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22/04/2022 | LUXEMBOURG | N°44585

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 avril 2022, 44585


Tribunal administratif N° 44585 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juin 2020 4e chambre Audience publique du 22 avril 2022 Recours formé par Madame …, … (D), contre une décision implicite du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, en matière d’employé de l’Etat

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44585 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2020 par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la C

our, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à D...

Tribunal administratif N° 44585 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juin 2020 4e chambre Audience publique du 22 avril 2022 Recours formé par Madame …, … (D), contre une décision implicite du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, en matière d’employé de l’Etat

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44585 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2020 par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à D-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision implicite du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse refusant de faire droit à sa demande du 3 octobre 2019 visant à se faire allouer un supplément personnel de traitement ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 2020 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2021 par Maître Jean-Marie Bauler, préqualifié, au nom et pour le compte de sa mandante ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2021 par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan Holler, en remplacement de Maître Jean-Marie Bauler, et Madame le délégué du gouvernement Hélène Massard en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 mars 2022.

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Aux termes d’un contrat de louage de service à durée indéterminée signé en date du 14 septembre 2017, Madame … fut engagée en qualité de chargée de cours de la réserve des suppléants de l’enseignement fondamental avec effet au 15 septembre 2017 sous le régime des employés de l’Etat.

Par courrier de son litismandataire du 3 octobre 2019, Madame … s’adressa au ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après dénommé « le ministre », en les termes suivants :

« (…) J'ai l'honneur de vous écrire au nom de Madame …, ancienne chargée de cours / enseignante de religion demeurant à D-…, qui m'a chargé de la défense de ses intérêts.

1 Ma mandante a débuté sa carrière auprès de l'Archevêché en date du 15 septembre 2006 comme enseignante de religion.

Etant donné qu'elle avait travaillé 25 ans en Allemagne avant de débuter sa carrière au Luxembourg, l'Etat lui a reconnu la moitié, c'est-à-dire 12 ans d'ancienneté avec effet au 1er octobre 2007 (annexe 1).

Ensemble avec les 11 ans qu'elle a travaillé pour l'Archevêché, qui sont entretemps reconnus à 100% par l'Etat, Madame … dispose d'une ancienneté de service de 23 ans auprès de l'Etat.

Depuis le 15 septembre 2017 ma mandante est à considérer comme fonctionnaire de l'Etat au vu de son ancienneté de service.

Au vu de ce qui précède et au vu de l'âge de ma mandante, je vous saurais gré de bien vouloir lui accorder, avec effet au 1er janvier 2018, le supplément personnel de traitement (55 ans).

La reconnaissance d'ancienneté ainsi que le supplément personnel ont été accordés notamment aux dames … et ….

Je vous prie dès lors d'appliquer les mêmes règles à ma mandante.

Dans la négative, je vous prie de bien vouloir prendre une décision motivée susceptible de faire l'objet d'un recours devant les juridictions administratives.

J'adresse copie de la présente au Centre de gestion du personnel et de l'organisation de l'Etat, pour information. (…) ».

Aucune suite n’a été réservée par le ministre au précité courrier du 3 octobre 2019 de Madame ….

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 juin 2020, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision implicite du ministre refusant de faire droit à sa demande du 3 octobre 2019 visant à se faire allouer un supplément personnel de traitement.

Dans la mesure où l’article 10 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et indemnités des employés de l’Etat, ci-après dénommée « la loi du 25 mars 2015 », attribue une compétence de pleine juridiction au tribunal quant aux contestations résultant du contrat d’emploi, de la rémunération et des sanctions et mesures disciplinaires, le tribunal de céans est compétent pour connaître du recours en réformation introduit, à titre principal, contre la décision ministérielle implicite de refus de la demande précitée du 3 octobre 2019 visant à se faire allouer le supplément personnel de traitement, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi, étant rappelé qu’en vertu de l’article 4 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », « (1) Dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans 2 qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif. ».

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Dans son mémoire en réplique, la partie demanderesse a soulevé l’irrecevabilité ratione temporis du mémoire en réponse déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif en date du 4 décembre 2020.

A l’audience de plaidoiries, le délégué du gouvernement s’est rapporté à prudence de justice à cet égard.

Aux termes du paragraphe (3) de l’article 4 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dénommée ci-après « la loi du 21 juin 1999 », « [l]e dépôt de la requête vaut signification à l’Etat. Il en est de même pour le dépôt des mémoires subséquents. ».

Il résulte ensuite de l’article 5 de cette même loi que « (1) Sans préjudice de la faculté, pour l’Etat, de se faire représenter par un délégué, le défendeur et le tiers intéressé sont tenus de constituer avocat et de fournir leur réponse dans le délai de trois mois à dater de la signification de la requête introductive.

(…) (6) Les délais prévus aux paragraphes 1er et 5 sont prévus à peine de forclusion. Ils ne sont pas susceptibles d’augmentation en raison de la distance. Ils sont suspendus entre le 16 juillet et le 15 septembre. (…) ».

D’après l’article 8 de la loi du 21 juin 1999, « (…) (3) Les mémoires présentés par le délégué du Gouvernement sont déposés au greffe dans les délais prévus à l’article 5 et communiqués aux parties par le greffier. (…) ».

Il suit de la combinaison des dispositions précitées qu’il appartient à l’Etat de déposer sous peine de forclusion son mémoire en réponse dans le délai de trois mois à partir du jour du dépôt au greffe de la requête introductive d’instance, valant signification à la partie étatique.

Dès lors, dans la mesure où le mémoire en réponse doit être déposé dans le délai de 3 mois depuis le dépôt de la requête, le recours ayant été déposé le 26 juin 2020, le délai de dépôt pour le mémoire en réponse a expiré, en prenant en compte la suspension des délais entre le 16 juillet et le 15 septembre, le jeudi 26 novembre 2020, de sorte que le dépôt du mémoire en réponse en date du mercredi 4 décembre 2020 est à considérer comme tardif.

Le mémoire en réponse est dès lors à déclarer irrecevable et à écarter des débats. Il en va nécessairement de même en ce qui concerne les mémoires subséquents qui s’y sont greffés.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi du 21 juin 1999, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties, même si la partie défenderesse n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi.

3 A l’appui de son recours et en fait, la partie demanderesse explique qu’en date du 15 septembre 2006, le Centre commun de la sécurité sociale lui aurait certifié son statut d'employée de l'Etat et qu’en date du 15 septembre 2007, elle aurait débuté sa carrière auprès de l'Archevêché comme enseignante de religion.

Etant donné qu'elle aurait travaillé pendant 25 ans en Allemagne avant de débuter sa carrière au Luxembourg, l'Etat lui aurait reconnu la moitié, c'est-à-dire 12 années d'ancienneté avec effet au 1er octobre 2007.

Ensemble avec les 11 ans (situation en 2017) qu'elle aurait travaillé pour l'Archevêché, qui seraient entretemps reconnus à 100% par l'Etat, la partie demanderesse affirme disposer d'une ancienneté de service de 23 ans auprès de l'Etat.

Elle estime même que depuis le 15 septembre 2017, elle serait à considérer comme fonctionnaire de l'Etat au vu de son ancienneté de service.

Elle relate qu’entre le 28 avril 2019 et le 15 mai 2019, elle aurait eu un échange de courriels avec un certain Monsieur … au sujet de la reconnaissance de son ancienneté non seulement en ce qui concerne la détermination de sa date de début de carrière en vue de la fixation de son traitement, mais également en vue de calculer son ancienneté de service auprès de l'Etat.

La date de début de carrière n'étant pas reconnue rétroactivement, les années qu’elle aurait travaillées pour l'Archevêché ne seraient pas reconnues pour le calcul de l'ancienneté afin de bénéficier du supplément personnel, alors même que la reconnaissance d'ancienneté ainsi que le supplément personnel à l'âge de 55 ans auraient été accordés notamment aux dames V. R. et E. G., autres personnes se trouvant dans une situation identique à la sienne.

La partie demanderesse donne à considérer que le ministre n’aurait pas répondu à son courrier recommandé du 3 octobre 2019 par laquelle elle aurait demandé de se voir accorder, avec effet au 1er janvier 2018, le supplément personnel de traitement des 55 ans.

En droit, la partie demanderesse conclut en premier lieu à une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l´Etat et des communes, dénommé ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », alors qu’une décision implicite ne serait, de par sa nature, pas motivée, Monsieur …, conseiller chargé de l'affaire, ne s’étant d’ailleurs référé, dans ses courriels, que de manière générale à la loi du 25 mars 2015, sans invoquer un seul article applicable en l'espèce.

Un tel manquement porterait atteinte à ses droits de la défense, alors qu’elle ne serait pas en mesure de préparer convenablement son argumentation.

L’Etat n’a pas utilement pris position dans le cadre du présent litige pour ne pas avoir déposé de mémoire en réponse endéans les délais légaux.

Force est d’abord au tribunal de relever qu’il ressort des éléments du dossier que par son courrier du 3 octobre 2019, la partie demanderesse a expressément sollicité du ministre l’allocation d’un supplément personnel de traitement sans que cette demande n’ait, à ce jour, connu de réponse, le silence de l’administration valant refus au sens de l’article 4 précité de 4 la loi du 7 novembre 1996.

Aux termes de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, « Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.

La décision doit formellement indiquer les motifs par l´énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu´elle:

- refuse de faire droit à la demande de l´intéressé; (…). ».

Une décision implicite de refus ne contient, par la force des choses, aucune motivation, s’agissant d’une fiction juridique1.

Si la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours et que celle-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois à la phase contentieuse, tel n’est pas le cas lorsque, dans l'instance contentieuse, la partie publique omet de déposer un mémoire contenant la motivation sous-jacente à sa décision attaquée2.

Or, en l’absence de prise de position de la part de l’Etat susceptible de documenter les motifs à la base de la décision litigieuse, le tribunal n’a pas été mis en mesure de procéder à un quelconque examen utile des motifs qui sous-tendent la décision litigieuse, étant entendu que la seule consultation des pièces versées en cause n’est pas de nature à combler utilement cette carence, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de puiser de sa propre initiative les motifs d’une décision administrative dans le dossier administratif.

Le recours est partant à accueillir comme étant fondé sans qu’il n’y ait lieu d’examiner plus en avant les autres moyens soulevés.

La décision implicite telle que déférée doit dès lors encourir l’annulation dans le cadre du recours en réformation dont le tribunal est saisi.

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de faire droit à la demande de Madame … en allocation d’une indemnité de procédure, présentée en application de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, pour un montant fixé ex aequo et bono de 500,- euros, alors qu’il est inéquitable qu’elle supporte seule les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

écarte des débats les mémoires en réponse, en réplique et en duplique déposés respectivement au greffe du tribunal administratif en dates des 4 décembre 2020, 5 janvier 2021 et 5 février 2021 ;

déclare le recours principal en réformation recevable en la forme ;

1 Cour adm. 30 juin 2016, n° 37627C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure Administrative Non Contentieuse, n°91.

2 Trib. adm. 2 février 2012, n° 28291 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure Administrative Non Contentieuse, n° 90, 2e tiret.

5 au fond, le déclare justifié, partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision implicite du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse refusant de faire droit à la demande de Madame … du 3 octobre 2019 visant à se faire allouer un supplément personnel de traitement et renvoie l’affaire en prosécution de cause audit ministre ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne l’Etat à payer à la partie demanderesse une indemnité de procédure de 500,-

euros ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 avril 2022 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 44585
Date de la décision : 22/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-22;44585 ?

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