Tribunal administratif N° 45670 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 février 2021 1re chambre Audience publique du 20 juin 2022 Recours formé par la société civile A, … et par Madame B, … contre une décision du directeur de l’administration des Contribution directes en matière d’échange de renseignements
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 45670 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 février 2021 par Maître André Lutgen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société civile A, ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonction, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, et de Madame B, demeurant … (Espagne), tendant à l’annulation de la décision d’injonction du directeur de l’administration des Contributions directes du 15 janvier 2021 de fournir des renseignements en vertu de l’article 3, paragraphe (3) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, référencée sous le numéro …;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 mars 2021;
Vu les ordonnances du président de la première chambre du tribunal administratif des 8 mars et 9 juin 2021 ayant autorisé la production de mémoires additionnels ;
Vu les communications des 16 et 21 mars du délégué du gouvernement et de Maître André Lutgen suivant lesquelles ils marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 23 mars 2022.
Vu la rupture du délibéré suivant avis du 25 mars 2022 ;
Vu l’ordonnance du président de la première chambre du tribunal administratif du 25 mars 2022 ayant autorisé le dépôt d’un mémoire supplémentaire par partie pour le 6 mai 2022, respectivement le 6 juin 2022 ;
Vu le mémoire supplémentaire, erronément qualifié de « mémoire en réplique », déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 mai 2022 par Maître André Lutgen au nom des parties demanderesses, préqualifiées ;
Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;
Vu les communications des parties des 27 mai et 2 juin 2022 des suivant lesquelles elles marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 8 juin 2022.
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Par courrier du 15 janvier 2021, portant la référence …, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », adressa à la société civile A, ci-après désignée par « la A », une décision d’injonction en vertu de l’article 3, paragraphe (3) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après dénommée la « loi du 25 novembre 2014 », avec prière de fournir pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018 différents renseignements et documents concernant Madame B pour le 22 février 2021 au plus tard, ladite injonction étant libellée comme suit :
« […] En date du 5 janvier 2021, l'autorité compétente de l'administration fiscale espagnole nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.
L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.
La personne physique concernée par la demande est Madame B, née le … et ayant des adresses au …, Espagne et au …, Italie.
Etant donné que la société C, radiée en date du 26 juillet 2019, était cliente de la société A et que selon l'acte de dissolution de la première les livres et les documents de la société dissoute seront conservés pour une période de cinq ans à l'adresse L-…, je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018, les renseignements et documents suivants pour le 22 février 2021 au plus tard.
- Veuillez indiquer si Madame B était un partenaire, un investisseur et/ou un administrateur de la société C avec fourniture de documents attestant le pourcentage de propriété et la valeur de la participation dans les années 2015 à 2018;
- Veuillez indiquer pour la période visée l'activité exercée dans la société C et fournir de documents attestant la rémunération perçue par Madame B, soit en raison du travail effectué dans la société, soit en raison des dividendes versés par la société à Madame B en tant qu'actionnaire ;
1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. »- Veuillez indiquer si Madame B a accordé ou reçu des crédits/prêts dans les années 2015 à 2018 à/de la société C. Veuillez également indiquer les intérêts, le cas échéant, reçus grâce à ces crédits dans les années 2015 à 2018. Veuillez fournir les copies des contrats de prêt ;
- Veuillez indiquer les retenues pour l'impôt sur le revenu des non-résidents que Madame B a eu au Luxembourg ;
- Veuillez fournir des copies de tous les documents pertinents mentionnés.
Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l'article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération.
Je vous prie de bien vouloir nous envoyer les renseignements et documents par le biais du Système d'envoi de fichiers par OTX […].
Conformément à l'article 6 (1) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements à l'encontre de la présente décision d'injonction. Ce recours doit être introduit dans le délai d'un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements demandés. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 février 2021, la A et Madame B ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision d’injonction précitée du 15 janvier 2021 prise par le directeur.
A titre liminaire, le tribunal constate que la demande formulée suivant le dispositif de la requête introductive d’instance de sursoir à statuer en attendant que la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) s’est prononcée sur les questions posées par la Cour administrative dans l’arrêt du 23 mai 2019, inscrit sous le numéro 42143C du rôle, est devenue sans objet, la CJUE ayant rendu son arrêt en date du 25 novembre 2021 (affaire C 437/19) et les parties ayant été autorisées à produire des mémoires additionnels suivant ordonnance du 25 mars 2022.
1) Quant à la recevabilité du recours Dans son mémoire en réponse, l’Etat conclut à l’irrecevabilité du recours en ce qu’il est introduit par le contribuable visé, à savoir Madame B, en se prévalant de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, au motif que cette disposition ne prévoirait aucun recours au profit du contribuable visé par la demande d’échange de renseignements.
L’Etat fait valoir qu’aucune disposition légale ne conférerait un droit de recours au contribuable visé par l’échange de renseignements au Luxembourg.
Par ailleurs, l’Etat se prévaut d’un arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020, ayant reconnu qu’il n’était pas contraire au droit de l’Union européenne si aucun recours n’est prévu au profit du contribuable visé par une demande d’échange de renseignements dans l’Etat requis, position qui serait d’ailleurs confortée par la Cour administrative dans deux arrêts du 12 janvier 2021 (n° 41486Ca et 41487Ca du rôle). En outre, l’existence d’une voie de droitcommun au profit du contribuable visé serait en tout état de cause à réfuter puisqu’elle serait inconciliable avec l’arrêt précité de la CJUE ayant d’ailleurs retenu dans ses considérants numéros 76 et 77 une absence d’une voie de droit dans l’ordonnancement juridique luxembourgeois au profit du contribuable visé. Pour le surplus, le délégué du gouvernement analyse en détail les enseignements qu’il y aurait lieu de tirer de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020.
Si à la suite des ordonnances des 8 mars et 9 juin 2021 la A et Madame B n’ont pas fait déposer de mémoire additionnel, encore que dans l’ordonnance du 8 mars 2021 les parties aient été autorisées à prendre position entre autre par rapport au moyen d’irrecevabilité invoqué par la partie étatique et ce au regard de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020, ils ont, dans leur mémoire additionnel, intitulé « mémoire en réplique », déposé sur invitation par ordonnance du 25 mars 2022, déclaré se rapporter à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours pour autant qu’il est introduit par Madame B en sa qualité de contribuable visé.
Force est de constater que suivant la requête introductive d’instance, la A et Madame B déclarent introduire un recours en annulation contre la décision d’injonction prise par le directeur sur le fondement de la loi du 25 novembre 2014 en date du 15 janvier 2021, sans toutefois préciser de quelle disposition légale plus particulièrement Madame B déduit son droit au recours.
A défaut de toute explication fournie par les parties requérantes que ce soit dans la requête introductive ou encore dans leur mémoire additionnel, de l’entendement du tribunal, le recours en annulation est introduit par les deux parties requérantes sur le même fondement, à savoir la loi du 25 novembre 2014 sur base de laquelle la décision d’injonction a été prise, cette conclusion étant confortée par les critiques soulevées par les parties requérantes dans leur requête introductive à l’appui de leur moyen fondé sur un défaut d’indication de la finalité fiscale de la demande d’échange de renseignements et ce au regard de la procédure prévue par cette loi, limitant les écrits admissibles au nombre de deux.
Or, conformément à l’article 6, paragraphe (1) de cette loi, en sa version issue de la loi du 1er mars 2019, applicable au moment de la prise de la décision litigieuse :
« (1) Contre la décision d'injonction visée à l'article 3, paragraphe 3, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements. […] ».
L’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 prévoit ainsi un recours en annulation exclusivement au bénéfice du tiers détenteur qui est destinataire de la décision d’injonction prévue à l’article 3, paragraphe (3) de la même loi, et non pas au contribuable visé.
A cet égard, le tribunal relève que par rapport à la version initiale de l’article 6 de la loi du 15 novembre 2014, ayant exclu tout recours contre une décision d’injonction, la CJUE a retenu dans son arrêt précité du 6 octobre 2020 que le contribuable visé ne doit pas disposer, pour que son droit à un recours effectif au sens de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (la Charte), soit respecté, d’une voie de recours directe contre la décision d’injonction, mais qu’il suffit qu’il dispose, devant les différentesjuridictions nationales compétentes, d’une ou de plusieurs voies de recours lui permettant d’obtenir par incident un contrôle juridictionnel de cette mesure2.
Dans la mesure où Madame B est de façon non contestée le contribuable visé et non pas le détenteur des renseignements auquel la décision d’injonction est adressée, elle n’est pas recevable à exercer le recours en annulation prévu par l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014.
Force est de constater que Madame B n’a invoqué, ni dans la requête introductive d’instance, ni dans son mémoire additionnel, aucune autre disposition qui lui permettrait d’introduire, nonobstant le fait que l’article 6, paragraphe (1), précité, ne vise que le seul détenteur des renseignements demandés, un recours contre la décision d’injonction en sa qualité de contribuable visé. Dans son mémoire additionnel déposé le 6 mai 2022, Madame B s’est limitée à se rapporter à prudence de justice quant à la recevabilité de son recours.
Si certes le fait de se rapporter à prudence de justice équivaut en principe à une contestation, il n’en reste toutefois pas moins que le tribunal n’a pas à répondre à des contestations non autrement développées. En l’occurrence, il n’a pas à rechercher de sa propre initiative sur quel autre fondement juridique la requérante entend s’appuyer pour conclure à la recevabilité de son recours malgré les termes de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014.
Ainsi, à défaut par les parties requérantes d’appuyer autrement leur contestation face au moyen d’irrecevabilité soulevé par le délégué du gouvernement et de justifier en quelle mesure Madame B serait en droit, en tant que contribuable visé, d’introduire un recours contentieux contre une décision d’injonction nonobstant le fait que l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 prévoit un tel recours uniquement au bénéfice du détenteur des renseignements, Madame B n’invoquant par ailleurs pas non plus qu’elle ne disposerait d’aucune voie de droit en Espagne pour faire contrôler dans le cadre de son imposition la régularité de la demande d’échange de renseignements, le tribunal ne peut que déclarer irrecevable le recours de Madame B.
En ce qui concerne le recours introduit par la A, étant donné que l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 prévoit au bénéfice du détenteur des renseignements demandés un recours en annulation contre la décision d’injonction lui adressée, et dans la mesure où la qualité de détenteur des renseignements dans le chef de la A n’est pas contestée, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation dirigé par la A contre la décision du directeur du 15 janvier 2021, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
2) Quant au fond Arguments des parties A l’appui de son recours, la demanderesse reproche de prime abord une absence d’indication de l’autorité compétente dont émane la demande, la mention figurant dans la décision d’injonction que la demande de renseignement proviendrait de l’autorité compétente de l’administration fiscale espagnole étant, d’après la demanderesse, insuffisante puisqu’il faudrait préciser le nom et le département exact de l’administration requérante, la 2 Considérant numéro 79.demanderesse soulignant que le ministère de l’Economie et des Finances espagnole contiendraient plusieurs départements, services, agences et directions ayant chacun des missions et pouvoirs distincts.
En second lieu, la demanderesse conteste la pertinence vraisemblable des renseignements demandés (i) en reprochant à l’administration fiscale espagnole de ne pas avoir épuisé les voies internes d’obtention de renseignements, (ii) en affirmant qu’au regard de la formulation vague de certaines questions, il s’agirait d’une pêche aux renseignements et (iii) en contestant la pertinence vraisemblable des renseignements demandés pour la période visée en faisant état d’une option pour un régime fiscal spécial en Espagne en tant que travailleur détaché.
Enfin, la demanderesse critique la décision d’injonction en ce qu’elle estime que les informations quant à la finalité fiscale y fournies seraient insuffisantes et entraveraient ainsi son droit à contester pleinement la pertinence vraisemblable des renseignements demandés. A cet égard, elle sollicite, d’une part, l’autorisation de déposer un mémoire additionnel et, d’autre part, l’annulation de la décision à défaut de contenir une quelconque indication sur la finalité fiscale de la demande de renseignements et ce en violation de l’article 20 de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, ci-après désignée par « la directive 2011/16/UE ».
Quant au reproche de ne pas avoir épuisé ses sources d’information, la demanderesse fait valoir que les autorités espagnoles auraient pu, par une consultation au registre de commerce et des sociétés du Luxembourg (RCS), déterminer si Madame B est administrateur de la société anonyme C, ci-après désignée par « la société C ».
En ce qui concerne ensuite le reproche fait à l’administration fiscale espagnole de procéder à une pêche aux renseignements, la demanderesse se prévaut du considérant numéro 9 du préambule de la directive 2011/16/UE et de la définition de cette notion par la jurisprudence des juridictions administratives.
En l’occurrence, elle critique la question tendant à indiquer si Madame B est partenaire ou investisseur de la société C en faisant valoir que les termes de partenaire et investisseur seraient trop imprécis, de sorte à pouvoir renvoyer à une multitude de qualifications juridiques, et que les autorités fiscales espagnoles auraient dû les préciser davantage. Ainsi, le libellé extrêmement large pourrait donner lieu à la communication d’informations sans lien avec le but fiscal poursuivi.
Dès lors, la demande dépasserait le but fiscal supposément décrit dans la demande de renseignements espagnole, de même que la situation du contribuable visé.
En ce qui concerne la demande de communiquer « tous les documents pertinents mentionnés », la demanderesse se réfère à un arrêt de la Cour administrative du 12 janvier 2021, inscrit sous le numéro 41486Ca3 du rôle, et affirme que les conditions retenues par la Cour par rapport à des documents susceptibles d’être sollicités ne seraient pas remplies en l’espèce puisque la demande de documents ne serait circonscrite ni matériellement ni temporellement. En outre, les autorités fiscales solliciteraient la copie de documents pertinents, sans apporter la moindre précision et laissant de la sorte l’appréciation de la 3 Erronément indiqué comme étant le rôle 41489Ca dans la requête introductive.pertinence au détenteur des informations. La demande générale de fournir des documents serait encore d’autant plus surprenante que les questions précédentes mentionneraient déjà d’apporter les documents afférents.
D’autre part, la condition de la pertinence vraisemblable ne serait pas remplie puisque le contribuable visé aurait opté pour le régime fiscal spécial en Espagne applicable aux travailleurs détachés, option qui serait attestée par des certificats établis par le fisc espagnol pour la période donnée et par un avis juridique d’un cabinet d’avocats espagnols.
L’option pour ce régime impliquerait que la dette de l’impôt sur le revenu des personnes physiques serait déterminée exclusivement par rapport aux revenus obtenus sur le territoire espagnol, de sorte que toute demande d’information des autorités fiscales espagnoles à un Etat tiers serait en dehors du champ d’application territoriale de la vérification et de l’enquête sur les obligations fiscales en Espagne, ce pays étant uniquement habilité à vérifier la situation des revenus obtenus sur son territoire.
Comme le contribuable ne serait pas obligé de communiquer voire de déclarer à l’administration fiscale espagnole les actifs et droits situés à l’étranger, il n’existerait aucun droit légitime de l’administration fiscale espagnole de les connaître.
La demanderesse déduit encore de l’option pour le régime fiscal spécial des travailleurs détachés un droit acquis en ce sens que si l’administration fiscale espagnole avait l’intention d’enquêter sur ses revenus mondiaux, elle aurait dû d’abord invalider le certificat délivré.
Dans sa requête introductive d’instance, la demanderesse critique enfin le fait que la décision d’injonction ne préciserait pas la finalité fiscale alors que pourtant, selon la directive 2011/16/UE, la finalité fiscale des informations demandées constituerait une information minimale à laquelle le contribuable devrait avoir accès. Sans exiger à avoir communication de l’ensemble de la demande étrangère dès le stade de la décision, la demanderesse est d’avis qu’elle serait en droit d’obtenir un minimum d’informations relatives à la finalité fiscale poursuivie, alors qu’en l’espèce, elle ne pourrait obtenir cette information que dans le cadre du recours contentieux et partant à un stade tardif à travers le mémoire en réponse, loi du 25 novembre 2014 prévoyant en principe aucun mémoire en réplique.
L’absence de l’indication de la finalité fiscale serait encore incompréhensible dans la mesure où la décision contiendrait l’identité du contribuable visé, la demanderesse estimant que le défaut d’indication de cette finalité serait volontaire dans le but de la priver de cette information essentielle. Tout en admettant que les juridictions administratives admettraient le dépôt d’un mémoire supplémentaire, la demanderesse fait valoir qu’il s’agirait d’une situation d’exception dans la mesure où la loi n’autoriserait par principe pas le dépôt d’un mémoire en réplique, situation qui serait contraire à l’article 47 de la Charte, de sorte que le juge devrait y apporter des correctifs.
Dans son mémoire additionnel et face aux explications fournies par le délégué du gouvernement dans sa réponse en ce qui concerne en l’occurrence la finalité fiscale, la demanderesse déclare maintenir ses contestations.
En ce qui concerne la question de l’épuisement des sources habituelles d’information, elle maintient que la réponse à la question concernant la qualité d’administrateur de la sociétéC aurait pu être opérée à travers une consultation du RCS, qui serait librement accessible à l’administration fiscale espagnole. Face à l’affirmation de l’Etat suivant laquelle l’Etat requérant ne serait obligé que d’épuiser ses propres sources d’information et non pas celles de l’Etat requis, la demanderesse se réfère à l’article 18, paragraphe (1) de la loi du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ci-après désignée par « la loi du 29 mars 2013 », dont elle déduit que les sources habituelles d’information de l’Etat requérant ne seraient pas limitées à ses sources internes, tout en réitérant que les autorités espagnoles auraient intégralement accès au RCS luxembourgeois et ce en langue anglaise et sans même avoir besoin de créer un compte ou de procéder à une quelconque identification et sans que cela ne nuise à leur enquête. La demanderesse se prévaut encore d’un jugement du tribunal administratif du 14 janvier 2015, inscrit sous le numéro 35176 du rôle, dans lequel le tribunal se serait référé au RCS luxembourgeois par rapport aux sources d’information mises en œuvre, jugement dont la demanderesse déduit que le RCS luxembourgeois serait à qualifier de sources habituelles d’information qu’un Etat requérant devrait épuiser avant d’introduire une demande d’échange de renseignements.
Pour le surplus, elle réitère ses contestations contenues dans la requête introductive d’instance.
Le délégué du gouvernement, après avoir donné des explications quant à la finalité fiscale poursuivie, conclut au rejet du recours.
Analyse du tribunal A titre liminaire, le tribunal constate que la demande d’échange de renseignements des autorités espagnoles ayant donné lieu à la décision d’injonction litigieuse, est basée exclusivement sur la directive 2011/16/UE, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.
Ensuite, il convient de relever que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre dans lequel les moyens sont présentés, mais a l’obligation de les traiter suivant la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent, l’examen des moyens de légalité externe précédant celui des moyens de légalité interne.
Quant à l’indication de l’autorité requérante Force est de constater qu’il se dégage de la demande d’échange de renseignements des autorités espagnoles, à laquelle tribunal a accès en application de l’article 6, paragraphe (2) de la loi du 25 novembre 2014, que sous la rubrique A 1-3 sont indiquées l’autorité compétente et l’autorité requérant les informations, à savoir le « Central liaison office », de même qu’est indiqué le nom de l’agent ayant sollicité les informations. Il s’ensuit que la demande répond aux exigences de l’article 3 de la loi du 25 novembre 2014, aux termes duquel « […] La demande d’échange de renseignements est régulière en la forme si elle contient l’indication de la base juridique et de l’autorité compétente dont émane la demande ainsi que les autres indications prévues par les Conventions et lois ».
Pour ce qui est du reproche d’un défaut d’indication de ces détails dans la décision d’injonction elle-même, celui-ci est rejeté à défaut d’obligation d’indiquer le service exact de l’Etat requérant ayant sollicité les informations, l’article 3, paragraphe (4) de la loi du 25 novembre 2014 exigeant uniquement que la décision comporte « les indications qui sont 8 indispensables pour permettre au détenteur des renseignements d'identifier les renseignements demandés ».
Il s’ensuit que le moyen afférent est rejeté pour manquer en fait.
Quant aux reproches tenant à un défaut d’épuisement des sources de renseignements habituels La condition d’épuisement des voies internes est prévue par la directive 2011/16/UE et par l’article 18, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 mars 2013 disposant que « l’autorité requise luxembourgeoise fournit à l'autorité requérante les informations [vraisemblablement pertinentes], à condition que l'autorité requérante ait déjà exploité les sources habituelles d'information auxquelles elle peut avoir recours pour obtenir les informations demandées sans risquer de nuire à la réalisation de ses objectifs », cette disposition étant le reflet de la directive qu’elle transpose.
Il se dégage de cette disposition que la communication des informations vraisemblablement pertinentes à l’autorité requérante est subordonnée au fait que cette dernière ait déjà exploité les sources usuelles de renseignements à sa disposition, étant relevé que cette obligation d’épuiser les voies internes n’est pas absolue, mais connaît, aux termes de la directive 2011/16/UE, un tempérament à travers l’expression « sans risquer de nuire à la réalisation de ses objectifs », cette exception visant à préserver les chances de succès des vérifications menées par l’autorité requérante lorsqu’en enquêtant sur son propre territoire, elle risquerait, par exemple, de nuire à l’efficacité de sa propre enquête en s’adressant aux contribuables visés ou à des tiers4.
Le tribunal relève encore que l’épuisement, par l’Etat requérant, des sources d’information disponibles représente une condition de légalité d’une demande d’échange de renseignements à côté du contrôle de la pertinence vraisemblable des renseignements sollicités5.
La demanderesse soutient que l’exigence posée par l’article 18, paragraphe (1), précité, n’aurait pas été respectée par rapport à un seul renseignement demandé, à savoir la question de savoir si Madame B est administrateur de la société C, information qui serait librement disponible au RCS.
Le tribunal retient de prime abord que dans la mesure où la contestation afférente porte sur une question isolée, elle n’est pas de nature à invalider les autres questions posées, ni d’ailleurs la première question en sa globalité, qui porte encore sur d’autres renseignements que la question de savoir si Madame B est administrateur de la société C.
Le tribunal constate ensuite que le formulaire de demande d’échange de renseignements émanant des autorités espagnoles indique sous la rubrique A 1-6 que celles-ci ont épuisé les sources habituelles de renseignements qu’elles auraient pu déployer pour obtenir les informations recherchées sans courir le risque de compromettre le résultat de leur enquête. Par ailleurs, il se dégage des explications fournies par la partie étatique et tel que cela se dégage encore de la demande des autorités espagnoles, que celles-ci ont en vain demandé des informations et pièces au contribuable visé, seules des informations ayant trait à un seul 4 Rappelé dans Cour adm. 31 mars 2022, n° 42143Ca du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu.
5 Cour adm. 25 février 2021, n° 45455C du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu.compte bancaire en Espagne ayant été fournies, alors que les autorités espagnoles affirment disposer d’indices suffisants pour retenir que Madame B disposerait de revenus et d’actifs dans le monde entier.
Au regard de ces explications et en l’absence de toute autre information venant contredire les indications des autorités fiscales espagnoles, le tribunal est amené à retenir que la condition tenant à l’épuisement des sources internes habituelles est remplie, étant relevé qu’il n’appartient pas à l’Etat requérant de procéder par lui-même à des vérifications dans l’Etat requis, fut-ce sur des bases de données librement accessibles, l’obligation d’exploiter les sources d’information ne visant que ses propres sources internes6. A cet égard, s’il est vrai que, tel que la demanderesse le relève, l’article 18, paragraphe (1) de la loi du 29 mars 2013 ne mentionne pas expressément les sources internes, tel est néanmoins l’interprétation qui en est faite par la jurisprudence de la Cour administrative, qui se réfère à l’épuisement des sources internes7.
La contestation afférente de la demanderesse est partant rejetée.
Quant au reproche d’un défaut d’indication de la finalité fiscale dans la décision d’injonction L’article 3 de la loi du 25 novembre 2014 dispose en son paragraphe (4) que « La demande d’échange de renseignement ne peut pas être divulguée. La décision d’injonction ne comporte que les indications qui sont indispensables pour permettre au détenteur des renseignements d’identifier les renseignements demandés. », tandis qu’en vertu du paragraphe (1) de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 : « […] Par dérogation à l’article 3, paragraphe (4), le tribunal a accès à la demande d’échange de renseignement ainsi que, le cas échéant, aux demandes de complément d’information et aux compléments d’information délivrés par l’Etat requérant. Les éléments y contenus et relatifs à l’identité de la personne visée par la demande d’échange de renseignements et la finalité fiscale des renseignements demandés sont séparément énoncés dans le mémoire en réponse à déposer par la partie étatique. Pour préserver les droits de la défense du requérant, le tribunal peut ordonner que la substance des informations contenues dans la demande d’échange de renseignements ainsi que, le cas échéant, dans les compléments d’information délivrés par l’Etat requérant lui soit communiquée, pour autant que ces informations soient pertinentes aux fins de l’examen du recours et en veillant à ce que cette communication se fasse de manière qui tient compte de la confidentialité nécessaire. […] ».
Il découle de ces dispositions que la demande de renseignements n’est pas communiquée au destinataire de la décision d’injonction, mais que seule la substance des informations contenues dans la demande d’échange de renseignements est communiquée au requérant sur ordre du tribunal afin de préserver les droits de la défense.
Il découle encore du libellé de l’article 3, paragraphe (4) de la loi du 25 novembre 2014 (« la décision d’injonction ne comporte que les indications qui sont indispensables pour permettre au détenteur des renseignements d’identifier les renseignements demandés ») qu’il exclut implicitement l’insertion, dans la décision d’injonction même, non seulement des développements quant aux démarches du directeur et à son analyse en relation avec le 6 Trib. adm. 18 mai 2022, inscrite sous le n° 46941 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
7 A titre d’exemple : Cour adm. 17 mars 2022, n° 47008C du rôle ; Cour adm. 25 février 2021, n° 45455C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.contrôle de l’absence manifeste de pertinence vraisemblable8, mais aussi d’une description de la finalité de la demande de renseignements. Dès lors, il suffit que la partie publique fournisse, dans le cadre du recours contentieux, les informations concernant l’identité du contribuable et la finalité fiscale des renseignements demandés et qu’elle explicite les raisons pour lesquelles, d’après l’analyse effectuée par le directeur, ces informations sont de nature à justifier la pertinence vraisemblable des renseignements demandés9.
A cet égard et en ce qui concerne les informations auxquelles le détenteur des renseignements recherchés est en droit d’accéder, il convient de rappeler que dans son arrêt Berlioz10, la CJUE a entériné le caractère secret de la demande d’informations conformément à l’article 16 de la directive 2011/16/UE. Elle a rappelé dans ce contexte que le « caractère secret [de ladite demande] s’explique par la discrétion dont l’autorité doit normalement faire preuve au stade de la collecte d’informations et qu’elle est en droit d’attendre de l’autorité requise, afin de ne pas nuire à l’efficacité de son enquête »11.
Par rapport à cette exigence de confidentialité, la CJUE a en outre clairement distingué entre la phase administrative d’un échange de renseignements et la phase contentieuse découlant de l’introduction d’un recours juridictionnel.
Quant à la phase administrative, elle a jugé que « le secret de la demande d’informations peut ainsi être opposé à toute personne dans le cadre d’une enquête »12, ce qui implique nécessairement que le secret peut également être opposé au détenteur de renseignements qui se voit notifier une décision d’injonction.
Quant à la procédure contentieuse suite à l’introduction d’un recours juridictionnel, la CJUE a dit pour droit qu’il n’était pas nécessaire pour que l’administré fasse entendre sa cause de manière « équitable », au sujet de la condition de pertinence vraisemblable, qu’il ait accès à l’ensemble de la demande d’informations, mais qu’il suffisait qu’il ait accès, dans le cadre d’un recours contentieux, à l’information minimale visée à l’article 20, paragraphe (2) de la directive 2011/16/UE, à savoir (i) l’identité du contribuable concerné et (ii) la finalité fiscale des informations demandées13. En effet, la CJUE a retenu à cet égard que « afin de faire pleinement entendre sa cause au sujet de l’absence de pertinence vraisemblable des informations demandées, il suffit, en principe, qu[e] [le détenteur des renseignements] dispose des informations visées à l’article 20, paragraphe 2, de cette directive »14.
Il convient encore d’ajouter que la CJUE a clairement jugé que le droit d’accès ainsi délimité du détenteur de renseignements au contenu de la demande étrangère d’échange de renseignements est conforme aux exigences du caractère équitable du procès découlant de l’article 47, alinéa 2, de la Charte, étant relevé que la loi du 25 novembre 2014 constitue sur ce point le reflet de cette analyse de la CJUE.
Il s’ensuit que le directeur ne saurait se voir imposer l’obligation d’insérer, dans la décision d’injonction même, des développements quant à ses démarches et à son analyse en relation avec le contrôle de l’absence manifeste de pertinence vraisemblable. Il suffit plutôt 8 Cour adm. 25 avril 2019 n° 42093C et 42118C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
9 Trib. adm. 22 juillet 2020, n° 44249 du rôle.
10 CJUE 16 mai 2017, affaire C‑682/15.
11 point n° 94.
12point 95.
13 point 100.
14 point 101.que la partie publique fournisse dans le cadre du recours contentieux les informations concernant l’identité du contribuable et la finalité fiscale des renseignements demandés et qu’elle explicite les raisons pour lesquelles, déjà d’après l’analyse effectuée par le directeur, ces informations sont de nature à justifier la pertinence vraisemblable des renseignements demandés15.
Le tribunal relève encore que la Cour administrative a eu l’occasion de se pencher dans un arrêt récent16 sur un reproche similaire que celui invoqué par la demanderesse et a relevé que si dans cette affaire le tiers détenteur est resté dans l’ignorance de la finalité fiscale de la demande d’échange à la base de la décision d’injonction lui adressée et ne s’est vu communiquer les éléments relatifs à la finalité fiscale qu’après l’introduction de son recours juridictionnel, tel que cela est le cas en l’espèce, il n’en reste pas moins que le régime de l’accès aux informations concernant la finalité fiscale d’une demande d’échange critiquée découle directement de l’interprétation de l’article 47 de la Charte effectuée par la CJUE dans l’arrêt Berlioz, la Cour ayant rappelé que cette interprétation a été réitérée dans l’arrêt de la CJUE du 25 novembre 2021, cette interprétation liant les juridictions nationales des Etats membres.
Il s’ensuit que la demanderesse n’est pas fondée à invoquer une illégalité de la décision d’injonction du fait qu’elle ne contient pas la mention de la finalité fiscale des informations demandées et du fait que celle-ci ne lui a été communiquée qu’après l’introduction de son recours.
Le moyen d’annulation afférent est dès lors rejeté, étant relevé que comme la demanderesse a eu l’occasion de déposer un mémoire additionnel après avoir pris connaissance des explications du délégué du gouvernement sur la finalité fiscale, sa demande de se voir autoriser à produire un mémoire additionnel est pareillement à rejeter comme étant devenue sans objet.
Quant à la pertinence vraisemblable des informations demandées Quant à la notion de pertinence vraisemblable, il échet de relever que l’article 6 de la loi du 29 mars 2013 dispose comme suit :
« A la demande de l’autorité requérante, l’autorité requise luxembourgeoise lui communique les informations vraisemblablement pertinentes pour l’administration et l’application de la législation interne de l’Etat membre requérant relative aux taxes et impôts visés à l’article 1er, dont elle dispose ou qu’elle obtient à la suite d’enquêtes administratives ».
L’article 3 de la loi du 25 novembre 2014 dispose que : « (1) L’administration fiscale compétente vérifie la régularité formelle de la demande d’échange de renseignements. La demande d’échange de renseignements est régulière en la forme si elle contient l’indication de la base juridique et de l’autorité compétente dont émane la demande ainsi que les autres indications prévues par les Conventions et lois.
15 Cour adm. 25 avril 2019, nos 42093C et 42118C, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1378 et les autres références y citées.
16 Cour adm. 9 décembre 2021, n° 46594C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.L’administration fiscale compétente s’assure que les renseignements demandés ne sont pas dépourvus de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité de la personne visée par la demande d’échange de renseignements et à celle du détenteur des renseignements ainsi qu’aux besoins de la procédure fiscale en cause. […] ».
Il résulte de la disposition précitée que l’administration fiscale compétente doit, d’une part, vérifier la régularité formelle de la demande d’échange de renseignements et, d’autre part, s’assurer que les renseignements demandés ne sont pas dépourvus de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité de la personne visée par la demande d’échange de renseignements et à celle du détenteur des renseignements, ainsi qu’aux besoins de la procédure fiscale en cause.
Concernant la notion de la pertinence vraisemblable des renseignements sollicités, il y a lieu de souligner que dans l’arrêt Berlioz, la CJUE, a délimité le champ du contrôle à exercer par le juge compétent saisi dans l’Etat requis par rapport à la demande d’injonction en ce sens que « les limites applicables au contrôle de l’autorité requise s’imposent de la même manière au contrôle du juge »17 et que « le juge doit uniquement vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d’une part, au contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie »18. La CJUE a encore confirmé le champ de ce contrôle juridictionnel par son arrêt du 6 octobre 202019.
Le critère de la pertinence vraisemblable se trouve explicité dans le considérant n° 9 du préambule de la directive 2011/16/UE qui le définit comme suit : « Il importe que les États membres échangent des informations concernant des cas particuliers lorsqu’un autre État membre le demande et fassent effectuer les recherches nécessaires pour obtenir ces informations. La norme dite de la « pertinence vraisemblable » vise à permettre l’échange d’informations en matière fiscale dans la mesure la plus large possible et, en même temps, à préciser que les États membres ne sont pas libres d’effectuer des « recherches tous azimuts » ou de demander des informations dont il est peu probable qu’elles concernent la situation fiscale d’un contribuable donné. Les règles de procédure énoncées à l’article 20 de la présente directive devraient être interprétées assez souplement pour ne pas faire obstacle à un échange d’informations effectif ».
La CJUE a encore précisé que « cette notion de pertinence vraisemblable reflète celle utilisée à l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE tant en raison de la similitude des concepts utilisés que de la référence aux conventions de l’OCDE dans l’exposé des motifs de la proposition de directive du Conseil COM(2009) 29 final, du 2 février 2009, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ayant conduit à l’adoption de la directive 2011/16 »20.
La condition de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés implique que la demande porte sur un cas d’imposition précis et spécifique et qu’elle soit relative à un contribuable déterminé, les renseignements demandés devant être vraisemblablement pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante. En somme, il faut qu’il existe une 17 arrêt Berlioz, considérant n° 85.
18 Idem, considérant n° 86.
19 Affaires jointes C-245/19 et C-246/19, considérant n° 116 20 arrêt Berlioz, considérant n° 67.possibilité raisonnable que les renseignements demandés se révèleront pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante. En revanche, la décision d’injonction est à qualifier de « pêche aux renseignements » si elle est fondée sur une demande d’échange de renseignements qui porte sur des informations qui sont manifestement dépourvues de toute pertinence vraisemblable pour l’enquête menée par l’autorité requérante et ce eu égard au contribuable concerné, au tiers éventuellement renseigné et à la finalité fiscale poursuivie.
L’exécution du contrôle de l’absence manifeste de pertinence vraisemblable des renseignements demandés par l’autorité requérante avant la prise d’une décision d’injonction s’analyse en une protection essentielle dont le non-respect affecte la validité de la décision d’injonction21.
En ce qui concerne ensuite le rôle du tribunal saisi d’un recours en annulation contre une injonction de communiquer des renseignements, celui-ci est circonscrit par une triple limitation, à savoir, premièrement, celle découlant de sa compétence limitée de juge de l’annulation, deuxièmement, celle découlant du fait que la décision directoriale repose à la base sur la décision d’une autorité étrangère, dont la légalité, le bien-fondé et l’opportunité échappent au contrôle du juge luxembourgeois, et, troisièmement, celle du critère s’imposant tant au directeur qu’au juge administratif, à savoir celui de la « pertinence vraisemblable ».
En ce qui concerne ce dernier critère, il y a lieu de relever que si le juge de l’annulation est communément appelé à examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, ce contrôle doit, en la présente matière, être considéré comme plus limité, puisque le juge n’est pas appelé à vérifier si la matérialité des faits donnant lieu au contrôle lequel justifie la demande de renseignements est positivement établie, mais seulement si les renseignements sollicités paraissent être vraisemblablement pertinents dans le cadre du contrôle ou de l’enquête poursuivie dans l’Etat requérant22. La CJUE a, en effet, rappelé à cet égard que l’autorité requise ne possède en général pas une connaissance approfondie du cadre factuel et juridique existant dans l’Etat requérant, et il ne saurait être exigé qu’elle ait une telle connaissance23.
Il s’ensuit qu’un demandeur ne saurait être admis à apporter la preuve, au cours de la phase contentieuse, que les explications soumises par l’Etat requérant reposent sur des faits inexacts, cette faculté imposerait en effet au tribunal de se livrer à un contrôle de la matérialité des faits à la base de la demande de renseignements de l’autorité étrangère. Or, ce débat doit être porté devant les autorités compétentes de l’Etat requérant. Il n’appartient pas non plus au directeur, et corrélativement au tribunal, d’examiner, d’après le droit de l’Etat requérant, la situation fiscale du contribuable visé dans l’Etat requérant, cette compétence et les contestations afférentes relevant des seules autorités de l’Etat requérant.
Il n’est fait exception à cette limitation du rôle du juge luxembourgeois que dans les hypothèses où la personne ayant recouru contre une décision directoriale d’injonction de fournir des renseignements soumet en cause des éléments circonstanciés qui sont de nature à ébranler le contenu de la demande de renseignements étrangère en des volets essentiels de la situation à la base de la demande d’échange de renseignements et qui reviennent ainsi à 21 Cour adm. 26 octobre 2017, n° 36893Ca, disponible sous www.jurad.etat.lu.
22 Trib. adm., 12 juillet 2012, n° 30164 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1400 et les autres références y citées.
23 Arrêt Berlioz, considérant n° 77.affecter sérieusement la vraisemblance de la pertinence des informations sollicitées ou d’autres conditions posées à un échange de renseignements24.
En l’espèce, le tribunal constate que dans sa réponse, l’Etat a fourni les informations concernant l’identité du contribuable visé, à savoir Madame B, et concernant la finalité fiscale des renseignements demandés, à savoir celle d’identifier, dans le contexte de l’examen de la situation fiscale du contribuable visé en Espagne, les biens, droits et revenus de ce contribuable au Luxembourg dans l’objectif de l’imposer en Espagne sur ses revenus mondiaux au titre de l’impôt sur le revenu des personnes physiques et l’impôt sur la fortune pour les années 2015 à 2018. D’après les explications fournies par la partie étatique quant à la finalité fiscale, confirmées par la demande d’échange de renseignements, les autorités espagnoles s’estiment fondées à imposer Madame B sur ses revenues mondiaux, et ce nonobstant l’option pour le régime spécial des salariés détachés sur le territoire espagnol, dans la mesure où ils estiment disposer de suffisamment d’indices permettant de retenir que les relations de travail en Espagne, dont fait état Madame B, ont été simulées dans le but de bénéficier du régime spécial des travailleurs détachés et de soustraire ainsi ses revenus mondiaux et sa fortune à l’imposition des autorités espagnoles.
En ce qui concerne de prime abord le reproche de la demanderesse tenant en substance à la compétence d’imposition des autorités espagnoles, la demanderesse estimant que celles-ci ne pourraient imposer Madame B sur ses revenus mondiaux en raison de l’option pour le régime spécial des travailleurs détachés faite par elle, force est de constater que le fisc espagnol justifie sa compétence pour imposer celle-ci sur ses revenus mondiaux justement par la remise en cause dudit régime spécial pour lequel celle-ci a opté. En effet, il se dégage des explications fournies dans la demande d’échange de renseignements que les autorités fiscales espagnoles soupçonnent que Madame B a fait état de contrats de travail simulés avec les sociétés D et E, pour bénéficier de ce régime spécial d’imposition, les autorités fiscales espagnoles doutant de ce que des fonctions aient réellement été exercées pour ces sociétés et doutant par ailleurs que Madame B serait venue résider en Espagne à la suite de l’offre d’emploi faite par la société D, celle-ci n’ayant pas fourni la lettre de détachement de l’employeur ou la justification documentaire de cette offre d’emploi.
Or, tel que cela a été relevé ci-avant, il n’appartient pas au directeur et plus loin au tribunal saisi du contrôle de la légalité de la décision d’injonction, d’examiner le bien-fondé des prémisses factuelles respectivement juridiques, sur base du droit fiscal espagnol, faites par les autorités fiscales espagnoles pour justifier leur demande d’échange de renseignements, en l’occurrence le caractère justifié en fait et droit de la remise en cause du régime spécial d’imposition. Il en est de même de l’affirmation de la demanderesse suivant laquelle l’administration fiscale espagnole devrait d’abord invalider le certificat délivré, les conditions dans lesquelles le fisc espagnol peut retirer le bénéfice du régime spécial n’étant pas à examiner par le tribunal dans le cadre du présent recours.
Ces questions devront être tranchées, le cas échéant, par les autorités fiscales espagnoles compétentes, mais ne sauraient être tranchées par le tribunal dans le cadre du présent recours, son contrôle étant limité, au regard des principes retenus ci-avant, au défaut manifeste de pertinence vraisemblable des informations demandées25, étant relevé que pour 24 Cour adm., 27 mai 2014, n° 34291C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1400 et les autres références y citées.
25 Rappelé récemment par un arrêt de la Cour adm. 11 novembre 2021, n° 46232C du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu.répondre au critère de pertinence vraisemblable, il suffit qu’il existe une possibilité raisonnable que les renseignements demandés se révèleront pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante.
Le tribunal est dès lors amené à retenir que le fait que la demanderesse affirme que le contribuable visé a opté pour le régime spécial des travailleurs détachés ne constitue pas un obstacle à la pertinence des renseignements demandés, de sorte que la contestation afférente est rejetée, et ce sans qu’il n’y ait lieu de se prononcer sur la demande de rejet de pièces sur lesquelles la demanderesse entend s’appuyer pour justifier de la réalité de l’option faite, cet examen étant surabondant.
Le tribunal constate ensuite qu’au-delà de la contestation de la compétence des autorités fiscales espagnoles pour imposer Madame B, la demanderesse ne met pas en question la pertinence vraisemblable, par principe, de la demande d’échange de renseignements, étant relevé que la pertinence vraisemblable des renseignements demandés au sujet de la question des liens de Madame B avec la société C et des flux financiers entre celle-
ci et cette société, avec laquelle les autorités espagnoles déclarent, sur base d’un certain nombre d’indices, que Madame B a des liens, ressort à suffisance des explications fournies par l’Etat quant à la finalité fiscale. A cet égard, le tribunal relève qu’il n’est pas contesté que la conséquence de la perte du bénéfice de l’option pour le régime spécial des travailleurs détachés dans le chef de Madame B est que celle-ci est susceptible d’être imposée en Espagne pour ses revenus mondiaux et que, par ailleurs, les autorités espagnoles ont fait état d’indices concrets permettant de retenir que celle-ci dispose de revenus, voire de capital au Luxembourg à travers des participations ou intéressements dans la société C.
Parmi l’ensemble des questions posées, la demanderesse remet en question en l’occurrence un volet de la première : sans remettre en question la pertinence de la question par rapport à la société C en tant que telle, la demanderesse est d’avis que la question de savoir si Madame B est partenaire ou investisseur de cette société s’assimilerait à une pêche aux renseignements puisque les termes de partenaire et d’investisseur seraient trop vagues.
Or, dans la mesure où l’objectif de la demande d’échange de renseignements est celui de déterminer si Madame B dispose de revenus de quelque nature que ce soit ou des éléments de fortune au Luxembourg, susceptibles d’être imposés en Espagne, et comme les différentes questions tendent à déterminer si celle-ci perçoit des revenus sous quelque forme que ce soit à travers la société C, voire détient des actifs dans cette société, le tribunal est amené à retenir que la pertinence de la question de savoir si Madame B est investisseur dans cette société ne saurait être niée, dans la mesure où les autorités fiscales espagnoles ont expliqué que suivant les renseignements à leur disposition, Madame B aurait apporté, dans le cadre d’une augmentation de capital d’une société F, des participations dans la société C. Le terme d’investisseur permet ainsi d’englober de façon plus large toutes sortes de participations directes ou indirectes dans cette société. Si le terme de partenaire est certes susceptible de correspondre à diverses sortes de collaborations, il n’en reste toutefois pas moins qu’ensemble avec les autres questions posées et au regard de la finalité fiscale telle que précisée, il est à suffisance rattachable au but fiscal poursuivi, à savoir de déterminer l’ensemble de revenus potentiels, de quelque nature qu’ils soient, que Madame B a touché en raison de ses relations, de quelque nature qu’elles soient, avec la société C, respectivement d’éléments de fortune détenues sous quelque forme que ce soit dans cette société.
En ce qui concerne enfin le reproche de la demanderesse à l’adresse de la dernière question posée, en ce qu’elle incrimine la demande de communiquer des copies de « tous les 16 documents pertinents mentionnés », force est de constater que dans son arrêt du 12 janvier 2021, invoqué par la demanderesse, la Cour administrative a retenu qu’une demande d’échange suffit à l’exigence de ne pas porter sur des renseignements qui apparaîtraient comme étant manifestement dépourvus de toute pertinence vraisemblable même si elle ne désigne pas précisément les renseignements ou documents requis, dès lors qu’ils se trouvent circonscrits et délimités en nombre par les trois éléments communs d’avoir été conclus, effectués ou reçus par le détenteur de renseignements, de porter sur la période concernée par l’enquête menée par l’autorité compétente de l’Etat requérant et de présenter un lien suffisant au contribuable visé par ladite enquête.
En l’espèce, le tribunal est amené à retenir que la demanderesse n’est pas fondée à affirmer que la demande de documents ne serait circonscrite ni matériellement ni temporellement. En effet, la mention critiquée par elle ne vise pas tout document pertinent généralement quelconque, mais uniquement les documents pertinents « mentionnés », partant relatifs aux questions posées. Encore que la dernière question est une redite puisque pour chaque question, la fourniture des documents afférents est demandée, ce constat n’implique pas le défaut de pertinence de la question.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est rejeté comme étant non fondé.
Eu égard à l’issue du litige, la demande en paiement d’une indemnité de procédure d’un montant de 5 000 euros sur base de l'article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives formulée par chacune des parties requérantes est rejetée en ce qu’il n’est pas justifié en quoi il serait inéquitable de laisser à leur charge les sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens.
Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours en annulation irrecevable pour autant qu’il est introduit par Madame B ;
pour le surplus, reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure ;
condamne les parties requérantes au frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 juin 2022 par :
Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Benoît Hupperich, attaché de justice délégué.
en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 juin 2022 Le greffier du tribunal administratif 18