située à l’ouest du pays, où ce groupe islamiste ne sévit pas et qui est, par ailleurs, une ville située dans la zone francophone. Ce constat s’impose d’autant plus que le demandeur a expliqué être né à … et avoir grandi à l’ouest du pays avant que son père ne décide, en 2016, de s’installer avec sa famille à … pour des raisons professionnelles, région 17 que le demandeur a quitté seulement quelques jours après y être arrivé suite à l’attaque du groupe Boko Haram lors de laquelle sa sœur a été blessée.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par la situation sécuritaire précaire au Cameroun qui se caractériserait par la crise existant entre les séparatistes anglophones et le pouvoir camerounais, d’un côté, et la présence du groupe Boko Haram de l’autre côté.

En effet, il convient de relever que la CJUE a précisé dans le considérant 43 de son arrêt du 17 février 2009, « Elgafaji c. Pays-Bas », numéro C 465/07, que « […] l’article 15, sous c), de la directive, lu en combinaison avec l’article 2, sous e), de la même directive, doit être interprété en ce sens que:

- l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne du demandeur de la protection subsidiaire n’est pas subordonnée à la condition que ce dernier rapporte la preuve qu’il est visé spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle;

- l’existence de telles menaces peut exceptionnellement être considérée comme établie lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours, apprécié par les autorités nationales compétentes saisies d’une demande de protection subsidiaire ou par les juridictions d’un État membre auxquelles une décision de rejet d’une telle demande est déférée, atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir lesdites menaces. ».

Elle a également retenu, dans le considérant 39 du prédit arrêt, que « […] plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire ».

Le conflit armé interne a été défini par la CJUE dans son arrêt du 30 janvier 2014, « Diakité c. Belgique », numéro C-285/12, et plus particulièrement en son considérant 35, de la manière suivante : « […] lorsque les forces régulières d’un État affrontent un ou plusieurs groupes armés ou lorsque deux ou plusieurs groupes armés s’affrontent, sans qu’il soit nécessaire que ce conflit puisse être qualifié de conflit armé ne présentant pas un caractère international au sens du droit international humanitaire et sans que l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence ou la durée du conflit fasse l’objet d’une appréciation distincte de celle du degré de violence régnant sur le territoire concerné. ».

Quant aux violences aveugles, elles ont été définies par la CJUE dans le prédit arrêt « Elgafaji c. Belgique », notamment dans les considérants 34 et 35, comme étant des violences qui s’étendent à des civils sans considération de leur situation personnelle ou de leur identité.

En l’espèce, il y a lieu de relever que les articles de presse invoqués à l’appui du recours sous analyse faisant état de violences de la part, d’une part, du groupement Boko Haram et, d’autre part, entre les autorités camerounaises et les séparatistes anglophones, ayant lieu au nord du Cameroun, respectivement dans les deux régions anglophones du sud-ouest et du nord-

ouest, ne sont pas de nature à démontrer que la situation sécuritaire sur l’ensemble du territoire 18 camerounais ni plus particulièrement à … est telle qu’elle réponde aux critères d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, tels que clarifiés par la jurisprudence de la CJUE, précitée.

Ce constat est d’autant plus vrai que le demandeur a déclaré être né à … et avoir grandi à l’ouest du Cameroun où il est resté jusqu’à son déménagement avec sa famille en 2016, sans faire état de traitements inhumains ou dégradants dont il aurait été personnellement victime ou témoin en relation avec les conflits dont il se prévaut, étant encore relevé qu’il n’a pas non plus fait état lors de ses auditions d’affrontements dont il aurait été témoin entre les autorités camerounaises et des groupes armés.

Aussi bien les craintes du demandeur en relation avec une possible expansion du groupe Boko Haram sur tout le territoire camerounais que celle en relation avec la crise séparatiste ne sauraient dès lors invalider la thèse ministérielle suivant laquelle il peut profiter d’une fuite interne dans l’ouest du pays.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale du demandeur, prise en son double volet, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre a valablement pu être introduit en l’espèce, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Le demandeur sollicite à titre principal la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de rejet de sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce moyen.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2) précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de Monsieur … dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

19 Subsidiairement, le demandeur invoque encore que la décision entreprise serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », alors qu’un retour au Cameroun serait suivi de menaces graves et individuelles contre sa vie et sa personne.

Aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. ».

Il convient de rappeler que l’article 129, précité, renvoie à l’article 3 de la Convention de sauvegarde de droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Si l’article 3 de la CEDH proscrit ainsi la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3 de celle-ci, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3 de la CEDH, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 de la CEDH garantit à toute personne.

C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 de la CEDH qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce contexte, la Cour européenne des droits de l’Homme (CourEDH) soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’espèce, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la CourEDH évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus par le demandeur en cas de retour au Cameroun, le tribunal a conclu ci-avant que compte tenu de la possibilité d’une fuite interne dans son chef, il sera à l’abri d’un risque de persécutions ou d’atteintes 20 graves, de sorte que le tribunal ne saurait actuellement se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH6, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 encourt le rejet.

Il s’ensuit que le recours en réformation pour autant qu’il est dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 5 janvier 2021 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 5 janvier 2021 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 4 juillet 2022 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic s.Lejila Adrovic s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 juillet 2022 Le greffier du tribunal administratif 6 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 45615
Date de la décision : 04/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-07-04;45615 ?

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