La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2022 | LUXEMBOURG | N°47513

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juin 2022, 47513


Tribunal administratif N° 47513 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juin 2022 2e chambre Audience publique du 27 juin 2022 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47513 du rôle et déposée le 3 juin 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Ery...

Tribunal administratif N° 47513 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juin 2022 2e chambre Audience publique du 27 juin 2022 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47513 du rôle et déposée le 3 juin 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence Findel (« SHUF »), sise à L-1751 Findel, 12a, Beim Haff, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 mai 2022 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Italie, comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 juin 2022 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Michel Karp du 14 juin 2022 informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 20 juin 2022.

___________________________________________________________________________

Le 10 décembre 2021, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-

après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » 1criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 7 novembre 2021.

Le 10 décembre 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du 16 décembre 2021, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, ci-après dénommée « SHUK », pour une durée de trois mois.

Le même jour, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues italiens une demande de prise en charge de Monsieur …, sur base de l’article 13 (1) du règlement Dublin III.

En l’absence de réponse de la part des autorités italiennes, les autorités luxembourgeoises informèrent ces dernières, par courrier du 18 février 2022, qu’elles considéraient l’Italie comme ayant tacitement accepté la prise en charge de Monsieur … en date du 17 février 2022, en application de l’article 22 (7) du règlement Dublin III.

Par arrêté du 4 mars 2022, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre rapporta le susdit arrêté portant assignation à résidence de Monsieur … à la SHUK.

Par arrêté du 4 avril 2022, notifié à l’intéressé le 7 avril 2022, le ministre ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à la SHUF pour une durée de trois mois.

Par décision du 23 mai 2022, le ministre informa l’intéressé du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions des articles 13 (1) et 22 (7) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 10 décembre 2021 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 13(1) et 22(7) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de 2recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 10 décembre 2021.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 10 décembre 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 7 novembre 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 10 décembre 2021.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 16 décembre 2021 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l’article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut tacitement acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 17 février 2022, conformément à l’article 22(7) du règlement DIII.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un Etat membre dans lequel il est entré en venant d’un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, conformément à l’article 13(1) du règlement DIII.

La responsabilité de l’Italie est acquise suivant l’article 22(7) du règlement DIII en ce que l’absence de réponse à l’expiration d’un délai de deux mois équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée.

3En application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d’analyser s’il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d’entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n’est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 10 décembre 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 7 novembre 2021.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté l’Erythrée en février 2017. Vous seriez resté neuf mois en Ethiopie et trois ans au Soudan avant de continuer votre trajet vers la Libye. Vous racontez que les passeurs vous auraient frappé sur les pieds avec un tuyau en caoutchouc.

Vous racontez également que vous auriez encore mal au dos et aux genoux à la suite d’un accident de voiture en Libye. En date du 1er novembre 2021, vous seriez monté à bord d’une embarcation en direction de l’Italie et vous auriez été déposé en Sicile. Vous seriez resté en Italie pendant trois semaines avant de partir au Luxembourg en traversant la France. Vous déclarez être arrivé au Luxembourg en date du 8 décembre 2021.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 10 décembre 2021, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous déclarez avoir quitté l’Italie sans introduire une demande de protection internationale parce que votre but était d’aller au Luxembourg. Selon vos dires, les gens en Libye vous auraient conseillé de venir ici. Vous déclarez également ne pas vouloir retourner en Italie parce que vous n’aimeriez pas le pays.

Rappelons à cet égard que l’Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

4Soulignons en outre que l’Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S’il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d’importantes difficultés sur le plan de l’hébergement et des conditions de vie, il n’y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu’il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte UE.

Notons dans ce contexte que l’Italie a adopté en date du 21 octobre 2020 le décret n° 130/2020 qui remplace la loi n° 132/2018 du 1er décembre 2018 et met en place le SAI (Sistema di accoglienza e integrazione). Ce nouveau système en matière d’accueil et d’intégration a réformé le système établi en 2018 et permet depuis lors d’améliorer l’accueil pour les demandeurs de protection internationale.

Par conséquent, en l’absence d’une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l’Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d’accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l’application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même 5si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers l’Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Italie, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devait s’avérer nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 juin 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 23 mai 2022.

Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28 (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation sous examen, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en expliquant, plus particulièrement, avoir quitté l’Erythrée en février 2017 pour rejoindre l’Ethiopie, où il aurait séjourné pendant neuf mois avant de continuer son trajet vers la Libye où des passeurs l’auraient frappé sur les pieds avec un tuyau en caoutchouc et où il aurait été victime d’un accident de voiture qui lui causerait encore à l’heure actuelle divers problèmes de santé. Le 1er novembre 2021, il serait finalement monté à bord d’une embarcation en direction de l’Italie et il aurait été déposé en Sicile. Il explique qu’après un séjour de trois semaines en Italie, il aurait traversé la France pour arriver au Luxembourg le 8 décembre 2021.

En droit, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir fait application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17 (1) du règlement Dublin III.

A cet égard, il explique que l’Italie n’aurait été qu’un pays de transit pour lui et qu’il n’y aurait pas introduit de demande de protection internationale, le demandeur ajoutant qu’en 6tout état de cause, le « […] doute sur une situation difficile […] » devrait lui profiter.

Il continue en précisant que ce serait après avoir entendu parler du Luxembourg en Libye qu’il aurait décidé de rejoindre ce pays dans le but de s’intégrer à la société luxembourgeoise et d’y trouver un travail.

Enfin, il explique souffrir de nombreuses douleurs au dos et aux genoux et que son état de santé empêcherait un quelconque transfert vers l’Italie du fait qu’il devrait suivre des examens médicaux et des traitements au Luxembourg.

En conclusion, Monsieur … demande au tribunal de réformer la décision déférée et de déclarer les autorités luxembourgeoises compétentes pour connaître de sa demande de protection internationale. Subsidiairement, il sollicite l’application de la susdite clause de souveraineté.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13 (1) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités italiennes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui dont le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière en provenance d’un pays tiers, cette responsabilité prenant fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.

Enfin, l’article 22 (7) du règlement Dublin III prévoit que « L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois [à compter de la date de réception de la requête de prise en 7charge] et du délai d’un mois [lorsque l’Etat membre requérant a invoqué l’urgence] équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. ».

En l’espèce, pour autant qu’à travers son affirmation selon laquelle l’Italie n’aurait été qu’un pays de transit pour lui et qu’il n’y aurait pas introduit de demande de protection internationale, le demandeur ait entendu remettre en cause la compétence de principe de l’Italie, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour le traitement de sa demande d’asile, le tribunal retient que ces contestations sont à rejeter. En effet, tel que relevé ci-avant, il se dégage du dossier administratif, d’une part, qu’une recherche effectuée dans la base de données EURODAC a révélé que l’intéressé avait auparavant franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 7 novembre 2021 et, d’autre part, qu’une demande de prise en charge a été adressée aux autorités italiennes le 16 décembre 2021. Cette demande est restée sans réponse depuis lors, de sorte que c’est à juste titre que le ministre l’a considérée comme ayant été tacitement acceptée le 17 février 2022, sur base du susdit article 22 (7) du règlement Dublin III, le demandeur n’ayant, d’ailleurs, pas formulé de contestations circonstanciées à cet égard. Ainsi, en application des articles 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 13 (1) du règlement Dublin III, précités, le ministre a valablement pu conclure à la compétence de principe de l’Italie, respectivement à l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour le traitement de la demande d’asile de Monsieur …, et ce, nonobstant le fait que ce dernier n’a pas déposé de demande de protection internationale en Italie.

Il y a ensuite lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1), précité, du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En l’espèce, le demandeur n’invoque pas l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, mais se prévaut exclusivement de l’article 17 (1) du même règlement, qui prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».

A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres2, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 16 février 20173.

2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

3 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n°C-578/16, pts 88 et 97.

8Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge4, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration5.

Or, en l’espèce, le demandeur n’a mis en avant aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par le règlement Dublin III et qui aurait dû amener le ministre à examiner sa demande de protection internationale malgré la compétence de principe des autorités italiennes, et ce, en faisant application de la clause de souveraineté inscrite à l’article 17 (1) du règlement Dublin III. En effet, son souhait de s’intégrer dans la société luxembourgeoise en y travaillant est non seulement insuffisant à cet égard, mais relève, qui plus est, du « forum shopping » que le règlement Dublin III vise justement à éviter. De même, si le demandeur invoque encore des douleurs au dos et aux genoux, donc globalement des problèmes de santé, ainsi que le fait qu’il devrait rester au Luxembourg pour y effectuer des examens médicaux et y suivre un traitement, force est néanmoins au tribunal de constater qu’outre le fait que cette affirmation reste à l’état de pure allégation pour n’être sous-tendue par aucun élément de preuve, tel que des attestations médicales, le demandeur n’établit de toute façon pas non plus que, même à admettre que son état de santé devait effectivement nécessiter qu’il suive des traitements médicaux, il ne pourrait pas bénéficier des soins requis en Italie.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a dès lors lieu de conclure que le ministre ne s’est pas mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale de Monsieur …, alors même que cet examen incombe aux autorités italiennes. Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, sans faire application de l’article 17 (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen fondé sur une violation de cette disposition est rejeté.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

4 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

5 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

9condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 27 juin 2022 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 juin 2022 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47513
Date de la décision : 27/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-06-27;47513 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award