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28/06/2022 | LUXEMBOURG | N°47496

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2022, 47496


Tribunal administratif N° 47496 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juin 2022 4e chambre Audience publique 28 juin 2022 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47496 du rôle et déposée le 1er juin 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Katy Demarche, avocat à la Cour, inscr

ite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (...

Tribunal administratif N° 47496 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juin 2022 4e chambre Audience publique 28 juin 2022 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47496 du rôle et déposée le 1er juin 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Katy Demarche, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence Findel (SHUF), sise à L-1751 Findel, 12a, Beim Haff, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 16 mai 2022 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 juin 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Katy Demarche et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 juin 2022.

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Le 17 novembre 2021, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche dans la base de données EURODAC, que Monsieur … avait préalablement franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 20 octobre 2021 et que ses empreintes digitales avaient été prélevées en date du 21 octobre 2021.

Le 18 novembre 2021, il fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 19 novembre 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues italiens en vue de la prise en charge de Monsieur … en exécution du règlement Dublin III.

Par arrêté du 23 novembre 2021, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, désignée ci-après par « la SHUK », pour une durée de trois mois.

Par courrier du 18 janvier 2022, les autorités italiennes s’adressèrent à leurs homologues luxembourgeois dans les termes suivants :

« Chers messieurs, nous vous informons que la personne en question n est l objet que d une entrée illègale en Italie à Reggio de Calabre à la date du 21.10.2021.

En deuxième lieu la meme personne se deplaca dans votre pays à la date 17.11.2021 Donc il est resté en Italie moins d un mois pendant le quel il n était l objet d aucun titre de séjour.

Donc nous ne donnons pas notre accord officiel au transfert de la personne en question en Italie. (…) ».

Par courrier du 26 janvier 2022, les autorités luxembourgeoises prièrent les autorités italiennes de leur faire parvenir leur acceptation officielle tout en leur rappelant que les éléments de fait présentés par l’Italie leur étaient connus vu qu’elles avaient basé leur requête de prise en charge sur l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III sur ces derniers.

A défaut de réponse à leur courrier du 26 janvier 2022, les autorités luxembourgeoises renvoyèrent un courrier le 18 février 2022 à leurs homologues italiens dans lequel elles constatèrent l’acceptation tacite de la prise en charge de Monsieur … en les termes suivants :

« (…) Sauf inadvertance de ma part, je constate que vos autorités ne nous ont malheureusement pas fait parvenir une acceptation formelle quant à notre requête de prise en charge du 19/11/2021.

Or, il se dégage des éléments du dossier que l'Italie est, en vertu de l'article 13§1 du règlement Dublin III, le pays responsable pour instruire ce dossier. Force est par ailleurs de constater que le délai de réponse à respecter a malencontreusement expiré. Aussi, je tiens plus spécialement à vous rendre attentifs que l'absence de réponse équivaut, le cas échéant, à l'acceptation implicite des demandes de prise en charge, comme prévu par l'article 22§7 du règlement (UE) n° 604/2013 susmentionné. L'Etat membre requis est de facto réputé avoir acquiescé à la requête.

A la lumière de ce qui précède, je suis par conséquent obligée de considérer que l'Italie a tacitement accepté la prise en charge de l'intéressé en date du 20/01/2022.

Concernant l'organisation et l'exécution du transfert vers votre pays, une date vous sera communiquée dans les plus brefs délais. D'avance je vous remercie pour votre bonne collaboration. (…) ».

En date du 22 février 2022, le ministre prorogea l’assignation à résidence de Monsieur … pour une nouvelle durée de trois mois, arrêté qui fut rapporté en date du 4 mars 2022 et remplacé par une assignation à résidence, arrêtée le 4 avril 2022, à la structure d’hébergement d’urgence du Findel (SHUF) pour une durée de trois mois.

Par décision du 16 mai 2022, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie, sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des articles 13, paragraphe (1) et 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 17 novembre 2021 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 13(1) et 22(7) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 17 novembre 2021 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 18 novembre 2021.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 17 novembre 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 20 octobre 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 18 novembre 2021.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 19 novembre 2021 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 13(1) du règlement DIII.

En date du 18 janvier 2022, les autorités italiennes nous ont fait parvenir un courrier intitulé « Information », confirmant que vous avez franchi illégalement la frontière italienne en date du 21 octobre 2021. Cependant, ce courrier d'information ne comprend ni un accord formel, ni un refus formel, tel que les articles 5 et 6 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présenté dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, modifié par le Règlement Dublin III et le Règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, le prévoient. En effet, il ne peut être déduit ni de ce courrier ni d'aucun autre élément du dossier administratif que l'Italie aurait expressément refusé la demande de prise en charge au sens de l'article 5 du règlement d'exécution qui prévoit qu'une réponse négative est pleinement motivée et explique en détail les raisons du refus. Même si les informations reçues en date du 18 janvier 2022 confirment que l'article 13(1) du règlement Dublin III s'applique clairement dans votre cas, la Direction de l'immigration a demandé aux autorités italiennes de lui faire parvenir une acceptation formelle quant à sa requête du 19 novembre 2021. Ce courrier est cependant resté sans réponse.

Or, l'absence de réponse à la demande de prise en charge équivaut, conformément à l'article 22(7) du règlement DIII, à l'acceptation de la demande par lesdites autorités italiennes en date du 20 janvier 2022.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, conformément à l'article 13(1) du règlement DIII.

La responsabilité de l'Italie est acquise suivant l'article 22(7) du règlement DIII en ce que l'absence de réponse à l'expiration d'un délai de deux mois équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 17 novembre 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 20 octobre 2021.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté Kaboul en date du 28 août 2021. Vous seriez resté en Iran pendant deux ou trois jours, puis en Turquie pendant deux semaines. En date du 15 octobre 2021, vous seriez monté à bord d'une embarcation en direction de l'Italie. Vous y auriez passé deux semaines en quarantaine avant de continuer votre voyage vers le Luxembourg en traversant la France.

Lors de votre entretien Dublin III en date 18 novembre 2021, vous avez fait mention d'avoir mal au genou gauche. Cependant vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous indiquez ne pas avoir introduit une demande de protection internationale en Italie parce que « [votre] but était toujours de venir ici au Luxembourg car on y parle plusieurs langues » (page 5 du rapport d'entretien).

Rappelons à cet égard que l'Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S'il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d'accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d'importantes difficultés sur le plan de l'hébergement et des conditions de vie, il n'y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.

Notons dans ce contexte que l'Italie a adopté en date du 21 octobre 2020 le décret n° 130/2020 qui remplace la loi n° 132/2018 du 1er décembre 2018 et met en place le SAI (Sistema di accoglienza e integrazione). Ce nouveau système en matière d'accueil et d'intégration a réformé le système établi en 2018 et permet depuis lors d'améliorer l'accueil pour les demandeurs de protection internationale.

Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Italie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devait s'avérer nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n'ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 16 mai 2022.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit, qui est encore recevable pour avoir été introduit selon les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, tout en résumant les faits et rétroactes passés en revue ci-avant, explique être fils de commerçants et avoir passé des diplômes pour devenir prothésiste dentaire, métier qu'il aurait exercé en association dans un cabinet dentaire avec son associé qui pratiquerait la stomatologie.

Il affirme avoir dû quitter sa femme, sa famille et son association du fait du chaos dans son pays et notamment en raison de la lutte contre les talibans voulant avoir mainmise sur son quartier.

Il donne à considérer qu’après avoir quitté l'Afghanistan, son pays natal, par la Turquie, il aurait dû donner ses empreintes digitales à son arrivée en Italie, pays qu’il aurait cependant quitté pour déposer sa demande de protection internationale au Luxembourg le 17 novembre 2021, sans avoir compris qu'une demande de protection internationale avait été introduite en Italie par le fait de la prise d'empreintes.

Il estime que suite à la demande de prise en charge lui adressé par les autorités luxembourgeoises, l’Italie aurait opposé, en date du 18 janvier 2022, au Luxembourg un refus officiel pour son transfert vers Italie.

En droit, le demandeur conclut à une violation des délais de l'article 5 paragraphe (2) du règlement (CE) no 1560/2003 de la Commission portant modalités d’application du règlement (CE) no 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers, dénommé ci-après « le règlement d’exécution », selon lequel l'Etat membre requérant, estimant que le refus qui lui est opposé repose sur une erreur d'appréciation ou lorsqu'il dispose d'éléments complémentaires à faire valoir, devrait solliciter le réexamen de sa requête dans les trois semaines suivant la réception de la réponse négative, cette procédure additionnelle ne rouvrant pas les délais prévus à l'article 18, paragraphe (1) et (6) et à l'article 20, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Or, en l'espèce, la réponse des autorités italiennes du 18 janvier 2022 aurait opposé, dans le délai prévu de deux mois, un refus clair et sans équivoque à la demande de prise en charge leur adressée en date du 19 novembre 2021, contrairement à ce qui serait affirmé par la décision déférée, estimant erronément que la demande litigieuse n’aurait été ni rejetée, ni approuvée par les autorités italiennes, qui n’auraient communiqué que l’information selon laquelle il aurait franchi illégalement la frontière italienne en date du 21 octobre 2021.

Le demandeur fait encore relever que ce refus, véhiculé par la phrase finale du courrier du 18 janvier 2022, à savoir « Donc, nous ne donnons pas notre accord officiel au transfert de la personne en question en Italie », serait encore motivé notamment par le fait qu’il n’aurait fait l’objet que d’une entrée illégale en Italie et qu’il serait resté en Italie moins d’un mois avant de venir au Luxembourg.

Ainsi, les autorités luxembourgeoises auraient fait une erreur de lecture de l'information donnée par les autorités italiennes en omettant de lire la phrase de conclusion du courrier du 18 janvier 2022, valant réponse négative de leur part endéans le délai des deux mois depuis la demande de prise en charge leur adressée.

En effet, au cas où les autorités italiennes auraient eu l'intention d'accepter la prise en charge, il serait évident qu'elles n'auraient pas répondu endéans le délai, étant donné que le défaut de réponse dans les délais équivaudrait à une acceptation implicite.

Ensuite, la demande du ministère du 26 janvier 2022 sollicitant une acceptation formelle quant à leur requête devrait être considéré comme une demande de réexamen de la demande de prise en charge du 19 novembre 2021, à laquelle les autorités italiennes n'auraient pas donné de suites endéans le délai de deux semaines, tel que prévu par les dispositions précitées, de sorte que les autorités luxembourgeoises auraient à nouveau commis une erreur d'appréciation en droit, alors que suite à un refus de la part de l'Etat requis, une demande en réexamen de la demande initiale serait seule valable selon les dispositions des articles 24 et 25 du règlement Dublin III.

Or, le défaut de réponse endéans le délai de deux semaines équivaudrait à un refus de la part des autorités italiennes selon l'article 5, paragraphe (2) du règlement d’exécution.

Il cite, à cet effet, un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, dénommée ci-

après « la CJUE », du 13 novembre 2018, dans un affaire X et X c/ Staatssecretaris van Veiligheit en Justitie, inscrits sous les nos C-47/17 et C-48/17, qui aurait retenu que la procédure de réexamen d’une requête de prise ou de reprise en charge d'un demandeur d'asile devrait être interprétée comme encadrée par des délais impératifs et définitifs, dont la durée totale ne pourrait excéder 5 semaines, de sorte qu’elle serait à considérer comme clôturée à l'expiration du délai de deux semaines accordée à l'Etat requis pour répondre à la demande de réexamen facultative de l’Etat requérant. Ainsi, la procédure de réexamen étant facultative et l'article 5 du règlement d’exécution ne prévoyant pas explicitement d'obligation pour l'Etat requis de répondre à une telle demande, les juges auraient estimé qu'aucune obligation ne contraindrait l'Etat à répondre dans le délai de deux semaines, de sorte que l'expiration du délai de deux semaines devrait définitivement clôturer la procédure de réexamen, clôture qui, en l’espèce, serait intervenue à la date du 9 février 2022, engendrant l'examen de la demande d'asile par l'Etat requérant.

Le demandeur en conclut que, dès lors, l'Etat luxembourgeois devrait, à partir du 18 janvier 2022, être considéré comme responsable de l'examen de sa demande de protection internationale sur base de l'application des dispositions du règlement de Dublin III.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens, tout en précisant que la compétence de l'Italie serait donné aux termes de l'article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, alors que, l’absence de réponse, par l’Italie, à l'expiration du délai de deux mois à compter de la date de réception de la requête de prise en charge, serait à considérer comme une acceptation tacite en vertu de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III.

Il estime qu’il serait constant en cause que, par leur courrier du 18 janvier 2022, les autorités italiennes n'auraient « ni rejetée, ni approuvée » la requête leur adressée par les autorités luxembourgeoises en date du 19 novembre 2021, confirmant simplement que le demandeur « n'est l'objet que d'une entrée illégale en Italie à Reggio de Calabre (…) à la date 21.10.2021 (…) », de sorte que ce courrier devrait s'analyser en une acceptation implicite de la demande de prise ne charge ou tout au moins comme une absence de réponse concrète et formelle de la part des autorités italiennes.

En effet, les réponses des autorités italiennes seraient d’habitude explicites et les refus seraient non seulement intitulés « refus » ou « rejection », mais également argumentés, tel que cela ressortirait des exemples de décisions anonymisées versées à titre d'illustration au dossier administratif.

Le délégué du gouvernement revoie également à des jugements du tribunal administratif des 17 janvier 2022 et 9 juin 2021, inscrits sous les numéros de rôles 46800, respectivement 45879, qui auraient statué sur des cas similaires en retenant qu’il n’y aurait pas eu de refus explicite dans le cas d’un courrier intitulé « Information », se bornant à reprendre les renseignements factuels résultant de la base de données EURODAC, sinon concluant par la phrase suivante « Donc pour ces cas à moins qu'il n'avait été écouté à la commission, nous ne donnons aucun accord (…) ».

En ce qui concerne encore le courrier envoyé aux autorités italiennes le 26 janvier 2022, le délégué du gouvernement réfute l’argumentation du demandeur selon laquelle ce dernier devrait s'analyser en une demande de réexamen, alors que les deux pays en cause partageraient la même analyse du dossier, à savoir que le demandeur aurait franchi de manière irrégulière la frontière italienne le 20 novembre 2021, de sorte qu’il ne s'agirait que d’une demande tendant à obtenir une acceptation formelle.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu'un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu'à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l'Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte formellement ou tacitement, la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a également été prise, dispose, quant à lui, que « Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui dont le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière en provenance d’un pays tiers, cette responsabilité prenant fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.

Le tribunal constate de prime abord qu’en l’espèce, à la lecture de la décision ministérielle déférée, celle-ci est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur a franchi illégalement la frontière italienne le 20 octobre 2021 et, d’autre part, par le fait que les autorités italiennes ont accepté tacitement de prendre en charge Monsieur … sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, et ce, conformément à l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d’un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée ».

S’il n’est pas contesté en l’espèce par le demandeur, ainsi que par les autorités italiennes, que ce dernier a irrégulièrement franchi la frontière italienne le 20 octobre 2021, de sorte à donner lieu à l’application de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, les parties, en l’espèce, sont en désaccord concernant la portée du courrier des autorités italiennes du 18 janvier 2022, le demandeur soutenant que par la dernière phrase dudit courrier, à savoir « Donc, nous ne donnons pas notre accord officiel au transfert de la personne en question en Italie », tandis que la partie gouvernementale estime que par ledit courrier référencé « RE : EC REGULATION n. 604/2013/dublin III – INFORMATION », les autorités italiennes n’auraient pas pris de décision formelle sur la demande de prise charge litigieuse.

Force est au tribunal de retenir que c’est à bon droit que le délégué du gouvernement considère que les autorités italiennes n’ont pas donné de réponse formelle à la requête de prise en charge leur transmise le 19 novembre 2021. Si la teneur du courrier litigieux des autorités italiennes du 18 janvier 2022 peut certes, à première vue, prêter à confusion du fait qu’il semble ne pas vouloir donner d’« accord officiel » pour le transfert demandé, d’autant plus qu’il a été émis dans le délai de 2 mois, tel que prévu par l’article 22, paragraphe (1) du règlement Dublin III, fixant le délai pour l’Etat requis de répondre à la demande de prise en charge d’un demandeur de protection internationale sur base des règles de compétence dudit règlement, ledit courrier, ne saurait pourtant valoir refus exprès de prise en charge au sens de l’article 5 du règlement d’exécution, devant nécessairement être déclinatoire de responsabilité. En effet, au-

delà du constat que du fait que le courrier du 18 janvier 2022 porte en référence la mention expresse « INFORMATION », il n’épouse pas la forme d’une décision formelle usuelle telle qu’elle ressort des décisions anonymisées versées à titre de comparaison par le délégué du gouvernement, portant toutes, à ce même endroit du courrier, les mentions « ACCEPTATION », respectivement « REFUS » ou « REJECTION », force est au tribunal de constater que ledit courrier ne porte aucun argumentaire, ni aucune conclusion par rapport à la responsabilité pour le traitement de la demande de protection internationale litigieuse, respectivement pour justifier une éventuelle incompétence de l’Italie à cet égard, par référence à une quelconque disposition du règlement Dublin III, mais se limite à reprendre, sans les contester, les mêmes éléments factuels mis en avant par les autorités luxembourgeoises pour justement conclure à la responsabilité de l’Italie.

Ainsi, par le fait de préciser que « nous ne donnons pas notre accord officiel au transfert de la personne en question en Italie », les autorités italiennes n’ont pas donné de réponse négative, basée sur une analyse en fait et en droit des éléments de la cause, pour conclure à l’absence de responsabilité dans leur chef, mais ont simplement informé le ministre qu’aucun accord « officiel », partant explicite, ne lui sera adressé par leur soins, insinuant, au regard de la non-contestation des éléments factuels mis en avant pour conclure à leur responsabilité et au regard du fait qu’ils ne déclinent pas expressément leur responsabilité, que la prise en charge ne pourrait se faire que sur base d’un accord tacite, par opposition à l’accord exprès, soit « officiel ».

Il s’ensuit que le courrier précité du 18 janvier 2022 ne saurait être interprété comme un refus pleinement motivé de la part des autorités italiennes d’accepter leur responsabilité, tel que prévu à l’article 5 du règlement d’exécution.

Au vu de ce qui précède, il doit être retenu que conformément à ce qui est avancé par la partie gouvernementale, les autorités italiennes n’ont pas répondu expressément, par une acceptation ou par un refus, à la requête de prise en charge leur transmise le 19 novembre 2021 par les autorités luxembourgeoises, de sorte qu’elles sont à considérer comme ayant tacitement accepté la prise en charge du demandeur sur le fondement de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, en l’absence de réponse, négative ou affirmative, à l’expiration du délai de deux mois. Ainsi, c’est à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.

Ainsi, en l’absence d’une décision de refus au sens de l’article 5 du règlement d’exécution, impliquant que le ministre n’était pas en situation de solliciter un réexamen de sa requête de prise en charge, le moyen tenant au non-respect des délais y prévus encourt le rejet pour manquer en fait.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens, que le recours en réformation est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2022 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, 28 juin 2022 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 47496
Date de la décision : 28/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-06-28;47496 ?

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