La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2022 | LUXEMBOURG | N°46163

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juin 2022, 46163


Tribunal administratif N° 46163 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juin 2021 2e chambre Audience publique du 27 juin 2022 Recours formé par la société anonyme …, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46163 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2021 par la

société coopérative KPMG Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1855 Luxembourg, 3...

Tribunal administratif N° 46163 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juin 2021 2e chambre Audience publique du 27 juin 2022 Recours formé par la société anonyme …, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46163 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2021 par la société coopérative KPMG Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1855 Luxembourg, 39, Avenue John F. Kennedy, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B149133, représentée par Monsieur …, en sa qualité d’associé, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, agissant en tant que successeur de la société anonyme …, absorbée en date du 27 décembre 2019, ayant eu son siège social à L-…, anciennement inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 26 mars 2021, inscrite sous le numéro C 28486 du rôle, rejetant une réclamation introduite par la requérante en date du 30 septembre 2020 contre le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités et le bulletin de l’impôt commercial communal de l’année 2019, tous deux émis le 29 juillet 2020 à l’adresse de la société … ;

Vu le mémoire en réponse déposé le 19 novembre 2021 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 décembre 2021 par la société coopérative …, préqualifiée, pour le compte de la société demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur …, pour la société …, et Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 mars 2022.

___________________________________________________________________________

Il est constant en cause qu’en date du 23 mars 2020, la société anonyme …, ci-après désignée par « la société … », déposa sa déclaration pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial de l’année 2019 et que, dans le cadre de cette déclaration, le bénéfice commercial de ladite société fut réduit du montant d’un apport caché de … euros au 1titre d’une remise de dettes de la part de la société XXX, ci-après désignée par « la société XXX ».

Par courrier du 30 juin 2020, le bureau d’imposition Sociétés 6, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », demanda des renseignements complémentaires au sujet de la déclaration de l’impôt sur le revenu déposée le 23 mars 2020, ledit courrier étant libellé comme suit :

« […] J’accuse réception de la déclaration pour l’impôt sur le revenu, l’impôt commercial et l’impôt sur la fortune des collectivités résidentes de l’année 2019. Afin de compléter notre dossier, je vous saurais gré de bien vouloir fournir avant le 21 juillet 2020 les pièces et renseignements suivants :

Apport caché Lors de l’analyse de ladite déclaration, j’ai dû constater que votre société réduit son bénéfice commercial par la déduction d’un apport caché (i.e. abandon de la créance vis-à-vis de la société liée XXX pour un montant de …).

Je tiens à vous rappeler que les remises partielles ou totales de dettes sont à analyser en tant que supplément d’apport au sens de l’article 18 LIR. Les suppléments d’apport ainsi déterminés sont à évaluer à leur valeur d’exploitation au moment de l’apport (art. 43 al. 1 LIR) De ce fait, je vous prie de bien vouloir me fournir un rapport d’évaluation de la créance au moment de l’abandon au niveau de la société « XXX », l’organigramme du groupe, bilan détaillé de la société « XXX et une copie de la déclaration de renonciation.

Pour conclure, je vous prie de bien vouloir noter que l’abandon des intérêts débieurs en relation avec la créance (i.e. … €) ne constitue pas de supplément d’apport et, par conséquent, est imposable. […] ».

Par courrier du 20 juillet 2020, la société anonyme …, ci-après désignée par « la société … », adressa en sa qualité de successeur de la société … prise de position au bureau d’imposition.

Le 29 juillet 2020, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société … le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2019 et le bulletin de l’impôt commercial communal de l’année 2019 conformément à son courrier du 30 juin 2020.

Par courrier du 30 septembre 2020, la société … introduisit auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », une réclamation à l’encontre desdits bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2019.

Cette réclamation fut rejetée par une décision du directeur du 26 mars 2021, référencée sous le numéro C 28486, libellée comme suit :

« […] Vu la requête introduite le 1er octobre 2020 par les sieurs … et …, de la société coopérative …, au nom de la société anonyme dissoute …, avec siège social à L-…, pour 2réclamer contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et de la base d'assiette de l'impôt commercial de l'année 2019, tous les deux émis en date du 29 juillet 2020 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu la mise en état du directeur des contributions du 11 janvier 2021, en vertu des §§ 243, 244 et 171 de la loi générale des impôts (AO), restée sans réponse ;

Vu les §§ 228 et 301 AO ;

Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit dans les forme et délai de la loi ; qu'elles sont partant recevables ;

Considérant que si l'introduction par une requête unique de plusieurs demandes distinctes, mais néanmoins semblables, empiète sur le pouvoir discrétionnaire du directeur des contributions de joindre des affaires si elles sont connexes, mais n'est pas incompatible en l'espèce avec les exigences d'une procédure ordonnée ni dommageable à une bonne administration de la loi ; qu'il n'y a pas lieu de la refuser ;

Considérant que la réclamante fait grief au bureau d'imposition de ne pas avoir reconnu dans son chef un apport caché en ce qui concerne les intérêts en relation avec divers emprunts pour lesquels le créancier renonce de son plein gré au recouvrement ;

Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens de la réclamante, la loi d'impôt étant d'ordre public ;

qu'à cet égard le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-

fondé ;

Considérant que la réclamante avait souscrit plusieurs emprunts d'une société liée, XXX (dénommée ci-après « la société liée »), entre les dates du 11 avril 2003 et 5 septembre 2007 ; qu'en date du 1er novembre 2019 elle a conclu un accord dans lequel la société liée renonce à la perception de sa créance ;

Considérant que le total des dus s'élevait à … euros ; que ce montant se composait d'un montant principal à hauteur de … euros et d'intérêts courus et non échus à hauteur de … euros ;

Considérant qu'en date du 30 juin 2020, le bureau d'imposition adressa une lettre à la réclamante l'informant que « l'abandon des intérêts débiteurs en relation avec la créance (i.e.

…€ ne constitue pas de supplément d'apport et, par conséquent est imposable. » ; que cette lettre est à considérer comme étant émise en vertu du § 205, alinéa 3 AO afin de garantir le « droit d'être entendu » de la réclamante ; que la réclamante y a répondu en date du 20 juillet 2020 ;

Considérant que le bureau d'imposition a émis, en date du 29 juillet 2020, les bulletins litigieux sans tenir compte des objections formulées par la réclamante dans son courrier du 20 juillet 2020, les jugeant non pertinentes ; qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique ;

3Considérant qu'en guise de motivation la réclamante avance que la législation luxembourgeoise ne ferait aucune différence entre le montant principal et les intérêts non échus en ce qui concerne l'apport caché ; qu'elle tend à appuyer ses affirmations en citant deux articles des « cahiers du droit luxembourgeois » et un arrêt de la Cour administrative :

« en principe les remises de dettes partielles effectuées par les actionnaires de l'appelante sont à analyser en tant qu'apports cachés au titre de l'exercice fiscal 2006 au cours duquel elles ont été effectuées, de sorte à devoir être éliminées des résultats imposables en vertu de l'article 18 LIR dans la limite du montant auquel ces remises sont à évaluer. » (Cour administrative du 7 février 2013, n° 31339C du rôle) ;

Considérant que les modes de financement utilisés par les sociétés ont une incidence sur l'imposition de leurs revenus ; que les sociétés peuvent avoir recours soit à l'émission d'actions ou de parts sociales soit à des emprunts pour financer leurs activités, même en cas de financement intra-groupe ; que les détenteurs d'actions ou de parts sociales ont droit à une quote-part du résultat de la société ; que les prêteurs de fonds d'une société ont seulement droit à une rémunération fixe sous forme d'intérêts sur les prêts accordés, indépendamment des bénéfices réalisés par la société ;

Considérant que les sociétés cherchent souvent à se financer en ayant plutôt recours à des fonds empruntés qu'à des fonds propres ; que ce choix du mode de financement pour les fonds empruntés entraîne en dehors de l'avantage d'une grande flexibilité au niveau de la politique de financement d'une entreprise, un traitement fiscal plus avantageux ; qu'en matière d'impôt sur le revenu des collectivités et d'impôt commercial communal, les intérêts débiteurs relatifs aux fonds empruntés diminuent les bases d'imposition d'une société tandis que la rémunération des détenteurs d'actions sous forme de dividendes et en fonction des résultats réalisés de la société, ne constitue pas une dépense d'exploitation déductible ; qu'en outre, les fonds empruntés, notamment les dettes, diminuent la fortune imposable en matière d'impôt sur la fortune ;

Considérant qu'un transfert de bénéfices de la filiale vers la société mère sous forme d'intérêts et inversement permet à un groupe multinational de sociétés où la société mère et la société filiale sont établies dans différents pays, de payer globalement moins d'impôts ;

Considérant qu'en matière fiscale, les sociétés membres d'un groupe doivent être considérées comme agissant entre elles sur un marché de pleine concurrence (normes OCDE) ;

Considérant qu'un gestionnaire même moyennement diligent et consciencieux, tendant à assurer la rentabilité d'une exploitation commerciale, ne renoncerait pas à la perception d'une créance envers sa filiale, s'il ne viserait pas un rendement certain à moyen ou long terme résultant de cette participation ;

Considérant qu'en droit fiscal, la « distribution cachée et l'apport caché constituent des opérations voisines ayant les caractéristiques suivantes. Il s'agit en effet de l'octroi d'un avantage entre personnes apparentées motivé par les relations sociales. L'associé qui cède à la société des biens économiques gratuitement ou à un prix anormalement bas effectue un apport caché à concurrence de la différence entre le prix effectif et le prix normal. Lorsque, en raison de sa participation, l'associé d'une société à responsabilité limitée renonce à sa créance 4envers la société, la renonciation est à considérer comme apport en société » (Etudes fiscales n° 113/114/115, …, Impôt sur le revenu des collectivités) ;

Considérant que l'élément requis pour la qualification d'un apport caché, notamment l'existence d'un lien de participation, est incontestable ; que cette remise de dette serait donc en principe à qualifier d'apport caché ;

Considérant qu'en cas de distributions cachées de bénéfices, il y a lieu de neutraliser les diminutions de bénéfices subies par une société en vertu d'une relation particulière entre associé et société ;

Considérant dès lors qu'en cas d'apports cachés, il y a lieu de neutraliser « l'enrichissement » dont a bénéficié une société en vertu de la relation particulière entre associé et société ;

Considérant qu'il y a donc en principe lieu de neutraliser l'effet de l'apport caché dans le chef de la filiale ;

Considérant qu'en ce qui concerne l'enrichissement de la réclamante résultant de la renonciation de la dette par la société liée, celui-ci serait en principe à neutraliser par son élimination du revenu imposable ; que l'enrichissement en relation avec la renonciation de la dette a été neutralisé par les soins du bureau d'imposition uniquement à concurrence de son montant principal ;

Considérant que, en surplus du montant principal, la réclamante avait repris dans son compte profits et pertes les intérêts courus mais non échus y relatifs à hauteur de 1.959.048,74 euros ; que l'instruction a révélé que ces intérêts, bien que non échus, ont été déduits du résultat des années 2003 à 2019 ; que l'enrichissement y relatif a donc en principe été neutralisé au cours des années 2003 à 2018 et, le cas échéant, au cours de l'année litigieuse par le biais de pertes reportables au sens de l'article 114 L.I.R. ;

Considérant que la requalification de la dette en capital entraine que la rémunération y relative est à requalifier en tant que dividende et partant ne constitue plus une dépense d'exploitation déductible ; qu'en principe il est loisible aux actionnaires d'une société de renoncer aux dividendes sans qu'il y ait incidence sur le résultat ;

Considérant qu'en vertu de l'article 164, alinéa 1er L.I.R., il est indifférent que le revenu soit distribué ou non aux ayants droits pour déterminer le revenu imposable ; que la neutralisation de « l'enrichissement » à concurrence des « intérêts » redressés et requalifiés en tant que dividende reviendrait à déduire l'enrichissement du revenu imposable et ce nonobstant que les intérêts débiteurs ont déjà été déduits au cours des années antérieures ;

qu'il s'agirait donc d'une double déduction d'intérêts qui, selon la compréhension de la réclamante ne constituent même pas des intérêts en termes fiscaux ;

Considérant qu'il en découle que c'est à juste titre que le bureau d'imposition n'a pas reconnu l'apport caché en ce qui concerne la rémunération afférente à l'apport caché ;

Considérant que le directeur a procédé en date du 11 janvier 2021 à une mise en état du dossier afin de se procurer de plus amples détails en ce qui concerne les faits de l'espèce et les griefs formulés par la requérante ; que ladite mise en état du dossier est libellée comme 5suit : « la réclamante est invitée à produire une copie des comptes annuels au 31 décembre 2019 de la société XXX. » ;

Considérant que cette injonction est cependant restée sans réponse à ce jour ; que le directeur se voit dans l'impossibilité d'instruire si la société liée (XXX) a effectivement renoncé à la perception de sa créance ; qu'en l'occurrence le produit comptabilisé y relatif ne peut pas clairement être identifié comme apport caché et qu'en conséquence il n'y a pas non plus lieu d'admettre un apport caché en ce qui concerne le montant principal ;

Considérant que le directeur n'est pas lié par les moyens invoqués par le réclamant (§ 243, alinéa 2 AO), mais a le devoir de procéder d'office à un réexamen intégral de la cause (§ 243, alinéa 1er AO), tant en faveur qu'en défaveur du réclamant ; qu'en l'espèce, il y a donc lieu de remédier à la situation telle que décrite ci-dessus, en refusant notamment la qualification du produit total, se chiffrant à … euros, en apport caché au titre de l'année litigieuse ;

Considérant que le bilan fiscal redressé ainsi que le redressement de l'impôt sur le revenu des collectivités et de la base d'assiette de l'impôt commercial de l'année 2019 font l'objet des annexes 1 et 2 qui constituent des parties intégrantes de la présente décision ;

Considérant que pour le surplus, les impositions sont conformes à la loi et aux faits de la cause et ne sont d'ailleurs pas autrement contestées ;

PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, réformant in pejus, fixe l'impôt sur le revenu des collectivités dû, y compris la contribution au fonds pour l'emploi, pour l'année 2019 … euros, établit la base d'assiette de l'impôt commercial communal de l'année 2019 à … euros, fixe l'impôt commercial communal pour l'année 2019 à … euros, renvoie au bureau d'imposition pour exécution. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2021, la société … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision directoriale, précitée, du 26 mars 2021.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung » en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 1.

de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin d’impôts.

Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision directoriale, précitée, du 26 mars 2021, lequel 6est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Arguments des parties A l’appui de son recours, la société demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision directoriale déférée tels que repris, en substance, ci-avant. Plus particulièrement, elle explique que le 1er novembre 2019, la société …, en tant qu’emprunteur, et la société XXX, en tant que prêteur, auraient conclu un accord de renonciation à plusieurs prêts les liant, tout en précisant que cet accord de renonciation se serait inscrit dans le cadre du démantèlement de la société XXX dont la mise en liquidation aurait débuté le 25 novembre 2019 et dont la dissolution serait survenue le 2 juillet 2020. Elle ajoute que les créances dues et payables par la société … en vertu des conventions de prêt se seraient élevées à … euros, montant qui se serait composé du principal restant dû s’élevant à … euros et des intérêts courus et impayés s’élevant à … euros. Elle continue en relatant que la société XXX aurait renoncé avec effet au 1er novembre 2019 à tout droit qu’elle pourrait avoir en ce qui concerne les créances impayées avec comme conséquence qu’à partir du 1er novembre 2019, la société … n’aurait eu plus aucune obligation restante envers la société XXX relative aux prêts visés par l’accord de renonciation. Ce serait pour cette raison que la société … aurait enregistré dans son compte de profits et pertes de l’année 2019 des « autres produits d’exploitation » s’élevant à hauteur de … euros et que, dans sa déclaration de l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial communal de l’année 2019, elle aurait réduit son bénéfice commercial du même montant à titre d’apport caché.

En droit, la société demanderesse soutient que ce serait à tort que le directeur aurait refusé de reconnaître un apport caché au moyen de la renonciation par la société XXX au remboursement du montant des prêts accordés à la société demanderesse, en motivant son refus par le fait, d’une part, que les comptes annuels de la société XXX n’auraient pas été présentés et, d’autre part, que la renonciation au paiement des intérêts courus ne constituerait pas un apport caché.

Elle met, à cet égard, tout d’abord en avant que l’apport caché serait un concept de droit fiscal basé sur la notion de « supplément d’apport » de l’article 18 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (« LIR ») et développé par la jurisprudence, tout en renvoyant un arrêt de la Cour administrative du 6 juillet 2017, inscrit sous le numéro 38221C du rôle.

Elle continue en faisant valoir que le principal cas d’application pratique de l’apport caché, dont elle précise qu’il s’agirait d’un mécanisme protecteur des intérêts du contribuable, serait l’abandon de créances par les associés, tout en renvoyant, dans ce contexte, à un arrêt de la Cour administrative du 7 février 2013, inscrit sous le numéro 31339C du rôle dans lequel il aurait été retenu que les remises de dettes partielles effectuées par les actionnaires de la société en cause, lesquelles avaient été effectuées suivant une clause de retour à meilleure fortune, étaient à analyser en tant qu’apports cachés. Elle ajoute que cet arrêt de principe aurait par la suite été confirmé et développé dans d’autres décisions des juridictions administratives et notamment dans un jugement du tribunal administratif du 7 avril 2017, inscrit sous le numéro 37275 du rôle. Par ailleurs, le tribunal administratif aurait eu l’occasion de préciser dans un jugement du 16 juin 2016, inscrit sous le numéro 35708 du rôle que l’apport caché pouvait être effectué par des tiers intéressés.

7La société demanderesse donne, à cet égard, à considérer qu’en l’espèce, la société XXX, en tant que personne proche de l’associé, aurait renoncé au remboursement de plusieurs prêts, y compris les intérêts courus, vis-à-vis de sa société sœur … et que cette renonciation aurait conduit dans le chef de cette dernière société à l’élimination des obligations de prêt et des intérêts précédemment comptabilisés au passif et donc à une augmentation des biens de l’actif net investi qui aurait été comptabilisée comme un produit dans le bilan commercial.

Comme ces abandons de créances auraient été accordés à cause du lien participatif, il s’agirait d’un apport caché à des fins fiscales qui devrait être déduit du bénéfice commercial conformément à l’article 18 LIR.

Elle insiste sur le fait que le directeur admettrait qu’en l’espèce, il existerait incontestablement un lien de participation et que partant la remise de dette en question serait en principe à qualifier d’apport caché. Ce serait néanmoins à tort qu’il aurait refusé de reconnaître un apport caché en ce qui concerne le montant principal au motif qu’aucune copie des comptes annuels au 31 décembre 2019 de la société XXX n’aurait été produite en cause, de sorte qu’il lui aurait été impossible d’instruire si ladite société avait effectivement renoncé à percevoir sa créance, sans que le produit comptabilisé y relatif ne puisse, par ailleurs, être clairement identifié comme apport caché.

La société demanderesse souligne, à cet égard, que la réalité de l’abandon de créance serait suffisamment démontrée par la mise à disposition des comptes annuels de la société … pour l’année 2019 et de l’accord de renonciation du 1er novembre 2019. A cela s’ajouterait que la valeur de l’abandon de créance aurait été démontrée par la remise du rapport d’évaluation des créances au moment de l’abandon, la société demanderesse insistant encore sur le fait que le bureau d’imposition se serait, quant à lui, satisfait de ces éléments pour confirmer l’apport caché sur l’abandon de créance.

Elle continue en faisant valoir que la société XXX n’aurait aucune obligation légale de préparer des comptes annuels aux Iles Vierges Britanniques et que, par ailleurs, cette société aurait été mise en dissolution le 25 novembre 2019, tout en expliquant que sa liquidation ne serait intervenue que le 2 juillet 2020 en raison de la pandémie globale de Covid-19.

Elle insiste ensuite sur le fait qu’elle n’aurait jamais sciemment ignoré l’injonction du directeur mais que comme ni elle-même ni son mandataire n’auraient réceptionné un quelconque courrier recommandé ou courrier électronique, aucune suite n’aurait pu être donnée à l’injonction en question. Elle demande, à cet égard, à l’administration de rapporter la preuve de l’existence d’une telle injonction et de son envoi, tout en lui reprochant de ne pas lui avoir adressé de rappel suite à sa non-réponse. En tout état de cause et comme elle aurait entretemps pris connaissance de l’injonction en question, la société demanderesse verse à l’appui de son recours une copie des comptes annuels intérimaires au 2 novembre 2019 de la société XXX.

Elle continue en expliquant qu’il serait généralement admis que les apports cachés ne donneraient pas lieu à un revenu exonéré d’impôt en ce qu’ils ne feraient pas partie du bénéfice.

En s’appuyant sur un jugement du tribunal administratif du 16 juin 2016, inscrit sous le numéro 35708 du rôle, elle insiste sur le fait qu’il appartiendrait à l’Etat qui conteste la réalité économique d’une opération se présentant comme un apport caché d’établir les faits déclenchant l’obligation fiscale et de fournir des indices sérieux de nature à mettre en doute la réalité économique de l’opération fiscale a priori valable. Or, la décision directoriale entreprise ne satisferait pas à cette charge de la preuve et ce à plusieurs points de vue.

8 Ainsi, et tout d’abord, il serait de jurisprudence que le traitement comptable de l’abandon de créance au niveau de l’actionnaire et du prêteur n’aurait aucune pertinence pour la reconnaissance d’un apport caché au niveau de la société bénéficiaire.

Ensuite, le directeur ne fournirait pas d’indices sérieux de nature à mettre en doute la réalité économique de l’abandon de créances, de sorte que son affirmation péremptoire suivant laquelle un transfert de bénéfices de la filiale vers la société mère sous forme d’intérêts et inversement permettrait à un groupe multinational de sociétés où la société mère et la société filiale sont établies dans différents pays, de payer globalement moins d’impôts, serait à rejeter.

Enfin, il ne faudrait pas perdre de vue que l’apport caché serait un instrument reconnu pour le financement des entreprises et que contrairement à la distribution cachée de bénéfices, il serait légitime. Il s’ensuivrait que le directeur révélerait une méconnaissance du droit fiscal en comparant l’apport caché à un enrichissement devant être neutralisé. Au contraire, l’article 18 LIR disposerait clairement que les apports cachés ne constituent pas un enrichissement mais des suppléments d’apport réduisant les bénéfices. Il ne serait, en effet, pas justifié de soumettre à l’impôt sur le revenu une augmentation de l’actif de la société de capitaux qui ne constitue pas un bénéfice commercial.

Ce serait encore à tort que le directeur aurait estimé que, d’un point de vue juridique, la renonciation au paiement des intérêts courus ne constituerait pas un apport caché.

En effet, il existerait une opinion unanime dans la doctrine luxembourgeoise que tant l’abandon de créance que l’abandon de l’intérêt couru seraient à considérer comme apport caché dans le chef du bénéficiaire de l’abandon.

Ce serait dès lors à tort et sans autre justification que le bureau d’imposition aurait considéré que l’abandon des intérêts débiteurs en relation avec la créance en cause ne constitue pas un supplément d’apport.

Pareillement, le raisonnement adopté par le directeur pour venir à la conclusion que la renonciation au paiement des intérêts courus ne constituerait pas un apport caché serait à rejeter pour plusieurs raisons.

Ainsi, en premier lieu, ce raisonnement opérerait un amalgame injustifié entre les notions fiscales de distribution cachée de bénéfices et d’apport caché.

Ensuite, le directeur établirait par ce moyen une fiction ne trouvant aucun fondement dans la loi.

En troisième lieu, la jurisprudence luxembourgeoise aurait déjà rejeté ce raisonnement dans deux arrêts.

Enfin, le Bundesfinanzhof allemand aurait clairement statué qu’un apport caché existe si l’actionnaire renonce aux intérêts sur un prêt accordé à la société, dans la mesure où la renonciation concerne les intérêts précédemment comptabilisés au passif et ce parce que la charge d’intérêt serait un bien économique indépendant qui pourrait faire l’objet d’un apport caché.

9Or, en l’espèce, la société … aurait comptabilisé la charge d’intérêts à payer à la société XXX individuellement et séparément de la dette de prêt et suite à la renonciation définitive au prêt, la société … aurait connu une augmentation de ses actifs en raison de l’élimination de la dette de prêt d’un montant de … euros et de l’élimination de la charge d’intérêts d’un montant de … euros. Ce serait pour cette raison que ladite société aurait enregistré dans son compte de profits et pertes de l’année 2019 des « autres produis d’exploitation » s’élevant à … euros.

Au vu de ces considérations, aussi bien l’abandon définitif de plusieurs créances de prêt à hauteur de … euros que l’abandon définitif des intérêts courus et non versés à hauteur de 1.959.048,74 euros seraient à qualifier d’apport caché et, en tant que tels, seraient déductibles du revenu imposable pour l’année 2019 de la société ….

Dans son mémoire en réponse, la partie étatique reprend en substance les motifs et considérations contenus dans la décision directoriale pour conclure que le tribunal serait, tout comme cela aurait été le cas pour le directeur, dans l’impossibilité d’instruire si la société liée XXX avait effectivement renoncé à la perception de sa créance. Comme le produit comptabilisé ne pourrait pas être clairement identifié comme apport caché, aucun apport caché ne pourrait être admis en ce qui concerne le montant principal et ce serait à bon droit que le directeur avait refusé notamment la qualification du produit total se chiffrant à … euros en apport caché au titre de l’année litigieuse.

Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse réitère, en substance, ses développements antérieurs.

Appréciation du tribunal En l’espèce, le litige entre les parties porte sur le montant de … euros que la société …, actuellement la société …, a déduit au titre de l’année d’imposition 2019 de son bénéfice commercial à titre d’apport caché, et ce, au motif que le montant en question serait le résultat d’une remise de dettes lui concédée par la société XXX, le directeur ayant refusé de reconnaître l’existence d’un apport caché au motif qu’aucuns comptes annuels de la société XXX n’auraient été présentés et que, par ailleurs, la renonciation au paiement d’intérêts courus ne constituerait de toute façon pas un apport caché.

Aux termes de l’article 18 (1) LIR, applicable également dans le cadre de l’impôt sur le revenu des collectivités au vœu de l’article 162 LIR et de son règlement grand-ducal d’exécution du 3 décembre 1969, « le bénéfice est constitué par la différence entre l’actif net investi à la fin et l’actif net investi au début de l’exercice, augmentée des prélèvements personnels effectués pendant l’exercice et diminuée des suppléments d’apports effectués pendant l’exercice ».

Cette disposition impose partant l’élimination de l’actif investi de tous les suppléments d’apports en ce qu’ils « impliquent des changements de l’actif net investi non provoqués par l’exploitation »1.

La notion d’apport entre sociétés opaques englobe l’ensemble des attributions de « biens susceptibles d’investissement »2 effectuées par les associés à la société en raison de leur 1 projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. 5714, ad art. 46, p. 69 2 projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. 5714, ad art. 46, p. 69 10participation. Cette notion englobe ainsi également les apports cachés d’associés sous forme d’augmentations du bénéfice comptable de la société en raison d’opérations basées uniquement sur le lien participatif3.

Quant à la charge de la preuve, l’article 59 de la loi du 21 juin 1999 dispose que « La preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable ». Dans la mesure où, en l’espèce, la société demanderesse entend diminuer son bénéfice à travers la qualification d’apport caché d’un abandon de créance, et des intérêts courus y relatifs, par une société liée, il lui appartient dans une première étape d’établir que les conditions d’application d’un apport caché se trouvent réunies.

Il y a apport caché si un bien est mis à disposition de la société par un associé ou une personne proche de l’associé, sans contrepartie ou pour une contrepartie insuffisante et que cet apport est motivé par les relations spécifiques existant entre la société et l’associé.

L’apport caché présupposant qu’un associé ou sociétaire accorde des avantages à une société dont normalement celle-ci n’aurait pas bénéficié si l’associé ou le sociétaire n’avait pas eu cette qualité, c’est le lien participatif entre le bénéficiaire de l’avantage et celui qui l’accorde et la motivation liée à cette participation qui sont déterminants.

Le tribunal relève, à cet égard, encore que l’apport caché ne concerne pas seulement les apports d’actifs mais peut aussi concerner une réduction des dettes d’une société, par exemple lorsqu’un actionnaire abandonne une créance qu’il détient sur la société. Il se dégage ainsi de la doctrine et de la jurisprudence que l’abandon de créances consenti par l’actionnaire accroît l’actif net investi de la société, par le biais d’une diminution des dettes et une augmentation du profit comptable. Inversement, et sous réserve que l’abandon soit motivé par le lien social et que la créance abandonnée ne soit pas sans valeur, la transaction pourra être requalifiée en apport caché, entraînant la diminution du profit imposable de la société4.

En l’espèce, il n’est pas contesté, pour se dégager, par ailleurs, des pièces versées en cause, que la société …, actuellement …, a contracté plusieurs emprunts d’une société liée, la société XXX, les deux sociétés ayant le même actionnaire ultime.

Il n’est pas non plus contesté que si la réalité de la remise de dettes dont la société … entend se prévaloir était établie dans son chef, elle impliquerait une augmentation de son actif net investi, ni que cette augmentation trouverait son origine dans l’existence de la relation sociale entre la société XXX, en sa qualité de personne proche de l’associé et d’apporteur, et la société …, en sa qualité de société sœur de la société XXX et de bénéficiaire de l’avantage, l’absence de contrepartie en échange de la renonciation à la créance, telle qu’invoquée, n’étant pas non plus remise en cause.

En effet, ce qui est contesté c’est tout d’abord la réalité même de la mise à disposition d’un bien, en l’occurrence des fonds, se composant d’un montant en principal restant dû de … euros et des intérêts courus et impayés s’élevant à … euros, que la société liée XXX a, tel que relevé ci-avant, dans un premier temps et de manière non contestée, prêtés à la société … et au remboursement desquels elle aurait finalement renoncé, le directeur arguant que comme il serait impossible de savoir si la société créancière avait effectivement renoncé à la perception 3 Trib. adm. 7 mai 2007, n°21466 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n°150 et les autres références y citées.

4 … et …, « L’apport caché : Un chemin dans la brume », publié dans les Cahiers du droit luxembourgeois, n°3 – Avril 2009, p. 15.

11de sa créance, la société débitrice ne pourrait réduire son bénéfice commercial du montant de la remise de dette dont elle se prévaut sans preuve en ce sens.

Le tribunal se doit, à cet égard, de rejoindre la société demanderesse dans son constat suivant lequel la réalité de l’abandon par la société XXX d’une créance se composant en principal d’un montant de … euros et en intérêts d’un montant de … se dégage à suffisance de l’accord de renonciation (« … agreement ») daté au 1er novembre 2019 et signé entre la société … et la société XXX.

En effet, cette convention contient non seulement un récapitulatif de l’ensemble des emprunts contractés entre les deux sociétés sur la période allant de 2003 à 2007, ainsi qu’en annexe les copies des différents contrats de prêt afférents, mais il est encore clairement stipule dans ses considérants ce qui suit : « As of the Effective Date of this Agreement, the aggregate outstanding amount due and payable by the Debtor to the Creditor under the Loan Agreement as well as additional agreements amounts to EUR …. including accrued and unpaid interest amounting to EUR … (the Outstanding Receivables) », de même que « The Creditor [XXX] and the Debtor […] now wish to evidence and document the terms and conditions of their agreement between them whereby the Creditor resolves to waive, with effect as of the Effective Date […] the amount of the Outstanding Receivable. », suite à quoi il a été convenu à l’article 1er de l’accord que « The Creditor hereby waives, with effect as of November 1st, 2019 (the Effective Date) any rights it may have with respect to the Outstanding Receivable (the Waiver).

As a result of and following the Waiver, the Debtor does no longer have any remaining obligations to the Creditor under the Loan Agreement. ». La réalité de l’abandon de créance, tel que convenu, se dégage encore de l’extrait des comptes annuels intérimaires au 2 novembre 2019 de la société XXX dont la valeur probante n’a, par ailleurs, pas été remise en cause par la partie étatique. Enfin, il y a lieu de relever que la valeur de la créance abandonnée se dégage encore du rapport d’évaluation des créances au moment de l’abandon (« Valuation report on fair value of rights of claim of XXX against …. as of October 31, 2019 ») dont le contenu n’a été ni discuté ni énervé par la partie étatique.

C’est dès lors à tort que, pour ce qui est du montant principal en cause, le directeur a fondé son refus de reconnaître l’existence d’un apport caché au moyen de la renonciation au remboursement du prêt litigieux, sur le seul et unique motif qu’il ne serait pas possible d’instruire si la société liée XXX a effectivement renoncé à la perception de sa créance, de sorte que le produit comptabilisé y relatif ne pouvait pas être clairement identifié comme apport caché et que, par conséquent, il n’y aurait pas non plus lieu d’admettre un apport caché en ce qui concerne le montant principal pour lequel le bureau d’imposition avait, contrairement au directeur, admis la qualification d’apport caché.

Le tribunal constate ensuite qu’outre le fait que la partie étatique ne remet pas en cause le fait que l’avantage procuré à travers la remise de dettes a été uniquement motivé par le lien participatif entre les deux sociétés, il se dégage, par ailleurs, des explications plausibles et non énervées de la société demanderesse, de même que de l’accord de renonciation, prévisé, que suite à une restructuration au sein du groupe dont font partie les sociétés XXX et …, la direction de la société XXX a décidé de dissoudre et de liquider celle-ci et de transférer ses actifs restants à une autre entité du groupe (« Following the group restructuring, the management has decided to close XXX and to transfer its remaining assets to another entity of the group »). Il n’est, dans ce contexte, pas contesté que la société XXX a été mise en dissolution le 25 novembre 2019 et que sa liquidation est intervenue le 2 juillet 2020, la société demanderesse expliquant d’ailleurs de manière plausible que la liquidation a pris plus de temps en raison de la pandémie globale 12de Covid-19. Au vu de ces éléments, il doit dès lors être admis qu’il n’apparaît pas pour quelles raisons autre que le lien participatif existant entre les sociétés concernées, la remise de dettes en cause est intervenue, un créancier normalement prudent et diligent ayant nécessairement cherché à obtenir le remboursement de sa créance.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a dès lors lieu de conclure que les conditions d’un apport caché sont remplies en ce qui concerne la renonciation, par la société XXX, au remboursement du montant principal du prêt.

Pour ce qui est de la renonciation, par la société XXX, au paiement des intérêts courus, mais non échus, relatifs au montant principal de la dette au remboursement de laquelle il a été renoncé, s’élevant à un montant de … euros, le directeur a estimé que ce serait à juste titre que le bureau d’imposition n’avait pas « reconnu l’apport caché en ce qui concerne la rémunération afférente à l’apport caché ». Afin de justifier sa décision, le directeur a fait valoir que l’instruction aurait révélé que les intérêts en cause, bien que non échus, auraient été déduits par la société … de son résultat des années 2003 à 2019, de sorte que l’enrichissement y relatif aurait en principe été neutralisé au cours des années 2003 à 2018 et, le cas échéant, au cours de l’année d’imposition litigieuse par le biais de pertes reportables au sens de l’article 114 LIR. Il a ensuite relevé que la requalification de la dette en capital entraînerait que la rémunération y relative serait à requalifier en tant que dividende et partant ne constituerait plus une dépense d’exploitation déductible, tout en précisant qu’il serait loisible aux actionnaires d’une société de renoncer aux dividendes sans qu’il y ait une incidence sur le résultat. Enfin, il a constaté qu’en vertu de l’article 164, alinéa 1er LIR, il serait indifférent que le revenu soit distribué ou non aux ayants droits pour déterminer le revenu imposable et que la neutralisation de l’enrichissement à concurrence des « intérêts » redressés et requalifiés en tant que dividende reviendrait à déduire l’enrichissement du revenu imposable et ce nonobstant que les intérêts débiteurs auraient d’ores et déjà été déduits au cours des années antérieures. Il s’agirait donc d’une double déduction d’intérêts qui ne constitueraient d’ailleurs, suivant la compréhension de la société demanderesse elle-même, pas des intérêts en termes fiscaux.

Le raisonnement ayant amené le directeur à refuser de considérer les intérêts courus mais non échus en tant qu’apport caché susceptible de venir en déduction du profit comptable est donc, de l’entendement du tribunal, intégralement fondé sur la considération suivant laquelle du fait qu’il y aurait, en l’espèce, lieu de requalifier la dette, au remboursement de laquelle il a été renoncé par la société XXX au profit de la société …, en capital, les intérêts, en tant que rémunération y relative, seraient à requalifier en tant que dividende. Le tribunal ne saurait toutefois suivre ce raisonnement.

En effet, si d’un point de vue comptable, l’abandon de créance entraîne mécaniquement une augmentation des fonds propres du débiteur et la réalisation d’un bénéfice commercial, le directeur reste toutefois en défaut d’expliquer sur quel fondement légal il s’appuie pour affirmer que, d’un point de vue fiscal, il y aurait lieu de requalifier la dette en capital et les intérêts, en tant que rémunération y relative, en dividende pour justifier un traitement fiscal distinct entre, d’un côté, le montant principal de la dette, au remboursement de laquelle il a été renoncé et dont il vient d’être retenu que la renonciation remplissait les conditions d’un apport caché, et, de l’autre côté, de ses intérêts. Malgré la contestation afférente de la société demanderesse qui reproche au directeur d’avoir mis en place la fiction d’une requalification de la dette en capital sans qu’une telle fiction ne trouve de fondement dans la LIR, la partie étatique n’a pas jugé utile de prendre position y relativement.

13 Il y a ensuite lieu de relever que suivant l’article 42, alinéa 1er LIR, sont à entendre comme « suppléments d’apport » au sens de l’article 18 LIR, « tous les biens qu’en cours d’exploitation le contribuable incorpore à son entreprise », la Cour administrative ayant eu l’occasion de retenir que la notion d’apport définie par l’article 42, alinéa 1er LIR suppose une incorporation durable du bien à l’entreprise5.

En l’espèce, tel que retenu ci-avant, il n’est pas contesté que la société XXX a, en raison du lien participatif avec la société …, définitivement et sans contrepartie, renoncé au remboursement des prêts accordés à cette société et des intérêts non payés en relation avec ceux-ci, de sorte que de par l’effet de cette renonciation, la société … doit être considérée comme ayant incorporé de manière durable dans son entreprise le bien lui ainsi mis à disposition. De ce point de vue, et à défaut de toute prise de position circonstanciée de la part de la partie étatique, le tribunal se doit de rejoindre la société demanderesse dans son constat suivant lequel la fiction d’une requalification de la renonciation aux intérêts en tant que distribution cachée de bénéfices, telle que mise en avant par le directeur, est non seulement dépourvue de fondement légal, mais est encore contredite par la réalité économique de la renonciation définitive de la créance par la société XXX se composant du montant principal et des intérêts y relatifs.

Ensuite, il y a lieu de relever que l’apport caché de capital social a pour objectif de neutraliser les enrichissements dont a bénéficié la société au cours de l’exercice écoulé si l’enrichissement est fait « causa societatis »6. Ainsi, lorsque l’apport caché se fait par le biais de la renonciation au remboursement d’une dette figurant au passif du bilan, cette neutralisation se fait en retranchant le montant de la dette abandonnée du bénéfice à imposer. Il s’ensuit que l’apport caché à hauteur duquel le bénéfice imposable de la société est diminué correspond à celui à hauteur duquel les fonds propres de la société se trouvent augmentés en raison de la réduction du montant des dettes. Suivant la doctrine en la matière, l’origine de la créance, c’est-

à-dire le fait qu’il s’agisse de prêts d’actionnaire ou d’intérêts accrus, n’est pas prise en compte pour la requalification éventuelle en apport caché, l’unique diminution du passif de la société étant suffisante7, de sorte qu’aussi bien l’abandon de créance que l’abandon d’intérêts courus sont à considérer comme apport caché dans le chef du bénéficiaire de l’abandon si cet abandon se reflète dans l’augmentation des actifs de la société débitrice, ce qui est le cas en l’espèce puisqu’il se dégage des éléments soumis au tribunal et notamment du compte de profits et pertes de l’année 2019, de même qu’il n’est, par ailleurs, pas contesté, que suite à la renonciation définitive au remboursement de sa dette envers la société XXX, la société … a vu ses actifs augmentés en raison de l’élimination de la dette de prêt d’un montant de … euros et de celle de la charge d’intérêts d’un montant de …. euros.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que si certes en principe il appartient au contribuable qui entend réduire sa charge d’impôts de fournir la preuve de ses affirmations, le tribunal est amené à retenir qu’au regard des explications fournies par la société demanderesse et à défaut d’autres contestations plus concrètes fournies par la partie étatique, c’est à tort que le directeur n’a pas qualifié l’abandon définitif de plusieurs créances à hauteur de … euros, de même que l’abandon des intérêts courus et non-versés à hauteur de … euros d’apport caché, de sorte que la décision du directeur est à réformer dans cette mesure.

5 Cour adm., 15 novembre 2012, n° 30538C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu, 6 …, Manuel de droit fiscal - Droit fiscal spécial, p.1339, n°1640.

7 …, « Les abandons de créances de sociétés au Luxembourg : Conséquences et planifications fiscales », publié dans les Cahiers du droit luxembourgeois, p. 15.

14La société demanderesse sollicite encore la condamnation de la partie étatique au paiement d’une indemnité de procédure de …- euros.

Cette demande est néanmoins à rejeter, étant donné que la société demanderesse n’a pas établi à suffisance qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision directoriale du 26 mars 2021 ;

au fond, le dit justifié, partant, par réformation de ladite décision, dit que l’abandon définitif de plusieurs créances à hauteur de … euros, de même que l’abandon des intérêts courus et non-versés à hauteur de … euros sont à qualifier d’apport caché et, en tant que tel, sont déductibles au titre de l’article 18 LIR du revenu imposable soumis à l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année d’imposition 2019 et à l’impôt commercial communal pour l’année d’imposition 2019 ;

renvoie le dossier en prosécution de cause devant le directeur de l’administration des Contributions directes, pour transmission au bureau d’imposition compétent, afin d’établir, sur base des principes retenus ci-avant, un bulletin rectifié de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année d’imposition 2019, de même qu’un bulletin rectifié de l’impôt commercial communal pour l’année d’imposition 2019 ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit à l’encontre de la décision directoriale du 26 mars 2021;

rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 5.000.- euros, telle que formulée par la société demanderesse ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 27 juin 2022 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 juin 2022 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 46163
Date de la décision : 27/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-06-27;46163 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award