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25/04/2022 | LUXEMBOURG | N°44832

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 avril 2022, 44832


Tribunal administratif N° 44832 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 août 2020 2e chambre Audience publique du 25 avril 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44832 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 août 2020 par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat

à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, ...

Tribunal administratif N° 44832 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 août 2020 2e chambre Audience publique du 25 avril 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44832 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 août 2020 par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er juillet 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale ainsi que de celle portant ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 novembre 2020 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication du 16 février 2022 de Maître Marc-Olivier Zarnowski, en remplacement de Maître Ibtihal El Boyousfi, suivant laquelle celle-ci marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 février 2022.

Le 17 octobre 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

En date des 4 décembre 2019 et 13 janvier 2020, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 1er juillet 2020, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 10 juillet 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 17 octobre 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 17 octobre 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 4 décembre 2019 et 13 janvier 2020 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de … en Irak et de confession musulmane chiite.

Vous indiquez que vous auriez été policier à ….

En date du 12 août 2019, vous auriez été témoin d’un incendie qui aurait sévi à proximité de votre commissariat dans une « Blechhalle, welche von Asaib als Munitions- und Waffenlager und als Werkstatt für Minenproduktion benutzt wurde » [sic] (p.5/18 du rapport d’entretien). Vous précisez que l’incendie aurait provoqué une explosion et que vous auriez filmé la scène avec votre téléphone portable.

Le 15 août 2019, vous auriez été interrogé par deux « Ermittler » [sic] qui auraient pris votre témoignage.

Alors que vous auriez été en congé, un collègue vous aurait appelé par téléphone le 20 août 2019 et vous aurait informé que des personnes affiliées à la milice « Asa’ib Ahl al-Haqq » se seraient renseignées sur vous et auraient demandé votre adresse.

2 Suite à cette conversation, vous auriez décidé de quitter votre domicile et vous vous seriez rendu dans la ville de « … » où vous auriez dormi dans un hôtel et où vous vous seriez caché dans un cimetière.

Ensuite, vous auriez appelé votre père et il vous aurait fait savoir que des membres de la milice « Asa’ib Ahl al-Haqq » seraient venus à son domicile pour demander après vous. Ils auraient exigé que vous vous rendiez dans leur bureau du quartier « … » à ….

En date du 25 août 2019, des individus affiliés à l’« Asa’ib Ahl al-Haqq » auraient :

« einen Drohbrief in unser Hausgelände geworfen » [sic] (p.7/18 du rapport d’entretien). Le 26 août 2019, vous auriez contacté votre père afin qu’il emmène votre épouse et vos enfants en lieu sûr auprès d’un ami qui habiterait dans le quartier « … », ce qu’il aurait fait le lendemain.

Pendant ce temps vous auriez continué à séjourner au « Friedhof » [sic].

Le 15 septembre 2019, des membres de l’« Asa’ib Ahl al-Haqq » auraient perquisitionné la maison de vos parents. Vous expliquez qu’une altercation aurait eu lieu et que votre père ainsi que votre frère auraient été agressés par les individus en question. Ils seraient repartis en emmenant votre frère et vous ajoutez qu’il ne serait plus revenu depuis ce jour.

Dès leur départ, votre père aurait emmené votre famille dans une maison située dans le quartier « … » [sic]. Il aurait également commencé à préparer les modalités pour votre départ de l’Irak et vous précisez que vous seriez resté à « … » jusqu’au 27 septembre 2019.

Le 28 septembre 2019, vous seriez retourné à … et vous auriez quitté votre pays d’origine en avion pour vous rendre en Turquie. Vous présentez votre carte de service ; des copies des passeports de vos enfants ; votre certificat de résidence avec sa traduction ; un stick USB contenant une vidéo ; un récépissé d’envoi postal établi par UPS ; un document concernant une « permission militaire » du 16 au 22 août 2019 avec sa traduction ; un document de la milice « Asa’ib Ahl al-Haqq » daté au 25 août 2019 avec sa traduction.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut 3 ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Vous déclarez que vous auriez été témoin d'un incendie alors que vous vous trouviez au commissariat dans lequel vous travailliez. Le lendemain vous auriez été interrogé par des enquêteurs et vous leur auriez avoué avoir filmé le feu. Par la suite, des personnes affiliées à la milice « Asa’ib Ahl al-Haqq » auraient commencé à vous chercher. Elles se seraient rendues à votre lieu de travail et au domicile de vos parents. Vous auriez également reçu une lettre indiquant que vous seriez recherché par la milice. Vous laissez entendre que vous craindriez être dans le collimateur de la milice en question pour avoir filmé l'incendie qui aurait eu lieu dans leur dépôt, alors qu'il s'agirait selon les allégations de votre père d'une frappe aérienne menée par l'État d'Israël.

Monsieur, force est de constater que ces faits n'entrent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

En effet, il ressort de façon claire et non équivoque de vos dires que les personnes prétendument affiliées à la milice « Asa’ib Ahl al-Haqq » seraient après vous parce que vous auriez filmé un incendie qui aurait sévi dans un de leurs dépôts. Il y a lieu de constater que le fait n'est nullement lié à votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social déterminé. Il résulte de vos dires que vous auriez filmé cet incendie ayant touché un dépôt utilisé par cette milice, qui en vous convoquant souhaiterait uniquement savoir ce que vous avez vu et le cas échéant récupérer cette vidéo qui pourrait être compromettant pour elle.

Même à supposer que ces faits seraient liés à un des critères de fond, il y a néanmoins lieu de souligner que le fait d'être convoqué pour être entendu ainsi que la visite de prétendus membres d'une milice à votre domicile pour des raisons inconnues, aucune menace concrète n'ayant été prononcée à votre encontre, ne sont pas d'une gravité suffisante pour être qualifiés d'actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Quand bien même ces faits seraient liés à l'un des critères de fond de la Convention de Genève et seraient suffisamment graves pour être qualifiés d'actes de persécution, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime, au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités.

Toutefois, il ressort clairement de vos déclarations que vous n'auriez à aucun moment porté plainte auprès des autorités de votre pays d'origine, de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection adéquate. A cela s'ajoute que vous indiquez vous-même être officier de police et que vous connaissez donc manifestement les démarches à suivre en cas de problème avec une milice.

4 Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Concernant l'agression que votre père et frère auraient subie, ainsi que le prétendu enlèvement de votre frère en date du 15 septembre 2019, force est de constater qu'il s'agit là de faits non personnels.

Des faits non personnels mais vécus par d'autres personnes ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens des prédits textes que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières. Cependant, tel n'est pas le cas en l'espèce.

Vous vous bornez à émettre des suppositions que le vécu de vos proches aurait un lien avec le fait que vous auriez filmé l'incendie. Cependant vous concédez que vous auriez été en connaissance de cause parce que ces faits vous auraient été rapportés par votre père. Vous ignorez en effet qui aurait perpétré cette agression contre votre père et enlevé votre frère. Ainsi aucun lien n'est établi entre vous et les faits vécus par vos proches.

Quand bien même ces faits auraient un lien quelconque avec vous, rappelons que la motivation de ces faits n'entre pas dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

En effet, vous affirmez que les membres de la milice seraient uniquement après vous à cause de votre enregistrement de l'incident dans leur dépôt. Ainsi, il ne saurait être question de l'existence dans votre chef d'une persécution respectivement d'une crainte de persécution en raison de votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques respectivement de votre appartenance à un certain groupe social déterminé.

Même à supposer qu'ils seraient liés à un des critères de fond et seraient suffisamment graves pour constituer un acte de persécution, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités.

Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, vous indiquez n'avoir à aucun moment saisi la police irakienne (p.14&15/18 du rapport d'entretien) de sorte qu'aucun reproche ne saurait être formulé à l'égard de vos collègues, qui n'auraient jamais été mis en mesure de remplir leur mission.

Ainsi, il y a lieu de conclure qu'aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d'être persécuté respectivement que vous risquez d'être persécuté 5 en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé. A cela s’ajoute que vous indiquez clairement que les autorités irakiennes étaient présentes et ont effectué avec soin leurs missions à chaque fois que vous les avez sollicitées.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d’Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 août 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 1er juillet 2020 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision du ministre du 1er juillet 2020, telle que déférée.

Le recours principal en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … rappelle être de nationalité irakienne, de confession musulmane chiite et appartenir au clan arabe …. Il indique être policier dans la police fédérale irakienne depuis 2007 et qu’avant son départ immédiat de l’Irak, il aurait vécu à … dans le quartier … avec ses parents, son épouse, ses trois enfants et ses deux frères.

S’agissant des motifs sous-tendant sa demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg, il explique qu’en date du 12 août 2019, il aurait été dans la caserne de la police fédérale appelée « … » lorsqu’il aurait observé quatre personnes sortant d’un bâtiment en tôle utilisé comme dépôt de munitions et d’armes et d’atelier de production de mines par la milice Asa’ib Ahl al-Haqq. Ces personnes auraient crié à la recherche d’un extincteur de feu mais le dépôt aurait explosé et aurait pris feu suite à quoi l’incendie se serait vite répandu à d’autres bâtiments. Il continue en expliquant que son ami et collègue policier qui aurait monté la garde sur une tour non loin du lieu de l’explosion serait tombé et qu’après qu’il lui aurait porté secours en le ramenant dans un lieu sûr, il aurait décidé de filmer moyennant son téléphone portable toute la scène de l’incendie avec des explosions de roquette dans toutes les directions.

L’incendie en question aurait duré jusqu’au lendemain vers 17h00 avant de se normaliser.

Le demandeur relate ensuite que le 15 août 2019, des enquêteurs du ministère de l’Intérieur irakien seraient venus sur le lieu de l’incendie et qu’ils l’auraient interrogé sur les informations qu’il possèderait sur l’incendie. Il aurait alors indiqué avoir vu quatre personnes sortir du bâtiment à la recherche d’un extincteur de feu et déclaré avoir tout filmé, déclarations qui auraient manifestement suscité des inquiétudes visibles sur le visage des enquêteurs dont l’un aurait exigé de lui la communication de son identité complète, ce qu’il aurait fait.

Il continue en expliquant que le 20 août 2019, à 10h00, alors qu’il aurait été en congé à la maison, il aurait reçu un appel téléphonique de l’un de ses collègues de travail, l’informant que la milice Asa’ib Ahl al-Haqq serait venue le chercher à son adresse et qu’il serait mieux qu’il quitte immédiatement son domicile suite à quoi il aurait fui la maison pour se rendre dans la ville de … où il aurait passé la nuit dans un hôtel, le tout dans la crainte d’être retrouvé par la milice Asa’ib Ahl al-Haqq. Il aurait quitté l’hôtel le lendemain pour aller se cacher et dormir dans un cimetière du fait que tous les hôtels exigeaient la remise d’une carte d’identité. En dépit de sa crainte d’être repéré par la milice Asa’ib Ahl al-Haqq, il aurait pu appeler son père qui l’aurait informé que des hommes de ladite milice seraient à sa recherche et demanderaient qu’il se présente personnellement à leur bureau à ….

Le demandeur continue son récit en précisant que le 25 août 2019, il aurait reçu un appel téléphonique de son père l’informant que des militants de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq auraient jeté une lettre de menace dans la cour de leur maison dans laquelle il aurait été indiquéque s’il ne se présentait pas, toute sa famille serait tuée, suite à quoi son père lui aurait recommandé de ne pas faire droit à la demande de la milice, tout en emmenant le 27 août 2019, son épouse et ses enfants dans un autre quartier pour les mettre à l’abri auprès d’amis.

Le demandeur relate ensuite que le 15 septembre 2019, la milice Asa’ib Ahl al-Haqq aurait procédé à la fouille de sa maison familiale tandis que lui-même se serait toujours caché dans un cimetière. Lors de cette fouille, des discussions entre son père et les miliciens auraient dégénéré dans le sens que son père aurait été violemment agressé et que son petit frère, qui se serait immiscé pour protéger ses parents, aurait été violemment battu et emmené par les miliciens afin qu’il puisse leur indiquer la cachette de l’épouse et des enfants du demandeur.

Alors que les miliciens auraient quitté la maison avec le petit frère du demandeur, son père aurait alerté son ami hébergeant l’épouse et les enfants du demandeur afin qu’il puisse prendre des mesures pour les protéger.

Le demandeur ajoute que face à la récurrence et la gravité de la menace que ferait peser la milice Asa’ib Ahl al-Haqq sur lui et sa famille, mettant en danger leur intégrité physique et morale ainsi que leur vie, son père lui aurait conseillé de quitter l’Irak. Ce serait dans cette optique que moyennant l’aide matérielle de son père, il aurait pu quitter l’Irak avec son épouse et ses enfants pour rejoindre la Turquie d’où il aurait pu continuer seul le voyage pour arriver au Luxembourg où il aurait introduit une demande de protection internationale.

Il précise, à cet égard, que sa famille restée en Turquie aurait été contrôlée en situation de séjour irrégulier par la police turque et qu’un ordre de quitter le territoire turc aurait été prononcé à leur encontre de sorte que son épouse et ses enfants seraient retournés volontairement en Irak. Néanmoins à la suite de leur retour en Irak, ils n’auraient plus eu de domicile fixe de sorte qu’ils seraient obligés de mener une vie de nomade en changeant régulièrement leur lieu de séjour. Ainsi, son épouse et ses enfants vivraient actuellement dans la plus grande des misères et des peurs, ce à quoi s’ajouterait le fait que les enfants ne seraient pas scolarisés de peur de se faire repérer par la milice Asa’ib Ahl al-Haqq.

Le demandeur souligne ensuite avoir indiqué que sa crainte de faire l’objet de menaces et de poursuites de la part de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq trouverait son origine dans le fait d’avoir filmé l’incendie de leur dépôt et surtout dans le fait d’être en possession de la vidéo de l’incendie tandis que les autorités irakiennes auraient fait comprendre dans les médias que la caserne aurait été bombardée par des drones de l'armée israélienne, ce qui ne correspondrait pas à la réalité.

Il continue en précisant que le 10 décembre 2019, des miliciens de Asa’ib Ahl al-Haqq qui auraient toujours détenu son petit frère se seraient rendus chez son père pour lui demander des renseignements sur son lieu de séjour actuel et les raisons de son refus de se présenter chez eux. A cette occasion, ils auraient informé son père que son petit frère ne serait remis en liberté que si le demandeur se présentait personnellement. A cela s’ajouterait que le 16 décembre 2019, des officiers de police se seraient présentés chez le père du demandeur pour l’informer que son fils aurait quitté son poste sans autorisation et aurait déserté de sorte qu’un mandat d’arrêt aurait été émis à son encontre à la suite d’un jugement par défaut l’ayant condamné à cinq ans de prison.

S’agissant du frère ayant été enlevé par la milice, le demandeur précise que celui-ci aurait finalement été tué faute par lui de s’être présenté au bureau de la milice, Monsieur … précisant que son autre petit frère … aurait lui-aussi failli être enlevé par la même milice Asa’ib 8 Ahl al-Haqq et qu’actuellement, il n’aurait plus de nouvelles ni de ses parents ni de son petit frère qui auraient tous dû se cacher.

Enfin, le demandeur confirme ne pas avoir cherché de protection auprès des autorités irakiennes, tout en affirmant ne pas avoir pu recourir à une fuite interne eu égard au fait que depuis 2009, les milices seraient revenues en force au pouvoir en Irak et qu’elles détiendraient des bureaux sur toute l’étendue du territoire irakien, de sorte que, dans un tel contexte, les miliciens de Asa’ib Ahl al-Haqq pourraient le retrouver facilement, l’arrêter et le tuer en raison de l’enregistrement vidéo de l’incendie en sa possession et de la lettre de menace qu’ils auraient à exécuter. Pour le surplus, il renvoie à son rapport d’entretien avant de conclure qu’au vu de ses déclarations concernant sa situation personnelle et la situation sécuritaire et des droits humains dans son pays d’origine, il devrait pouvoir bénéficier de la protection internationale au Luxembourg.

En droit, le demandeur, après avoir exposé les conditions d’octroi du statut de réfugié au sens des articles 2 (f) de la loi du 18 décembre 2015 et 1 (A) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », fait valoir que ces conditions devraient être associées à l’article 37 (5) de la même loi, qui prévoirait un allègement de la preuve des déclarations des demandeurs de protection internationale. Dans ce contexte, il renvoie à une analyse juridique de l’European Asylum Support Office (EASO), à présent dénommé European Union Agency for Asylum (EUAA), de 2018, intitulée « Evaluation des éléments de preuve et de la crédibilité dans le contexte du régime d’asile européen commun », dans laquelle l’EASO aurait rappelé, en reprenant l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09, que les membres des juridictions devraient souvent fonder leur décision sur des preuves minimes pour statuer sur des questions comme la nationalité ou l’absence de nationalité du demandeur, mais aussi pour déterminer si un demandeur a une crainte fondée d’être persécuté ou s’il court un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine. En outre, selon cette institution, les affaires de protection internationale devraient être traitées avec une diligence et un soin particuliers.

Après avoir rappelé les faits tels que repris ci-avant, le demandeur estime que ses déclarations seraient précises, cohérentes et plausibles. Comme le ministre n’aurait pas remis en cause leur crédibilité, ses déclarations permettraient d’établir à suffisance qu’il craindrait à raison de faire l’objet de persécutions de la part de la milice Asa’ib Ahl Al-Haqq en raison de ses opinions politiques, sinon des opinions politiques qui lui seraient attribuées par cette milice pour avoir non seulement filmé, en tant qu’agent de police, un incendie dont il aurait été le témoin direct et dont il saurait qu’il aurait éclaté dans un dépôt de munitions et d’armes appartenant à la milice en question, mais aussi pour s’être abstenu de mettre à la disposition des enquêteurs l’ayant interrogé la vidéo en sa possession. En effet, il estime qu’il serait raisonnable de présumer que s’il venait à remettre la vidéo de l’incendie à une personne pouvant en faire un usage conforme à ses convictions ou s’il venait à la mettre à la disposition du public à travers les réseaux sociaux, il susciterait des réactions politiques que la milice Asa’ib Ahl al-Haqq entendrait certainement vouloir empêcher. Il ajoute que ses déclarations s’inscriraient dans un contexte plausible et documenté par plusieurs sources publiques, pertinentes et toujours actuelles qui exposeraient la manière dont les milices alliées au gouvernement irakien dans la lutte contre le groupe armé Etat islamique (EI) et jouissant de son soutien, se seraient livrées à des violations des droits humains telles que la disparitionforcée et l’enlèvement de milliers d’hommes, la torture et les exécutions extrajudiciaires ainsi que la destruction injustifiée de biens.

A cet égard, le demandeur renvoie à diverses sources, notamment à des notes et rapports d’Amnesty International, à un article du journal Le Monde et à un rapport du Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides de l’Etat belge (CGRA), pour faire valoir qu’il craindrait avec raison d’être persécuté en cas de retour en Irak pour des motifs politiques du fait d’avoir filmé un incendie provenant d’un dépôt de munitions et d’armes appartenant à la milice Asa’ib Ahl al-Haqq et d’être en possession de la vidéo qu’il a refusée de mettre à la disposition de ladite milice.

Après avoir cité l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur donne à considérer qu’il aurait exposé en des termes précis et cohérents les actes auxquels lui-même, sa famille, son père et ses frères auraient été soumis, Monsieur … pointant le fait que son frère aurait finalement été tué par la milice qui le détenait. Or, ces faits seraient à considérer comme des persécutions en ce qu’ils constitueraient, d’une part, une violation suffisamment grave des droits de l’Homme sous forme de violences physiques et mentales exercées sur sa personne au sens du prédit article 42 et, d’autre part, une violation suffisamment grave d’autres droits fondamentaux, en l’occurrence l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH), et le droit à la liberté et à la sûreté au sens de l’article 5 (1) de la CEDH.

S’agissant des acteurs de persécution, après avoir cité l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, Monsieur … indique avoir été persécuté par la milice chiite Asa’ib Ahl al-Haqq qui ferait partie des milices décrites par Amnesty International dans son rapport intitulé « Iraq :

Turning a Blind eye. The arming of the popular mobilization units » comme étant l’une des milices ayant commis de graves violations des droits humains en Irak. Il renvoie, dans ce cadre, à deux rapports de l’EASO, respectivement de novembre 2018, intitulé « Iraq : Les acteurs de la protection », et de juin 2019, intitulé « Country Guidance : Iraq. Guidance note and common analysis », pour soutenir que la milice Asa’ib Ahl al-Haqq serait à considérer comme acteur étatique contre laquelle aucune protection ne serait possible, raison pour laquelle il n’aurait pas pu déposer une plainte ni recourir à l’aide des autorités de son pays.

Il soutient que cette incapacité des autorités irakiennes à lui fournir une protection à l’égard de cette milice devrait amener, à la lecture d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) du 2 mars 2010, Aydin Salahadin Abdulla e.a. c. Bundesrepublik Deutschland, affaires jointes C-175/08, C-176/08, C-178/08 et C-179/08, à l’octroi du statut de réfugié dans son chef.

En se référant au Guide des procédures de Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), il insiste encore sur le fait que les agressions subies par son père et son frère, de même que l’assassinat de son frère et les poursuites à l’encontre de son épouse et de ses enfants en représailles à son refus de se présenter personnellement à la milice Asa’ib Ahl al-Haqq, devraient conduire à la conclusion qu’il craint avec raison d’être persécuté. L’absence du caractère personnel des faits en question ne pourrait, en effet, pas être valablement considérée comme une indication de l’absence de crainte de persécution dans son propre chef.

Au vu des considérations qui précèdent, le demandeur estime être particulièrement exposé à des persécutions au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, de la part de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq pour des motifs politiques qui lui seraient imputés du fait d’avoirfilmé l’incendie du dépôt de munitions et d’armes de ladite milice et pour être en possession de la vidéo en question.

En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, et après avoir examiné les dispositions des articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015 et l’interprétation de la portée de la protection subsidiaire au regard de la jurisprudence de la CJUE, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir procédé à un examen approfondi de ses déclarations ni d’avoir tenu compte de sa situation particulière, tout en soulignant qu’il craindrait avec raison de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, points b) et c) de la loi du 18 décembre 2015.

Pour ce qui est des conditions de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur se réfère au rapport de l’EASO de 2019, intitulé « Country Guidance : Irak.

Guidance Note and common analysis », précité, en ce qui concerne les recommandations à prendre en considération pour évaluer une demande de protection internationale. Il fait valoir, dans ce cadre, que devraient notamment être prises en compte l’indisponibilité des soins de santé et les conditions socio-économiques, la violence criminelle, les arrestations arbitraires, la détention illégale et les conditions de détention. En ce qui concerne plus particulièrement ces trois derniers éléments, il renvoie à un rapport de Human Rights Watch de 2020, intitulé « World Report 2020 » et à un rapport d’Amnesty International, intitulé « Report 2017/2018-

Iraq ». Dans ces circonstances, il estime avoir fait état de motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour en Irak il courrait un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015.

Le demandeur fait ensuite état d’un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle ou en cas de conflit armé interne ou international, en faisant valoir que le bien-fondé de sa demande de protection internationale devrait également être apprécié au regard du contexte sécuritaire général prévalant actuellement en Irak et particulièrement à … où il aurait vécu.

En ce qui concerne la notion de conflit armé interne, Monsieur … se prévaut des arrêts de la CJUE du 30 janvier 2014, affaire C-285/12, et du 17 février 2009, affaire C-465/07, et plus particulièrement de son point 43, pour conclure que l’absence de preuve qu’il puisse individuellement subir des atteintes graves en cas de retour en Irak ne représenterait pas nécessairement un obstacle à l’octroi d’une protection subsidiaire sur base de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, pour autant que son origine soit établie « sans que l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence ou la durée du conflit fasse l’objet d’une appréciation distincte de celle du degré de violence régnant sur le territoire concerné ». Il fait valoir, sources d’information diverses à l’appui, que malgré la reprise de Mossoul à l’EI en juillet 2017 et la déclaration de la fin de la guerre en Irak, en décembre 2017, par le gouvernement irakien, l’EI exercerait toujours une pression physique et psychologique en Irak où l’organisation ciblerait principalement des membres des forces de l’ordre et des figures tribales. Il soutient que les facteurs pouvant fonder des risques d’atteinte grave dans le pays d’origine devraient être durablement éliminés, ce qui ne serait pas le cas actuellement alors que l’EI serait toujours actif en Irak. Il estime qu’au vu de son profil de personne étant dans le collimateur de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq, il devrait être considéré comme personnellement exposé à une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, sans pouvoir se prévaloir de la protection effectivedes autorités irakiennes. Il ajoute encore que, dans la mesure où la situation resterait fortement instable sur tout le territoire irakien, il ne serait pas prudent de l’y renvoyer tant que la situation en matière de sécurité et des droits de l’Homme ne s’y sera pas améliorée de manière tangible.

En outre, eu égard aux déplacements internes massifs combinés avec une crise humanitaire de grande ampleur, il estime qu’un refus de protection subsidiaire en se fondant sur l’existence d’une possibilité de fuite ou de réinstallation à l’intérieur de l’Irak ne serait ni justifié ni fondé, en renvoyant dans ce contexte à l’arrêt de la CJUE du 2 mars 2010, Aydin Salahadin Abdulla e.a. c. Bundesrepublik Deutschland, précité.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

a) Quant au statut de réfugié La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 :

« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

12 c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi: « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regarddes faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Ensuite, il échet de constater que les motifs à la base de la demande de protection internationale de Monsieur … se résument à sa crainte de faire l’objet de persécutions de la part de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq dont il suppose qu’elle serait à sa recherche pour avoir été témoin et avoir filmé avec son téléphone portable un incendie qui a éclaté dans un entrepôt d’armes et de munitions utilisé par ladite milice, de même que l’explosion qui s’en est suivie et qui a coûté la vie à de nombreuses personnes, incident que ladite milice voudrait dissimuler.

C’est en tout état de cause en vain que le demandeur tente de rattacher cette crainte à ses opinions politiques en arguant que le fait d’avoir filmé l’incendie en question en sa qualité d’agent de police tout en ayant par la suite refusé de mettre la vidéo en question à la disposition des enquêteurs devrait s’analyser en l’expression d’une opinion politique. Il se dégage, en effet, des déclarations du demandeur lui-même, d’une part, que s’il a pu filmer l’incendie qui a éclaté dans l’entrepôt utilisé par la milice Asa’ib Ahl al-Haqq c’est uniquement par hasard parce que ledit entrepôt se trouvait à côté du commissariat où il était affecté et que, d’autre part, la seule raison pour laquelle il n’a pas remis la vidéo en question aux enquêteurs est sa peur d’avoir des problèmes et non pas pour des raisons de conviction politique. Si le demandeur tente encore de rattacher sa crainte à ses opinions politiques en affirmant qu’il devrait être admis que la milice lui attribuerait de telles opinions en raison des réactions politiques que pourrait susciter la diffusion de la vidéo qu’il a faite, il y a lieu de relever que cette affirmation reste à l’état de pure allégation étant donné que, d’une part, il ne se dégage pas de son récit que les miliciens aient à un quelconque moment indiqué les raisons concrètes pour lesquelles ils étaient à sa recherche, le demandeur ne faisant que supposer que ce serait parce qu’il aurait filmé un incident qui serait, selon les seuls dires de son père, compromettant pour ladite milice et, d’autre part, il appert encore qu’il n’a à aucun moment fait état d’activités politiques dans lesquelles il aurait été impliqué, de même qu’il ne se dégage pas non plus de ses déclarations qu’il aurait à un quelconque moment eu ou exprimé une opinion impliquant l’appareil étatique, le gouvernement, la société ou la politique irakienne. Au vu de ces considérations, le tribunal se doit dès lors de conclure que le demandeur reste, en tout état de cause, en défaut de démontrer que les miliciens dont il craint des représailles aient été motivés par des considérations tenant à ses opinions politiques, ou bien à sa race, sa religion, sa nationalité ou son appartenance à un groupe social.

Si, lors de son audition, le demandeur a encore expliqué qu’en date du 16 décembre 2019, son père avait été approché par un officier affecté à son commissariat qui l’aurait informé qu’un mandat d’arrêt avait été émis à son encontre de même qu’il aurait été condamné en son absence à une peine d’emprisonnement de cinq ans pour avoir déserté sans justification son poste de policier, le tribunal se doit de relever que cette affirmation reste à l’état de pure allégation pour n’être appuyée par aucun élément tangible. Dans la mesure où le demandeur n’allègue, par ailleurs, même pas que, par la suite, sa famille ait effectivement pu prendre connaissance d’un mandat d’arrêt ou d’un jugement de condamnation qui aurait été pris à son encontre, le seul fait que son père ait été informé par une personne interposée d’une prétendue condamnation n’est, en tout état de cause, pas suffisant pour permettre au tribunal d’apprécier le bien-fondé de la crainte du demandeur de faire l’objet de persécutions de ce chef.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de conclure que le ministre a valablement pu retenir que le demandeur ne remplissait pas les conditions pour pouvoirbénéficier du statut de réfugié, de sorte que le recours, pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre d’accorder au demandeur le statut de réfugié, est à déclarer non fondé.

b) Quant au statut conféré par la protection subsidiaire En ce qui concerne la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 (…) et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Dans la mesure où le demandeur n’invoque pas de crainte de faire l’objet d’atteintes graves au sens de l’article 48 a) de la loi du 18 décembre 2015, l’analyse du tribunal se limitera à sa crainte de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 b) et c) de la même loi.

(i) Quant au risque de subir les atteintes graves définies à l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015 Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Il y a lieu de retenir que les faits l’ayant amené à quitter son pays d’origine, à savoir sa crainte de faire l’objet de représailles de la part de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq pour avoir été témoin et avoir filmé un incendie ayant éclaté dans l’un des entrepôts de ladite milice, sont a priori susceptibles de tomber dans le champ d’application de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015 en ce qu’il affirme risquer des traitements inhumains et dégradants de la part des miliciens.

Force est toutefois de prime abord de relever que le demandeur ne fait que supposer que cette milice serait à sa recherche parce qu’il disposerait d’une vidéo compromettante de l’incendie ayant éclaté dans l’un de leurs entrepôts et que la milice en question voudrait dissimuler cet incident qui aurait officiellement été imputé à une attaque du gouvernement israélien et que sa crainte pour sa vie n’est sous-tendue par aucun élément objectif tangible, le demandeur n’ayant en particulier jamais fait l’objet de menaces directes et personnelles de la part des miliciens en question.

En effet, il se dégage de son rapport d’audition que c’est le 20 août 2019 qu’il a pour la première fois eu connaissance du fait que des miliciens étaient à sa recherche et ce, après avoir été informé par un collègue de travail que des membres de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq étaient passés au commissariat de police où ils auraient demandé après lui, suite à quoi il a immédiatement quitté … pour rejoindre la ville de … et s’y cacher. Or, il ne se dégage pas de son récit qu’à cette occasion, les miliciens auraient indiqué les raisons concrètes pour lesquelles ils le rechercheraient ni proféré des menaces à son encontre.

Si le demandeur a expliqué que des miliciens se sont rendus au domicile de son père, il ne se dégage pas non plus de son récit qu’à cette occasion, des menaces aient été proférées à son encontre s’il refusait de remettre la vidéo en cause. Le demandeur a ainsi uniquement déclaré que les miliciens avaient dit à son père qu’il devait se présenter à leur bureau à … sans, par ailleurs, indiquer les raisons à la base de cette convocation. Tel que relevé dans le cadre de l’analyse de la décision ministérielle portant refus d’octroyer le statut de réfugié, c’est, en effet, son père qui en premier a émis des suppositions quant au caractère prétendument compromettant de la vidéo en possession du demandeur, supposition qui n’est d’ailleurs sous-

tendue par aucun élément objectif tangible, et qui en a déduit que la vie de son fils était dorénavant en danger.

Ce constat n’est pas ébranlé par les déclarations du demandeur suivant lesquelles, le 25 août 2019, des membres de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq auraient jeté une lettre de menaces dans l’enceinte de sa maison. En effet, suivant le contenu de cette lettre, les trois personnes dont les noms étaient indiqués sur la lettre en question étaient uniquement priées de se présenter dans un délai de trois jours dans les locaux du « Mouvement des membres de la ligue des vertueux – Représentation du gouvernorat de … – district de … ». Si certes il y est mentionné qu’en cas de non-présentation, les familles des personnes concernées seraient « le cas échéant » punies, il ne saurait en être déduit une menace directe et personnelle dans le chef du demandeur et de sa famille puisque, tel que relevé ci-avant, deux autres personnes étaient visées dans lalettre en question dont l’objet était, tel que relevé ci-avant, la convocation des personnes en question, sans autre précision quant aux raisons d’être de celle-ci.

Si certes encore la manière dont les miliciens ont cherché à entrer en contact avec le demandeur afin de le pousser à se présenter en leurs bureaux est critiquable en ce qu’ils ont notamment tenté de lui mettre la pression en se renseignant au sujet de son épouse et de ses enfants, il n’en reste pas moins que le comportement affiché par les miliciens n’est pas suffisamment grave pour conclure à l’existence d’une menace réelle et sérieuse qui pèserait sur la vie et l’intégrité physique du demandeur du seul fait d’avoir filmé un incendie ayant éclaté à côté de son commissariat.

Ce constat n’est pas énervé par le fait qu’à l’occasion d’une fouille au domicile familial le 15 septembre 2019, des membres de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq ont agressé le père et le frère du demandeur. En effet, s’il s’agit certes d’agissements condamnables, il se dégage des déclarations du demandeur qu’il s’est agi d’un incident isolé qui a dégénéré après que le frère du demandeur ait tenté de s’interposer entre son père et les miliciens. Le tribunal relève encore que le frère du demandeur n’a pas été enlevé par les miliciens mais que suivant les déclarations de Monsieur …, c’est afin d’échapper à leurs coups, que son frère leur a proposé de les amener auprès de la famille du demandeur.

Le tribunal relève, à cet égard, que si le demandeur a déclaré que le 10 octobre 2019 son père l’avait informé que son frère n’était toujours pas réapparu, de même que le demandeur verse un certificat de décès suivant lequel son frère serait mort le 20 avril 2020, il ne se dégage pas à suffisance des éléments à la disposition du tribunal que le décès du frère du demandeur puisse justifier à l’heure actuelle dans le chef du demandeur une crainte réelle et sérieuse de faire l’objet de représailles de la part de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq pour avoir filmé un incendie ayant éclaté en août 2019. Ce constat se trouve conforté par le fait qu’alors même que la milice n’a pas pu trouver l’épouse et les enfants du demandeur grâce à l’aide du frère du demandeur, elle ne s’est rendue plus qu’une seule fois au domicile de son père le 10 décembre 2019, visite lors de laquelle les membres de la milice n’ont pas proféré de menaces ni été violents, mais ont uniquement demandé où se trouvait le demandeur et pourquoi il ne s’était pas manifesté chez eux. Si à cette occasion, les miliciens ont déclaré être prêts à libérer le frère du demandeur dès que ce dernier se serait manifesté chez eux, il n’en reste pas moins que depuis lors, les miliciens ne se sont plus jamais renseignés au sujet du demandeur. Or, dans la mesure où le décès du frère du demandeur est survenu près de 7 mois après que le frère en question ait quitté le domicile familial avec des miliciens et plus de quatre mois après que les miliciens aient eu le dernier contact avec la famille du demandeur, il ne se dégage pas à suffisance des éléments à disposition du tribunal que le décès du frère du demandeur puisse être effectivement rattaché à sa propre crainte de faire l’objet de représailles de la part de la milice Asa’ib Ahl al-Haqq pour avoir filmé un incident compromettant.

Au vu des considérations qui précèdent et dans la mesure où il ne se dégage pas des éléments à la disposition du tribunal que depuis la dernière visite des miliciens en date du 10 décembre 2019, la famille du demandeur ait encore été inquiétée par celle-ci et ce, alors même que l’épouse et les enfants du demandeur sont retournés vivre en Irak le 5 novembre 2019 et qu’à l’heure actuelle ils y demeurent toujours, il y a lieu de retenir que sa crainte de faire l’objet en cas de retour vers son pays d’origine de représailles de la part de la milice Asa’ib Ahl al-

Haqq pour avoir filmé en août 2019 un incendie ayant éclaté dans un de leurs entrepôts reste purement hypothétique et basée sur un sentiment général d’insécurité. Ce constat n’est pas énervé par les affirmations vagues et non autrement étayées contenues dans la requêteintroductive d’instance suivant lesquelles le demandeur n’aurait eu, au moment du dépôt du recours sous analyse, plus aucune nouvelle de ses parents et de son petit frère.

Pour ce qui est enfin des craintes du demandeur en relation avec le fait qu’il aurait été poursuivi et condamné par défaut à une peine d’emprisonnement pour avoir déserté sans justification son poste de policier, le tribunal se doit de relever qu’au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande de reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que le seul fait que son père ait été informé par une personne interposée d’une prétendue condamnation n’est, en tout état de cause, pas suffisant pour permettre au tribunal d’apprécier le bien-fondé de la crainte du demandeur de faire l’objet de ce chef de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015 dans son chef, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur base des mêmes arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 précité.

Il résulte des développements qui précèdent qu’en l’état actuel d’instruction du dossier et des moyens échangés de part et d’autre, Monsieur … n’a pas démontré qu’il existe de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015.

(ii) Quant au risque de subir les atteintes graves découlant de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 Quant au risque de subir des atteintes graves en application de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, afin qu’un statut de protection subsidiaire puisse être octroyé au demandeur conformément à cet article, il doit être question, dans son chef, d’une menace grave contre sa vie ou sa personne, en tant que civil, en raison de la violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international. Cette disposition législative constitue la transposition de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par « la directive 2011/95/UE ». Son contenu est distinct de celui de l’article 3 de la CEDH et son interprétation doit, dès lors, être effectuée de manière autonome, tout en restant dans le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH2.

Il convient par conséquent de tenir compte des enseignements de l’arrêt Elgafaji du 17 février 2009 rendu par la CJUE qui distingue deux situations : (i) celle où « il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée, courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive »3 et (ii) celle qui prend en compte les caractéristiques propres du demandeur, la CJUE précisant que « […] plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en 2 CJUE, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C-465/07, paragraphe 28.

3 Ibid., paragraphe 35.raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire.» 4.

Dans la première hypothèse, le degré atteint par la violence aveugle est tel que celle-ci affecte tout civil se trouvant sur le territoire où elle sévit, de sorte que s’il est établi qu’un demandeur est un civil originaire de ce pays ou de cette région, il doit être considéré qu’il encourrait un risque réel de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle s’il était renvoyé dans cette région ou ce pays, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, sans qu’il soit nécessaire de procéder, en outre, à l’examen d’autres circonstances qui lui seraient propres.

Dans ce contexte, la CJUE a précisé, dans un arrêt du 10 juin 2021, « CF et DN c.

Bundesrepublik Deutschland », C-901/19, que lors de l’évaluation individuelle d’une demande de protection subsidiaire, prévue à l’article 4 (3) de la directive 2011/95/UE, il peut notamment être tenu compte de la proportion entre le nombre total de civils vivant dans la région concernée et les victimes effectives des violences perpétrées par les parties au conflit contre la vie ou l’intégrité physique des civils dans cette région5, l’intensité des affrontements armés, du niveau d’organisation des forces armées en présence, de la durée du conflit, de l’étendue géographique de la situation de violence aveugle, de la destination effective du demande en cas de renvoi dans le pays ou la région concernés et de l’agression éventuellement intentionnelle contre des civils exercée par les belligérants, en tant qu’éléments entrant en ligne de compte dans l’appréciation du risque réel d’atteintes graves6.

La seconde hypothèse concerne des situations où il existe une violence aveugle, ou indiscriminée, c’est-à-dire une violence qui frappe des personnes indistinctement, sans qu’elles ne soient ciblées spécifiquement, mais où cette violence n’atteint pas un niveau tel que tout civil courrait du seul fait de sa présence dans le pays ou la région en question un risque réel de subir des menaces graves pour sa vie ou sa personne. La CJUE a jugé que dans une telle situation, il convenait de prendre en considération d’éventuels éléments propres à la situation personnelle du demandeur aggravant dans son chef le risque lié à la violence aveugle.

Partant, une analyse de la situation particulière s’impose pour pouvoir apprécier l’existence, dans le chef du demandeur, d’un risque réel au sens de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE.

Or, le tribunal relève que la Cour administrative a retenu dans son arrêt du 27 mars 2018 portant le numéro 40740C7 du rôle que si la situation de sécurité était et restait dangereuse et précaire dans différentes parties de l’Irak, et en particulier dans la ville de …, étant donné que les incidents violents continuaient d’être nombreux et largement répandus, il n’y avait néanmoins pas lieu de conclure que la simple présence d’un individu à … l’exposerait ipso facto, avec un certain degré de probabilité, à des menaces individuelles graves, la Cour ayant conclu que le seul fait d’être originaire de l’Irak, plus particulièrement, de …, n’est pas un élément justifiant à lui seul et automatiquement l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire. Cette position a encore été confirmée par un arrêt de la Cour administrative du 11 juin 2019 portant le numéro 42665C8 du rôle. Etant donné que le demandeur reste en défaut de 4 Ibid. paragraphe 39.

5 CJUE, 10 juin 2021, CF et DN c. Bundesrepublik Deutschland, C-901/19, paragraphe 32.

6 Ibid., paragraphe 43.

7 disponible sur www.jurad.etat.lu.

8 Idem.rapporter des éléments probants de nature à renverser la conclusion à laquelle la Cour administrative est ainsi arrivée, il ne saurait prétendre à l’octroi de la protection subsidiaire sur base de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que l’argumentation sous analyse encourt le rejet.

Ce constat n’est pas ébranlé par les rapports et articles faisant référence à l’EI qui serait toujours actif en Irak. En effet, si certes l’EI continue toujours d’exister, il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que l’EI ait pu s’emparer de … par le passé ni qu’il existe un risque réel et sérieux que ce groupement s’empare à l’heure actuelle de la capitale irakienne.

C’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte que le recours en ce qu’il est dirigé à l’encontre dudit statut est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, seul un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours principal en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Il n’y a dès lors par lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours contre l’ordre de quitter le territoire, le demandeur expose que cet ordre devrait encourir la réformation pour violation de la loi, alors qu’il risquerait de subir des atteintes graves telles que définies aux articles 48 et 49 de la loi du 18 décembre 2015. A titre subsidiaire, il soutient que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par la « loi du 29 août 2008 », dans la mesure où un retour en Irak serait suivi de traitements cruels, inhumains ou dégradants, de sorte à constituer également une violation autonome de l’article 3 de la CEDH. Le demandeur se réfère à cet égard à la jurisprudence de la CourEDH9, ainsi qu’à une décision de la Commission européenne des droits de l’Homme10 selon lesquelles l’existence d’un simple risque que l’étranger soit soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH en cas de retour dans son pays d’origine suffirait pour qu’il ne soit pas éloigné.

Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de 9 CourEDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume-Uni, Requête n° 30240/96 ; CEDH, 7 juillet 1989, Soering c. Royaume-

Uni, requête n° 14038/88 ; CEDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah c. Royaume-Uni, requêtes n° 13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87.

10 Commission, 15 décembre 1977, X. c. RFA, requête n° 6699/74, DR 11, p.16.tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, il a également a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Comme le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale du demandeur comme non justifiée et que la conclusion prise sur le volet de la protection subsidiaire relative à l’absence de risque réel et sérieux de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 s’applique également en l’espèce à une prétendue violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 sinon de l’article 3 de la CEDH prohibant l’éloignement d’un étranger s’il risque de faire l’objet d’un traitement inhumain, et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Partant, le recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 1er juillet 2020 portant refus d’une protection internationale ;

au fond ledit non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 25 avril 2022 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 22


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 44832
Date de la décision : 25/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-25;44832 ?

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