La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/05/2022 | LUXEMBOURG | N°45414

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 mai 2022, 45414


Tribunal administratif Numéro 45414 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2020 2e chambre Audience publique du 30 mai 2022 Recours formé par Madame … et consort, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

____________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45414 du rôle et déposée le 22 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif par Madame … et son époux, Monsieur …, dem

eurant ensemble à L-…, dirigée à l’encontre d’une décision du directeur de l’administration des...

Tribunal administratif Numéro 45414 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2020 2e chambre Audience publique du 30 mai 2022 Recours formé par Madame … et consort, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

____________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45414 du rôle et déposée le 22 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif par Madame … et son époux, Monsieur …, demeurant ensemble à L-…, dirigée à l’encontre d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 22 septembre 2020, référencée sous le numéros …, portant rejet de leur réclamation introduite le 7 novembre 2019 à l’encontre des bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2016 et 2017, tous les deux émis le 7 août 2019 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2021 ;

Vu le mémoire en réplique des demandeurs, déposé au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2021 ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2022 par Maître Claude Collarini, au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Anne-Claire Blondin, en remplacement de Maître Claude Collarini, et Monsieur le délégué du gouvernement Tom Kerschenmeyer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 mars 2022.

____________________________________________________________________________

Par courrier du 13 juin 2019, le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », en application du paragraphe 205 (3) de la loi générale des impôts du 21 mai 1931 telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », ci-après désignée par « AO », informa Madame … et son époux, Monsieur …, ci-après désignés par « les époux … », de son intention de s’écarter de leurs déclarations pour l’impôt sur le revenu des années 2016 et 2017, notamment, sur le point suivant :

« […] 1) Concerne : Bénéfice de la profession libérale de Madame ….

Suivant entretien téléphonique du 13/06/2019, vous confirmez que votre voiture sert exclusivement aux déplacements professionnels, et plus spécifiquement aux déplacements entre votre lieu de résidence (dans ce cas …) et les hôpitaux à … (…, …, etc.). En tant que … vous pratiquez dans lesdits hôpitaux, de même que vous y assurez des gardes et permanences. Vous 1affirmez aussi que vous n’exercez plus que sur le territoire de la Ville de …. De même vous ne faites pas de visites à domicile chez vos patients, mais le suivi se fait dans les hôpitaux respectifs, voir dans votre cabinet au domicile privé.

Dans un tel cas où la voiture sert exclusivement aux déplacements entre domicile et lieu de travail, l’art. 46 (9) LIR prévoit que sont déductibles comme dépenses d’exploitation « …, les dépenses en rapport avec le déplacement entre son domicile et le lieu de son activité, dans les limites et sous les conditions à prévoir par règlement grand-ducal. Ledit règlement grand-ducal pourra prévoir également une déduction forfaitaire minimum pour frais de déplacements. » (Règlement grand-ducal du 28 décembre 1990 portant exécution de l’art. 46, n 9 LIR).

Le forfait comprend tous les frais en relation avec le trajet du domicile vers le lieu de travail. Une unité de déplacement est égale à 99 €. Le total des unités d’éloignement déductibles entre … et … s’élève à … unités (… – 4 unités : les quatre premières unités ne sont pas déductibles). […] ».

Dans le même courrier, le bureau d’imposition invita encore les époux … à formuler leurs éventuelles objections de façon écrite pour le 8 juillet 2019 au plus tard, ce qu’ils firent par courrier du 5 juillet 2019.

Le 7 août 2019, le bureau d’imposition émit à l’égard des époux … les bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2016 et 2017.

Par courrier du 5 novembre 2019, réceptionné le surlendemain, les époux … introduisirent auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », une réclamation à l’encontre de ces bulletins d’imposition.

Cette réclamation fut rejetée par une décision du directeur du 22 septembre 2020, référencée sous le numéro …, libellée comme suit :

« […] Vu la requête introduite le 7 novembre 2019 par le sieur … et la dame …, demeurant à L-…, pour réclamer contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des personnes physiques des années 2016 et 2017, tous les deux émis le 7 août 2019 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les paragraphes 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu’elles sont partant recevables ;

Considérant que les réclamants font grief au bureau d’imposition de ne pas avoir déduit les frais de voiture déclarés en relation avec l’activité professionnelle de la réclamante ;

Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens des réclamants, la loi d’impôt étant d’ordre public ;

qu’à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-fondé ;

qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;

2Considérant qu’il résulte du dossier fiscal que la réclamante est médecin indépendante et exerce son activité professionnelle à … et à … ;

Considérant qu’aux termes de l’article 91, alinéa 1er, numéro 1 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) l’activité professionnelle des médecins, exercée d’une façon indépendante, est à considérer comme bénéfice provenant de l’exercice d’une profession libérale ;

Considérant que l’article 91 L.I.R. ne fait que ranger dans une catégorie de revenus particulière le bénéfice engendré par certaines activités qui, à défaut de cette mesure, seraient considérées comme bénéfice commercial ; que d’ailleurs, en application de l’article 93 L.I.R., les dispositions des articles 16 à 60 L.I.R., concernant le bénéfice commercial, sont également applicables à l’endroit du bénéfice provenant de l’exercice d’une profession libérale ;

Considérant que les réclamants font valoir que la réclamante pratiquerait entre autres la … à l’Hôpital … et qu’elle n’y disposerait pas d’un cabinet médical ; qu’ils exposent encore que les interventions chirurgicales programmées seraient reportées de manière régulière de sorte qu’il n’y aurait pas un horaire de travail fixe ; que les réclamants font encore valoir que la réclamante visiterait régulièrement ses patients hospitalisés et qu’en raison de la continuité de soins des déplacements à l’hôpital seraient nécessaires ;

Considérant qu’aux termes de l’article 45, alinéa 1er L.I.R., les dépenses provoquées exclusivement par l’entreprise constituent des dépenses d’exploitation déductibles ;

Considérant que les frais de voiture provoqués exclusivement par l’activité professionnelle constituent des dépenses d’exploitation (article 45 L.I.R.) et sont partant à porter en déduction du résultat de cette activité ;

Considérant en effet que si en principe il incombe aux contribuables de fournir la preuve de la totalité des déplacements requise à des fins de détermination de la part de l’utilisation professionnelle au moyen notamment d’un carnet de bord, les contribuables doivent au moins, en l’absence de ce moyen de preuve, pouvoir présenter des annotations et autres pièces à l’appui pouvant être raisonnablement prises en considération pour étayer une quote-part professionnelle justifiée ;

Considérant qu’en établissant les bases d’imposition des années 2016 et 2017, le bureau d’imposition n’a pas admis en déduction les frais de voiture déclarés ; que le bureau d’imposition a déduit le forfait pour frais de déplacement en vertu de l’article 46, numéro 9 L.I.R. ;

Considérant que l’article 46, numéro 9 L.I.R. prévoit une déduction forfaitaire pour frais de déplacement du contribuable entre son domicile et son lieu de son activité ;

Considérant que les frais de déplacement du contribuable entre son domicile et le lieu de son travail sont déductibles comme frais d’obtention à concurrence d’un montant forfaitaire déterminé en fonction de l’éloignement entre le chef-lieu de la commune sur le territoire de laquelle le contribuable a son domicile et celui du lieu de son travail ; que les frais de déplacement se mesurent en unités d’éloignement exprimant les distances kilométriques en ligne droite entre les chefs-lieux des communes ;

que la déduction forfaitaire pour frais de déplacement est à compter à concurrence de 99 euros par unité d’éloignement ;

3 Considérant que le réclamant n’a pas fourni de pièces à l’appui concernant les frais de voiture invoqués, tel qu’un carnet de route reprenant les distances parcourues, les lieux de départ et d’arrivée, ainsi que la raison du déplacement ;

Considérant qu’il ressort d’un courrier portant la date du 13 juin 2019 du bureau d’imposition et informant les réclamants sur les divergences par rapport aux revenus déclarés que « Suivant entretien téléphonique du 13/06/2019, vous confirmez [la réclamante] que votre voiture sert exclusivement aux déplacements professionnels, et plus spécifiquement aux déplacements entre votre lieu de résidence (dans ce cas …) et les hôpitaux à … (…, … etc). En tant que … vous pratiquez dans lesdits hôpitaux, de même que vous y assurez des gardes et permanences. Vous affirmez aussi que vous n’exercez plus que sur le territoire de la Ville de ….

De même vous ne faites pas de visites à domicile chez vos patients, mais le suivi se fait dans les hôpitaux respectifs, voir dans votre cabinet au domicile privé » ;

Considérant que la réclamante est restée en défaut de fournir des moyens et preuves concluants qu’elle aurait exercé des déplacements professionnels en dehors des seuls déplacements entre son domicile et les lieux de travails respectifs à … et à … ;

Considérant qu’il en résulte que les frais de voitures déductibles pour chacune des années litigieuses sont constitués par la déduction forfaitaire visée à l’article 46, numéro 9 L.I.R., s’élevant en l’espèce à (… unités x 99) … euros par année d’imposition ;

Considérant que pour le surplus, les impositions sont conformes à la loi et aux faits de la cause et ne sont d’ailleurs pas autrement contestées ;

PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, les rejette comme non fondées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2020, les époux … ont introduit un recours tendant, aux termes de son dispositif, à l’annulation de la décision directoriale, précitée, du 22 septembre 2020.

Dans leur mémoire en réplique et en réponse au moyen du délégué du gouvernement tiré de l’irrecevabilité du recours en annulation ainsi introduit, au motif qu’un recours au fond serait ouvert en la présente matière, ils ont demandé au tribunal de considérer leur recours comme tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la susdite décision du directeur.

En présence d’un contribuable exerçant sans l’assistance d’un professionnel de la postulation les voies de recours lui ouvertes contre une décision directoriale, la désignation impropre, dans la requête introductive, de la voie de recours par lui exercée n’est pas de nature à affecter la recevabilité de son recours du moment qu’il se dégage par ailleurs du contenu de la requête introductive qu’il a entendu exercer contre cette décision la voie de recours lui ouverte par la loi.1 En l’espèce, nonobstant le fait que les demandeurs concluent, d’après le dispositif de la requête introductive d’instance, à l’annulation de la décision directoriale déférée, il ressort du 1 Trib. adm., 10 septembre 2008, n° 23434 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1126 et les autres références y citées.

4libellé de la requête introductive qu’ils entendent contester le bien-fondé de la décision directoriale, les demandeurs ayant encore demandé au tribunal « […] d’ordonner la modification appropriée des bulletins concernés […] », ce qui peut s’analyser en une demande en réformation de la décision litigieuse.

Dès lors et dans la mesure où conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin d’imposition, il y a lieu de retenir que les époux … ont entendu introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision déférée, recours qui est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

En revanche, le tribunal n’est pas valablement saisi d’un recours subsidiaire en annulation, tel qu’évoqué dans le mémoire en réplique des demandeurs, étant donné, d’une part, que la requête introductive d’instance délimite définitivement les débats2 et, d’autre part, qu’en l’espèce, la requête introductive d’instance ne contient aucune indication quant à l’intention des demandeurs d’introduire un recours en annulation à titre subsidiaire par rapport au recours au fond prévu par la loi.

Par ailleurs, quant à la demande figurant au dispositif de la requête introductive d’instance, tendant à voir ordonner « […] que ces mêmes principes soient appliqués pour les années suivantes (2018, 2019, 2020 etc) sauf si obligé par un éventuel changement des circonstances des contribuables concernés ou par une modification de la loi, et que, dans tel cas, les contribuables soient informés sans délai […] », le litismandataire des demandeurs a, sur question afférente du tribunal à l’audience publique des plaidoiries, confirmé que le présent recours concerne exclusivement les années d’imposition 2016 et 2017.

Il y a, dès lors, lieu de donner acte aux demandeurs de la limitation de leur recours aux années d’imposition 2016 et 2017, étant, par ailleurs, souligné qu’en ce qui concerne les années subséquentes, aucune décision administrative n’est déférée au tribunal, de sorte que ce dernier ne serait en tout état de cause pas compétent pour en connaître.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent les faits et rétroactes gisant à la base de la décision directoriale déférée.

Plus particulièrement, ils insistent sur le fait que depuis l’année d’imposition 2001 et jusqu’à l’année 2015, le bureau d’imposition aurait toujours admis la déduction des frais de voiture réellement exposés en vue de l’activité professionnelle de médecin de Madame …, en prenant en compte le fait qu’elle devrait être disponible jour et nuit pour l’hôpital. Pour cette période de 2001 à 2015, le bureau d’imposition aurait aussi reconnu le statut de cette dernière d’indépendant exerçant une profession libérale et le fait qu’elle aurait un cabinet médical, donc un lieu de travail, associé à son domicile.

Malgré le fait que les circonstances n’auraient pas changé, le bureau d’imposition aurait, en 2019, décidé rétroactivement de ne pas admettre la déduction des frais de voiture pour les années 2016 et 2017, et ce au motif que la demanderesse n’aurait utilisé sa voiture que pour les déplacements entre son domicile et son lieu de travail.

2 Cour adm., 17 juin 1997, n° 9481C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 852 et l’autre référence y citée.

5 Les demandeurs exposent ensuite que Madame …, médecin indépendant, aurait son domicile, son bureau et son cabinet médical, donc son lieu de travail, à …. Elle aurait un deuxième lieu de consultation à …, au quartier de …, et elle pratiquerait la … à l’Hôpital … et, plus récemment, aussi à …. Contrairement à la plupart des autres chirurgiens, elle n’aurait pas de cabinet médical dans ces hôpitaux. En dehors des périodes de congé programmé d’avance, l’exercice de sa profession l’obligerait à se déplacer entre … et l’Hôpital … et/ou …, selon les besoins, jour et nuit, 7 jours sur 7, souvent plusieurs fois par jour et sans préavis, avec une obligation de disponibilité en temps utile, soit, pour les urgences, endéans la demi-heure. Dans ces circonstances, elle ne saurait recourir aux transports en commun et sa situation ne serait pas celle d’un employé qui choisirait d’utiliser sa voiture pour le seul trajet quotidien entre son domicile et un seul et unique lieu de travail. Ainsi, elle aurait besoin d’une voiture fiable et sûre et les coûts réels afférents devraient être pris en compte dans le cadre de son imposition.

En droit, les demandeurs réfutent l’argumentaire du directeur selon lequel Madame … serait restée en défaut de rapporter la preuve qu’elle aurait exercé des déplacements professionnels en dehors des seuls déplacements entre son domicile et ses lieux de travails respectifs à … et à …, de sorte que les frais de voiture déductibles seraient constitués par le forfait visé à l’article 46, numéro 9 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après dénommée « LIR ».

A cet égard, ils font valoir que leurs déclarations fiscales auraient toujours été accompagnées de factures prouvant, entre autres, les dépenses réelles d’exploitation, en ce compris celles se rapportant au carburant, à l’entretien, au leasing, à l’amortissement et au stationnement de la voiture de Madame …. Ces preuves auraient toujours été considérées comme suffisantes par le bureau d’imposition. Ce serait dans le cadre de la décision déférée que l’exigence d’un carnet de bord aurait pour la première fois été évoquée par l’administration des Contributions directes.

Par ailleurs, ils ne se seraient pas vu soumettre une quelconque demande de fournir des preuves supplémentaires, préalablement à la prise de ladite décision.

Après avoir souligné que les frais de voiture litigieux seraient suffisamment documentés par les pièces versées à l’appui de leurs déclarations fiscales et se seraient élevés à … euros en 2016 et à … euros en 2017, les demandeurs expliquent avoir réuni toutes les informations nécessaires dans le cadre du présent recours.

Ils reprochent au directeur de ne pas avoir tenu compte du fait (i) que les visites se feraient à des heures variables, souvent avec une deuxième visite le même jour, ces visites pouvant revêtir un caractère urgent et avoir lieu en dehors des heures de travail normales, (ii) qu’en moyenne, Madame … serait d’astreinte pour les urgences deux fois par semaine, à raison, chaque fois, de 24 heures, soit au total pendant 48 heures, ce qui constituerait une durée supérieure à la durée de travail hebdomadaire d’un contribuable ordinaire, et (iii) qu’elle aurait l’obligation d’être en mesure de se présenter à l’hôpital endéans la demi-heure, les demandeurs faisant valoir, en substance et de l’entendement du tribunal, qu’eu égard à ces éléments, la déduction forfaitaire des frais de voiture litigieux, telle qu’invoquée par le directeur, serait inadaptée à la pratique professionnelle de Madame ….

Les demandeurs font ensuite valoir que cette dernière aurait dressé des listes partielles des déplacements effectués en relation avec son activité professionnelle au cours des années 2016 et 2017.

6 Ces listes auraient été établies sur base des factures émises par Madame … et approuvées par la Caisse nationale de Santé (« CNS ») pour chaque consultation ou intervention, médicale ou chirurgicale, au … ou à l’Hôpital ….

Ensuite, « […] chaque cas aurait été analysé par rapport à l’agenda et au système informatisé des soins de l’hôpital pour s’assurer que deux ou plus consultations ou interventions lors du même voyage [ne seraient] comptés qu’une fois […] ».

Les époux … expliquent encore que, dans le cadre des urgences, la demanderesse aurait souvent dû effectuer deux ou même trois déplacements le même jour pour le même patient. Etant donné que la CNS ne lui permettrait pas de facturer plus d’une consultation par 24 heures, ces déplacements supplémentaires ne seraient pas inclus dans les listes invoquées, qui auraient donc un caractère partiel.

Par ailleurs, sur ces listes auraient été inscrits les itinéraires les plus courts possibles, via l’autoroute, alors qu’en réalité, les distances parcourues seraient supérieures, Madame … ayant souvent dû choisir un itinéraire alternatif, lorsque l’autoroute aurait été surchargée, voire bloquée.

Ainsi, les listes en question ne reprendraient qu’entre 80 et 90 pourcents du trajet réellement effectué à des fins professionnelles.

S’il est certes exact que les indications du compteur kilométrique au début et à la fin de chaque année n’auraient pas été enregistrées à l’époque, les valeurs en question auraient été « […] calculées par interpolation sur la base des relevés effectués par les garages lors des entretiens ou autres interventions, pro rata par jour […] ».

Les demandeurs précisent encore que si ces listes sont rédigées sur des feuilles intitulées « Carnet de bord », elles ne sauraient néanmoins être considérées comme de véritables carnets de bord, lesquels auraient dû être remplis le jour-même à la fin de chaque déplacement.

Les demandeurs ajoutent qu’ils posséderaient une autre voiture que celle concernée par le présent recours. Compte tenu de ses obligations professionnelles, Madame … ne pourrait « […] pas vraiment séparer l’utilisation privée de l’utilisation professionnelle […] ». Dans ce contexte, ils expliquent que si, au volant de la voiture familiale, l’intéressée reçoit un appel l’obligeant à se rendre à l’hôpital, elle devrait s’y déplacer avec ladite voiture, dont le demandeur risquerait ainsi de ne pas pouvoir se servir pendant plusieurs heures. Les époux … en déduisent que « […] [p]lutôt que d’introduire des carnets de bord dans la voiture familiale et une deuxième voiture dans le calcul des impôts, il para[î]trait raisonnable de traiter la voiture utilisée pa[r] la [demanderesse] comme une voiture affectée 100% à usage professionnel […] ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, en reprenant, en substance, la motivation telle que fournie dans la décision directoriale déférée, reproduite in extenso ci-avant.

Il insiste sur le fait que les demandeurs seraient restés en défaut de verser des pièces probantes qui permettraient d’établir la réalité des dépenses invoquées ainsi que leur lien avec l’activité professionnelle de Madame ….

Ce ne serait qu’à l’appui de leur requête introductive d’instance qu’ils auraient versé plusieurs fiches incomplètes renseignant certains déplacements, sans que ces éléments 7unilatéraux soient étayés par des factures ou d’autres pièces probantes. Le représentant étatique souligne à cet égard que les demandeurs seraient en aveu, d’une part, que les documents en question ne sauraient être considérés comme de véritables carnets de bord et, d’autre part, que Madame … utiliserait également la « voiture familiale » pour effectuer le cas échéant des trajets professionnels, sans qu’une ventilation entre déplacements d’ordre privé et d’ordre professionnel aurait été effectuée.

Les fiches versées par les demandeurs ne satisferaient pas aux exigences d’un carnet de bord, étant donné qu’elles omettraient entièrement la part d’utilisation à titre privé de la voiture, qu’elles ne mentionneraient pas les kilométrages respectifs au début et à la fin de chaque mois et qu’elles ne documenteraient pas l’intégralité des déplacements effectués par Madame ….

Ce serait, dès lors, à juste titre que le bureau d’imposition aurait déduit le forfait pour frais de déplacement, tel que prévu par l’article 46, numéro 9 LIR et dont le quantum ne serait pas contesté par les demandeurs.

Dans leur mémoire en réplique, les époux … insistent sur le fait que s’agissant des années d’imposition 2001 à 2015, le bureau d’imposition aurait accepté la déduction des frais de voiture indiqués par eux dans leurs déclarations fiscales, qui auraient été préparées par leur comptable sur base de l’ensemble des pièces pertinentes, dont les tickets de caisse se rapportant aux achats de carburant, de lave-glace et de petites fournitures, ainsi que toutes les factures relatives, notamment, à l’entretien et aux réparations du véhicule utilisé, de même que les relevés bancaires afférents.

Parfois, le bureau d’imposition leur aurait posé des questions concernant l’une ou l’autre partie de leur déclaration et leur comptable aurait fourni les réponses et/ou les pièces nécessaires.

Cependant, jamais, avant l’année 2020, l’administration fiscale ne leur aurait demandé des informations supplémentaires concernant les frais de voiture, ni exigé la fourniture d’un carnet de bord.

Par ailleurs, le courrier, précité, du 13 juin 2019, par lequel le bureau d’imposition leur aurait annoncé son intention de s’écarter de leurs déclarations fiscales pour les années d’imposition litigieuses, ne contiendrait « […] [p]as un mot au sujet de dépenses, preuves, ou carnet de bord […] ». La première mention d’une exigence de preuves des déplacements effectués aurait été faite dans la décision directoriale déférée. De même, ce serait dans son mémoire en réponse que la partie étatique leur aurait pour la première fois opposé la nécessité de fournir des factures ou d’autres pièces probantes qui permettraient d’établir la réalité de la dépense.

Or, ils seraient bien en mesure de fournir les détails de toutes les dépenses litigieuses.

Malgré l’absence de carnets de bord, ils pourraient présenter des annotations et d’autres pièces, afin de prouver la majorité des déplacements, les demandeurs déclarant accepter que les déplacements non prouvés à suffisance de droit seraient d’office considérés comme ayant été effectués à des fins privés. Par ailleurs, ils renvoient à un tableau dressé par eux, qui serait censé reprendre des exemples d’activités, en indiquant leur caractère déductible ou non.

En outre, les demandeurs précisent que les fiches versées à l’appui de leur requête introductive d’instance à titre de preuve des déplacements professionnels invoqués auraient été dressées sur base d’annotations figurant dans les dossiers médicaux des patients traités. Ces informations seraient néanmoins confidentielles, en ce qu’elles relèveraient du secret médical, de sorte à ne pas pouvoir être divulguées. Dans ce contexte, les époux … déclarent être « […] 8ouverts à toutes suggestions légitimes pour satisfaire les besoins de l’[administration des Contributions directes] […] ».

Le tribunal constate que les contestations soulevées par les demandeurs ont trait aux frais de voiture exposés par Madame … dans le cadre de l’exercice de sa profession de médecin spécialiste en …. Le bureau d’imposition, confirmé par le directeur, n’a admis que la déduction d’un montant forfaitaire de … euros par année d’imposition, sur base de l’article 46, numéro 9 LIR, tandis que les demandeurs prétendent à la déduction des frais réellement exposés, qui s’élèveraient à … euros, pour l’année 2016, et à … euros, pour l’année 2017.

A cet égard, le tribunal précise, à titre liminaire, qu’en vertu du principe de l’annualité de l’impôt, les demandeurs ne sauraient tirer profit, pour les années d’imposition 2016 et 2017, du fait que le bureau d’imposition aurait accepté la déduction de l’ensemble des frais de voiture déclarés par eux pour les années d’imposition antérieures. Ce principe, consacré notamment à l’article 1er LIR, impose, en effet, de considérer la situation du contribuable pour chaque année d’imposition suivant des données et caractéristiques propres, établies du moment, de manière que les bases d’imposition du chef d’une année d’imposition sont à déterminer indépendamment de celles retenues pour une année d’imposition antérieure et que l’autorité compétente n’est ainsi pas liée par ses appréciations antérieures, sauf l’hypothèse d’une décision expresse en faveur du contribuable3, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Le tribunal doit, dès lors, apprécier l’admissibilité des dépenses invoquées dans la catégorie des dépenses d’exploitation au regard des dispositions légales applicables en la matière et au regard des éléments de fait à sa disposition, et il ne saurait être dispensé de cette analyse par le simple fait que tout ou partie des dépenses litigieuses ont, dans le passé, été admises par le bureau d’imposition à titre de dépenses d’exploitation.4 Quant au régime des dépenses d’exploitation, l’article 46, numéro 9 LIR dispose que « Rentrent parmi les dépenses d’exploitation […] sous réserve de ne pas conduire à une perte, les dépenses en rapport avec le déplacement du contribuable entre son domicile et le lieu de son activité, dans les limites et sous les conditions à prévoir par règlement grand-ducal ». Le règlement grand-ducal modifié du 28 décembre 1990 portant exécution de l’article 46 n° 9 LIR, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 28 décembre 1990 », prévoit en son article 1er que « Les dépenses en rapport avec le déplacement du contribuable entre son domicile et le lieu de son activité ne sont admises en déduction du résultat d’exploitation de l’exercice qu’à concurrence d’une déduction forfaitaire établie d’après les dispositions de l’article 2 ». En vertu de l’article 2 du prédit règlement, la déduction forfaitaire est déterminée en fonction de l’éloignement entre le chef-lieu de la commune sur le territoire de laquelle le contribuable a son domicile et celui de son lieu de travail. L’article 2 (3) du prédit règlement prévoit l’hypothèse de plusieurs exploitations, en ce sens qu’il sera tenu compte du lieu de l’activité le plus éloigné du domicile du contribuable.

Au regard des dispositions qui précèdent, c’est à bon droit que le directeur a décidé que les frais de voiture se rapportant au trajet entre le domicile de la demanderesse à … et les lieux de son activité, à savoir l’Hôpital … et son cabinet médical sis au …, en ce compris les déplacements effectués dans le cadre des urgences, ne sont déductibles qu’à concurrence du forfait tel que prévu par le règlement grand-ducal du 28 décembre 1990 et dans les conditions y 3 Cour adm., 3 août 2016, n° 37117C du rôle, Pas. adm., 2021, V° Impôts, n° 21 et les autres références y citées.

4 Trib. adm., 10 juillet 2019, n° 41034 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 207.

9fixées, le montant du forfait retenu à cet égard n’étant pas autrement remis en cause par les demandeurs.

Il appartient encore au tribunal de vérifier si la demanderesse peut valablement se prévaloir, à titre de dépenses d’exploitation, de frais occasionnés par des déplacements autres que ceux entre son domicile et ses lieux d’activités.

Aux termes de l’article 45 (1) LIR « Sont considérées comme dépenses d’exploitation déductibles les dépenses provoquées exclusivement par l’entreprise ».

Les dépenses d’exploitation répondant à la définition générale ne connaissent pas de limitation quant à leur montant.

Même si les demandeurs argumentent, de l’entendement du tribunal, que pour les besoins du raisonnement et compte tenu de l’utilisation occasionnelle de la voiture familiale pour des trajets professionnels de Madame …, il y aurait lieu de considérer que le véhicule personnel de cette dernière serait exclusivement affecté à un usage professionnel, le tribunal constate que la réalité d’une telle affectation exclusivement professionnelle dudit véhicule n’est pas établie, les indications fournies dans la requête introductive d’instance quant aux kilomètres parcourus au cours des années d’imposition litigieuses permettant, au contraire, de conclure à un usage mixte, alors que le kilométrage total indiqué5 est, pour chacune des années d’imposition litigeuses, supérieur au kilométrage, qui, d’après les demandeurs, correspondrait aux trajets professionnels6.

En cas d’utilisation partielle pour des besoins professionnels d’une voiture, utilisée également à des fins privées, les frais y relatifs ne peuvent utilement être retenus en tant que dépenses d’exploitation que pour autant que le contribuable établisse la cause professionnelle de ces frais et uniquement dans la proportion de l’utilisation effective de la voiture au bénéfice de l’exploitation, en l’occurrence de l’activité professionnelle de médecin, en dehors des trajets entre le domicile et le lieu d’exploitation de l’entreprise. A cet égard, il appartient encore au contribuable d’établir concrètement cette proportion d’utilisation au service de son exploitation7, étant précisé, dans ce contexte, qu’en vertu de l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôts appartient au contribuable.

Or, force est de constater que les demandeurs restent en défaut de soumettre au tribunal des éléments de preuve concrets, tels qu’un carnet de route ou un moyen de preuve équivalent, de nature à démontrer la proportion exacte des trajets professionnels dont ils se prévalent.

S’il est certes exact que les fiches versées par eux, dont les parties s’accordent à considérer qu’ils ne répondent pas aux exigences d’un carnet de route, reprennent la distance parcourue par jour à des fins professionnelles et distinguent, à cet égard, entre trois catégories de déplacements, à savoir (i) ceux effectués entre … et l’Hôpital … ou le cabinet médical sis au …, (ii) ceux effectués entre … et l’Hôpital …, ainsi que ledit cabinet médical et (iii) les autres trajets, tout en indiquant comme motifs les visites de patients hospitalisés, les consultations de patients, les opérations et les urgences, ces fiches ne sauraient, néanmoins, à elles seules, être considérées comme suffisantes, alors que, non seulement, elles englobent les trajets entre le domicile de 5 P. 5 de la requête : 28.249 km pour l’année 2016 et 39.642 km pour l’année 2017.

6 Ibid. : 22.353 km, respectivement 26.000 km pour l’année 2016 et 28.200 km, respectivement 33.000 km pour l’année 2017.

7 Trib. adm., 12 février 2003, n° 14855 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 213 et les autres références y citées.

10Madame … et ses lieux d’activités sis à …, qui sont couverts par le forfait prévu à l’article 46 numéro 9 LIR, mais encore puisque les indications générales y figurant ne sont pas vérifiables par le tribunal, pour ne pas être étayées par un quelconque élément de preuve tangible, de sorte à se résumer à des déclarations unilatérales restées au stade de pure allégation.

Dans ces conditions, les demandeurs sont restés en défaut d’établir que les frais de voiture qu’ils entendent déduire à titre de dépenses d’exploitation vont au-delà du forfait accepté par le bureau d’imposition à ce titre.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation des demandeurs selon laquelle Madame … aurait non seulement son domicile à …, mais y exploiterait aussi un cabinet médical situé à la même adresse, de sorte à y avoir un lieu d’activités.

En effet, même à admettre que des déplacements effectués entre ce cabinet et les lieux d’exploitation sis à … ne puissent être qualifiés de déplacements du contribuable entre son domicile et le lieu de son activité, au sens de l’article 1er du règlement grand-ducal 28 décembre 1990, de sorte à ne pas être couverts par le susdit forfait, force est néanmoins de constater que la proportion exacte de pareils déplacements n’est documentée par aucune pièce probante.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours des époux … est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

laisse les frais et dépens à charge des demandeurs.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 30 mai 2022 par le premier vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 mai 2022 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 45414
Date de la décision : 30/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-05-30;45414 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award