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22/06/2022 | LUXEMBOURG | N°47476

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 juin 2022, 47476


Tribunal administratif N° 47476 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 mai 2022 2e chambre Audience publique extraordinaire du 22 juin 2022 Recours formé par Madame …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47476 du rôle et déposée le 25 mai 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Hakima Gouni-Andrie

ux, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M...

Tribunal administratif N° 47476 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 mai 2022 2e chambre Audience publique extraordinaire du 22 juin 2022 Recours formé par Madame …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47476 du rôle et déposée le 25 mai 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Hakima Gouni-Andrieux, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, déclarant être née le … à … (Erythrée), et être de nationalité érythréenne, alias …, née le …, de nationalité érythréenne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 16 mai 2022 de la transférer vers l’Italie comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2022 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Hakima Gouni-Andrieux du 1er juin 2022 suivant laquelle elle marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Pascale Millim en sa plaidoirie à l’audience publique du 13 juin 2022.

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Le 11 novembre 2021, Madame …, alias …, ci-après désignée par « Madame … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1 Le même jour, elle fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressée avait auparavant franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 29 septembre 2021.

Toujours le même jour, Madame … fut encore entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 16 novembre 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes en vue de la prise en charge de Madame … sur base de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III.

Par courrier du 12 janvier 2022, les autorités italiennes s’adressèrent en les termes suivants aux autorités luxembourgeoises :

« Chers Messieurs ,nous vous informons que la dame en question n est l objet que d une entrée illégale à Agrigente à la date 30.09.2021.

Aucun titre de séjour à son nom qui est aussi inconnu aux archives de la commission .

Du moment que la meme personne avait fait demande d’asile dans votre pays à la date 11.11.2021.

Il ressort qu elle est resté en Italie moins de deux mois.

Donc même dans ce cas, nous ne donnons pas notre accord officiel au transfert de la personne en objet en Italie […] ».

Par courrier du 21 janvier 2022, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités italiennes du fait qu’elles disposaient d’ores et déjà des informations fournies et pour solliciter une acceptation tacite de la part des autorités italiennes.

Par courrier du 11 février 2022, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités italiennes qu’elles considèrent l’Italie comme ayant tacitement accepté la prise en charge de Madame … en application de l’article 22, paragraphe (7), du règlement Dublin III.

Par décision du 16 mai 2022, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », informa Madame … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de la transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions des articles 13, paragraphe (1) et 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 11 novembre 2021 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la 2 protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 13(1) et 22(7) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférée vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 11 novembre 2021.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de Protection internationale En date du 11 novembre 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 29 septembre 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 11 novembre 2021.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 16 novembre 2021 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 13(1) du règlement DIII.

En date du 12 janvier 2022, les autorités italiennes nous ont fait parvenir un courrier intitulé « Information », confirmant que vous avez franchi illégalement la frontière italienne en date du 30 septembre 2021. Cependant, ce courrier d'information ne comprend ni un accord formel, ni un refus formel, tel que les articles 5 et 6 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présenté dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, modifié par le Règlement Dublin III et le Règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, le prévoient. En effet, il ne peut être déduit ni de ce courrier ni d'aucun autre élément du dossier administratif que l'Italie aurait expressément refusé la demande de prise en charge au sens de l'article 5 du règlement d'exécution qui prévoit qu'une réponse négative est pleinement motivée et explique en détail les raisons du refus. Même si les informations reçues en date du 12 janvier 2022 confirment que l'article 13(1) du règlement Dublin III s'applique clairement dans votre cas, la Direction de l'immigration a demandé aux autorités italiennes de lui faire parvenir une acceptation formelle quant à sa requête du 16 novembre 2021. Ce courrier est cependant resté sans réponse.

Or, l'absence de réponse à la demande de prise en charge équivaut, conformément à l'article 22(7) du règlement DIII, à l'acceptation de la demande par lesdites autorités italiennes 3 en date du 17 janvier 2022.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, conformément à l'article 13(1) du règlement DIII.

La responsabilité de l'Italie est acquise suivant l'article 22(7) du règlement DIII en ce que l'absence de réponse à l'expiration d'un délai de deux mois équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 11 novembre 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 29 septembre 2021.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté l'Erythrée en août 2019 afin de vous rendre 4 en Ethiopie où vous seriez restée pendant un an et trois mois. Vous auriez ensuite traversé le Soudan pour aller en Libye. Vous racontez que les passeurs vous auraient frappée à de nombreuses reprises pendant votre séjour de onze mois en Libye. En date du 28 septembre 2021, vous auriez réussi à monter, à bord d'une embarcation en direction de l'Italie et vous auriez été déposée à Lampedusa.

Vous seriez ensuite restée en Italie pendant un mois et dix jours avant de partir en train vers le Luxembourg où vous seriez arrivée en date du 7 novembre 2021.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 11 novembre 2021, vous avez fait mention de souffrir d'hémorroïdes et d'une infection de la peau. Il y a cependant lieu de soulever que vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Italie qui est l'Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Madame, vous déclarez ne pas avoir introduit une demande de protection internationale en Italie parce que vous auriez entendu parler du Luxembourg lors de votre séjour en Libye.

Rappelons à cet égard que l'Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S'il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d'accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d'importantes difficultés sur le plan de l'hébergement et des conditions de vie, il n'y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.

Notons dans ce contexte que l'Italie a adopté en date du 21 octobre 2020 le décret n° 130/2020 qui remplace la loi n° 132/2018 du 1er décembre 2018 et met en place le SAI (Sistema di accoglienza e integrazione). Ce nouveau système en matière d'accueil et d'intégration a réformé le système établi en 2018 et permet depuis lors d'améliorer l'accueil pour les demandeurs de protection internationale.

Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

5 refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Madame, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Italie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transférée. Par ailleurs, si cela devait s'avérer nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers 6 l'Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n'ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2022, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 16 mai 2022.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre la décision ministérielle litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre celle-ci, lequel recours est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Madame … rappelle tout d’abord les faits et rétroactes à la base de la décision litigieuse, en expliquant, plus particulièrement, avec quitté l’Erythrée en août 2019 ensemble avec son époux pour rejoindre l’Ethiopie où ils auraient vécu pendant une année et trois mois. Ensuite, Madame … serait partie seule en Libye où elle aurait séjourné onze mois alors que son époux aurait été renvoyé par les forces soudanaises en Erythrée. Elle aurait ensuite pris la mer pour l’Italie où elle aurait été secourue par un navire qui l’aurait déposée à Lampedusa le 29 septembre 2021. Elle explique encore que suite à son arrivée en Italie, les autorités italiennes n’auraient procédé à aucun examen médical approfondi, juste le test de dépistage du COVID, la mettant ainsi en quarantaine. Aucune question sur son état de santé psychologique n’aurait été posée, de sorte qu’elle n’aurait pas pu expliquer qu’elle aurait été, comme bien d’autres femmes, battue à coup de bâton, violée régulièrement par le passeur qui les séquestrait dans un hangar sans climatisation, qu’elle aurait été sous-nourrie à base d’un petit bon de pâte par jour, qu’elle ne se serait jamais lavée alors que le peu d’eau mis à leur disposition aurait été pour étancher leur soif.

En droit, la demanderesse se prévaut d’une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, et de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte », au motif qu’elle n’aurait pas fait l’objet d’une évaluation psychologique en Italie et que la non-prise en charge adéquate au regard de sa santé mentale et physique aurait eu pour conséquence que la période passée en Italie ferait partie de son vécu particulièrement traumatique. Elle serait très vulnérable du fait des expériences traumatisantes subies. La décision entreprise aurait été prise en faisant fi de l’évolution de la qualité d’accueil de l’Italie. Elle cite dans ce contexte un extrait d’un rapport de l’’association suisse d’aide aux réfugiés, ci-après désignée par « l’OSAR », intitulé « Situation of asylum seekers and beneficiaries of protection with mental health problems in Italy » de février 2022 pour affirmer que les autorités italiennes ne parviendraient pas à accueillir les demandeurs de protection internationale dans des conditions minimales adéquates, et notamment de leur offrir un suivi médical et psychologique. La demanderesse en conclut que l’Italie ferait actuellement l’objet de défaillances systémiques ne lui permettant pas de voir sa demande de protection internationale traitée avec le sérieux nécessaire et dans le respect de ses droits.

La demanderesse estime ensuite qu’au regard des développements qui précèdent, le ministre aurait également dû appliquer l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III « afin d’éviter toute erreur d’appréciation et de violation des articles 2, 3, 4 de la CEDH et 4 7 et 19(2) de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 54 de la loi du 18 décembre 2015 et l’article 78 du Traité sur le fonctionnement de l’union européenne ».

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités italiennes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Madame …, prévoit que : « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui dont le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière en provenance d’un pays tiers, cette responsabilité prenant fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.

Enfin, l’article 22 (7) du règlement Dublin III prévoit que « L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois [à compter de la date de réception de la requête de prise en charge] et du délai d’un mois [lorsque l’Etat membre requérant a invoqué l’urgence] équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. » Il est constant en cause que la décision de transférer la demanderesse vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application des prédits articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale est l’Italie, en ce qu’elle aurait franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 29 septembre 2021 et que les autorités italiennes auraient tacitement accepté sa prise en charge le 17 janvier 2022, de sorte que c’est a priori à bon droit 8 que le ministre a décidé de la transférer vers ledit Etat et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Force est ensuite de relever que la demanderesse ne conteste pas la compétence de principe de l’Italie, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais qu’elle soutient, en substance, qu’un transfert en Italie l’exposerait à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants en raison des défaillances systémiques dans les conditions d’accès et les conditions matérielles d’accueil en violation de l’article 4 de la Charte, et des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Or, les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En ce qui concerne tout d’abord la violation alléguée de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, celui-ci prévoit ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé2.

A cet égard, le tribunal relève que l’Italie est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », le Pacte international des droits civils et politiques ou 2 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

9 la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de protection internationale de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5. Dans son arrêt du 16 février 2017, la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE », a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte.

3 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

4 Idem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

10 En effet, suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE8, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20179.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur de protection internationale, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201910 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine11. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant12 : le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus défavorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable de l’examen de la demande de protection internationale n’est ainsi pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.

En l’espèce, la demanderesse remettant en question cette présomption du respect par l’Italie des droits fondamentaux, puisqu’elle fait état de défaillances systémiques dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser en présentant des éléments permettant de retenir que la situation en Italie, telle que décrite par elle, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.

Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.

En effet, la demanderesse est restée en défaut de soumettre à l’appréciation du tribunal un quelconque élément duquel découlerait qu’en Italie, elle aurait rencontré des problèmes d’accès aux soins, ce d’autant plus qu’il ne résulte, ni du rapport de la police judiciaire du 11 novembre 2021, ni du rapport d’entretien Dublin III du même jour qu’elle ait, à un quelconque 7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.ja.etat.lu.

8 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

11 Idem, p. 92.

12 Idem, p. 93.

11 moment, sollicité l’aide ou l’assistance des autorités italiennes en raison de son état de santé et qu’une telle aide lui aurait été refusée.

Si lors de son entretien en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III en date du 11 novembre 2021, la demanderesse a, à la question relative à son état de santé, déclaré « Je pense avoir la gâle. Ca me gratte de partout et j’ai des points rouges sur le corps. Je souffre également d’hémorroïdes. »13, il y a lieu de relever qu’à la question de savoir si elle suivait un traitement médical spécifique, elle a répondu par « Non »14, étant précisé que c’est pour la première fois dans le cadre du recours sous analyse que la demanderesse reproche aux autorités italiennes un manque de prise en charge médicale.

Il échet ensuite de constater que la demanderesse reste en défaut de verser un quelconque document qui attesterait des problèmes psychologiques dont elle déclare souffrir, de sorte que ses affirmations y relatives restent à l’état de pures allégations.

En outre, le tribunal relève qu’il ne se dégage d’aucun élément soumis à son appréciation, ni même d’ailleurs des explications de la demanderesse, qu’elle ne pourrait pas bénéficier en Italie des soins médicaux dont elle pourrait le cas échéant avoir besoin, étant relevé que le rapport de l’OSAR, intitulé « Situation of asylum seekers and beneficiaries of protection with mental health problems in Italie » de février 2022 versé par la demanderesse ne conclut pas à l’existence en Italie de défaillances systémiques dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale nécessitant un suivi médical.

Enfin, et même à admettre que la demanderesse ne puisse pas accéder, en tant que futur demandeur de protection internationale, au système de santé italien, quod non, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités italiennes en usant des voies de droits internes, voire devant les instances européennes adéquates.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1) premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin il pourra être tenu compte de l’état de santé de la demanderesse lors de l’organisation du transfert vers l’Italie par le biais de la communication aux autorités italiennes des informations adéquates, pertinentes et raisonnables la concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressée exprime son consentement explicite à cet égard.

Ensuite et de manière plus générale en ce qui concerne la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, la demanderesse reste en défaut de faire valoir un problème concret étant susceptible d’affecter l’analyse future de sa demande de protection internationale par les autorités italiennes. Il y a plus particulièrement 13 Entretien en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III, p. 2.

14 Idem, p. 2.

12 lieu de relever qu’outre le fait que la demanderesse n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour en Italie, de sorte qu’elle ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qu’elle aurait personnellement pu y rencontrer, elle n’a, qui plus est, ni dans le cadre de son entretien Dublin III, ni dans le recours sous examen, fait état de problèmes particuliers qu’elle aurait personnellement rencontrés en Italie, notamment pour y déposer une demande de protection internationale. Il se dégage des déclarations de la demanderesse auprès de la police judiciaire, ainsi qu’auprès de la direction de l’Immigration lors de son entretien Dublin III qu’elle est entrée sur le territoire italien à Lampedusa où elle a été placée en quarantaine et d’où elle a immédiatement continué son chemin vers le Luxembourg pour y déposer une demande de protection internationale, la demanderesse expliquant que quand elle était en Libye, elle avait entendu que « le Luxembourg est l’Eldorado pour tout ce qui est asylants », de sorte qu’elle admet ne même pas avoir tenté de déposer une demande de protection internationale en Italie.

Au regard de l’ensemble de ces considérations, il ne saurait être reproché aux autorités italiennes une défaillance systémique dans le cadre de la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.

Par ailleurs, en l’espèce, il ne se dégage pas non plus des éléments à la disposition du tribunal que l’Italie risque de refuser ou de ne pas traiter la future demande de protection internationale de Madame …, le tribunal ne s’étant pas non plus vu soumettre un quelconque élément tangible, tel que notamment des rapports internationaux, relatif aux difficultés prétendument rencontrées de manière générale par les autorités italiennes dans le traitement des demandes de protection internationale et dans les conditions d’accueil des demandeurs d’asile.

Il ne se dégage pas davantage des éléments de la cause que les autorités italiennes compétentes risquent de violer le droit de la demanderesse à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa future demande de protection internationale ou qu’elles risquent de refuser de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, la demanderesse n’ayant, en effet, avancé aucun élément concret permettant de conclure qu’en cas d’introduction d’une demande de protection internationale, la procédure afférente ne serait pas conduite conformément aux normes imposées par la directive (UE) n°2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par « la directive Accueil » La demanderesse reste, encore, en défaut d’apporter la moindre preuve que les droits des demandeurs de protection internationale en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore qu’ils n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates, étant encore rappelé que l’Italie est signataire de la Charte, de la CEDH, de la Convention torture, de la Convention de Genève, ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal se doit de conclure qu’il ne se dégage pas à suffisance des éléments soumis à l’appréciation du ministre et du tribunal qu’il existe en Italie des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions 13 d’accueil des demandeurs de protection internationale empêchant un transfert de la demanderesse vers ce pays.

En ce qui concerne finalement le moyen de la demanderesse selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.[…]», le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201715. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge16, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration17.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la décision entreprise par rapport à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, que les prétentions de la demanderesse ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation qu’elle estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté discrétionnaire, il y a lieu de conclure que les problèmes mis en avant ne sauraient pas davantage s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Il échet encore de rejeter dans ce contexte la référence de la demanderesse à une violation des articles 2 et 4 de la CEDH, 19, paragraphe (2) de la Charte, 54 de la loi du 18 décembre 2015 et 78 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour être simplement suggérée, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence du demandeur en prenant position par rapport à un tel moyen simplement suggéré, sans être soutenu effectivement et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

15 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n°C-578/16, pts 88 et 97.

16 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

17 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées 14 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique extraordinaire du 22 juin 2022 par le premier vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 juin 2022 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47476
Date de la décision : 22/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-06-22;47476 ?

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