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01/07/2022 | LUXEMBOURG | N°45533

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 juillet 2022, 45533


Tribunal administratif N° 45533 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 janvier 2021 4e chambre Audience publique du 1er juillet 2022 Recours formé par la société de droit belge …, SPRL … (Belgique), contre une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines en matière d’amende administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45533 du rôle et déposée le 21 janvier 2021 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée JB Avocats SARL, établie et ayant son siège social à L-3490 Dudelange,

24-26, rue Jean-Jaurès, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxe...

Tribunal administratif N° 45533 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 janvier 2021 4e chambre Audience publique du 1er juillet 2022 Recours formé par la société de droit belge …, SPRL … (Belgique), contre une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines en matière d’amende administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45533 du rôle et déposée le 21 janvier 2021 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée JB Avocats SARL, établie et ayant son siège social à L-3490 Dudelange, 24-26, rue Jean-Jaurès, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg et sous le numéro B 244.679 auprès du registre du commerce et des sociétés, représentée par sa gérante unique actuellement en fonctions, Maître Samira Bellahmer, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société de droit belge … SPRL, ayant son siège social à B-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, Monsieur … ayant élu domicile à l’étude de son litismandataire, préqualifiée, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 21 octobre 2020, confirmant, sur opposition, sa décision du 24 août 2020 lui infligeant une amende administrative « ITM Amende 2020-1448a-DET-228197» de 3.500.- euros ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 avril 2021 ;

Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 mai 2021 par la société à responsabilité limitée JB Avocats SARL, préqualifiée, au nom de la société … SPRL, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 juin 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu l’information de la société à responsabilité limitée JB Avocats SARL, préqualifiée, du 21 avril 2022 suivant laquelle celle-ci marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » 1 Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en sa plaidoirie à l’audience publique du 10 mai 2022, la société à responsabilité limitée JB Avocats SARL, préqualifiée, étant excusée.

__________________________________________________________________________________

Lors d’un contrôle en date du 5 juin 2020 sur le lieu de travail sis à …, L-…, l’Inspection du Travail et des Mines, dénommée ci-après « l’ITM », a constaté que la société … SPRL, dénommée ci-après « la Société », avait détaché des salariés en vue d’effectuer une prestation de services sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

En date du 29 juillet 2020, l’ITM adressa une injonction par courrier recommandé avec accusé de réception, sur base des articles L.142-2, L.142-3, L.222-2, L.125-7 et L.222-10 du Code du travail, demandant à la Société, conformément aux articles L.614-4, paragraphe 1er, point a) deuxième tiret et L.614-5 du Code du travail, qu’elle régularise sa situation par rapport auxdites dispositions légales endéans un délai de 15 jours par la communication notamment des fiches de salaire, de la preuve du paiement des salaires, ainsi que des fiches de pointage des salariés concernés, et de lui communiquer toutes les informations et tous les documents requis sur la plateforme électronique destinée à cet effet afin de se conformer aux articles L.141-2 et L.142-3 du Code du travail endéans un délai de 15 jours calendrier, la Société s’étant vue rappeler que « (…) Die Verstöße gegen die Bestimmungen der Artikel L.142-2, L.142-3 und L.281-1 werden mit einem Bußgeld zwischen 1.000 und 5.000 Euro pro entsandter Arbeitnehmer und zwischen 2.000 und 10.000 Euro im Wiederholungsfall binnen 2 Jahren ab dem Tag der Zustellung des ersten Bußgeldbescheids bestraft. Der Gesamtbetrag des Bußgeldes darf 50.000 Euro nicht überschreiten. Um den Betrag des Bußgeldes festzusetzen, berücksichtigt der Direktor des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes die Umstände und die Schwere des Verstoßes sowie das Verhalten des Zuwiderhandelnden. (…) ».

Malgré un courriel de la Société du 10 août 2020, le directeur de l’ITM, ci-après désigné par « le directeur », constata par décision du 24 août 2020, que la Société n’avait pas réservé toutes les suites nécessaires à l’injonction du 29 juillet 2020 endéans le délai imparti, et infligea à cette dernière, sur base de l’article L.614-13 du Code du travail, une amende administrative d’un montant de 3.500.- euros du fait de ne pas avoir transmis les pointages de début, fin et durée du travail journalier du mois de juin 2020 des salariés …, né le …, et …, né le ….

Par un courriel du 4 septembre 2020, la Société forma opposition contre la décision précitée du 24 août 2020.

Par décision du 21 octobre 2020, le directeur déclara recevable ladite opposition, mais la rejeta comme non fondée, tout en confirmant l’imposition de l’amende administrative « ITM Amende 2020-1448a-DET-228197 » de 3.500,- euros fixée en date du 24 août 2020. Ladite décision est motivée comme suit :

« (…) Vu les articles L.143-2 et L.614-13 du Code du travail ;

Vu l'injonction du 29 juillet 2020 qui a été établie conformément aux articles L.614-4, paragraphe 1er, point a), deuxième tiret et L.614-5 du Code du travail par …, Inspecteur principal du travail, de l’Inspection du travail et des mines ;

2Vu la décision du 24 août 2020 du Directeur de l’Inspection du travail et des mines d’infliger une amende administrative « ITM Amende 2020-1448a-DET-228197 » de 3.500 euros à la société … SPRL, sise à … B-…, en qualité d’employeur, pour avoir omis de donner des suites et de prendre les mesures requises endéans le délai imparti par l’injonction lui notifiée en date du 29 juillet 2020 par …, Inspecteur principal du travail de l’Inspection du travail et des mines ;

Vu l’opposition du 4 septembre 2020 contre ladite décision du Directeur de l’Inspection du travail et des mines, qui a été notifiée par courriel par la société … SPRL, préqualifiée, et qui a été reçue par l’Inspection du travail et des mines en date du 4 septembre 2020 ;

Que l’opposition du 4 septembre 2020 contre la décision du Directeur de l’Inspection du travail et des mines a été régulièrement notifiée endéans le délai de quinze jours à compter de la date de notification de l’amende administrative ;

Vu l’opposition du 4 septembre 2020 contre ladite décision du Directeur de l’Inspection du travail et des mines, qui a été notifiée par lettre recommandée par la société … SPRL, préqualifiée, et qui a été reçue par l’Inspection du travail et des mines en date du 10 septembre 2020 ;

Que l’opposition du 4 septembre 2020 contre la décision du Directeur de l’Inspection du travail et des mines a été régulièrement notifiée endéans le délai de quinze jours à compter de la date de notification de l’amende administrative ;

Que la société … SPRL, préqualifiée, précise dans son opposition du 4 septembre 2020, qu’elle aurait envoyé à l’Inspection du travail et de mines les fiches de salaires de ses ouvriers non-qualifiés ;

Que la société … SPRL, préqualifiée, explique dans son opposition du 4 septembre 2020, que le salaire horaire de 14,6790 euros, indiqué sur les fiches de salaire, serait plus élevé par rapport au salaire minimum luxembourgeois de 12,3815 euros ;

Que la société … SPRL, préqualifiée, affirme dans son opposition du 4 septembre 2020, qu’elle aurait envoyé à l’Inspection du travail et de mines les confirmations de paiement qui seraient établies par son secrétariat social ;

Que les pointages indiquant le début, la fin et la durée du travail journalier du mois de juin 2020 des salariés …, né le …, et …, né le …, réclamés moyennant l’injonction du 29 juillet 2020, n’ont pas été notifiés par la société … SPRL, préqualifiée, à l’Inspection du travail et des mines endéans le délai imparti et font toujours défaut ;

Que l’omission de notification des pointages indiquant le début, la fin et la durée du travail journalier du mois de juin 2020 ne permet pas à l’Inspection du travail et des mines de déterminer si la société … SPRL, préqualifiée, a respecté le salaire social minimum prévu au Grand-Duché de Luxembourg pour les salariés …, né le …, et …, né le … ;

Que les motifs invoqués par l’entreprise détachante dans son opposition ne sauraient être retenus et ne permettent dès lors pas une décharge de l’amende administrative (…) ».

3Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 janvier 2021, la Société a fait introduire un recours principalement en réformation, subsidiairement en annulation de la décision directoriale précitée du 21 octobre 2020.

En application de l’article L.614-14 du Code du travail, « toutes les décisions administratives prises sur base des dispositions de la présente loi sont soumises au recours en réformation visé à l’article 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ».

En l’espèce, la décision déférée a été prise sur base des articles L.143-2 et L.614-13 du Code du travail et elle porte sur la fixation d’une amende administrative décidée à l’encontre de la Société. Il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre la décision litigieuse.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du recours quant au respect du délai d’action et quant à l’intérêt à agir de la Société, sans pour autant fournir la moindre argumentation à ce sujet.

Force est au tribunal de préciser que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Dès lors, étant donné que la partie gouvernementale est restée en défaut de préciser dans quelle mesure le délai d’introduction du recours n’aurait pas été respecté, respectivement pour quelle raison la Société n’aurait pas intérêt à agir contre la décision déférée, les moyens d’irrecevabilité afférents encourent le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.

Il s’ensuit que le recours principal en réformation introduit contre la décision litigieuse est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse, après avoir passé en revue les rétroactes repris ci-dessus, rappelle que, suite à l’injonction du 29 juillet 2020, elle aurait pris soin d’adresser, en date du 10 août 2020, un courriel à l’ITM, dans lequel elle lui aurait diligemment communiqué les documents requis dans le délai imparti, et ce, bien que les locaux de la société auraient été fermés en raison du congé collectif s’étalant du 13 juillet au 3 août 2020, tel qu’attesté par un courrier de la Confédération de la construction régionale daté du 23 octobre 2020 qu’elle aurait pris soin de citer dans son courriel du 10 août 2020. Les annexes versées auraient été les suivantes :

-

Fiches de salaire des salariés … et … ;

-

Preuve de paiement, respectivement lettre de confirmation de paiement par le secrétariat social qui effectuerait directement le paiement desdits salaires ;

-

Traduction française des contrats de travail pour les deux salariés en question.

4La partie demanderesse donne à considérer qu’alors même que, suite à la réception desdits documents par courriel, l’ITM n’aurait fait état d’aucun manquement dans son chef, cette dernière aurait, malgré tout, notifié la décision du 24 août 2020 prononçant l’amende litigieuse à son encontre, lui reprochant ainsi à tort de ne pas avoir donné de suites, endéans le délai imparti, à l’injonction du 29 juillet 2020, et ce, sans faire la moindre allusion au courriel du 10 août 2020 et aux pièces y annexées.

La demanderesse souligne que l’ITM reconnaîtrait cependant tant dans sa décision du 24 août 2020 que dans celle du 21 octobre 2020, que seules les fiches de pointage seraient manquantes.

Concernant les fiches de pointage, la Société explique, qu’étant une toute petite entreprise, elle n’en disposerait pas, mais qu’elle aurait mis en place un système de « tracking » qu’elle aurait versé aux débats en cours d’instance. La demanderesse avoue ne pas avoir bien saisi cette demande de fiches de pointage estimant que l’indication mentionnée, dans les fiches de salaire, des heures de travail prestées par lesdits salariés seraient une indication suffisante.

Elle conteste ne pas avoir donné de suites endéans le délai imparti à l’injonction qui lui aurait été notifiée en date du 29 juillet 2020, alors que toutes les pièces demandées auraient été envoyées dans le délai imparti, hormis uniquement les fiches de pointage qui n’existeraient pas. La demanderesse souligne qu’elle n’aurait pas voulu prendre le risque de fabriquer des fiches de pointage de complaisance, partant des faux, uniquement pour satisfaire aux exigences de l’ITM.

La Société souligne avoir versé les fiches de salaires détaillées des salariés concernés, lesquelles n’auraient, à ce jour, jamais fait l’objet d’une inscription en faux, de sorte que leur contenu ferait foi jusqu’à preuve du contraire.

La Société estime que l’ITM s’acharnerait sur elle en lui infligeant une amende conséquente sans prendre en considération les diligences qu’elle aurait effectuées à deux reprises.

En effet, la demanderesse donne à considérer que ce ne serait pas la première fois que l’ITM lui aurait demandé des documents et lui aurait infligé une amende, alors qu’une autre affaire ferait actuellement l’objet d’une contestation devant le tribunal de céans. Selon la Société, l’ITM aurait dû, dans le cadre de son enquête, prononcer une seule et même injonction afin de requérir l’ensemble des documents. Or, au lieu de cela, elle aurait notifié deux injonctions, y compris celle faisant l’objet du présent recours, en demandant dans le cadre de chacune des deux injonctions des documents concernant les mêmes salariés. Il paraîtrait ainsi injuste d’être lourdement sanctionnée à deux reprises dans le cadre de la même enquête.

Ainsi, la demanderesse estime qu’il y aurait lieu d'annuler l'amende sinon de réduire son quantum à de plus justes proportions au vu du constat suivant lequel elle serait manifestement surfaite et disproportionnée, surtout au vu de la première amende prononcée.

La demanderesse considère qu’il serait avéré, après communication des pièces probantes requises, qu’elle aurait respecté les obligations légales et réglementaires qui s’imposeraient à elle, la demanderesse rappellant qu’elle se serait bien manifestée auprès de l’ITM dans le délai imparti de 15 jours après l’injonction, et ce, suivant courriel du 10 août 2020 précité, circonstance dont l’ITM n’aurait cependant nullement tenu compte dans ses décisions du 24 août et du 21 octobre 2020, de sorte qu’il y aurait lieu à voir réduire l’amende à la somme de 500.- euros.

5 Dans son mémoire en réplique, la demanderesse donne encore à considérer qu’en toute bonne foi, elle ne pourrait nier qu’elle n’aurait pas versé de fiches de pointage, mais qu’elle tenterait, du mieux qu’elle pourrait, de régulariser la situation dans le cadre de la présente instance, en versant la preuve d’un système de « tracking » mis en place. Il serait excessif, tel que le prétendrait le délégué du gouvernement, d’affirmer que la production de documents au stade contentieux des documents demandés reviendrait à ouvrir la porte à toute sorte d’abus de la part des sociétés.

Selon la demanderesse, il faudrait distinguer entre les sociétés négligentes qui ne prendraient pas la peine de donner suite aux injonctions de l’ITM et celles qui se montreraient très réactives et réceptives en réservant très rapidement des suites aux diligences requises par l’ITM, ce qui serait son cas. Ainsi, il serait important d’apprécier les situations au cas par cas.

La Société ajoute encore que si elle ne se serait pas entièrement régularisée au stade contentieux, en ne versant que la fiche de « tracking », faute de système de pointage, du fait d’avoir estimé, certes à tort, que les fiches de salaire indiquant les heures de travail prestées par les salariés auraient suffi, la seule chose qui pourrait lui être reprochée, ce serait d’avoir cru bien faire. En versant uniquement la preuve de l’existence d’un tel système de « tracking », la demanderesse entendrait ne pas vouloir accabler le tribunal de céans de toutes les fiches de « tracking » quotidiennes.

Concernant la critique de l’ITM, selon laquelle le système de « tracking » semblerait être flou, la demanderesse fait encore préciser qu’il s’agirait d’un système de traçage professionnel GPS, installé dans le véhicule des salariés permettant de contrôler ainsi leur temps de travail et de les géo-localiser, ce qui permettrait de connaître les heures de travail et les lieux, respectivement les différents chantiers sur lesquels seraient amenés à se déplacer les employés. S’agissant d’un véhicule à usage professionnel exclusif, il serait dès lors utilisé uniquement durant les heures de travail, de sorte que l’ITM pourrait contrôler sans difficulté les heures prestées.

Concernant la traduction exigée par l’ITM, la demanderesse note que les éléments essentiels seraient mentionnés dans ses pièces, en l’occurrence, les dates, les horaires et les adresses, de sorte que l’ITM aurait été en mesure d’exercer son contrôle en rapprochant les fiches de « tracking » et les fiches de salaires indiquant les heures prestées, ainsi que les horaires de travail, mentionnés dans le contrat de travail des salariés.

La Société donne encore à considérer que si ce système de « tracking », faisant office de fiches de pointage, ensemble avec les fiches de salaires, étaient jugés insuffisants, elle ne manquerait pas de mettre en place un système de pointage, tel qu’exigé par l’ITM.

Quant à la problématique des deux injonctions parallèles, la demanderesse note que l’ITM se contenterait de rétorquer vaguement et de manière peu convaincante, qu’aucune obligation ne pèserait sur elle de procéder à une seule et même injonction concernant différents points litigieux et qu’une bonne administration exigerait de scinder un même dossier en plusieurs parties. Selon la demanderesse, l’ITM soutiendrait à tort qu’il n’appartiendrait pas au tribunal administratif d’apprécier ses prérogatives, alors que ce dernier disposerait d’un réel pouvoir d’appréciation, notamment dans le cadre d’un recours en réformation. Si la Société admet qu’il n’existerait aucune obligation pesant sur l’ITM à ce sujet, elle relève que cette dernière n’expliquerait pas pourquoi deux injonctions et deux amendes pour une remise de 6documents, et ce, suite à un même contrôle du 5 juin 2020, seraient nécessaires dans le seul souci d’une bonne administration. Si les documents exigés ne seraient certes pas les mêmes, ils seraient cependant intimement liés et concerneraient les mêmes salariés.

Concernant la décharge accordée suite à la première injonction datée du 11 juin 2020 de la demanderesse, il y aurait lieu de souligner qu’elle serait intervenue suite au recours contentieux qu’elle aurait introduit à l’encontre de la première décision datée du 10 septembre 2020 et ayant prononcé une amende de 4.000.- euros.

Etant donné que l’ITM, dans ladite décharge, indiquerait explicitement « que les contrats traduits dans une langue officielle du Grand-Duché de Luxembourg…bien que notifiés en dehors du délai indiqué dans l’injonction du 11 juin 2020, ne font dès lors plus défaut », l’ITM serait en aveu qu’elle accepterait que la situation soit régularisée ultérieurement, la demanderesse s’interroge des raisons pour lesquelles l’ITM refuserait la transmission de pièces en cours d’instance, dans le cadre de la présente injonction, alors qu’il s’agirait du même contrôle diligenté par l’ITM le 5 juin 2020.

Enfin, la demanderesse souligne qu’elle ne serait pas indigne de la clémence du tribunal de céans, alors qu’elle se serait montrée de bonne foi, réactive et attentive aux diligences requises par l’ITM, qui elle-même aurait été indulgente envers elle en lui accordant décharge pour la première amende lui infligée, alors qu’elle aurait pris le soin de se régulariser relativement rapidement. Etant donné qu’elle ne se serait pas montrée inerte et désintéressée face aux diligences requises par l’ITM, la Société est d’avis qu’elle ne serait nullement indigne d’une décharge.

Quant au montant de l’amende, la Société tient à souligner qu’aux termes de l’article L.614-13 du Code du travail, le directeur serait en droit, donc aurait la possibilité, d’infliger une amende à l’employeur, ceci en fonction du degré de gravité.

A titre subsidiaire, la demanderesse demande une réduction de l’amende à un montant entre 500.- et 1000.- euros, montant qui se trouverait également dans la fourchette prévue par la loi.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

Aux termes de l’article L.614-13 du Code du travail « (1) En cas de non-respect endéans le délai imparti, des injonctions du directeur ou des membres de l’inspectorat du travail, dûment notifiées par écrit, conformément aux articles L. 614-4 à L. 614-6 et L. 614-8 à L. 614-11, le directeur de l’Inspection du travail et des mines est en droit d’infliger à l’employeur, à son délégué ou au salarié une amende administrative.

(2) La notification de l’amende à l’employeur, à son délégué ou au salarié destinataire s’effectue moyennant lettre recommandée ou contre signature apposée sur le double de la décision.

(3) En cas de désaccord, l’employeur, son délégué ou le salarié destinataire doit former opposition par écrit motivé endéans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de l’amende administrative, moyennant notification, par lettre recommandée ou contre signature sur le double de sa réclamation, au directeur de l’Inspection du travail et des mines.

7 (4) En cas d’opposition, le directeur de l’Inspection du travail et des mines prend au vu de la motivation écrite lui notifiée par l’employeur, son délégué ou le salarié destinataire une nouvelle décision motivée, à caractère contradictoire, qui est à son tour notifiée tel que disposé au paragraphe (2) du présent article.

A défaut d’opposition régulièrement notifiée, l’amende administrative devient immédiatement exigible à l’expiration du délai d’opposition. En cas de non-paiement suivant le mode de règlement prescrit, elle fera l’objet d’un recouvrement forcé par exploit d’un agent de l’administration compétente, consécutivement à la signification d’un commandement à toutes fins à charge du contrevenant.

(5) Le montant de l’amende administrative est fixé selon le degré de gravité de l’infraction par le directeur de l’Inspection du travail et des mines à:

a) entre 25 euros et 25.000 euros pour les injonctions qui ont été notifiées en application de l’article L.614-4;

b) entre 1.000 euros et 25.000 euros pour les infractions qui ont été notifiées en application de l’article L.614-5;

c) entre 25 euros et 25.000 euros pour les injonctions qui ont été notifiées en application des articles L.614-6 et L.614-8 à L.614-11.

Pour fixer le montant de l’amende, le directeur de l’Inspection du travail et des mines prend en compte les circonstances et la gravité du manquement ainsi que le comportement de son auteur.

En cas de récidive dans le délai de deux ans, ces amendes peuvent être portées au double du maximum.

L’Administration de l’enregistrement et des domaines est chargée du recouvrement des amendes administratives qui lui sont communiquées par le directeur de l’Inspection du travail et des mines par la transmission d’une copie des décisions de fixation.

Le recouvrement est poursuivi comme en matière d’enregistrement. ».

S’il n’est pas contesté par la partie gouvernementale que la partie demanderesse a versé certains des documents sollicités par l’ITM au fil de l’instruction précontentieuse du présent dossier, et même dans le cadre de son recours contentieux, il appartient au tribunal de vérifier, dans le cadre du recours en réformation dont il est saisi, si l’amende retenue par la décision déférée est toujours justifiée au jour où il statue, étant précisé que la charge de la preuve de la communication des documents sollicités par l’ITM et du respect du délai imparti pour ce faire incombe à la partie demanderesse.

En effet, le tribunal, étant saisi d’un recours en réformation, est amené à apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé et quant à son opportunité, avec le pouvoir d’y substituer sa propre décision, impliquant que cette analyse s’opère au moment où il est appelé à statuer2, de sorte qu’il y a lieu de statuer suivant les éléments de fait et de droit présentement acquis3.

2 Trib. adm., 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas adm. 2021, V° Recours en réformation, n° 16 et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 8 juillet 2002, n° 13600 du rôle, Pas adm. 2021, V° Recours en réformation, n° 17 et les autres références y citées 8 Suivant les termes de la décision déférée du 21 octobre 2020, les seuls documents non encore valablement communiqués à ce moment, sont les pointages indiquant le début, la fin et la durée du travail journalier du mois de juin 2020 des salariés …, et ….

Au vu des pièces versées par la partie demanderesse, ensemble avec son recours, force est au tribunal de constater que lesdits documents manquants ainsi énumérés dans la décision directoriale déférée du 21 octobre 2020 font toujours défaut. En effet, la Société est d’ailleurs en aveu qu’elle n’a versé, en ce qui concerne les salariés … et …, que les fiches de salaire pour le mois de juin 2020, un courrier censé valoir comme preuve du paiement desdits salaires, ainsi que les contrats de travail, la demanderesse affirmant que des fiches de pointages n’existeraient pas au sein de son entreprise du fait de sa petite taille. Par ailleurs, la partie demanderesse n’a pas pris position sur la question des pointages avant le présent recours contentieux.

Au vu du constat fait ci-avant que certains documents font toujours défaut, force est au tribunal de retenir que c’est a priori à bon droit que le directeur a infligé une amende administrative à la partie demanderesse, sans que cette conclusion ne soit énervée, d’une part, par l’argumentation de la demanderesse non autrement circonstanciée et non soutenue par une quelconque pièce, relative à la « taille » de son entreprise, et, d’autre part, par le fait qu’elle s’estime affranchie d’établir des fiches de pointage au motif que la mention, dans les fiches de salaire, des heures de travail prestées par lesdits salariés seraient une indication suffisante à cet égard. Cette conclusion n’est pas non plus énervée par le fait que la Société verse actuellement une liste de données relatives à la géolocalisation de ses véhicules, alors que ces données ne peuvent pas être mises en relation avec un salarié déterminé, ni avec ses horaires de travail exacts.

En ce qui concerne le quantum de l’amende, force est au tribunal de retenir qu’alors même qu’aux vœux de l’article L.614-13 précité du Code du travail, le simple retard dans les suites données à une injonction est déjà passible d’une amende, et au vu du constat fait ci-avant que des documents énumérés dans la décision directoriale font toujours défaut, le montant de l’amende prononcée par la décision déférée doit être considéré comme étant disproportionné par rapport aux circonstances propres de l’espèce, à savoir le comportement de la partie demanderesse et la gravité du manquement, de sorte qu’il y a lieu de réduire l’amende ex æquo et bono à 1000.- euros.

Il s’ensuit que la décision déférée est à réformer en ce sens.

Au vu de l’issu du litige, il est fait masse des frais pour les imposer pour moitié à chacune des parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

9au fond, déclare le recours en réformation partiellement justifié, partant, par réformation de la décision du directeur de l’ITM déférée du 21 octobre 2020, réduit l’amende à payer par la société … SPRL à la somme de 1000.- euros ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

fait masse des frais et dépens de l’instance et les impose pour moitié à chacune des parties.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er juillet 2022 par :

Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, Benoît Hupperich, attaché de justice délégué, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er juillet 2022 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 45533
Date de la décision : 01/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-07-01;45533 ?

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