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04/07/2022 | LUXEMBOURG | N°44722

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2022, 44722


Tribunal administratif N° 44722 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juillet 2020 2e chambre Audience publique du 4 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44722 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 juillet 2020 par Maître Frank Wies, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né l...

Tribunal administratif N° 44722 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juillet 2020 2e chambre Audience publique du 4 juillet 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44722 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 juillet 2020 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 avril 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale ainsi que de celle portant ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 novembre 2020 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication du 24 mai 2022 de Maître Emmanuel Corsin, en remplacement de Maître Frank Wies, suivant laquelle celui-ci marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Tom Hansen en sa plaidoirie à l’audience publique du 30 mai 2022.

Le 6 mai 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée-

police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 7 mai 2019, il passa également un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après dénommé le « règlement Dublin III ».

En date des 13 juin, 9, 17 et 19 juillet 2019, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 6 avril 2020, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 20 avril 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 6 mai 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 6 mai 2019, le rapport d'entretien Dublin III du 7 mai 2019, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 13 juin 2019 ainsi que des 9, 17 et 19 juillet 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale et les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de la ville … dans le gouvernorat … en Irak, d'ethnie arabe et de confession musulmane chiite.

Vous indiquez que vous auriez été propriétaire d'une épicerie à … et qu'en date du 16 mars 2014, des individus armés se seraient introduits dans votre magasin. Vous auriez essayé de vous échapper mais l'un d'entre eux vous aurait blessé avec un couteau alors que les autres vous auraient attrapé et ligoté. Ils auraient ensuite volé l'argent de vos caisses et auraient quitté les lieux après avoir mis le feu. Les gens du quartier auraient appelé les secours et vous auriez été sauvé par les pompiers. Vous précisez ensuite que vous auriez porté plainte contre « X » bien que vous auriez reconnu l'un des individus en question. Vous avancez qu'il s'agirait d'un membre de la milice « Jaish al-Mahdi ».

2 Ensuite vous vous seriez rendu auprès de votre tante à … et vous seriez resté auprès d'elle pendant 25 jours. Vous auriez appris par le biais de votre famille que l'incident de votre épicerie serait lié à votre activité de vente d'alcool.

En juin 2014, vous auriez contacté votre livreur de boissons et vous auriez sollicité son aide pour trouver un emploi à … . Il vous aurait trouvé un travail dans un bar endéans une semaine. Vous précisez qu'il s'agirait d'un établissement qui se consacrerait au commerce de gros d'alcool. Vous auriez vécu dans une chambre au-dessus de votre lieu de travail et vous auriez travaillé dans cet endroit pendant deux ans.

En mai 2016, vous auriez reçu un appel du frère de votre épouse qui vous aurait demandé de rentrer à …. Vous précisez que votre beau-frère et d'autres membres de sa famille seraient affiliés à la milice « Asa'ib Ahl al-Haqq ». Votre beau-frère aurait mentionné qu'il serait au courant de votre activité professionnelle et il aurait marqué son désaccord en vous reprochant que la vente d'alcool serait contraire aux principes de l'Islam. Il aurait également sollicité que vous divorciez de sa soeur et il vous aurait averti que la milice « Asa'ib Ahl al-

Haqq » serait à votre recherche. Vous expliquez ensuite que votre père aurait essayé d'intervenir afin d'apaiser la situation, mais vous auriez néanmoins divorcé en juillet 2016.

En novembre 2016 vous seriez retourné à … , mais vous auriez quitté votre travail dans le bar et vous auriez trouvé un nouvel emploi par l'intermédiaire de votre ancien patron.

Le 1er juin 2017 vous vous seriez remarié. Vous précisez que votre mariage aurait été célébré en Iran et que les festivités auraient duré une semaine. Vous ajoutez que vous auriez célébré votre deuxième mariage en Iran à cause de votre peur des milices « Jaish al-Mahdi » et « Asa'ib Ahl al-Haqq ».

Par la suite vous seriez retourné travailler à … et vous seriez resté sur place jusqu'en mai 2018. Après un certain temps votre belle-famille se serait plainte du fait que vous ne seriez auprès de votre épouse qu'une fois par mois du fait qu'elle serait restée à …. Par conséquent, vous auriez décidé de contacter votre père afin qu'il puisse négocier une solution avec les milices pour vous permettre ainsi de rentrer à ….

Vous précisez que votre père aurait sollicité l'aide de votre clan. La réconciliation avec la milice « Jaish al-Mahdi » aurait été un succès, avec le soutien des Cheikhs de votre clan, à condition que vous leur versiez un certain montant tous les mois.

En date du 5 juillet 2018 vous auriez été convoqué par la milice « Aseb Ahl al-Haqq ».

Vous expliquez que vous auriez été détenu dans leur bureau pendant 3 jours et vous faites état d'agressions physiques que vous auriez subies lors de votre détention. Votre père aurait recontacté les Cheikhs de votre clan, or ces derniers n'auraient pas pu intervenir en votre faveur. En plus de leur refus de vous aider, votre clan aurait sollicité que vous et votre père soyez bannis.

Le 9 juillet 2018 vous auriez trouvé devant votre porte d'entrée un petit sachet en plastique contenant une balle et une lettre de menace. Vous indiquez qu'il ne vous aurait plus été possible de rester en Irak dans ces conditions et vous auriez quitté votre pays d'origine en date du 15 juillet 2018.

3 Vous présentez votre carte d'identité irakienne et plusieurs documents pour étayer vos dires, que vous retrouverez en annexe de la présente décision.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, vous déclarez : « Am 16. März 2014, während der Kassenprüfung, tauchten vor mir plötzlich fünf Männer im Laden auf. Drei davon, waren mit Pistolen bewaffnet. Die anderen zwei hatten ein Messer in ihrer Hand. Sie waren durch das Fenster des 4. Zimmers reingelangt. » et vous ajoutez: « Ich versuchte durch den Haupteingang zu fliehen, jedoch ist es mir nicht gelungen. Einer der fünf Personen, hat mich mit seinem Messer am rechten Oberarm gestreift. (…) Dann haben die Männer mich festgehalten und fest an einen Stuhl gebunden. Den Inhalt meiner Kasse haben sie leergeräumt. Akten, die dort lagen, wurden auch mitgenommen. Sie nahmen auch das Kassenbuch und das Schulden Heft mit. Danach wurden meine Augen zugebunden. Dann habe ich keine Stimme mehr gehört, nur Geräusche. Die gläserne Überdachung meines Ladens war in der Mitte, um Sonnenlicht reinlassen zu können.

Plötzlich habe ich verbranntes gerochen. Die Männer haben den Laden niedergebrannt. » (p.6/22 du rapport d'entretien).

Il ne ressort nullement de vos dires que ces personnes non autrement identifiées vous auraient ciblé en en raison de votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social. En effet, vous affirmez qu'elles se seraient contentées de voler l'argent des caisses et mettre le feu à l'épicerie.

4 Ainsi, il appert que vous avez été victime d'une bande de malfrats qui en avaient après votre argent, de sorte qu'aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef au sens des prédits textes.

Quant à vos allégations qu'il pourrait s'agir des personnes affiliées à la milice « Jaish al-Mahdi », il échet de constater qu'il s'agit d'une pure spéculation de votre part sans aucun élément concret permettant de corroborer vos dires, de sorte qu'il y a lieu de retenir qu'il s'agit d'un acte isolé commis par des personnes non autrement identifiées dont on ignore a fortiori les motivations.

Même à supposer que ce fait serait lié à un des critères de fond et serait d'une gravité suffisante pour constituer un acte de persécution, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités.

A cet égard, vous affirmez que vous auriez saisi les autorités au sujet de l'incendie et que vous auriez porté plainte contre « X ». Force est dès lors de constater que la police a clairement fait son travail en enregistrant vos déclarations et en diligentant une enquête de sorte qu'aucun reproche ne saurait être formulé à l'égard des autorités irakiennes.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Concernant votre prétendue exclusion de votre tribu, force est de constater que ce fait n'est pas motivé par un des critères de fond alors que vous n'avancez aucun élément concret permettant d'établir la motivation de cette décision de sorte qu'on ne saurait établir la raison de ce prétendu désaveu. Dans ce contexte soulignons aussi que la prétendue lettre de désaveu, que vous avez déposée, n'est pas datée et son contenu reste très ambigu.

Quand bien même ce fait serait lié à un des critères de fond, force est de constater que ce fait ne revête manifestement pas un caractère de gravité tel qu'il puisse être assimilé à une persécution au sens de dispositions précitées de la Convention de Genève. En effet, il ressort de façon claire et non équivoque par vos déclarations que ce fait se limite à un simple désaveu symbolique par le biais d'une lettre. A cela s'ajoute que vous êtes majeur et de ce fait, il vous est parfaitement possible de vivre indépendamment de votre clan.

Ensuite, vous expliquez : « Am 5. Juli 2018 habe ich eine Vorladung zum Asa'ib Ahl al-

Haqq Büro bekommen. Ich ging dorthin. Sie haben mich drei Tage lang festgehalten, nicht im Büro, irgendwo anders an einem mir nicht bekannten Ort. Ich war in einer Zelle, ähnlich wie in Ihrem Korridor, nackt und mit zugedeckten Augen. Die Personen die vorbeigingen haben mich geschlagen, verachtet, beleidigt. Nochmal hat mein Vater um Hilfe bei den Shiukhs gefragt. Während meiner Festnahme bekam ich lediglich Wasser zu trinken. Zu Essen bekam ich nichts. Am dritten Tag kam eine Person, natürlich war mir diese auch nicht bekannt. Dann erst dufte ich wieder meine Klamotten anziehen und ich bekam etwas zu essen. Vor meiner 5 Freilassung sagte mir diese Person, dass ich mein Haus auf den Namen meiner ersten (ehemaligen) Frau umschreiben soll. Ich erklärte mich dazu bereit. Er sagte mir wortwörtlich:

„Wenn du das nicht tust, finden wir dich, egal wo du hingehst oder dich versteckst." Er hat mich wie ein Tier behandelt. Er fügte hinzu: „Falls du das nicht tust oder fliehst, wird unser Ziel deine zweite Frau sein." Er meinte damit, dass meine zweite Frau entführt oder umgebracht wird. Nach meiner Freilassung, habe ich von meinem Vater und Shiukhs erfahren, dass ich angezeigt worden. » (p.8/22 du rapport d'entretien).

Force est de constater que ce fait n'entre pas non plus dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015. Une telle expérience est regrettable, mais il convient néanmoins de retenir que les individus avaient pour but de vous forcer à effectuer le transfert du titre de propriété de votre maison à votre ex-épouse si bien que ce fait n'est aucunement lié à votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social.

A cela s'ajoute que les faits dont vous faites état ne revêtent manifestement pas un caractère de gravité tel qu'ils puissent être assimilées à une persécution au sens de dispositions précitées de la Convention de Genève. En effet, vous auriez passé 3 jours en détention et une personne que vous avouez ne pas connaître aurait proféré des menaces verbales à votre encontre. De plus, cette personne se serait contentée de solliciter le transfert du titre de propriété de votre maison à votre ex-épouse de sorte qu'il y a lieu de souligner qu'il s'agit indéniablement d'un incident isolé.

Quand bien même ces faits seraient liés à un des critères de fond et seraient d'une gravité suffisante, notons que s'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités.

Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, vous indiquez n'avoir à aucun moment saisi la police irakienne à part pour l'incendie (p.19/22 du rapport d'entretien) de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection adéquate. Concernant vos allégations que le commerce d'alcool serait illégal en Irak, il s'agit de préciser que le Parlement irakien a effectivement essayé d'interdire officiellement l'importation, la production et la vente d'alcool en octobre 2016 en soumettant un projet de loi au vote, « avant d'être aussitôt retoqué par la présidence pour incompatibilité avec les "principes démocratiques" ». En d'autres termes, force est de constater que le commerce d'alcool n'est actuellement pas illégal en Irak et que des points de vente ont même commencé à rouvrir dans la ville de … .

Au vu des constats susmentionnés, il ressort avec évidence que vos prétendues craintes traduisent plutôt un sentiment général d'insécurité basé sur des suppositions purement hypothétiques de sorte qu'aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d'être persécuté respectivement que vous risquez d'être persécuté en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

6 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément crédible de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d'Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juillet 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 6 avril 2020 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision du ministre du 6 avril 2020, telle que déférée.

Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours et en fait, Monsieur …, après avoir rappelé être de nationalité irakienne, de confession musulmane chiite et être originaire de la ville de …, réitère, en substance, ses déclarations telles que retranscrites dans le procès-verbal d’audition.

En droit, le demandeur reproche tout d’abord au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en refusant de lui octroyer le statut de réfugié.

Après avoir exposé les conditions d’octroi du statut de réfugié au sens des articles 2, point (f) de la loi du 18 décembre 2015 et 1 (A) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », le demandeur critique le ministre pour avoir refusé de retenir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution en se fondant principalement sur un fait précis datant du 16 mars 2014 dont il aurait manifestement minimisé l’importance.

Il explique, à cet égard, qu’à cette date précise, des individus armés, membres de la milice « Jaish al-Mahdi » se seraient introduits dans son magasin, l’auraient blessé, lui auraient volé l’argent de la caisse, l’auraient ligoté et mis le feu au magasin avant de s’enfuir. Il insiste sur le fait qu’il s’agirait d’une milice islamiste chiite irakienne qui serait très présente parmi les classes les plus pauvres de la population chiite et dont les membres, qui répondraient au puissant religieux chiite …, seraient particulièrement violents à l’égard de ceux qui ne respectent pas les principes religieux de l’islam.

Ce serait, en tout état de cause, à tort que le ministre tenterait d’attribuer cet évènement à un simple vol commis par « une bande de malfrat », sans reconnaître le caractère politico-

religieux de cet acte. Il en veut pour preuve le fait que les membres de la milice en question ne se seraient pas contentés de voler de l’argent mais qu’ils auraient mis le feu à son magasin, de même qu’ils l’auraient ligoté et laissé dans le magasin en flamme et ce, dans le but d’affirmer aux yeux de tous que la vente d’alcool est en contradiction avec leur conviction et de prouver par la terreur à toute la population qu’il faudrait respecter les principes de l’islam.

Au vu de ces considérations, il y aurait lieu d’admettre que le demandeur aurait été victime d’une attaque dont l’un des motifs principaux serait le non-respect des principes religieux.

Ensuite, il ne faudrait pas perdre de vue que le demandeur n’aurait pas fui l’Irak à cause de cette seule agression et que, par conséquent, les raisons de sa persécution ne pourraient pas être circonscrites à ce seul évènement. En effet, s’il s’était enfui ce serait parce que des milices chiites le persécuteraient au nom d’une vision rigoriste de l’islam qui aboutirait à une violence extrême en raison du simple fait qu’il vendrait de l’alcool et que de facto il ne respecterait pasles principes religieux que « ces fanatiques » tenteraient de faire respecter par la terreur. Il s’agirait dès lors de persécutions qui ne seraient commises qu’en raison de ses opinions politiques et religieuses.

A cela s’ajouterait qu’il aurait été banni par son propre clan et qu’il aurait reçu une lettre de menace accompagnée d’une balle, le demandeur insistant sur le fait que ces persécutions ne trouveraient leur origine qu’en raison de la circonstance selon laquelle il ne respecterait pas les principes de l’islam et qu’il s’adonnerait à une activité professionnelle liée à la vente de boissons alcoolisées.

Le demandeur insiste ensuite sur l’absence de possibilité de requérir une aide auprès des autorités irakiennes et ce, eu égard à l’inefficacité de celles-ci face à la puissance des milices chiites. En s’appuyant sur un rapport des services finlandais de l’immigration du mois d’avril 2015, il fait valoir que depuis la restructuration des forces de sécurité irakiennes en 2005, la majorité des policiers irakiens seraient de confession chiite et que parmi eux nombreux seraient ceux qui seraient des partisans des milices chiites qui elles-mêmes seraient l’émanation des mouvances politiques. Il se dégagerait également d’un rapport de l’US Army War College de 2015, que dans la région de …, il existerait une réelle coopération entre les milices chiites et la police. Il estime dès lors avoir établi à suffisance que les forces de police irakiennes seraient non seulement infiltrées par les milices chiites, dont celles le menaçant, mais qu’elles seraient, par ailleurs, influencées par la politique à laquelle elles aspireraient.

Le demandeur donne enfin à considérer que dans la mesure où il aurait été victime de violences tant physiques que mentales, il ne pourrait être contesté que les deux agressions l’ayant amené à fuir son pays d’origine seraient, de par leur caractère répété, d’une gravité telle qu’elles devraient s’analyser en des persécutions au sens de la loi.

En ce qui concerne le refus ministériel de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur après avoir cité les dispositions des articles 2, point g), 48 et 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, reproche au ministre d’avoir interprété les faits invoqués par lui de manière erronée. En effet, comme il aurait été victime d’actes de violence au sens de l’article « 48 d) » de la loi du 18 décembre 2015, il devrait être admis qu’en cas de retour dans son pays d’origine il serait exposé « à cette même torture ou ces mêmes traitements ou sanctions inhumaines » l’ayant amené à fuir l’Irak.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

a) Quant au statut de réfugié La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 point f) de ladite loi comme étant « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout 9 apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 :

« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi: « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, les motifs à la base de la demande d’octroi du statut de réfugié dans le chef du demandeur se résument, en substance, à ses craintes de faire l’objet de représailles de la part de la milice Jaish al-Mahdi et de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq en relation avec ses activités de vente de boissons alcoolisées. Il s’appuie, à cet égard, plus particulièrement sur deux incidents dont il déclare avoir été victime, l’un le 16 mars 2014, lorsque des individus armés, dont au moins un aurait été membre de la milice Jaish al-Mahdi, auraient mis le feu à son magasin et, l’autre, le 5 juillet 2018, lorsqu’il aurait été détenu dans un bureau de la milice Asa’ib Ahl al-

Haqq pendant trois jours.

En ce qui concerne tout d’abord l’incident du 16 mars 2014 lors duquel des individus armés se sont introduits dans le magasin du demandeur et y ont mis le feu après avoir volé l’argent des caisses, si le demandeur déclare que l’un des individus en question aurait été un membre de la milice Jaish al-Mahdi, il ne se dégage d’aucun élément objectif du dossier que cet incident aurait un lien avec l’un des critères de la Convention de Genève, à savoir la race, la religion, la nationalité, l’appartenance du demandeur à un certain groupe social ou ses convictions politiques. En effet, il ressort du récit du demandeur que les personnes l’ayant agressé ne lui ont pas adressé la parole, tandis qu’il ne fait que supposer que l’agression en question aurait un lien avec le fait qu’il ait vendu des boissons alcoolisées dans son local et ce en violation des préceptes de l’islam. Plus particulièrement, si le demandeur entend sous-tendre cette allégation en affirmant péremptoirement que de nombreux locaux ayant vendu de l’alcool auraient été détruits à … et à … à la même époque, il y a lieu de constater que cette affirmationreste à l’état de pure allégation pour n’être sous-tendue par aucun élément tangible, tel des rapports internationaux ou articles de presse. Or, s’il y avait effectivement eu des incidents de même nature d’une ampleur telle que le demandeur veut le faire croire, il existerait certainement des preuves documentaires à ce sujet.

A cela s’ajoute que même si les faits devaient s’analyser comme s’inscrivant sur une toile de fond religieuse au sens de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, il n’en reste pas moins qu’il ressort de l’examen des déclarations faites par le demandeur, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, que la raison pour laquelle des personnes auraient détruit son magasin est liée à son activité de vendeur d’alcool, à savoir pour avoir exploité un commerce qui ne serait pas toléré par les milices chiites. Or, le fait de vendre de l’alcool en tant que musulman ne saurait être considéré comme l’expression d’une conviction religieuse, respectivement être rattaché à cette confession religieuse, alors qu’il s’agit d’une activité commerciale choisie par le demandeur à des fins économiques et dont il était conscient qu’elle n’était pas bien vue par les milices chiites. Au vu des développements qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que le fait de vendre de l’alcool en tant que musulman, alors que cette activité commerciale n’est pas tolérée par les milices chiites, ne saurait constituer l’exercice d’un droit fondamental tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève.

C’est encore en vain que le demandeur entend relier les faits en question à une prétendue conviction politique, puisqu’il reste en défaut d’étayer le moindre lien entre la vente d’alcool, donc l’exercice d’une activité commerciale, et une prétendue conviction politique, qui lui serait imputée par ladite milice chiite.

Pour les mêmes raisons, il ne se dégage pas des éléments de la cause que les problèmes dont le demandeur fait état avec son ancienne belle-famille - dont certains membres seraient affiliés à la milice Asa’ib Ahl al-Haqq - laquelle n’aurait pas toléré qu’il vende de l’alcool et l’aurait de ce fait forcé à divorcer de sa première épouse, ou encore le fait qu’il ait été banni de son clan en raison de son activité commerciale, seraient liés à l’un des critères de fond de la Convention de Genève, ces problèmes devant s’analyser comme s’inscrivant davantage dans le cadre d’un conflit d’ordre privé et familial.

Par ailleurs, même à supposer que les problèmes rencontrés avec sa belle-famille et son clan puissent être reliés à l’un des critères de fond de la Convention de Genève, ils ne sauraient s’analyser en des actes de persécution au sens de la loi pour ne pas revêtir un degré de gravité tel qu’ils puissent s’analyser en une violation grave des droits fondamentaux de l’Homme.

Enfin, pour ce qui est de l’incident s’étant produit en juillet 2018 lorsque, suivant les déclarations du demandeur, celui-ci a été convoqué dans l’un des bureaux de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq où, après y avoir été détenu pendant trois jours, il aurait été forcé à signer un document par lequel il a transcrit le titre de propriété de sa maison à sa première épouse, si certes il s’agit d’un incident condamnable, il n’en reste pas moins qu’il ne se dégage d’aucun élément objectif du dossier que la motivation de ses agresseurs aurait eu un lien avec les critères de fond énoncés dans la Convention de Genève. Cet incident, tout comme d’ailleurs le fait qu’il ait été forcé à divorcer de sa première épouse, doit plutôt être entrevu dans le contexte d’un conflit d’ordre privé et familial.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de conclure que le ministre a valablement pu retenir que le demandeur ne remplissait pas les conditions pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié, de sorte que le recours, pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre d’accorder au demandeur le statut de réfugié, est à déclarer non fondé.

b) Quant au statut conféré par la protection subsidiaire En ce qui concerne la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 […] et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2, point g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Dans la mesure où le demandeur n’invoque pas de crainte de faire l’objet d’atteintes graves au sens de l’article 48, points a) et c), de la loi du 18 décembre 2015, mais expressément et uniquement sa crainte de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point b), l’analyse du tribunal se limitera à sa crainte de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la même loi.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Or, en ce qui concerne sa crainte de faire l’objet de représailles de la part de la milice Jaish al-Mahdi en relation avec son activité de vente de boissons alcoolisées, le tribunal se doit de relever qu’il reste en défaut de démontrer la moindre raison pour laquelle il estime que sa crainte serait à l’heure actuelle, soit plus de six ans après les faits, toujours fondée et ce, d’autant plus qu’il se dégage de ses propres déclarations que depuis 2016, il ne s’est plus adonné à une telle activité, de sorte que la milice en question n’a plus de raisons de s’en prendre à lui. Cette crainte doit dès lors s’analyser comme traduisant davantage un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait toutefois suffire pour retenir l’existence dans le chef du demandeur d’une crainte réelle et sérieuse de subir des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine.

Pour ce qui est ensuite des agissements de sa belle-famille dont il déclare qu’elle l’aurait forcé à divorcer de sa première épouse, de même que ceux de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq qui l’aurait obligé à transcrire à sa première épouse le titre de propriété de sa maison, s’ils sont certes condamnables, il ne se dégage toutefois d’aucun élément objectif que de tels problèmes risqueraient de se reproduire puisque sa belle-famille et les membres de ladite milice ont obtenu ce qu’ils recherchaient, à savoir que le demandeur divorce de sa première épouse et qu’il transcrive à celle-ci le titre de propriété de sa maison.

Ce constat n’est pas ébranlé par l’affirmation non autrement sous-tendue du demandeur suivant laquelle, après avoir été remis en liberté par les membres de la milice Asa’ib Ahl al-

Haqq, son père et son clan auraient appris qu’il serait recherché par ladite milice. Si certes le demandeur a déclaré qu’après son départ, son père aurait été convoqué au bureau de ladite milice qui lui aurait demandé où il se trouverait, il ne se dégage d’aucun élément tangible que presque quatre ans après avoir quitté son pays d’origine, ladite milice continuerait d’avoir le moindre intérêt pour le demandeur, ce d’autant plus qu’il n’appert pas non plus que depuis 2018, le père du demandeur ait encore eu le moindre contact avec la milice en question.

A cela s’ajoute qu’il ne se dégage pas non plus des déclarations du demandeur que sa deuxième épouse aurait été importunée depuis qu’il a quitté son pays d’origine et ce, alors même qu’il a expliqué que la milice aurait menacé de s’en prendre à elle s’il décidait de s’enfuir.

Enfin, pour ce qui est du fait que le demandeur ait été banni de son clan, le tribunal retient que ce bannissement ne revêt pas un degré de gravité tel qu’il puisse s’analyser en un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015.

Il résulte des développements qui précèdent qu’en l’état actuel d’instruction du dossier et des moyens échangés de part et d’autre, Monsieur … n’a pas démontré qu’il existe de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015.

En l’absence d’autres moyens, c’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par laprotection subsidiaire, de sorte que le recours en ce qu’il est dirigé à l’encontre dudit statut est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, seul un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

A l’appui de ce volet du recours, le demandeur conclut à titre principal à la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de rejet de sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, également au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour en Irak de Monsieur … ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

A titre subsidiaire, le demandeur invoque encore que la décision entreprise serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », alors qu’un retour en Irak impliquerait que sa vie ou sa liberté y seraient gravement menacées.

Aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. ».

Il convient de rappeler que l’article 129, précité, renvoie à l’article 3 de la Convention de sauvegarde de droits de l’homme et des libertés fondamentales (« CEDH »), aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Si l’article 3 de la CEDH proscrit ainsi la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne.

C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH ») soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la CourEDH évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Irak, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH2, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 et de l’article 3 de la CEDH, encourt le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

2 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 6 avril 2020 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, ledit non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 4 juillet 2022 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 juillet 2022 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 44722
Date de la décision : 04/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-07-04;44722 ?

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