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20/04/2022 | LUXEMBOURG | N°45762

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 avril 2022, 45762


Tribunal administratif N° 45762 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 mars 2021 1re chambre Audience publique du 20 avril 2022 Recours formé par Monsieur A, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45762 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 mars 2021 par Maître Shanez Aksil, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A, né le

… à … (Soudan), de nationalité soudanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant p...

Tribunal administratif N° 45762 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 mars 2021 1re chambre Audience publique du 20 avril 2022 Recours formé par Monsieur A, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45762 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 mars 2021 par Maître Shanez Aksil, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A, né le … à … (Soudan), de nationalité soudanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation 1) de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 2 février 2021 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et 2) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 mai 2021 ;

Vu l’avis du tribunal du 2 mars 2022 invitant les parties à se présenter à l’audience des plaidoiries pour prendre position oralement sur la situation actuelle au Soudan ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en sa plaidoirie à l’audience publique du 2 mars 2022 ;

Vu l’avis du tribunal du 7 mars 2022 prononçant la rupture du délibéré ;

Vu la communication de Maître Shanez Aksil du 14 mars 2022 suivant laquelle elle marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Pascale Millim en sa plaidoirie à l’audience publique du 16 mars 2022.

Monsieur A introduisit le 6 mai 2019 auprès du service compétent du ministère des 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur A sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Le 7 mai 2019, Monsieur A fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après « le règlement Dublin III ».

Les 15 et 22 juillet 2019, Monsieur A fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par une décision du 2 février 2021, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 5 février 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur A auprès du service de police judiciaire et de la direction de l’Immigration comme suit :

« […] Monsieur, dans le cadre de votre entretien des 15 et 22 juillet 2019 auprès de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous vous contredisez sur de nombreux points.

En effet, vous y déclarez tout d'abord que vous seriez né à …. Confronté à vos déclarations antérieures quant au différent lieu de naissance indiqué, vous confirmez que vous seriez né à … et que dû à des problèmes vous auriez déménagé à « Al Din » où vous seriez resté pendant quatre ans avant de vous rendre à Wad Madani dans le gouvernorat d'Al Jazirah.

Après relecture, vous revenez sur vos dires et expliquez que votre père serait né à … mais que vous seriez né à « Al Din ». Vous seriez d'ethnie non arabe Berti et confronté à cette incohérence, vous expliquez que vous votre mère serait d'ethnie Rizeigat et votre père d'ethnie Berti et ajoutez que des jeunes du foyer vous auraient appris qu'en tant qu'homme vous devriez prendre la lignée paternelle, chose que vous n'auriez pas su auparavant.

Vous déclarez ensuite que vous seriez marié « mais pas officiellement » (page 3 de votre rapport d'entretien) à une femme avec qui vous auriez vécu de 2011 à 2012 et que vous auriez eu un enfant commun qui porterait votre nom. Vous ajoutez que vous n'en auriez pas la garde.

En 2010, vous auriez été arrêté et détenu 25 jours au motif que vous auriez vendu des fruits et légumes sans autorisation. Vous auriez également été condamné par un tribunal à payer 1250 livres soudanaises.

En 2011, vous auriez été arrêté au motif que la police vous aurait « trouvé ivre » (page 17 de votre rapport d'entretien) sur la voie publique. Vous expliquez que l'alcool serait interdit au Soudan et que vous auriez passé cinq mois en prison durant lesquels vous auriez été frappé et vous auriez dû faire des tâches de nettoyage, alors qu'il n'y aurait pas eu de « procès » (page 17 de votre rapport d'entretien) ou, selon une autre version, vous auriez été « condamné à 100 coups de bâtons » (page 10 de votre rapport d'entretien).

Le 26 septembre 2013, vous auriez participé à une manifestation à Wad Madani pour dénoncer l'augmentation des prix et revendiquer « la justice au Soudan » (page 11 de votre rapport d'entretien). Durant cette manifestation, la police serait intervenue violement. Vous auriez reçu des coups, et déclarez à ce sujet qu'« ils nous frappaient, je n'ai pas eu le temps de courir et de fuir et ils m'ont frappé et ils m'ont mis dans la voiture » (page 11 de votre rapport d'entretien) ou selon une autre version « [a]près ma blessure on a couru, cent mètres à peu près, j'étais tellement frappé que je n'arrivais plus à aller plus loin. Ils m'ont rattrapé et ils m'ont donné des coups. Ils m'ont pris à quatre et ils m'ont lancé dans le véhicule » (page 13 de votre rapport d'entretien).

Vous ajoutez que vous seriez resté emprisonné pendant huit mois durant lesquels vous auriez été frappé de façon journalière. Vous auriez réussi à prendre la fuite lors d'une tâche de « nettoyage » (page 15 de votre rapport d'entretien) durant laquelle d'autres prisonniers auraient « créé un problème » (page 15 de votre rapport d'entretien). Vous auriez profité de la distraction des gardes pour grimper à une échelle de la tour de contrôle, de laquelle vous auriez sauté pour passer le mur d'enceinte qui aurait fait « trois mètres de haut » (page 15 de votre rapport d'entretien). Deux jours après votre évasion, vous auriez contacté votre mère qui vous aurait appris que « les gens de la sûreté » seraient venus chez elle et seraient à votre recherche, que votre petite soeur et elle-même auraient été détenues deux jours, qu'on lui aurait cassé le bras et que vous seriez tué si on vous retrouvait. Vous auriez alors décidé de vous rendre à « Al Moussalas » (page 15 de votre rapport d'entretien) où vous seriez resté deux ans et quatre mois avant de quitter définitivement le Soudan. […]. ».

A travers cette décision, le ministre rejeta la demande de protection internationale de Monsieur A comme non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 en mettant, d’une part, en doute la crédibilité du récit, et d’autre part, en retenant que les conditions d’une protection internationale ne seraient pas remplies, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 mars 2021, Monsieur A a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision de refus de lui accorder une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 2 février 2021, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en ce qui concerne les faits, le demandeur prend position par rapport à son lieu de naissance et par rapport à son appartenance ethnique, de même qu’il donne des explications concernant sa situation familiale.

Par ailleurs, il expose avoir été arrêté en 2011 pour avoir consommé de l’alcool et avoir été mis en prison sans procès et puni d’une peine de 100 coups de bâtons. Il déclare encore être connu des services de la police soudanaise pour « pour son penchant pour l’alcool ».

Il aurait en outre participé en 2013 à une manifestation à Wad Madani pour dénoncer l’augmentation des prix et la vie chère au Soudan et pour revendiquer plus de justice dans son pays d’origine. La police serait intervenue violemment afin de disperser les manifestants. Après une tentative de fuite, il aurait été arrêté par la police, qui l’aurait roué de coups, et il aurait été incarcéré pendant huit mois durant lesquelles il aurait été frappé quotidiennement. Ce serait finalement suite à une inattention des gardes pénitentiaires, qu’il aurait pu s’évader. Suite à cette évasion, sa mère et sa sœur auraient été interrogées et détenues pendant deux jours, le bras de sa mère ayant été cassé lors de cette détention. Il expose qu’il aurait été trop risqué de retourner chez sa famille, de sorte qu’il aurait quitté sa région pour se rendre plus au Nord du Soudan pour y travailler. En raison de la présence de milices dans cette région, il aurait eu peur d’être retrouvé, de sorte qu’il aurait fui le Soudan pour se rendre en Libye et ensuite en Europe.

En droit et en ce qui concerne le statut de réfugié, le demandeur prend position par rapport aux reproches du ministre tenant à la crédibilité de son récit. A cet égard, il se prévaut de l’article 37, alinéa 1er et 5 de la loi du 18 décembre 2015, tout en reprochant au ministre de ne pas avoir investigué sur les faits allégués et de s’être limité à relever des incohérences sans lui accorder le bénéfice du doute.

Par ailleurs, il estime que son récit s’inscrirait sur une toile de fond politique et tomberait de la sorte dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la convention de Genève ». Les conditions d’octroi du statut de réfugié seraient dès lors remplies.

En ce qui concerne les conséquences d’un retour dans son pays d'origine, il affirme qu’il serait évident qu’un tel retour serait dangereux dans la mesure où il serait recherché par la police en raison de sa fuite de la prison.

En ce qui concerne les raisons l’ayant poussé à quitter son pays d’origine, le demandeur reproche au ministre de semer la confusion, de faire l’amalgame entre différents événements et de lui reprocher les incohérences qui en réalité n’existeraient pas. Ainsi il estime que le ministre aurait procédé par un examen superficiel et insuffisant de ses déclarations et d’avoir jugé l’intégralité de son récit comme étant incohérent et non crédible sur base de la simple maladresse dans la façon de s’exprimer.

A cet égard, il expose qu’il aurait clairement indiqué avoir vécu à Al Din et être né à …, de même qu’il aurait expliqué son appartenance ethnique. Il aurait encore mentionné avoir été arrêté plusieurs fois en raison de son addiction à l’alcool. Ainsi en 2009, il aurait été arrêté pour consommation d’alcool et mis en prison, tout en précisant qu’il aurait été libéré avec l’obligation de se présenter de façon journalière afin de signer un document. Ce serait en 2011 qu’il aurait subi une arrestation de cinq mois et une sanction avec des coups de bâtons.

Ensuite en 2013, il aurait été incarcéré pendant huit mois avant de pouvoir s’évader de prison.

En outre, il serait erroné de prétendre qu’il aurait déclaré ne pas avoir reçu des balles dans le corps, alors qu’il en aurait bien reçu une, à savoir au bras et au poignet gauche, ce qu’il aurait indiqué lors de son entretien du 7 mai 2019. Cette belle aurait été tirée par un soldat lors de la manifestation de 2013, alors qu’il aurait tenté de s’évader.

A titre subsidiaire, si son récit n’était pas déclaré crédible, il demande au tribunal de retenir que le dossier n’aurait pas été suffisamment instruit au cours de la phase non contentieuse, et de renvoyer le dossier au ministre pour procéder à un complément d’instruction.

En ordre plus subsidiaire, le demandeur se prévaut du statut conféré par la protection subsidiaire. Après avoir cité les articles 2, point g), et 48 de la loi du 18 décembre 2015, tout en se référant à un arrêt du 17 février 2009 de la Cour de Justice de ‘Union européenne (CJUE) (affaire Elgafaji, numéro C465/07).

Pour le surplus, il affirme qu’un article paru au journal New York Times le 22 avril 2018 aurait révélé que les demandeurs d'asile soudanais renvoyés par la France, l’Italie et la Belgique auraient été battus et torturés à leur retour dans leur pays d'origine. De même, il affirme qu’il ressortirait d’un article de Infomigrants.net qu’il y aurait des craintes avérées quant au renvoi des Soudanais dans leur pays.

En tout cas, contrairement aux reproches du ministre, il aurait parfaitement fait la démonstration de son récit dont il conviendrait de déduire qu’il aurait présenté des motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il court un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

La décision pécherait dès lors par violation de la loi, sinon excès de pouvoir ou détournement de pouvoir, respectivement erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où les faits invoqués par lui permettraient d’établir que la peine de mort, l’exécution ou encore la torture ou les traitements ou sanctions inhumains et dégradants lui seraient infligés en cas de retour au Soudan.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’aux termes de l’article 2, point b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant «tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, […], et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquant, comme relevé ci-avant, tant à la demande d’asile qu’à celle de protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, point g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En ce qui concerne de prime abord le reproche d’un examen superficiel de la demande, le tribunal retient que le seul fait que le ministre a retenu un défaut de crédibilité du récit du demandeur, en épinglant un certain nombre d’incohérences dans les déclarations de celui-ci lors de ses différents entretiens, n’est pas un indicateur que la demande n’aurait pas fait l’objet d’un examen individuel. Au contraire, la confrontation par le ministre de divers détails du récit tel que présenté par le demandeur, indépendamment de la question du bien-fondé des reproches afférents du ministre, démontre que le ministre a procédé à un tel examen individuel. Le reproche afférent est dès lors rejeté.

En ce qui concerne ensuite le bien-fondé du refus du ministre, indépendamment de la question de la crédibilité du récit du demandeur, de même que de celle de la qualification des faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale dans le cadre de ses auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’il reste en défaut d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécutions au sens de la convention de Genève, respectivement d’atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, en cas de retour au Soudan.

Le tribunal relève à cet égard que la question essentielle qui se pose en l’espèce et qu’il est amené à examiner dans le cadre du recours en réformation dont il est saisi, est celle de savoir quels sont les risques encourus par le demandeur s’il retourne actuellement dans son pays d’origine et plus particulièrement s’il existe encore actuellement un risque réel et sérieux qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il a à craindre des persécutions ou atteintes graves en relation avec les faits avancés par lui à l’appui de sa demande de protection internationale, tel qu’il le soutient, voire si la situation actuelle au Soudan est telle que les conditions de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015 sont remplies.

Force est de constater que si lors de ses auditions, le demandeur a fait état principalement des conséquences subies par lui de sa participation à une manifestation en 2013, à l’appui de son recours, il fait encore état de deux arrestations qu’il met en relation avec son « addiction à l’alcool », à savoir une arrestation en 2009 pour consommation d’alcool et un emprisonnement pour une durée de deux mois suite à quoi il aurait été libéré avec l’obligation de se présenter de façon régulière, et une deuxième arrestation en 2011 suivie d'un emprisonnement de cinq mois et d’une peine consistant en des coups de bâtons.

A cet égard, le tribunal relève de prime abord que les deux arrestations de 2009 et 2011, que le litismandataire du demandeur met en lien avec la consommation d’alcool et dont le demandeur a mis la première en relation avec la vente de fruits et de légumes sans autorisation - ne sauraient à l’heure actuelle pas justifier une demande de protection internationale dans la mesure où (i) de tels faits tels que relatés par le demandeur ne se trouvent en relation avec aucun des critères de fond prévus par la convention de Genève permettant l’octroi du statut de réfugié et (ii) ils n’ont revêtu dans l’esprit du demandeur pas un degré de gravité suffisant pour être qualifiés de persécutions ou d’atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, alors que les faits, remontant à plus de 10 ans, n’ont été mentionnés par le demandeur lors de son audition que de façon tout à fait incidente mais non pas comme motif principal à la base sa demande de protection internationale, celui-ci s’étant concentré exclusivement sur les suites de sa participation à la manifestation de 2013, l’une des deux arrestations n’ayant même pas du tout été mentionnée lors de son entretien de relocalisation.

En ce qui concerne ensuite sa participation à la manifestation de 2013, le tribunal constate que celle-ci s’inscrit dans le contexte particulier du mécontentement de la population à l’égard du régime en place à l’époque2, de la revendication par les manifestations de leurs droits3, et du mécontentement de la population par rapport à une augmentation des prix4.

Il se dégage encore des déclarations du demandeur qu’il n’est pas à considérer comme particulièrement engagé au niveau politique respectivement comme étant particulièrement visé en tant qu’opposant, le demandeur ayant au contraire déclaré qu’en 2013, ce serait la première fois qu’il aurait participé à une manifestation5.

Si dès lors le demandeur a été arrêté en 2013, cette arrestation est à attribuer au simple hasard mais ne s’explique pas par la circonstance qu’il serait particulièrement recherché par les services de sécurité ou policiers du Soudan tel que son litismandataire l’affirme.

Au-delà de ce constat, et même à admettre que suite à son arrestation dans le contexte de sa participation à une manifestation anti-gouvernementale en 2013, le demandeur serait fiché comme opposant au régime, force est de constater que le régime en place à l’époque a entre-temps été destitué.

En effet, tel que le tribunal l’a relevé dans divers jugements récents, le président Omar El-Bechir, au pouvoir à l’époque, a été destitué par l’armée en avril 2019 après des mois de révolte populaire et un gouvernement de transition a été mis en place pour une durée de trois ans, composé de civils et de militaires6. Dans la mesure où le régime du président El-Bechir n’est actuellement plus en place, les craintes dont fait état le demandeur en relation avec sa participation à une manifestation il y a presque 10 ans et dirigée contre ce même régime, doivent être examinées au regard des changements politiques intervenus entre-temps au Soudan depuis le mois d’avril 2019 et c’est dans ce contexte que les contestations du ministre quant au sérieux des craintes du demandeur doivent être placées.

Le tribunal est amené à retenir qu’au regard de l’écoulement du temps depuis les incidents de 2013, de la disparition du régime contre lequel le demandeur a manifesté et dans la mesure où la participation à la manifestation s’inscrit dans le contexte particulier du mécontentement de la population avec l’évolution des prix, sans que le demandeur n’ait fait 2 Page 10 du rapport d’entretien « j’avais des affiches sur lesquelles était marqué « que le régime tombe » ».

3 Page 10 et 11 du rapport d’entretien.

4 « Pour quelles raisons avez-vous participé dans cette manifestation ? C'est l'augmentation des prix, vous n'arrivez pas à acheter quoi que ce soit, tout est cher. Et à cause de la justice au Soudan […] ».

5 Page 12 du rapport d’entretien.

6 Cf trib. adm. 18 mai 2020, n° 42467 du rôle, confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 13 octobre 2020, n° 44570C du rôle ; Trib. adm. 16 novembre 2020, n° 42479 du rôle, confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 25 février 2021, n° 45385C disponibles sous www.jurad.etat.lu.

état d’un engagement politique particulier affiché qui l’exposerait particulièrement encore aujourd’hui, il y a de bonnes raisons d’admettre que les faits tels que relatés par le demandeur, indépendamment de la question de leur crédibilité, ne vont pas se reproduire dans le même contexte et qu’il convient raisonnablement d’admettre que le demandeur n’est actuellement ni recherché au Soudan en relation avec les faits qui se sont produits en 2013, ni ne risque-t-il de vivre des évènements similaires dans ce même contexte.

A cet égard, force est de constater que le demandeur concentre ses contestations quasi exclusivement sur les reproches faits par le ministre quant à la crédibilité de son récit, mais ne fournit aucune explication de nature à justifier en quoi, à l’heure actuelle et malgré le renversement du régime dont il déclare craindre les services de sécurité, sa crainte serait toujours d’actualité.

Or, une telle façon de procéder, à défaut par le demandeur d’avoir fourni des explications plus concrètes par rapport à sa situation personnelle, est insuffisante pour remettre en question les conclusions tirées par le ministre quant au bien-fondé et au sérieux des craintes du demandeur.

Le tribunal constate encore que bien que chacune des parties ait eu la possibilité de prendre position sur les changements intervenus au Soudan depuis fin 2021, à savoir le coup d’Etat militaire du 25 octobre 2021, la démission du premier ministre Hamdok le 2 janvier 2022 et le renversement du gouvernement de transition dans sa forme mise en place à la suite de la chute du président El-Bechir et composé de militaires et de civils, et face aux manifestations récentes de la population contre les auteurs du coup d’Etat ayant été réprimées avec violence, le demandeur n’a pas pris position, son litismandataire ayant fait savoir au tribunal que celui-ci avait disparu depuis plusieurs mois du centre d’hébergement, de sorte qu’il ne serait « plus opportun » de prendre position sur la situation au Soudan.

Le tribunal retient dès lors que la situation particulière du demandeur dégagée de son récit et les craintes de la part du gouvernement de l’époque ne permet à l’heure actuelle ni de justifier sa crainte de persécutions, ni celle de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015.

S’agissant de la question de savoir si la situation au Soudan est susceptible d’être qualifiée de conflit armé interne au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, certes non expressément invoqué par le demandeur, il convient de relever que la CJUE a précisé dans le considérant 43 de son arrêt du 17 février 2009, « Elgafaji c. Pays-Bas », numéro C-

465/07, cité par le demandeur, que « […] l’article 15, sous c), de la directive, lu en combinaison avec l’article 2, sous e), de la même directive, doit être interprété en ce sens que:

- l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne du demandeur de la protection subsidiaire n’est pas subordonnée à la condition que ce dernier rapporte la preuve qu’il est visé spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle;

- l’existence de telles menaces peut exceptionnellement être considérée comme établie lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours, apprécié par les autorités nationales compétentes saisies d’une demande de protection subsidiaire ou par les juridictions d’un Etat membre auxquelles une décision de rejet d’une telle demande est déférée, atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir lesdites menaces.».

Elle a également retenu, dans le considérant 39 du prédit arrêt, que « […] plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire ».

Le conflit armé interne a été défini par la CJUE dans son arrêt du 30 janvier 2014, «Diakité c. Belgique », numéro C-285/12, invoqué par le demandeur, et plus particulièrement en son considérant 35, de la manière suivante : « […] lorsque les forces régulières d’un Etat affrontent un ou plusieurs groupes armés ou lorsque deux ou plusieurs groupes armés s’affrontent, sans qu’il soit nécessaire que ce conflit puisse être qualifié de conflit armé ne présentant pas un caractère international au sens du droit international humanitaire et sans que l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence ou la durée du conflit fasse l’objet d’une appréciation distincte de celle du degré de violence régnant sur le territoire concerné. ».

Quant aux violences aveugles, elles ont été définies par la CJUE dans le prédit arrêt «Elgafaji c. Belgique », notamment dans les considérants 34 et 35, comme étant des violences qui s’étendent à des civils sans considération de leur situation personnelle ou de leur identité, principe encore rappelé par la CJUE dans son arrêt du 10 juin 2021, affaire C-901/197, invoqué par le demandeur, la CJUE ayant rappelé le principe que le demandeur de protection internationale n’a pas à rapporter la preuve qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation8.

En ce qui concerne la question de la situation actuelle au Soudan examinée à la lumière de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, la Cour administrative a retenu récemment dans un arrêt du 2 novembre 2021, inscrit sous le numéro 46389C du rôle, que s’il ne pouvait pas être nié que le Soudan connaît une situation générale sécuritaire problématique, avec des tensions entre différentes communautés indéniables, les éléments fournis par les parties en cause dans cette affaire ne démontraient pas l’existence, à ce moment, au Soudan d’une situation de conflit armé au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015.

La Cour administrative a encore relevé que les récentes évolutions au niveau gouvernemental, par une tentative de reprise en mains de la situation, voire de coup d’Etat, par les militaires, si elles témoignaient d’une situation indéniablement précaire, n’apparaissent pas non plus ébranler fondamentalement ce constat.

En l’espèce, le tribunal retient qu’au regard des éléments mis à sa disposition, il ne peut que rejoindre le constat fait par la Cour administrative par rapport à la situation ayant existé en novembre 2021, y compris les événements à la suite du coup d’Etat d’octobre 2021, et constater, par ailleurs, que le demandeur ne lui a pas non plus soumis des éléments qui permettraient d’arriver à une autre conclusion et ainsi de retenir que le Soudan en général, voire la région originaire du demandeur en particulier, soient caractérisés par une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé atteignant un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et 7 Considérant n° 26.

8 CJUE 10 juin 2021, considérant n° 27.

avérés de croire que s’il y était renvoyé, il courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de subir des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne.

A cet égard, le tribunal souligne que s’il se dégage des explications du délégué du gouvernement fournies à l’audience des plaidoiries sur invitation afférente du tribunal par avis des 2 et 7 mars 2022, que les événements récents au Soudan ont mis à mal le fonctionnement du gouvernement de transition en sa forme telle qu’il a été mis en place à la suite de la chute du régime El-Bechir, et que la répression violente de manifestations à la suite du putsch militaire sont une réalité, le litismandataire du demandeur n’a pas pris position sur l’évolution récente au Soudan et ne lui a en particulier soumis aucun élément permettant de retenir que la situation au Soudan à la suite du coup d’Etat militaire et des évènements qui s’en sont suivis et tels que décrits par la partie étatique, ait dorénavant atteint un degré de violence tel qu’elle est susceptible d’être qualifiée de conflit armé au sens de l’article 48, point c), précité, le demandeur ne faisant, par ailleurs, valoir aucune élément propre à sa situation personnelle aggravant dans son chef le risque lié à la violence aveugle avancée par lui.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et des éléments à sa disposition, le tribunal est amené à conclure que la crainte dont le demandeur fait état n’est pas de nature à justifier dans son chef l’octroi de l’un des statuts conférés par la protection internationale, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée sa demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet.

2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours principal en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Le demandeur demande la réformation de l’ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation du refus d’octroi d’une protection internationale, tout en se prévalant du principe de précaution, en vertu duquel il serait en tout état de cause préférable de ne pas reconduire une personne vers un pays où elle ferait l’objet de menaces attentatoires à sa sécurité et à son intégrité.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, à défaut d’un risque de subir des persécutions ou atteintes graves en cas de retour au Soudan, le ministre a encore valablement pu, sans violer le principe de précaution, prononcer un ordre de quitter le territoire à l’égard du demandeur.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 2 février 2021 portant rejet d’une protection internationale ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre cette décision ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre cette décision ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 avril 2022 par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Benoît Hupperich, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Poiani s. Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 45762
Date de la décision : 20/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-20;45762 ?

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